D&D 5 mais oui, mais non.

Forum des joueurs de la Cave sur Derenworld
Avatar de l’utilisateur
kazz
Site Admin
Messages : 1555
Inscription : 23 mai 2004, 22:16

D&D 5 mais oui, mais non.

Message par kazz » 04 juin 2012, 12:34

Oui. Une cinquième édition même annoncée jusque dans le New York Times. Nous pouvons donc désormais escompter que nos enfants verront un jour la 38e mouture de D&D annoncée dans l’indifférence générale en 2074 pour le centenaire des règles initiales par un éditeur se félicitant d’espérer des ventes quasiment égales à celles de Chainmail.

Avec WotC, le ridicule ne tue pas : il fait vivre. Enfin, survivre plutôt. L’histoire de D&D 4, jeu qui n’est qu’un branding de l’appellation D&D sur un World of Warcraft sans ordinateur, incarne pratiquement à la perfection comment la bêtise commerciale pourrit un produit et une marque qui ont été de grande qualité. En 2004 WotC écrivait (et cela figure à ce jour sur son site ) au sujet du système d20 que l'échec commercial des jeux de rôle sur table était imputable à la prolifération de règles incompatibles entre elles. (“The company believes that one of the major factors which caused the collapse of the commercial tabletop RPG market from 1993 to 1996 was the proliferation of different, incompatible, core game systems.”) Moyennant quoi, quatre ans plus tard, D&D 4 sera absolument incompatible avec le système d20 et la seule version de l’histoire de ce jeu à être pareillement délibérément incompatible avec les précédentes tant en ce qui concerne les règles que les settings. En se contredisant de la sorte, l’éditeur a fait un pari qu’il a perdu : manque de bol et surtout manque d’intelligence, c’est en 2004 et non en 2008 qu’il avait vu juste.

L’explication de l’annonce d’un futur D&D 5 est assez simple : depuis l’été 2011 les ventes de Pathfinder dépassent celles de D&D 4. Que les éditeurs d’un clone améliorant une précédente version de D&D puissent connaître un succès commercial supérieur aux créateurs d’une nouvelle mouture du même jeu en dit très long. La raison, observée par les vendeurs américains (http://www.icv2.com/articles/news/21399.html), est que le public de D&D 4 est généralement composé de jeunes joueurs ne s’intéressant qu’assez peu à ce type de jeu de rôle en particulier, tandis que le public de Pathfinder est plus âgé et davantage attaché au principe du jeu de rôle classique. En d’autres termes, la motivation d’achat, l’intérêt et la loyauté envers le produit, puisque c’est ainsi qu’il faut raisonner, sont supérieurs chez les consommateurs de Pathfinder. Il suffit d’ajouter à cela la très stupide rupture consacrée par D&D 4 avec la base de joueurs des précédentes versions, laquelle n’a ni disparu dans la nature ni forcément accepté la contrainte purement commerciale du réapprentissage de nouvelles règles et de l’incompatibilité avec les contextes scénariques préexistants, et on arrive au flop : un produit à courte durée de vie, conçu pour des profits rapides à défaut d’être considérables, et totalement destructeur d’une image de marque construite sur plus de 30 ans.

Il faut aussi, hélas, évoquer ces défauts de règles qui peuvent apparaître particulièrement imbéciles mais démontrent aussi une incroyable méconnaissance de ce qu’apporte le vrai jeu de rôle à ses participants.
Ainsi, les effets au combat (Bless, Haste etc... ) ne durent qu’un tour et dépendent souvent de la situation géographique des figurines ; autrement dit, il faut tout recalculer à chaque round de mêlée tout en tenant compte de la position matérielle d’un pion sur une carte : pour la fluidité, on repassera. Ensuite, l’éradication des disparités inhérentes aux classes aboutit une égalisation des personnages puisqu’il faut avant tout éviter que le grosbill joué par Machin soit plus puissant que celui joué par Trucmuche afin de ne pas inutilement vexer ces jeunes gens, d’où un inintérêt profond passé quelques parties, l’ennui naissant de l’uniformité ainsi que l’indiquent les Fables du sieur Houdard de la Motte écrites en 1719. Enfin, les saves effectués par l'arbitre et non le joueur : pan, Bill t'es mort, t'as raté ton save.
Heureusement, pour ne pas traumatiser les chers acheteurs, leur personnage, commencé avec un minima de 20 HP, décède après avoir perdu 150% de ses points de vie (une fois le perso à zéro et à terre, le troll continue de lui sauter dessus ?) et par surcroît raté non pas un non pas deux mais trois saving throws consécutifs vs. death (j’ai été coupé en morceaux et digéré par le Purple Worm mais j’ai réussi mon save donc je ne suis pas mort. Comme le Save est réalisé par le DM, c'est in concreto lui qui déclare et assume directement la vie et la mort des personnages. Heureusement (bis) la pénalité issue d’un Raise Dead est, on ne rit pas, -1 to hit pendant 6 encounters (pas rounds : encounters ; on suggère aux hauts niveaux qui ont les moyens de se garder quelques kobolds en réserve). Bref, la mort temporaire du personnage ne peut relever que d’un DM sadique et sa mort définitive est en pratique impossible. Le but primordial représenté par la survie du personnage, cœur du jeu de rôle médiéval-fantastique, est ainsi anéanti. On ne joue plus un personnage mais une figurine. Que des professionnels du jeu aient proposé à la vente sous l’appellation D&D une chose aussi contraire à l’essence même de ce qui fait un véritable jeu de rôle dont D&D fut le système fondateur, voilà qui confine à l’escroquerie.

