BUT ET JEU DE RÔLE ?


par Olivier Cazeneuve (novembre 99)


Quel est le but d'un jeu de rôle ?

J'ai souvent, lorsque je faisais des démonstrations/initiations au jeu de rôle, entendu cette question. La réponse peut apparaître déconcertante. Dans l'énorme majorité des jeux en général, le but est de flinguer le ou les autres ; par exemple, en ramassant un max de pognon au Monopoly, en découpant ses armées en rondelles au wargame, en combinant mieux les lettres du Scrabble, en affirmant sa supériorité intellectuelle aux échecs, en ayant du bol aux dés, en achetant un meilleur jeu que l'autre à Magic, en bluffant comme un dieu au poker etc...

Pas à D&D, ni dans le majorité des jeux de rôle. Le but, dans la plupart des jeux de rôle, est ouvert, ou indéfini. La réussite y est au moins autant affaire collective qu'individuelle. C'est là une originalité fondamentale de ce type de jeux, souvent déconcertante au premier abord, mais formidable ensuite.
C'est aussi source de malentendus. Est-ce à dire qu'il n'y a vraiment aucun but ? Est-ce à dire qu'on ne " gagne " rien ?

A cause de son indéfinition primordiale, le but du jeu est souvent confondu avec celui de la la partie. On s'en tient peu ou prou à " réussir " l'aventure du scénario : il s'agit d'arriver au bout en résolvant l'énigme, en abattant les obstacles, en accomplissant le parcours prévu, parfois presque comme s'il s'agissait de vaincre et le scénario et celui qui l'incarne, c'est à dire l'arbitre.
Un autre problème, inverse du précédent vient souvent des joueurs qui s'imaginent qu'ils peuvent faire tout et n'importe quoi puisque, s'il n'y a personne à vaincre et qu'après tout on est là pour s'amuser, autant délirer un max ! Le scénario se réduit alors à un mince support aux improvisations plus ou moins drôles de chacun ; assez rapidement, on s'aperçoit que ça n'aboutit pas à grand-chose.
Les joueurs expérimentés auront reconnu là les extrêmes des deux tendances classiques de la plupart des joueurs : "techniciens" (ou "wargamers") contre "role-players".

L'absence de but clair du jeu, qui fait son intérêt, a pour conséquence l'absence de repères qui pourraient permettre ensuite à chacun et au jeu lui-même de s'épanouir. Je propose donc ci-après trois buts essentiels ; tous les trois sont contenus dans la plupart des jeux de rôles, aucun n'est le moins du monde novateur. Mais ils sont ce dont il me semble essentiel de se souvenir, à la fois en tant que buts, et, surtout, en tant que hiérarchie de ces buts.



1/ Survivre

Ca a l'air basique, évident, mais c'est bien le premier but. Il n'y a pas d'impératif supérieur. Si le personnage ne survit pas, rien d'autre ne se passe. Le jeu s'arrête. Donc, le premier but du jeu de rôle, c'est non pas de faire vivre un personnage, mais de le faire survivre.
Ce n'est pas vraiment la peine de développer une personnalité, de générer huit générations d'ancêtres ou de peindre la figurine d'un personnage qui laisse tomber son joueur à la première occasion. A la longue, on s'en lasse.
Or la survie du personnage n'est pas une mince affaire. Dans la plupart des jeux de rôle, tout est précisément conçu pour l'abattre. Par conséquent, sans une réflexion minimale, une technique, une tactique, il y a très peu de chances que le personnage perdure au-delà de quelques sessions.

Cette survie est tout autant affaire individuelle que collective. C'est là où le bât blesse souvent dans les groupes de jeunes joueurs ou de débutants. La survie de chacun passe très souvent par la survie du groupe et ce n'est pas l'une des moindres qualité du jeu de rôle que d'enseigner cela. Un groupe complémentaire, correctement géré et normalement soudé n'est pas un plus ; c'est la condition nécessaire à toute espérance de survie des personnages individuels qui le composent. Et cette survie est la condition nécessaire à tout autre aspect du jeu.



2/ Jouer un personnage

C'est but classique, celui que présuppose l'appellation jeu de rôle et que l'on confond généralement avec ce que les catalogues, boutiques, règles et boîtes de jeux expliquent et vantent : éclatez vous en vampire, magicien, explorateur, agent secret, pilote de vaisseau spatial etc...
Eh bien non. Le second but, après la survie, est d'abord de jouer un personnage quel qu'il soit. De développer une personnalité, de le rendre intéressant par lui-même, indépendamment du contexte spatio-temporel où s'exerce le thème du jeu. C'est cela, le jeu de rôle, bien avant de s'appeler Star Wars, Donjons et Dragons ou Maléfices : la création, l'enrichissement et l'interprétation d'un personnage, d'une personnalité.

Il n'est pas, à terme, très amusant ni enrichissant de jouer des clones, des produits stéréotypés, aussi originaux et différents les uns des autres que deux hamburgers Mac Do. Il faut inventer, certes dans le cadre des règles et selon le système de jeu, la matière de son personnage. C'est cela qui permet, ensuite, à terme et à condition qu'il survive, de la faire évoluer, de voir son personnage évoluer et grandir pas seulement en statistiques et capacités mais surtout en personnalité et en caractère. Et c'est à mon avis dans cette évolution que tient la plus grande part d'épanouissement et d'enrichissement que l'on puisse retirer d'un jeu de rôle.

Bien sûr, cette caractérisation du personnage doit se faire dans le respect de celles des autres et selon les dons et envies de chacun. Elle n'a pas pour but de supplanter un autre joueur, de montrer qu'on interprète plus ou mieux les traits de caractère du personnage. D'autre part, elle n'est ni obligatoire, ni censée intervenir dès la création du personnage. Ne pas se forcer, et ne pas empiéter. Si ça ne vient pas, ça viendra tout seul et/ou avec les autres.



3/ Accomplir son personnage

Bien entendu, il s'agit de jouer selon les règles et selon le contexte proposé sinon prévu par le jeu en question : par exemple, Magicien de D&D ou explorateur de Cthulhu. Mais il s'agit aussi, au sein de la définition du personnage donnée par les règles, de l'approfondir autant que de s'y conformer.
Il faut certes être " un bon ", quel que soit la profession ou classe ou spécialité ou talent pour lequel on a opté. Et il faut aussi choisir sa manière, ce que cela signifie, ce que cela sera pour le personnage. Posez-vous la question : de quoi rêve-t-il ?

Les règles de la plupart des jeux de rôles sont à la fois des rampes et des propositions. Elles sont rarement suffisantes. Il faut donc essayer d'accomplir son personnage dans le contexte, de rêver à ce qu'il sera plus tard, lui donner un but propre, personnel, une façon de voir son monde, d'envisager sa vie, de devenir le meilleur guerrier ou un homme très riche ou quelque reine des bas-fonds... C'est à vous de voir ce que le contexte, l'arbitre, le jeu propose, et à l'exploiter.
Le but du personnage, tel que fixé par les règles, est presque toujours un point de départ. Il reste au joueur à en faire autre chose qu'un point d'arrivée.


Comme pour le reste du matériel de ce site, tout cela n'est que mon point de vue. On pourra certainement trouver des buts, des raisons de jouer aussi défendables et importantes que celles que j'énonce ici. Cependant, la seule chose que je puisse avancer à coup sûr en faveur de la hiérarchie que j'ai décrite est que d'expérience elle marche. Mais c'est toujours si facile de conseiller...


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