Ambre succédera-t-elle à Westeros ?

29 août 2016 par Kazz → Non classé

D’abord la bonne nouvelle, même si ce n’est peut-être qu’une de ces rumeurs sans vrai fondement ou l’un de ces innombrables projets qui n’auront aucune suite : selon the Hollywood Reporter, la prochaine série à la « Game of Thrones » que recherchent les chaînes américaines pourrait bien être une adaptation du Cycle des Princes d’Ambre.
Certes le chef d’œuvre de Roger Zelazny fut, parmi bien d’autres, une source d’inspiration de G.R.R. Martin. Mais surtout, il s’est vendu à 15 millions d’exemplaires dans le monde, soit le genre de chiffre à faire réfléchir bien des studios. Et parmi ces millions de lecteurs il y a un paquet de fans, dont ceux qui voudraient adapter l’oeuvre pour la télévision : Kirkman et Alpert, les deux auteurs de la B.D. The Walking Dead. Quand même plutôt des pointures.

Cela dit, je n’aurais pas osé y croire, et je n’oserai pas l’espérer.

D’abord parce qu’il y a beaucoup à craindre de producteurs avides de renouveler l’expérience du succès planétaire de GoT et qui en voudront pour leur 10 millions de $ par épisode. Ensuite parce que, comme pour le Seigneur des Anneaux ou le cycle d’Elric, les personnages d’Ambre sont profondément ancrés dans l’imaginaire de leurs lecteurs, dont je fais partie, et que leur représentation audiovisuelle implique une confrontation toujours un peu dérangeante avec cet imaginaire préexistant. Car si Ambre est un jour amenée à succéder à Westeros en série audiovisuelle, c’est l’inverse qui s’est passé en littérature, et de longtemps.

J’ai attendu, année après année, la sortie des Chroniques d’Ambre. Je les découvre en 1974, m’en souviens parfaitement : à la librairie Lamartine, Editions Denoël, collection Présence du Futur, je revois encore le présentoir à plat entre les rangées d’étagères où s’offraient les nouveautés. Les deux premiers tomes sont déjà parus et je n’aurai qu’un an à patienter pour découvrir le Signe de la Licorne, un peu décevant, le moins bon de la série. Un an encore pour la Main d’Obéron, merveille. Suivirent alors deux terribles années d’impatience avant que ne paraisse en 1980 Les Cours du Chaos, bouquet final. Car alors, on attendait un tome un ou deux ou trois ans, rarement plus.

Je serai beaucoup moins fan du 2e cycle, celui de Merlin, où Zelazny me semble parfois chercher sa trame, un peu comme si le déterminait le succès commercial du premier cycle plutôt que la nécessité interne de l’oeuvre***. Pour ma part, le « vrai » chef d’oeuvre est constitué par le seul cycle de Corwin, et en particulier les 1er, 2e et 5e livres.

Après Tolkien, aucun autre auteur n’a davantage imprégné ma façon d’envisager le jeu de rôle médiéval-fantastique ni, d’ailleurs, ma conception du médiéval-fantastique. Même Moorcock, Leiber, Silverberg, ou Vance. Il ne s’agit pas tant du contexte du monde imaginaire, au demeurant bien moins médiéval que fantastique, que de l’idée fondamentale qui commande le cycle des Princes d’Ambre : la lutte pour le pouvoir au sein d’une vaste famille qui met en jeu une cosmogonie entière avec pour pivot central ce héros écrit à la première personne. Le ton de Zelazny, son humour, la distance qu’il met entre lui et son personnage central comme celle qu’il met entre ce personnage et le récit, le savant rythme par lequel il découvre des intrigues aussi profondes que complexes, et cette écriture à la fois légère et percutante, assez rare chez les écrivains de fantastique et de science-fiction, font du cycle d’Ambre un ensemble indépassable.

