Du Trithéisme, ou Théologie Vizaner

9 février 2014 par Kazz → Cultes

« Tout ce qui est advenu est nécessaire, puisque c’est advenu »

Notions de base du Trithéisme

Le Trithéisme enseigne que toute chose : l’Univers et tout ce qui le compose, est fonction de trois dieux-principes interdépendants, complémentaires, et indissolublement liés.

Brahma est le principe créateur de l’Univers, celui par qui toute chose existe. Brahma s’est auto-créé et il a aussi créé les deux autres principes. Il est la source de tout : pensée, chose, néant. Brahma n’a  a priori aucune conscience de la valeur de ce qu’il crée, y compris de la sienne propre. Etant à l’origine, il fut un temps seul ; il y eut ainsi deux Brahma : l’Ancien (dit Appauru), sans Vishnu ni Shiva, qui était libre de tout créer, et le Présent, qui ne peut plus agir qu’en relation avec ce qu’il a déjà créé.

Vishnu est le principe fixateur (ou conservateur), celui qui permet qu’une création de Brahma demeure. Il évite ainsi que Brahma s’épuise mais il est aussi celui qui l’emprisonne dans ses créations. Il est non pas l’origine de la vie mais l’origine de la survivance, c’est-à-dire de la préservation de la vie. C’est Vishnu qui donne de la valeur à toute chose.

Shiva est le Destructeur mais aussi le mouvement et le temps, celui qui permet la destruction pour que Brahma puisse à nouveau créer, le Libérateur. S’il alimente ainsi Brahma, il est aussi celui qui détruit son œuvre. Mais c’est principalement à Vishnu qu’il s’oppose et dont il contrecarre les pouvoirs. Shiva permet que les choses avancent, évoluent, mutent ou se transforment. Il est la mort aussi utile que nécessaire, le renouvellement, l’intérêt de la vie et du mouvement.

Les notions d’alignement Law/Chaos ne rentrent pas directement en ligne de compte car chaque principe peut accueillir des prêtres et cultistes tenants de n’importe quelle ligne. Il existe néanmoins des tendances : Brahma est plutôt  chaotique, Vishnu plutôt lawful, Shiva plutôt neutre.
En revanche, les concepts du bien et du mal sont relativement étrangers aux Principes : chacun incorpore nécessairement du Bien comme du Mal, considérés comme des notions relatives, dépendant notamment des personnes et des circonstances.

 Particularités

Contrairement aux religions du polythéisme classique, le trithéisme n’attend pas la des dieux une manifestation via un miracle ou quelque autre apparition ; il naît d’abord par la foi individuelle et par la contemplation de ce qui est, puis par les déductions induites par cette contemplation. Le trithéisme attend que l’homme s’élève vers le dieu et non que le dieu descende vers l’homme.
Egalement au contraire de beaucoup de religions classiques, le trithéisme est universaliste : il n’est pas limité à une race (par exemple les nains ou les humains) ni à un domaine (tel le feu, la protection, la nuit) mais s’étend au contraire à toute créature vivante et même à toute matière.
Le succès du trithéisme à son origine est dû en grande part à cet universalisme, ainsi qu’à sa proposition d’harmonie de l’individu avec l’Univers, qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer l’état de béatitude qu’on prête aux premiers elfes de l’Eveil.

Une autre particularité vient de ce que le Trithéisme, comme son nom l’indique, inclut forcément l’adoration des trois dieux-principes qui le composent, aussi bien chacun considéré séparément ou que leur ensemble complémentaire. Certes, l’énorme majorité des adeptes du Trithéisme se voue en particulier à l’un des trois principes, qu’il peut préférer en fonction des traditions familiales ou sociétales, ou de sa personnalité, ou encore de son métier. Mais adorer par exemple Brahma, c’est aussi admettre Vishnu et Shiva sans forcément les aimer mais sans jamais les honnir ni combattre.

