fondamentaux ; conseils ; styles d'arbitrage
Olivier Cazeneuve
(septembre 99)
Les bons arbitres
de jeu de rôle sont rares. Il n'y a pas d'école d'arbitrage du jeu
de rôle: on devient arbitre sur le tas, en regardant les autres, en apprenant
les règles, en se disant pourquoi pas moi ?
Or, si arbitrer peut paraître
finalement pas si difficile, en revanche, bien arbitrer, c'est difficile. En vingt
ans d'expérience, je compte sur les doigts d'une main, de deux en étant
vraiment indulgent, les très bons arbitres de jeux de rôle que j'ai
rencontrés.
De
nombreux conseils sont parus, en anglais et français, sur les bons et mauvais
arbitres ou joueurs. Souvent ils répertorient les fautes les plus communes,
les types les plus fréquents, les caricatures, les perturbateurs, bref
les gens à ne pas connaître et les erreurs à ne pas commettre.
Je vais essayer d'esquisser ici ce qui, à mon avis, peut contribuer
à faire un bon arbitre.
_________________________________________________
Fondamentaux
Quelques éléments que tout bon arbitre devrait à mon avis connaître.
Il y a considérablement plus de bons joueurs que de bons arbitres car presque tout un chacun peut s'improviser joueur mais jamais arbitre. Etre un bon arbitre, sur le long terme, n'est jamais le fruit du hasard ni de l'improvisation.
Une idée reçue est que l'arbitre, presque sur sa bonne gueule, va être bon; il suffirait d'être soi-même. Eh bien non, justement. Pour incarner un personnage-joueur il suffit d'être soi-même ou ce qu'on a envie d'être ou ce que les règles vous suggèrent. Mais, pour être arbitre, il faut pouvoir incarner de très nombreux personnages et décrire des situations complexes et différentes; il faut pouvoir rendre ses joueurs à l'aise dans une auberge, inquiets face à un danger avéré, suspiscieux devant une énigme, désireux envers une intrigue; il faut, entre autres, pouvoir jouer un ami, un ennemi, un passant, un commerçant, un patron, un employé des personnages des joueurs et il faut le faire vite et bien et passer au suivant. La plupart des arbitres débutant croient qu'ils vont y arriver très vite parce que les règles des jeux de rôles, qui sont aussi celles des maisons de commerce qui les fabriquent, leurs disent que c'est très simple et qu'ils vont y arriver sans problème. Ce n'est généralement pas vrai. Il vaut mieux être expérimenté, il faut avoir avoir réfléchi à la question, il faut avoir une méthode.
L'arbitrage est d'abord aussi un sacerdoce. La fonction première de l'arbitre de jeu de rôle est de faire que la partie se passe bien. Cela signifie: qu'elle soit amusante pour les joueurs, qu'elle soit cohérente avec eux, avec elle-même et avec les règles. Cette invention d'un joueur dont la mission est la qualité générale de la partie est essentielle au génie du jeu de rôle
La primauté du plaisir de l'arbitre s'arrête là où commence celui des joueurs. Jusqu'à ce que la partie démarre, l'arbitre demeure le véritable "maître du donjon" c'est à dire de tout son univers où va se dérouler l'aventure. Il peut s'amuser comme bon lui semble, préparer des pièges, des intrigues, des lieux, des personnages, apprendre par coeur la description de la salle 37A du module ou les caractéristiques de la gelée ocre à putréfaction lente si ça lui chante. Mais à la seconde même où la partie commence, il cède place à l'arbitre "actif" qui n'est plus que le serviteur des interactions entre cet univers et les joueurs.
Beaucoup d'arbitres débutants subissent assez difficilement cet "abandon de souveraineté": ils oublient qu'en définitive ils ont préparé tout ça pour les joueurs et qu'il faut maintenant le leur laisser. Ils ont aussi du mal à admettre que tout ne se passe pas comme prévu, que les personnages des joueurs passent à côté de tel aspect terriblement important de l'intrigue ou négligent des endroits ou personnes auxquels il consacré des heures d'amoureuses précisions.
