Dans une aventure en français, publiée sur internet, et que je viens de lire, le set-up est le suivant (je cite).
" Le vizir va capturer les aventuriers au palais d’airain à Rifa (suivant la transition et le groupe) (…) Il va les juger suffisamment résistants et sacrifiables pour s’emparer du coffret de Selim à Alayavarana.
Pour s’assurer de leur assiduité à la quête, il gardera l’un d’eux en otage, et leur inoculera un poison maléfique très puissant à retardement, afin de s’assurer de leur retour à Rifa avec le coffret.(…)
Afin de « piloter » le groupe et de mener l’intrigue, le groupe va par exemple rencontrer Safana et Ashraf à Ivèn, qui vont les entraîner sur une affaire mineure. Le groupe capturé, ce sera Ashraf qui sera retenu en otage. Le groupe devra être suffisamment lié à Safana et Ashraf, afin qu’ils mettent tout en oeuvre pour libérer ce dernier.
La quête du coffret à Alayavarana est très dangereuse, et les aventuriers ont peu de chance de réussite, ils ont néanmoins plusieurs possibilités :
- Soit ils remplissent la quête et ramènent le coffret au vizir, qui les gardera prisonniers, ou les libérera sans leur donner d’antidote, laissant le poison inopérant en échange de leur silence.
- Les aventuriers peuvent s’emparer du coffret, et le garder comme moyen de pression, en exigeant la libération d’Ashraf et l’antidote, sans retourner au palais d’airain, ce qui serait un piège (meilleure option)
- Soit ils trouvent à Alayavarana un ou plusieurs moyens de contrer le Vizir et de libérer Ashraf, et trouver une solution à leur poison."
Accessoirement, pour situer le degré de cohérence du scénar, on signalera que le groupe est capturé par notamment un voleur 7e et un ogre Mage et grâce à un sort 5e niveau ; après quoi on lui enlève évidemment tout son équipement (ils sont censés être éventuellement vendus comme esclaves). Cependant, lorsqu'ils sont examinés par le méchant vizir qui va les contraindre la quête, un superbe bracelet précieux de djinni summoning (acquis dans l'aventure précédente) est encore au bras d'un des membres du groupe puisque le vizir est censé le remarquer et questionner le personnage à ce sujet...
Voilà exactement le type de set-up que j'appelle à contrainte négative préalable. Le système est le suivant : on met préalablement à l'aventure les personnages dans une merde noire dont ils ne pourront se défaire qu'en réussissant le module. Plusieurs variétés existent, du collier impossible à enlever (genre bracelet de sécurité) jusqu'au poison sans antidote qui fait lentement son office en passant par le médaillon incrusté dans la peau ou le simple sortilège qui fait que c'est comme ça et pas autrement.
C'est con pour quatre raisons majeures.
A) Le principe du jeu c'est de faire progresser, pas de ramer pour recouvrer un état antérieur. A la seconde où la contrainte préalable est imposée au personnage le joueur ne peut éviter de penser : si j'avais su j'aurais pas venu. Car si le personnage est par exemple au 7e niveau au moment de débuter l'aventure, cela signifie qu'un certain nombre d'actes, d'actions, de temps de jeu, d'assiduités lui ont valu de progresser jusque là. Décider de "punir" ainsi le personnage sans qu'il ait rien fait d'autre pour le "mériter" que de participer à l'aventure choisie par le DM est fondamentalement injuste et le plus souvent inutile.
B) C'est une fuite du designer devant la difficulté d'intéresser les joueurs. Au lieu de proposer aux joueurs-personnages une intrigue suffisamment captivante pour les motiver et leur donner envie de continuer, on les y oblige. Si vous ne le faites pas de toute façon vous êtes morts. Finalement, au niveau des personnages, ça revient à leur faire faire l'aventure avec un pistolet sur la tempe. Et au niveau des joueurs, à les motiver non par l'espérance d'un gain ou la curiosité d'une découverte mais par la peur d'une perte.
C) Le groupe perd toute autonomie fondamentale de décision. La première décision du groupe des joueurs-personnages est son choix de participer ou non à l'aventure qui est proposée. Ce choix peut et devrait logiquement pouvoir être révocable à chaque instant, tout du moins lors des périodes de repos ou de transition d'une aventure. Or dans ce contexte, si le groupe décide d'arrêter, il est mort. S'il veut perdre du temps, explorer des chemins de traverse, agir de manière différente que ce qui est prévu par le scénario, il est mort. C'est le comble de ce qu'on appelle l'aventure linéaire (ou directionnelle), celle où les personnages ne peuvent faire que ce qui est prévu par le module, et n'agir que dans son cadre en espace comme en temps.
D) Ce contexte entraîne des conséquences souvent non gérées. S'ils réussissent l'aventure, les personnages sont libérés. Presque toujours, il n'existe aucune raison valable pour qu'ils ne soient pas furieux contre ce qui les a ainsi contraint. Normalement, la plupart des caractères des personnages devrait les entraîner à vouloir se venger, d'une manière ou d'une autre, ce qui n'est presque jamais prévu par l'aventure en question…
A l'inverse, si les personnages échouent, ils seront souvent tentés d'incriminer l'aventure qui les a "flingués" dès le départ plutôt que leurs propres erreurs. Le joueur aura davantage l'impression d'avoir été victime d'un arbitraire que d'un manque de chance, et percevra l'arbitre davantage comme un adversaire que comme un élément neutre.
Ce système gâche un peu une série aussi excellente que Desert of Desolation (I3-5) où il n'est en rien nécessaire au déroulement de l'intrigue. Il y est même tellement superflu que rien n'existe dans la campagne pour le cas où les aventuriers la terminent avec succès. Ainsi, avant même que le premier joueur aie pu dire un mot ils apprennent que le Sultan condamne les aventuriers à mort s'ils refusent la quête (sans qu'ils aient fait quoi que ce soit pour mériter ça), le module précise que s'ils sortent du désert ils sont automatiquement pris par les gardes dudit Sultan, mais dans aucun des 3 modules de la série n'est prévu (et moins encore explliqué) que les aventuriers puissent venir dire et prouver au Sultan qu'ils ont réussi (et lui expliquer leur façon de penser...).
Ce type de contexte peut éventuellement convenir à des groupes qui cherchent principalement l'émotion narrative, où le joueur s'investit assez peu dans le personnage lui-même, qui n'est vécu que comme un outil pour accéder à la fiction qui se déroule. Mais dans un système de jeu de rôle de campagne classique, où le personnage qui prend consistance avec le temps constitue l'œuvre principale du joueur, et où l'intérêt du jeu découle d'une confrontation équilibrée de ce personnage avec l'aventure, ce type de contexte est en général frustrant et donc à éviter ou à n'utiliser qu'à titre exceptionnel et de façon très limitée.
Il en existe une variante "douce" qui consiste à amoindrir les personnages en début de scénar ou préalablement à ce dernie. Elle sera utilisée chez TSR dans les modules A4 (avec succès) ou H1 (de façon plus contestable). Le principal inconvénient de cette variante vient de l'impression qu'elle donne de ce que le designer n'a pas été capable de créer une opposition à la hauteur des personnages du niveau prévu pour l'aventure. Cette technique équivaut en fait à priver les personnages de la puissance qu'ils sont censés avoir légitimement acquise et d'un jeu approprié au niveau qui est le leur. Dans le A4, cette contrainte se place dans une suite globale qui la rend moins gênante. Dans le H1, elle semble surtout traduire l'insertion en catastrophe du module dans une série devenue Bloodstone (H1-4) alors qu'il était à l'origine un simple support "standalone" du wargame Battlesystem et illustrer la complaisance avec laquelle TSR se laissait alors aller à des designs directionnels typiques de la 2e édition : Doug Niles, auteur du H1-4 (le coauteur, Dobson, est en fait le wargamer), fut d'ailleurs un pilier de Dragonlance...
Contre la contrainte préalable des PJ
Certes
Je suis tout à fait d'accord pour considérer qu'il est dommage de restreindre inutilement la liberté (et le role play) des joueurs ou de s'amuser à les punir.
J'ai déjà joué des aventures où il est prévu que les players perdent bien plus qu'ils ne gagnent même si ils jouent divinement.
Dans l'une d'elle la réussite de la quête obligeait à la destruction des dieux des joueurs (sympa pour les clercs et les Pal.) et en cas de réussite les survivants étaient teleportés aléatoirement dans un autre prime material plane avec des pénalités aléatoires (pertes des objets magiques, de niveaux, de la mémoire voire de la vie) !!! Le DM fut très étonné que nous râlions d'abondance et consentit en son infini bonté à nous arbitrer une aventure faciel pour qu'on se refasse un peu
Pourtant, ADD est un JEU où il s'agit de se faire plaisir...