La précision des différents portraits des principaux protagonistes : Corwin, Bleys, Eric, Benedict, Julian, Random, Deirdre, Fiona, Gérard… préfigure, bien des années avant, les peintures en profondeur que Martin cherchera à proposer au lecteur via son système de P.O.V. Mais les personnages de Zelazny sont à la fois humains et demi-dieux, en cela souvent plus proches des figures tutélaires peintes par Tolkien (Gandalf, Saruman, Elrond, Aragorn, Galadriel…) que des proies tourmentées d’un Martin qui les ramène ainsi si près de nous, pauvres lecteurs.
Dans Ambre, il n’y a qu’un seul P.O.V. : celui de Corwin. Zelazny a choisi l’intensité là où Martin a choisi l’immensité. C’est aussi ce qui risque de faire la faiblesse de l’adaptation : par exemple, trouver pour Corwin l’équivalent d’un Viggo Mortensen incarnant Aragorn n’a rien d’évident. Car, à la différence de GoT ou LotR, toute la narration d’Ambre repose d’abord sur un personnage central ; la charge pesant sur le rôle équivaut à celle d’un James Bond ou d’un Jason Bourne mais avec de toutes autres dimensions intérieures, y compris l’humour de Zelazny.

Peu de textes me rendent G.R.R. Martin aussi sympathique que son hommage écrit en 1995 après la mort de Roger Zelazny à 58 ans.
« He was a poet, first, last, always. His words sang.
He was a storyteller without peer. He created worlds as colorful and exotic and memorable as any our genre has ever seen »
Ces deux grands auteurs étaient de vrais amis. Pour un écrivain de SF, c’est assurément un honneur que d’avoir été le copain de Roger Zelazny ; mais Martin rappelle aussi et surtout quel mec bien il était, l’importance qu’il eut dans sa vie, et même quelques personnages de jeux de rôles qu’il joua à la fin de la sienne. Et, 20 ans plus tard, George Martin le fidèle réitérait pour le 20e anniversaire de sa mort. Accablé d’honneurs et de célébrité comme aucun auteur de « fantasy » ne l’a été de son vivant, Martin n’avait pourtant pas oublié ce rendez-vous. Chapeau.

Alors la place qu’a soigneusement choisie Martin pour la Maison Rogers of Amberly Armoiries Rogers dans l’almanach nobiliaire de Westeros apparaît autant référence que révérence. Et ses armoiries donneront à sourire qui a lu le Cycle. Amberly est bien évidemment placée dans ces Stormlands des Baratheon où trois frères vont tous vouloir la même couronne. Les Rogers, qui comportent un certain Corwin Rogers, sont alliés au Stark par le personnage nommé Harrold Rogers qui, en épousant Branda Stark, devient l’oncle par alliance d’Eddard, Lyanna, Brandon et Benjen Stark ; une sorte de lointain ancêtre de ces petits Stark par où le lecteur aborde la vaste trame de Song of Fire & Ice.
Et enfin, petit point commun entre Derenworld et Westeros : tous les deux ont une connexion à la Marelle.

Il serait donc certainement réjouissant pour beaucoup de monde, à commencer par GRRM, que la recherche du prochain super-blockbuster-à-tenir-la-planète-en-haleine aboutisse effectivement aux fils d’Obéron imaginés par Roger Zelazny. Mais quel challenge !

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*** Une excellente étude de C. Kovacs (Suspended in Literature: Patterns and Allusions in The Chronicles of Amber, New York Revue of Science Fiction, 2012) démontre que la genèse d’Ambre, chez Zelazny, limite initialement l’ouvrage à une trilogie. Ambre n’est pas, à l’origine, un cycle pensé comme une globalité à la Tolkien ou Martin mais un roman que Zelazny considérait d’abord comme agréable à écrire. C’est bien son extraordinaire succès qui va le déterminer à développer un second cycle (« Zelazny later surrendered to the demands of his fans and publishers by expanding the series to ten books and a half-dozen shorter story fragment« ). Kovacs n’analyse d’ailleurs que les cinq premiers livres.

2 commentaires sur “Ambre succédera-t-elle à Westeros ?

  1. J’ai moi aussi lu avec enthousiasme la saga des princes d’Ambre mais seulement à la fin des seventies (je suis quand même vachement plus jeune que le Kazz…)
    J’au depuis relu plusieurs fois les deux cycle même si le second est en effet moins puissant. Comme Olivier, Zelazny est l’un de mes auteurs favoris de fantasy malgré la concurence croissante y compris française (cf « gagner la guerre » de Jaworsky)
    Qunat à l’adaptation à l’écran, etit ou grand, restons optimiste, nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise comme avec LoR et GoT

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