De l'usage du mot "édition" en D&D
Publié : 15 sept. 2008, 10:58
Le jeu de D&D a en réalité trente ans pour le grand public. Sa véritable apparition remonte à en effet à 1978 : quelle que soit la qualité et l'inventivité des produits antérieurs alors appelés D&D, c'est la version "Advanced", publiée par Gygax en 1978, sous forme de trois livres complets, qui s'est imposée auprès du grand public et a fait de ce jeu une référence autant commerciale et populaire qu'historique.
En 2008 est sortie la quatrième édition de D&D. Ce jeu semble donc avoir connu, en trente ans, quatre "éditions", soit environ une tous les sept ans et demie. Cependant, toutes ces "éditions" ont en commun d'être incompatibles avec les précédentes. Pour les 3e et 4e, cette incompatibilité est même totalement insurmontable.
Dans le même temps d'autres jeux de référence dans leur domaine, comme le Monopoly, le Mille Bornes ou le Scrabble, n'ont connu aucune modification substantielle de leurs règles en plusieurs décennies d'existence et de succès, quand bien même ils ont été édités à plusieurs reprises à des milliers d'exemplaires.
Le terme édition, employé au sujet des différentes versions de D&D, est donc source d'erreur. La définition d'une édition est : "ensemble des exemplaires d'une œuvre, imprimés en un seul tirage, ou en plusieurs si le texte ou la composition typographique n'ont pas été modifiés". Or non seulement l'œuvre D&D est modifiée d'une de ses "éditions" à l'autre mais elle est même sciemment bouleversée de façon à différer radicalement de la précédente. C'est exactement l'inverse du schéma de ce qu'on entend usuellement par nouvelle édition, qui consiste en la reproduction et la diffusion commerciale par un éditeur de la même œuvre, éventuellement sous une forme ou un format différent.
L'emploi du mot "version" indiquerait au moins quant à lui l'existence d'une différence avec celle qui le précède, mais il serait néanmoins peu fondé, car la version est la forme différente d'une même chose. Or c'est la chose en elle-même qui, d'une "édition" de D&D à l'autre, change.
Pour ajouter à la confusion, le terme édition a lui-même été employé pour signifier une nouvelle version des règles d'une des "éditions" de D&D. La version 3.5 se nomme en effet en réalité Edition 3.5 ; elle remplace intégralement la numéro 3 après seulement trois années d'existence de cette dernière. Or les modifications opérées sont de détail ; elles auraient aisément tenu dans un livre d'errata ou de mise à jour. Reste qu'il va de soi que la 3 et la 3.5 sont entièrement compatibles puisqu'il s'agit en réalité grosso modo de la même chose.
Or ce même terme d'édition est à nouveau repris, quatre ans après la 3.5, pour qualifier la numéro 4, qui elle est cette fois totalement incompatible le numéro précédent. Quelques indications à cet égard : le storm giant est evil, les gnolls ont 50 hp, Lawful et Chaotic Neutral sont le même alignement, il n'y a plus ni bardes, ni barbarians, ni druides, ni monks, ni gnomes ni half-orcs… Le mot édition signifie donc deux choses différentes.
En réalité, aucune nécessité intrinsèque de l'œuvre D&D n'a jamais exigé sa disparition complète au profit d'un nouveau jeu incompatible avec le précédent. Des modifications, compléments, ajouts ou révisions pouvaient parfaitement régler la quasi-totalité de ses défauts tout en conservant inchangés ses mécanismes fondamentaux. C'est d'ailleurs ce qui avait été entamé pour AD&D avec de la sortie du livre supplémentaire "Unearthed Arcana".
Or la seconde édition n'est qu'un avatar de la première, amputation tout juste maquillée afin ne pas lui être compatible. La troisième apporte un lot considérable d'innovations dont aucune n'excluait toutefois la compatibilité avec la version antérieure ; certains mécanismes particuliers de la 3e édition ou certaines ruptures "culturelles" révèlent de façon patente une volonté délibérée de rendre le produit inconciliable avec le jeu préexistant. Quant à la numéro quatre, ses modes de commercialisation et l'étrangeté de ses règles (peut-on encore parler de jeu "de rôle" à son sujet ?) font penser que l'appellation Dungeons and Dragons n'y est qu'un élément d'une opération commerciale.