Aujourd’hui, le nombre de joueurs pratiquant D&D 4 est inférieur à celui regroupant les pratiquants des versions antérieures de D&D, AD&D et Pathfinder, versions animées par les mêmes principes fondamentaux et donc radicalement différentes de D&D 4. L’incompatibilité s’est ainsi retournée contre ses auteurs et ce D&D 4 est regardé par les joueurs des autres versions et par bien d’autres comme l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire : l’application de l’appellation jeu de rôle à un mauvais wargame pour gamins cloné depuis un MMORPG et doublé de la trahison pour motifs purement commerciaux d’un public pourtant fidèle.
On comprend dans ces conditions que moins de 5 ans après la sortie de D&D 4, son éditeur pense à une « nouvelle édition »qui serait la plus rapide à succéder à une autre dans l’histoire de ce jeu. Ca marchera peut-être, mais il y a une telle pente à remonter pour une entreprise lestée de l'incompétence que révèle D&D 4 que personnellement je n’y crois guère. D’autant que Monte Cook, revenu chez WotC pour l’occasion, a déjà claqué la porte pour différences de vues avec l’éditeur et non avec ses co-designers (http://www.icv2.com/articles/news/22766.html). Et pour ma part, c’est niet d’avance.

Il n’existe en effet aucun impératif technique ou endogène à un jeu de rôle réussi qui justifie la disparition de ses mécanismes plutôt que leur amélioration. Le succès de Pathfinder ou la durée de vie d’un AD&D ou d’un Call of Cthulhu le démontrent. Seuls des intérêts purement financiers peuvent expliquer pareille décision.
La Wight apparaît en 1974 dans le premier D&D (aussi appelé OD&D, livret Monsters & Treasure). Depuis lors, le même monstre, avec les mêmes capacités, a été repris dans le Basic D&D, l’AD&D, l’AD&D 2e édition, le D&D 3e édition, le D&D 3.5, le D&D 4 ; soit le même contenu vendu à 7 reprises par l’éditeur, comme l’ont été à peu près tous les 300 monstres créés dans OD&D. (http://odd74.proboards.com/index.cgi?bo ... hread=6472). Or la wight et ses description et statistiques en version 3.5 et en Pathfinder sont aujourd’hui librement et gratuitement accessibles sur internet.
Cela signifie que la commercialisation de D&D 5 s’adressera forcément à des gogos. Ceux qui iront visiter une Chapelle Sixtine version 5 en quadrichromie à Las Vegas parce qu’il y a trop de queue à la vraie à Rome. Ceux qui paieront dix euros le plan du métro qui est proposé gratuitement dans les stations de la RATP. Ceux qui sont prêts à découvrir une énième fois que la wight est un mort-vivant environ 3 fois plus résistant qu’un personnage débutant et qui draine l’énergie de ses victimes.

