D&D 3e édition et le bonheur du rôliste


Olivier Cazeneuve
(mars 2003)


La Troisième Edition d'AD&D (3e ed), redevenu D&D, est désormais bien entrée dans les mœurs. On y adapte à tour de bras les anciens modules, notamment ceux de la vénérable Judges Guild. En effet, les anciens modules JG nécessitent un certain travail, parfois considérable, du DM. Ils remontent à une époque où le jeu de rôle exigeait une créativité placée dans le set up autant que dans la personnalité des personnages ce qui semble moins le cas depuis quelques années. Logique si on tient compte de la tâche du DM et de l'insuffisance ou du manque de temps de la plupart, mais au risque trop souvent vérifié pour mon goût d'une certaine aseptisation du système et des aventures. Aseptisation que ne contrebalance pas toujours la créativité des joueurs, souvent limitée par leurs propres déterminants et possibilités psychiques tandis que l'environnement d'aventure n'a d'autres limites que l'imagination des joueurs et la cohérence nécessaire à la jouabilité. D'où, peut-être, la nécessité de tirer un rapide bilan de ces règles qui auraient changé le D&D.

Je n'ai pas l'impression qu'une différence fondamentale de plaisir détermine le choix entre la 3e édition et l'un des systèmes qui l'ont précédée. Cependant, l'avenir est très nettement à la 3e édition, pas seulement pour des raisons commerciales. Débuter en 3e ed. n'est pas plus difficile et c'est un système clos qui fonctionne très bien si l'on n'a pas connu les anciennes versions. Bien des points obscurs ont trouvé à cette occasion des solutions élégantes et simples : conversion des sorts de soin, skills de spot, take 10, tirs à distance, risque de noyade sont, entre bien d'autres, remarquablement éclaircis. Plusieurs innovations sont heureuses, notamment les skills. La réécriture des sorts est correcte. L'équilibrage des grandes classes est conservé, nonobstant une certaine faiblesse des clercs et plus encore des monks.
A tout nouveau joueur, je recommanderais donc sans hésiter la 3e édition de D&D ; elle est facile d'accès, plaisante, détaillée.

Maintenant, le catalogue des défauts de la 3e édition vaut celui de la 1e ou de la 2e. Ce qui fut gagné à un endroit est souvent perdu à un autre. De façon générale, la 3e ed suit cette pente qui déresponsabilise le DM et les joueurs en faisant reposer sur un accroissement de statistiques ce qui appartenait à l'arbitraire, dans tous les sens du terme, le pire comme le meilleur. Cela peut sans doute passer pour une amélioration, compte tenu du niveau de la plupart des arbitres. Cependant, à maints égards, le fantastique y perd, parfois en bien (les portes ne sont plus défonçables n'importe comment…), parfois en mal (impossible de jouer sans figurines et sans des calculs précis qui tiennent bien plus du wargame que du jeu de rôle). D'où le sentiment, pour de vieux rôlistes, que la règle devient de moins en moins un support et de plus en plus une cage. Enfin, plusieurs aspects sentent le marketing pur : les réformes du système de niveaux ou l'introduction du challenge rating arrivent in concreto, en termes de jeu, à des résultats assez semblables à ceux des éditions précédentes, quoique radicalement incompatibles avec elles. La principale différence sont des statistiques déplafonnées et surabondantes dont la lecture, en ce qui concerne les monstres, devient parfois un véritable pensum.
On aurait sans doute pu créer le système du d20, cœur de la 3e édition, d'une façon qui le laisse compatible avec les éditions précédentes. Ne pas l'avoir fait permet de reproduire exactement les mêmes monstres et modules que préexistants, avec de nouvelles caractéristiques, de nouveaux dessins dans des livres avec de nouvelles couvertures et de nouveaux tarifs.

Enfin, on arrive au même n'importe quoi avec les classes de " prestige " (!) qu'avec les innombrables " kits " (de sinistre mémoire) de la 2e édition. En combinant cette étrangeté avec les feats, on donne là en plein dans l'un des principaux défauts du jeu de rôle depuis son âge adulte, le " mini-maxage " qui consiste à tordre les règles autant que possible pour s'assurer du personnage le plus puissant. Là n'est vraiment pas l'essentiel et pourtant telle est la tentation immédiatement inspirée aux joueurs. Or, dans mon expérience personnelle, les plus intéressants et plus fameux personnages que j'ai eu le privilège d'arbitrer étaient totalement indépendants de leurs statistiques; certains en avaient d'excellentes mais beaucoup, et sans doute la plupart, de très ordinaires. Car c'est parfois avec de médiocres caractéristiques que le joueur se sent forcé de compenser qu'il crée ainsi ses meilleurs personnages, ne pouvant céder à la facilité de se reposer sur des chiffres et des jets de dé. Il ne faut pas non plus oublier que c'est quelque part forcément un aveu de faiblesse des règles que d'inciter à prendre des personnages à très hautes caractéristiques ou à capacités particulières pour pouvoir s'assurer des chances raisonnables de survie et pour prendre plaisir au jeu.

Fondamentalement, le point dont il faut se souvenir demeure : les règles de 3e ed n'interdisent pas plus que les anciennes le mauvais arbitrage de même qu'elles ne me semblent pas mieux favoriser un meilleur arbitrage. C'est simplement un autre système, cousin plutôt que frère du précédent, plus léger et simple à certains égards, plus lourd et lent à d'autres. On n'y empêchera pas les adeptes du Porte-Monstre-Trésor de réduire à cela l'intérêt des personnages, les tracasseurs de règles d'évoquer l'interprétation douteuse de la page 163 du manuel, les fans de simulation d'examiner pendant une heure tous les détails d'un escalier suspect, les sectateurs du rôle pur de plomber le groupe avec leurs états d'âme, les moi-je de faire leurs courses en ville pendant que les autres attendent, les tacticiens en chambre d'exiger dix minutes par round de combat, sans parler des tireurs de couverture, des gros bill et minimaxeurs, des arbitres anti-joueurs, etc…

Qu'on y prenne plaisir par la simulation détaillée ou par le rôle psychologique, par le rythme de l'aventure ou par la précision des combats, l'efficacité d'un jeu de rôle repose d'abord sur des règles simples et souples permettant la cohésion des joueurs et de l'arbitre. La 3e ed dispose un tel système, et c'est pourquoi on peut la recommander ; mais je n'y vois pas d'amélioration fondamentale qui emporte l'adhésion de ceux qui sont familiarisés avec les éditions précédentes, s'ils ont réussi à maîtriser la liberté et la responsabilité que ces anciennes règles confèrent aux joueurs et aux arbitres.


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