Or, ce sont les joueurs qui décident, non l'arbitre. Les personnages ne sont pas des pierres qui roulent mais des acteurs. L'arbitre prépare le cadre et gère les conséquences des actions des joueurs: il ne doit jamais se substituer à ces actions. Sinon, le jeu se résumera à une suite de parties entre l'arbitre et l'arbitre, avec les joueurs pour prétexte et il y a peu de chances pour qu'il en aille ainsi longtemps.
L'impartialité de l'arbitre envers les joueurs est un élément nécessaire de sa légitimité ; or l'arbitre doit être légitime pour demeurer accepté. Tel joueur sera plutôt doué pour donner de la consistance psychologique à ses personnages, tel autre connaîtra les règles sur le bout des doigts, tel autre encore saura improviser des tactiques innovante ou échafauder des raisonnements judicieux; chacun est plus ou moins doué et le meilleur joueur ne peut donner que ce qu'il a. L'arbitre doit apprécier les efforts de chacun à proportion des dons de chacun. Si un comédien professionnel brille par l'éclat et la faconde de son jeu, cela n'est pas plus méritant qu'un timide qui essaye d'ajouter quelques touches de psychologie à son personnage.
Ainsi, face aux perturbateurs, l'arbitre n'exerce pas une autorité pour lui-même mais pour le groupe qu'il arbitre. Lorsqu'un joueur rend pénible ou difficile la conduite du jeu, interrompt, bavarde, casse l'ambiance, s'oppose systématiquement aux autres joueurs ou à l'arbitre, c'est effectivement à l'arbitre d'intervenir afin de lui faire comprendre qu'il nuit au jeu, donc au plaisir de tous.
L'opposition scénario (monstres, énigmes, environnement...) / personnages n'est pas le succédané d'une opposition entre l'arbitre et les joueurs. Les joueurs et l'arbitre sont adversaires parce que c'est le rôle de l'arbitre que de faire agir les opposants des personnages. Mais il ne s'agit pas plus pour lui de gagner contre les joueurs qu'il ne s'agit pour les joueurs de vaincre l'arbitre. Ce dernier peut, afin de pimenter le jeu, donner temporarairement aux joueurs l'impression d'être leur ennemi à condition de ne jamais être dupe de lui-même.
Le jeu de rôle n'est pas un wargame. D'une part, les combats n'y sont qu'une phase, une partie d'un tout qui est le scénario: leur simulation ne coincide pas obligatoirement avec le réalisme qui fonde le principe de tout wargame. Ce qui fonde le principe du jeu de rôle, c'est le rôle, non la simulation de réalité. En d'autres termes, le réalisme "psychologique" importe bien plus que le réalisme "situationnel".Le "prêt à jouer" est parfois dangereux. L'arbitre a envie d'incarner tel personnage célèbre, d'être enfin "Elminster" si l'on prend AD&D pour exemple. Les mondes préfabriqués sont pleins de personnages non-joueurs célèbres qui tentent l'arbitre, lui donnent souvent un sentiment de puissance qui n'a aucun rapport avec l'intérêt de la partie. "Enfin je suis Elminster". S'en méfier. On risque de fabriquer un Elminster caricaturé ou totalement lisse ou incohérent avec ce que la plupart des joueurs connaissent. Ces personnages sont en réalité extrêmement dangereux pour l'arbitre. Dès lors que les joueurs savent comment devrait être Elminster, qu'ils ont leur propre idée là-dessus, encouragée par les nombreux bouquins sortis sur ledit Elminster, eh bien Elminster, pour tout arbitre, c'est un piège.
Une autre idée reçue est que les descriptions très fouillées suffisent à faire un bon arbitre. C'est une idée extrêmement répandue, notamment en France, et à mon avis fausse. Un bon arbitre n'a pas obligatoirement besoin d'être un grand conteur. Il doit, avant toute chose, "voir" ce qui se passe; ensuite, faire passer ce qu'il "voit" aux joueurs. Les descriptions peuvent l'y aider mais elles ne sont pas tout, loin de là; le rythme, la sensation de l'urgence, le réalisme psychologique d'un personnage non joueur sont aussi importants.