Ce n’est pas seulement au rugby qu’une défaite s’explique souvent par l’irrespect des fondamentaux. Le rapport entre un jeu de rôle et son consommateur, puisque c’est ainsi qu’est pensé le joueur par l’éditeur WotC, est complexe et particulier. Un jeu de rôle véritable, « de table » comme disent les américains, c’est à dire sans ordinateur et j’ajouterai sans nécessité de figurines, constitue une activité consommatrice de temps, d’énergie, d’intelligence et d’imagination, et nécessite aussi une sociabilité à la fois entretenue et durable. Les capacités et le talent nécessaires à comprendre cela et à en tirer les conséquences en termes de production et commercialisation de contenus ne sont pas si répandus. Dans le « système » D&D il y a eu l’inégalable Gagy Gygax au début (avec, un moment, Bledsaw et Owen de Judges’ Guild), au milieu la team Tweet - Cook – Williams qui accouchera du d20 system, et puis Erik Mona pour Pathfinder.
Aujourd’hui WotC, qui voit ses ventes s’éroder d’année en année, en appelle à ses « fans », c'est-à-dire les joueurs de D&D 4 inscrits sur son site internet, pour lui donner des idées. Virage qui apparaît quelque peu contraint et forcé tant est abyssal le mépris dans lequel WotC a tenu les avis des joueurs expérimentés, ce dont témoigne aussi bien le minimalisme du playtesting ayant précédé D&D 4 que le départ à la même époque de la plupart de ses créateurs de talent de cette société. Mais cela signifie surtout que personne chez WotC n’a la moindre idée de ce qu’il faudrait vraiment faire, ceci parce que le fondement même de la conception des produits D&D est erroné depuis l’arnaque ayant consisté à transformer un banal errata en système complet vendu sous le nom de 3.5, ce qui ne date pas d’hier. Seul le respect des fondamentaux et du jeu de rôle sur table et des spécificités qui ont valu à D&D son succès pourraient conduire WoTC à réunifier les nombreux fans du jeu ainsi qu’ils prétendent le souhaiter dans leur annonce d’une future 5e édition.
Toutefois, un des aspects les plus sensibles et les plus nécessaires de ces fondamentaux, présent de Gygax à Mona, est une certaine distance avec l’exploitation économique de ce jeu, parce qu’une part considérable de son attrait ne dépend en rien de considérations économiques. Ainsi Paizo, éditeur de Pathfinder, prospère-t-il alors que pratiquement tout le nécessaire à ce système de jeu, règles comprises, a été gratuitement mis à disposition à un moment ou un autre. Pourtant, il y a fort à parier que WotC et son propriétaire Hasbro soient incapables de comprendre et suivre cette approche ; c’est un peu comme de demander à Microsoft de se mettre à Linux.
C'est pourquoi il n’y aura sans doute ni 38ème ni 6ème édition de D&D ; il faut se dire que ce sera tant mieux.
Avatar de l’utilisateur
Melkria
Messages : 775
Inscription : 16 juil. 2004, 09:09

Re: D&D 5 mais oui, mais non.

Message par Melkria » 13 juin 2012, 20:54

Tout à fait d'accord avec toi mon Kazz. J'ai déjà du mal avec Pathfinder, alors une 5eme ed !!!!! :neutral:

Pour ce qui me concerne, je préférerais jouer à d'autres jeux tant qu'à apprendre de nouvelles règles,autant changeer d'univers. J'aime beaucoup Warhammer (1er et 2eme ed) en Heroic-fantasy. J'aimerai bien jouer d'autres ambiances. Deadland, que Frantz nous avait arbitré me plait beaucoup ou cyberpunk. De temps à autres, je referais bien un tour du côté de l'Appel de Cthuluh. Mais le temps et les joueurs manquent. Il faut choisir. :cry:

Pour moi, au cas ou un doute subsisterait, c'est ADD 1.5 ou version Kazz. :mrgreen:
Avatar de l’utilisateur
kazz
Site Admin
Messages : 1555
Inscription : 23 mai 2004, 22:16

Re: D&D 5 mais oui, mais non.

Message par kazz » 14 juin 2012, 15:29

J'aimerais bien te convaincre pour pathfinder mais ne serais pas opposé à c of c ou dead lands. En fait te rejoins complètement sur l'idée d'autant changer de contexte en même temps que de règles. En héroïc fantasy les systèmes ont leur qualités et défauts mais une fois qu'on s'en tient à un qui vous convient il y a pas tellement de raisons intrinsèques d'en changer. En 30 ans de d&d le seul autre système de règles qui m'aie convaincu, et après quelles difficultés, c'est l'evolution du d20 system de pathfinder(et pourtant en ai essayé quelques uns, de rq à 3.5...). Ainsi, ce qui m'éloigne de warhammer par exemple est sans doute voisin de ce qui te dissuade de pathfinder : pourquoi changer ce qui marche déjà dans le même contexte? Regrette qd même bien de ne pas être player avec toi... :D
Répondre