L’aspect le plus difficile à comprendre pour les non-trithéistes est la non-exclusivité de cette religion. Les Trois principes sont toujours nécessairement complémentaires avant que d’être antagonistes. Ce fondamental s’étend à toutes considérations binaires ou multiples ailleurs considérées comme inconciliables. Pour le Trithéiste, le Bien suppose le Mal comme la Loi le Chaos, la lumière la pénombre etc…. Ce qui implique que le Trithéisme lui-même admet le non-trithéisme, c’est-à-dire l’athéisme ou les autres croyances, quand bien même celles-ci le considéreraient comme une hérésie ou lui dénieraient la qualité de religion.
Cela n’empêche nullement le Trithéisme de considèrer qu’il a seul raison en tant que système et que tous les autres sont dans l’erreur. Pour les trithéistes, les dieux de la Théologie Classique ne sont pas différents d’autres immortels tels les démons ou les archons et tous servent, volontairement ou inconsciemment, dans leurs plans respectifs, l’Univers dessiné et gouverné par les Principes. La croyance en ces autres dieux ou démons n’est pas interdite ni bannie ; elle est seulement relativisée jusqu’au ridicule : c’est vouloir accrocher une lampe à la place du soleil.

Cette prétention à la supériorité est à l’origine d’un fort sentiment d’identité Zahire qui a conféré à ce peuple, premier à avoir adopté le trithéisme, un caractère originellement très expansionniste. Longtemps les Zahires n’ont vu aucun mal ni inconvénient à exterminer d’autres populations qui, de toute manière, erraient dans un éloignement irrémédiable de la vérité trithéiste, bien que pareils agissements ne correspondent aucunement à des préceptes religieux. Les elfes, en particulier, qui s’estiment à l’origine du monde, étaient très mal considérés par les Zahires. En revanche, les Zahires ont longtemps accordé un caractère semi-divin aux dragons, qu’ils ont identifié à des descendances de Brahma et Shiva, ce qui explique que le Vizan a été particulièrement épargné par le Dragonlore.

L’esprit d’expansion et de conquête n’est cependant qu’un effet induit par le Trithéisme, dont la foi professe quasiment le contraire : il faut éclairer, convaincre, guider vers la Vraie Voie les créatures capables de suffisamment d’intelligence pour en être détournées. Toutes les autres créatures : végétaux, animaux, matières, sont déjà dans le Trithéisme dont elles expriment la perfection

Corpus et concepts

En conférant à certaines créatures le don de l’intelligence, les Principes leur ont rendu l’existence plus difficile, car menacée par la conscience d’elles-mêmes et du temps, vulnérables à  l’erreur,  la souffrance et au doute, mais avec en récompense la capacité d’accéder éventuellement à l’état de Nirvana, émerveillement serein dans la conscience de la perfection de la Trinité, de l’Univers, et de soi-même.

Au contraire de la Théologie Classique, le Trithéisme considère que chaque individu a un rapport direct et particulier au divin et qu’il n’est pas possible de simplement se conformer à un rite collectif, de « négocier » une conformité comportementale contre une protection divine, de marchander des sacrifices matériels contre des avantages également matériels avec un appareil hiérarchisé du type : dieu –  serviteurs divins – clergé – croyants. Concept-clé de la pensée trithéisme : toute vie est un Jiv, c’est à dire un esprit incarné ; ce Jiv procède du Samsara, c’est-à-dire du Mouvement, en l’occurrence cycle d’accumulations – réincarnations des âmes.

Le Jiv, c’est la condition individuelle de l’être vivant et pensant, l’équivalent de l’esprit selon la théologie classique, et c’est aussi l’objet de base du Trithéisme. Condition intérimaire de l’âme, le Jiv est aussi un intermédiaire  entre cette âme éternelle et un corps qui la lie à la matérialité temporelle. A la mort du corps, le Jiv devient inconscience et rejoint l’âme (Atman) qui l’incorpore et l’additionne à son Kharma. Puis l’âme revient vers la matérialité par la réincarnation créatrice d’un nouveau Jiv.

Le Kharma est la somme des actes et pensées que différents Jivs ont accumulé sur une même âme qui les a successivement incorporés. Le Kharma est essentiellement passif, non maîtrisé : c’est un poids, une charge qui « suinte » de l’âme vers le Jiv et oriente ainsi le destin et l’inconscient individuel.