J'ai déjà joué des aventures où il est prévu que les players perdent bien plus qu'ils ne gagnent même si ils jouent divinement.
Dans l'une d'elle la réussite de la quête obligeait à la destruction des dieux des joueurs (sympa pour les clercs et les Pal.) et en cas de réussite les survivants étaient teleportés aléatoirement dans un autre prime material plane avec des pénalités aléatoires (pertes des objets magiques, de niveaux, de la mémoire voire de la vie) !!! Le DM fut très étonné que nous râlions d'abondance et consentit en son infini bonté à nous arbitrer une aventure faciel pour qu'on se refasse un peu

Pourtant, ADD est un JEU où il s'agit de se faire plaisir...

Re: Certes
Melkria a écrit : Dans l'une d'elle la réussite de la quête obligeait à la destruction des dieux des joueurs (sympa pour les clercs et les Pal.) et en cas de réussite les survivants étaient teleportés aléatoirement dans un autre prime material plane avec des pénalités aléatoires (pertes des objets magiques, de niveaux, de la mémoire voire de la vie) !!! Le DM fut très étonné que nous râlions d'abondance et consentit en son infini bonté à nous arbitrer une aventure faciel pour qu'on se refasse un peu![]()
Le genre même de truc mériterait de figurer dans "vos pires expériences de D&D".

Evidemment, si on part du principe que tous les éléments du jeu ne sont qu'outils et accessoires au service d'une narration, qu'elle soit ou non collective, on peut scénariser n'importe quoi puisque le personnage devient en quelque sorte "jetable". C'est alors l'individu-joueur qui est directement exposé. On peut y trouver son plaisir mais, personnellement, cela ne me séduit pas du tout. La création, le développement, la poursuite d'un personnage demeurent à mon sens un - sinon le - but essentiel du jeu de rôle. Mais le double équilibre à établir entre ce personnage et le joueur d'une part, et entre ce personnage et l'aventure / contexte incarné par le DM d'autre part est bien plus difficile. Ces soucis n'affectent pas le JdR à primauté narrative, où il s'agit essentiellement de conserver une cohérence interne à l'histoire et où les personnages ne servent qu'à la rendre attrayante.
"Send anyone claiming that their RPG activity is an art form my way, and I'll gladly stick a pin in their head and deflate it just to have the satisfaction of the popping sound that makes….One might play a game artfully, but that makes neither the game nor its play art." E.G.Gygax