L'ensemble de ces éléments ne peut en effet correspondre qu'à une volonté de faire de D&D un objet commercial et cela seulement à l'exclusion de toute autre considération, y compris l'intérêt véritable du consommateur et du joueur.
Les D&D numéros 2, 3 ou 4 ne sont pas du tout le même jeu, quand bien même ils prétendent à une finalité voisine et conservent certains traits communs. Toutefois, on ne peut pas plus jouer à D&D 4 en ne connaissant que la 2e "édition" qu'on ne peut jouer aux échecs en ne connaissant que les règles des dames.
La dénomination "D&D" n'est donc employée qu'aux fins de commercialisation de produits différents les un des autres et masque le fait qu'ils devraient en réalité recevoir des noms différents. L'artifice consistant à la faire suivre du mot édition et d'un numéro a pour unique fondement l'emploi de la notoriété préexistante – et par conséquent de la valeur commerciale – du nom D&D afin de faire croire au public qu'on lui vend un jeu au moins aussi bon que ceux qui ont fait la réputation de cette appellation. Or c'est forcément faux, puisque ce qui est vendu est délibérément incompatible avec les mécanismes mêmes qui ont fait cette réputation. L'exemple des logiciels, coutumiers de différentes versions, est à cet égard un contre-exemple, non seulement parce que les logiciels utilisent le mot version et non celui d'édition, mais surtout parce qu'un souci majeur de l'énorme majorité des nouvelles version de logiciels est précisément leur rétro-compatibilité, à l'exact opposé de ce qui se passe avec D&D.
Il est parfaitement possible de jouer à l'édition italienne du Monopoly ou d'assortir la française de variantes sans qu'aucun participant doive réapprendre l'ensemble des règles du système de jeu. Mais ce n'est pas la même chose de savoir jouer du saxophone, d'apprendre un jour que les morceaux qu'on voudrait jouer n'existent plus que pour l'orgue, et de s'entendre dire que c'est la même chose sous prétexte qu'il s'agit en effet de deux instruments à vent.
Tout cela ne signifie pas pour autant qu'un nouveau jeu appelé D&D soit de qualité moindre que le précédent mais cela signifie qu'on ne peut en réalité s'appuyer sur le précédent pour le croire au moment de l'acte d'achat.
Les vieux joueurs, ceux qui ont connu les l'inanité des suppléments de la 2e édition ou l'absurdité de racheter les mêmes manuels "actualisés" en 3.5 ne se laisseront sans doute pas prendre à cette espèce de course commerciale qui semble devenue le seul objectif des éditeurs de D&D depuis le milieu des années 1980. Il y a d'ailleurs de quoi sourire à voir les éditeurs de D&D ressortir exactement les mêmes produits, dont certains on plus de vingt ans, pratiquement sans aucune création nouvelle réellement originale : combien de fois a-on republié les mêmes gobelin ou umber hulk sous de nouvelles couvertures ? Combien de Waterdeep ou de Savage Frontier ont-ils ressorti sous couvert de versions différentes les mêmes matériaux de Greenwood ou Jaquays vieux de 25 ans ? Les créateurs de D&D ont inventé le concept du jeu de rôle, et ses propriétaires celui du jeu de rôle jetable.
C'est pourquoi l'esprit, la qualité, et la vérité du jeu de rôle appelé Dungeons & Dragons ne sont plus chez ses ayant-droits. Aux premiers temps de D&D les produits de Judges Guild bénéficiaient d'un souffle particulier qui faisait parfois défaut à la gamme officielle : Judges Guild avait hérité de l'esprit d'un des deux inventeurs du jeu, Arneson, alors séparé de Gygax, qui était demeuré fidèle à une conception fantaisiste, ouverte, et assez désordonnée, de sa co-création.