Le Taruksh, littéralement « Etat de Vérité », est l’équivalent d’une connaissance des préceptes de base du système trithéiste, ce qui compose en quelque sorte son tronc commun. Il s’acquiert par l’étude des textes, par des enseignements, par la contemplation extérieure et intérieure. Devenir Tarukshi est la condition première pour devenir prêtre d’une des trois religions trithéiste.
Le Taruksh enseigne que l’ignorance, l’erreur, la souffrance sont les conditions normales du Jiv. On ne peut reprocher à un tel être de ne pas réussir à s’en abstraire. C’est pourquoi le cycle des âmes est si rapide, et une vie (d’humain) si brève. Chaque âme a l’éternité pour parcourir autant de fois que nécessaire ce cycle avant d’enfin atteindre une transcendance qui lui permettra de s’engager sur la Rimvana, la Voie de l’Eveil.

L’avènement de cette transcendance est nommée Dharma, et c’est le but ultime de l’existence du Jiv. Le Dharma indique que le Kharma a été transcendé et maîtrisé par le Jiv. Il ne s’agit pas forcément de spiritualité mais toute forme d’excellence suprême démontrant une perfection quel qu’en soit le domaine. Un Dharmapotcheï, être dont le Kharma s’est ainsi transformé en Dharma, prend alors le chemin de la Rimvana, soit au cours de la même vie, soit au cours de son Jiv à venir.

La Rimvana est une révélation divine de soi-même certes définie et encadrée par la religion Trithéiste mais dont la teneur est toujours individuelle, même si son constat et éventuellement sa préparation sont collectifs. La Rimvana est caractérisée par la survenance d’états de Nirvana, qui se caractérisent extérieurement par une passivité et un détachement qui peuvent aller jusqu’à l’abolition du langage et de la communication.  Conscience absolue, au-delà des souffrances et des contingents, mais non au-delà des plaisirs, des désirs, des volontés : le Nirvana n’est pas forcément un renoncement mais une immixtion de l’état divin dans l’âme ayant pour effet de mettre fin à l’état mortel, à son assujettissement au cycle des Jivs. A la mort du Jiv Nirvaïque l’âme reste pour l’éternité dans le plan extérieur de son choix. Elle fait désormais corps avec l’Univers et demeure éternellement en état de Nirvana au côté des Trois Dieux.

Historique

Les premières traditions orales du trithéisme dont on ait trace proviennent de nomades humains du Jinjaur et du Seder-Wed qui commencent à se réunir à Oth Pelaïg, dans le nord du Vizan vers -1100. Ces traditions relatent une contemplation du monde, du ciel et des étoiles, aboutissant à la révélation de l’œuvre de Brahma, puis de ses conséquences nécessaires qui sont représentées par les deux autres principes et forment avec lui la Trinité Parfaite. Cette Trinité est une totalité : elle explique et contient tout ce qui est et n’est pas, tout ce qui compose l’univers et l’univers lui-même, toutes dimensions d’espace et de temps.
A l’autre extrémité de la révélation se trouve l’individu pensant et ressentant, qui en est à la fois l’acteur et le destinataire. L’individu contemple et s’émerveille de ce qui est, y compris de lui-même et ce qui l’entoure ; il acquiert la conscience de sa propre insignifiance, de son unicité, et de sa nécessité.

Ces pensées se répandent bientôt vers le sud, suivant une route vers Ronar puis Barkampuhr. C’est cependant à K’fir, à l’extrémité occidentale des terres où s’éveillent les Zahires et à proximité immédiate des elfes, que le trithéisme est pour la première fois compilé par écrit en un premier recueil, le Brahmah’Yshäï, nommé d’après son premier Yâd (chant) qui raconte l’auto-création de lui-même et de l’Univers par Brahma.

Cette pensée profondément humano-centriste a séduit de nombreux peuples du sud et de l’est de Derenworld, en premier les Zahires mais aussi les Naïgakis et les Maurims, notamment grâce à sa différence radicale avec une cosmogonie classique qui semblait servir à justifier spirituellement la supériorité matérielle des elfes issue de leur durée de vie plus longue et d’une capacité à employer la magie alors ignorée des humains. A son expansion maximale, le Trithéisme couvrait plus du tiers du continent : l’intégralité du sud, depuis l’actuel Okhpuhr jusqu’à diverses implantations en Tangut, l’actuel Farxel, et l’ancien Gaïko, remontant même jusqu’aux confins de l’Eriendel. Le Peste Naïgaki va aboutir à priver cette Théologie de près de 40% de ses adeptes, et l’arrivée des Variks en Farxel lui en ôtera un bon dixième supplémentaire. Ces contrées ont depuis plusieurs siècles ou millénaires « basculé » dans  la Théologie Classique.