![]() |
Treize
conseils
Compléments ou conséquences des fondamentaux, à respecter et concilier autant que possible.
![]() |
Quatre styles d'arbitrage
La plupart des arbitres ont une prédilection pour l'un ou l'autre de ces styles. A chaque ses avantages et inconvénients. Mais les vraiment bons arbitres s'inspirent des quatre pour réussir leur mélange personnel.
Le style "réaliste" prône la simulation matérielle et la progression lente à tous points de vue. Les combats se montreront les plus précis possibles. On cherchera moins le gain de l'aventure que la survivance. On multipliera et approfondira les descriptions de façon à privilégier la vision de l'environnement plutôt que le rythme des évenements. Le souci du détail est primordial car avec les petits détails on fabrique de grandes impressions. C'est un arbitrage dans lequel le but est de se transporter dans un contexte de temps/univers différent afin de l'éprouver pleinement; à cet égard, le but, l'intrigue et le mécanisme du jeu ne sont en fin de compte qu'accessoires. Cette manière de joueur s'est particulièrement manifestée en Angleterre au milieu des années 80. <
Pour: visibilité et précision des événements, insertion et découverte du monde
Contre: lenteur à tous points de vue
Le style "psychologique" privilégie les interactions entre les personnages et les détails des personnages eux-mêmes. C'est une école très "rôliste" dans la mesure où l'histoire interne du personnage, basée moins sur ses caractéristiques que sur son profil psychologique, sont déterminants. Cela est valable pour les personnages joueurs comme non-joueurs. Tout système de jeu de rôle n'est, en toute fin de compte, que l'occasion d'un approfondissement du personnage. L'intrigue (plus que le scénario) constitue également un aspect important: elle est souvent de type littéraire, avec de longs prolongements antérieurs. Ce style a la faveur de beaucoup de français.Pour: développement des personnages, interaction entre joueurs
Contre: conflits avec les règles et/ou le monde, affaiblissement de l'intrigue scénarique
Le style "classique" est celui du fantastique. Nous sommes en présence d'un jeu alors amusons-nous quel qu'en soit le prix en réalisme et en véracité psychologique. Tous les éléments du jeu sont orientés vers les principes (mission/quête, affrontement, exploration, survie etc...) déterminés par le mécanisme des règles et/ou du scénario. L'accent est mis sur le rythme, sur l'emprise des joueurs vis-à-vis de l'intrigue qu'ils ont à résoudre, des évenements qu'ils/qui se déclenchent. Cela repose en grande partie sur la motivation des joueurs et plus encore sur la capacité de l'arbitre à créer et maintenir ce rythme. C'est la manière originelle, née dans les années 70, de jouer.Pour: rythme, acuité du fantastique et du scénario
Contre: caricaturisation des personnages, irréalisme
Le style "moderne" se concentre sur l'interaction entre les personnages et leur environnement. Un gros travail préparatoire est nécessaire car le but est qu'en fin de compte, tout ce que les joueurs peuvent faire soit prévu à l'avance. Les fondements sont proches du style classique mais au lieu de laisser au talent de l'arbitre le soin du détail des évenements et du rythme, ceux-ci sont prévus, pré-établis dans le scénario de façon à éviter de trop fréquentes dérives et incohérences. Les règles du système de jeu sont généralement exploitées à fond. Souvent, une stratégie "lourde" de l'ensemble des acteurs et forces en présence est prévue, avec un éventail d'hypothèses. Le recours à des accessoires (figurines, dioramas, bandes son...) est fortement conseillé, voire indispensable. C'est la manière de jouer qui s'est le plus développée au cours des années 90.Pour: sécurité générale du scénario, précision des détails, visualisation des événements
Contre: affaiblissement du merveilleux, perte de libre-arbitre, "wargamisation"
En conclusion: du moment que joueurs et arbitre sont d'accord et s'amusent, tout le reste n'a pas d'importance (y compris cette page).
![]() |