Aujourd'hui, l'esprit du D&D première et seconde édition réside sur des sites internet où créateurs originels et leurs héritiers (R.J. Kuntz, Dragonsfoot...) continuent d'œuvrer pour entretenir leur conception du vrai jeu de rôle originel. Quant à l'esprit, la lettre et finalement le meilleur de la troisième édition, on peut utilement aller le cherche chez des rebelles comme Erik Mona, aux origines de projets comme le Living Greyhawk hier et comme Pathfinder aujourd'hui.
http://www.dragonsfoot.org/
http://pied-piper-publishing.com/
http://paizo.com/
En 2008 est sortie la quatrième édition de D&D. Ce jeu semble donc avoir connu, en trente ans, quatre "éditions", soit environ une tous les sept ans et demie. Cependant, toutes ces "éditions" ont en commun d'être incompatibles avec les précédentes. Pour les 3e et 4e, cette incompatibilité est même totalement insurmontable.
Dans le même temps d'autres jeux de référence dans leur domaine, comme le Monopoly, le Mille Bornes ou le Scrabble, n'ont connu aucune modification substantielle de leurs règles en plusieurs décennies d'existence et de succès, quand bien même ils ont été édités à plusieurs reprises à des milliers d'exemplaires.
Le terme édition, employé au sujet des différentes versions de D&D, est donc source d'erreur. La définition d'une édition est : "ensemble des exemplaires d'une œuvre, imprimés en un seul tirage, ou en plusieurs si le texte ou la composition typographique n'ont pas été modifiés". Or non seulement l'œuvre D&D est modifiée d'une de ses "éditions" à l'autre mais elle est même sciemment bouleversée de façon à différer radicalement de la précédente. C'est exactement l'inverse du schéma de ce qu'on entend usuellement par nouvelle édition, qui consiste en la reproduction et la diffusion commerciale par un éditeur de la même œuvre, éventuellement sous une forme ou un format différent.
L'emploi du mot "version" indiquerait au moins quant à lui l'existence d'une différence avec celle qui le précède, mais il serait néanmoins peu fondé, car la version est la forme différente d'une même chose. Or c'est la chose en elle-même qui, d'une "édition" de D&D à l'autre, change.
Pour ajouter à la confusion, le terme édition a lui-même été employé pour signifier une nouvelle version des règles d'une des "éditions" de D&D. La version 3.5 se nomme en effet en réalité Edition 3.5 ; elle remplace intégralement la numéro 3 après seulement trois années d'existence de cette dernière. Or les modifications opérées sont de détail ; elles auraient aisément tenu dans un livre d'errata ou de mise à jour. Reste qu'il va de soi que la 3 et la 3.5 sont entièrement compatibles puisqu'il s'agit en réalité grosso modo de la même chose.
Or ce même terme d'édition est à nouveau repris, quatre ans après la 3.5, pour qualifier la numéro 4, qui elle est cette fois totalement incompatible le numéro précédent. Quelques indications à cet égard : le storm giant est evil, les gnolls ont 50 hp, Lawful et Chaotic Neutral sont le même alignement, il n'y a plus ni bardes, ni barbarians, ni druides, ni monks, ni gnomes ni half-orcs… Le mot édition signifie donc deux choses différentes.
En réalité, aucune nécessité intrinsèque de l'œuvre D&D n'a jamais exigé sa disparition complète au profit d'un nouveau jeu incompatible avec le précédent. Des modifications, compléments, ajouts ou révisions pouvaient parfaitement régler la quasi-totalité de ses défauts tout en conservant inchangés ses mécanismes fondamentaux. C'est d'ailleurs ce qui avait été entamé pour AD&D avec de la sortie du livre supplémentaire "Unearthed Arcana".
Or la seconde édition n'est qu'un avatar de la première, amputation tout juste maquillée afin ne pas lui être compatible. La troisième apporte un lot considérable d'innovations dont aucune n'excluait toutefois la compatibilité avec la version antérieure ; certains mécanismes particuliers de la 3e édition ou certaines ruptures "culturelles" révèlent de façon patente une volonté délibérée de rendre le produit inconciliable avec le jeu préexistant. Quant à la numéro quatre, ses modes de commercialisation et l'étrangeté de ses règles (peut-on encore parler de jeu "de rôle" à son sujet ?) font penser que l'appellation Dungeons and Dragons n'y est qu'un élément d'une opération commerciale.
L'ensemble de ces éléments ne peut en effet correspondre qu'à une volonté de faire de D&D un objet commercial et cela seulement à l'exclusion de toute autre considération, y compris l'intérêt véritable du consommateur et du joueur.