A l’ouest, le Trithéisme va connaître de succès plus difficiles car si les Maurims l’adoptent, lui permettant de s’étendre en Zevjapuhr et jusqu’en Okhpuhr, il heurte aussi de plein fouet les croyances classiques des Derans et Wejlans avec lesquelles il entre en concurrence frontale. Il l’emporte aisément toutefois dans les premiers millénaires à la fois grâce et malgré Manhoteb le Prophète, qui prône l’interdiction des guerres de religion et la confrontation des seules idées et concepts. A partir de 2678, la plupart des théologiens zahires se rallient aux conceptions de Manhoteb : la foi se gagne par le cœur et l’esprit, non par les armes ni le sang. Le Trithéisme se purge alors de toute notion d’hérésie et cesse de considérer le polythéisme comme un ennemi ou inférieur, ne le tenant désormais plus que pour le résultat de l’erreur, de l’ignorance, de la souffrance et de la faiblesse. Le renvoi d’ascenseur a lieu en 3111 au Conclave de Zevjapuhr qui proclame l’invulnérable respect des croyances trithéistes par les religions classiques. Grâce à quoi, il n’y aura jamais de confrontation guerrière entre les deux théologies.

Toutefois, le vainqueur de cette paix religieuse n’est pas le Trithéisme mais bien le polythéisme de la Théologie Classique avec sa foultitude de panthéons, dieux et sous-dieux toujours prêts à répondre à toutes les situations et toutes les demandes, ce qu’avaient parfaitement compris les disciples de Manhoteb qui voyaient dans l’enseignement du Prophète de Râ l’assurance que « leur » système l’emporterait sur l’autre. Pendant plusieurs siècles le Trithéisme régresse partout et c’est en fait une décision politique qui le sauve : en 3550, soit pratiquement dès l’unification du Vizan, le premier Calife, Hazam, l’érige en religion d’Etat. L’année précédente, c’est au nom de la liberté prétendument menacée des Trithéistes en Wejlar qu’il mène et gagne une guerre qui aboutira à l’indépendance de Zevjapuhr. Et l’année suivante, il accueille en Vizan Eremothep le Voleur de Magie, toujours au nom d’un Trithéisme qui ne reconnaît aucune division du monde au bénéfice des elfes.

Si le Trithéisme est ainsi sauvé, sa réputation ailleurs qu’en Vizan s’effondre dès les années suivantes puisqu’il est perçu, non sans quelques bonnes raisons, comme la justification morale d’une politique nationale, capable de renouer avec les exactions des Zahires de l’Antiquité. Le souvenir de cette instrumentalisation interdira quasiment toute expansion ultérieure du Trithéisme jusqu’à nos jours. Certes, depuis plusieurs siècles, il existe des temples relevant du Trithéisme ailleurs qu’en Vizan, notamment en Okhpuhr, seul autre pays de Derenworld où il soit majoritaire. Le Trithéisme est également actif en Zevjapuhr, dans le sud-est de l’Empire, et en quelques lieux en Tangut. Néanmoins, il demeure quasi totalement absent sur les trois quarts du continent.

On pourrait croire étroite la relation entre Trithéisme et politique du fait qu’il s’agit d’une religion d’Etat. Il n’en est rien car cette relation est profondément asymétrique : si l’Etat du Vizan s’appuie sur le trithéisme pour marquer sa différence envers les autres contrées et pour en tirer certains profits idéologiques, le Trithéisme, lui, ne s’appuie aucunement sur l’Etat, Vizaner ou autre, et n’attend rien de lui. Par surcroît, ce système religieux est inhérent à la conscience sociale vizaner depuis tellement de millénaires qu’il en est indissociable. Les autres cultes peuvent s’implanter en Vizan, et le font d’ailleurs, mais sans jamais obtenir que des succès locaux qui nulle part ne représentent le moindre début de concurrence au Trithéisme. L’attitude des vizaners est assez bien résumée par leurs marins qui se moquent volontiers de matelots allant prendre leur assurance-vie chez Poséido tout en admettant tout aussi volontiers que ça ne fait de mal à personne.

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