Les D&D numéros 2, 3 ou 4 ne sont pas du tout le même jeu, quand bien même ils prétendent à une finalité voisine et conservent certains traits communs. Toutefois, on ne peut pas plus jouer à D&D 4 en ne connaissant que la 2e "édition" qu'on ne peut jouer aux échecs en ne connaissant que les règles des dames.
La dénomination "D&D" n'est donc employée qu'aux fins de commercialisation de produits différents les un des autres et masque le fait qu'ils devraient en réalité recevoir des noms différents. L'artifice consistant à la faire suivre du mot édition et d'un numéro a pour unique fondement l'emploi de la notoriété préexistante – et par conséquent de la valeur commerciale – du nom D&D afin de faire croire au public qu'on lui vend un jeu au moins aussi bon que ceux qui ont fait la réputation de cette appellation. Or c'est forcément faux, puisque ce qui est vendu est délibérément incompatible avec les mécanismes mêmes qui ont fait cette réputation. L'exemple des logiciels, coutumiers de différentes versions, est à cet égard un contre-exemple, non seulement parce que les logiciels utilisent le mot version et non celui d'édition, mais surtout parce qu'un souci majeur de l'énorme majorité des nouvelles version de logiciels est précisément leur rétro-compatibilité, à l'exact opposé de ce qui se passe avec D&D.
Il est parfaitement possible de jouer à l'édition italienne du Monopoly ou d'assortir la française de variantes sans qu'aucun participant doive réapprendre l'ensemble des règles du système de jeu. Mais ce n'est pas la même chose de savoir jouer du saxophone, d'apprendre un jour que les morceaux qu'on voudrait jouer n'existent plus que pour l'orgue, et de s'entendre dire que c'est la même chose sous prétexte qu'il s'agit en effet de deux instruments à vent.
Tout cela ne signifie pas pour autant qu'un nouveau jeu appelé D&D soit de qualité moindre que le précédent mais cela signifie qu'on ne peut en réalité s'appuyer sur le précédent pour le croire au moment de l'acte d'achat.
Les vieux joueurs, ceux qui ont connu les l'inanité des suppléments de la 2e édition ou l'absurdité de racheter les mêmes manuels "actualisés" en 3.5 ne se laisseront sans doute pas prendre à cette espèce de course commerciale qui semble devenue le seul objectif des éditeurs de D&D depuis le milieu des années 1980. Il y a d'ailleurs de quoi sourire à voir les éditeurs de D&D ressortir exactement les mêmes produits, dont certains on plus de vingt ans, pratiquement sans aucune création nouvelle réellement originale : combien de fois a-on republié les mêmes gobelin ou umber hulk sous de nouvelles couvertures ? Combien de Waterdeep ou de Savage Frontier ont-ils ressorti sous couvert de versions différentes les mêmes matériaux de Greenwood ou Jaquays vieux de 25 ans ? Les créateurs de D&D ont inventé le concept du jeu de rôle, et ses propriétaires celui du jeu de rôle jetable.
C'est pourquoi l'esprit, la qualité, et la vérité du jeu de rôle appelé Dungeons & Dragons ne sont plus chez ses ayant-droits. Aux premiers temps de D&D les produits de Judges Guild bénéficiaient d'un souffle particulier qui faisait parfois défaut à la gamme officielle : Judges Guild avait hérité de l'esprit d'un des deux inventeurs du jeu, Arneson, alors séparé de Gygax, qui était demeuré fidèle à une conception fantaisiste, ouverte, et assez désordonnée, de sa co-création.
Aujourd'hui, l'esprit du D&D première et seconde édition réside sur des sites internet où créateurs originels et leurs héritiers (R.J. Kuntz, Dragonsfoot...) continuent d'œuvrer pour entretenir leur conception du vrai jeu de rôle originel. Quant à l'esprit, la lettre et finalement le meilleur de la troisième édition, on peut utilement aller le cherche chez des rebelles comme Erik Mona, aux origines de projets comme le Living Greyhawk hier et comme Pathfinder aujourd'hui.
http://www.dragonsfoot.org/
http://pied-piper-publishing.com/
http://paizo.com/