“Qu’est ce l’histoire, sinon une fable sur laquelle tout le monde est d’accord ?”
(Napoléon Bonaparte)
Il faudra plus d’un siècle de silence, de secret, de patience aussi, pour que les Citadelles du Nord se remettent du déclin, de la dispersion, et de la disparition des Héritiers d’Hornst. Pendant plusieurs décennies elles seront en guerre froide, émaillée d’escarmouches quasi-incessantes, avec des ordres de chevalerie acharnés à les détruire, des raids de pillards Berviks ou Kuneskis, et un royaume d’Orishal qui leur mène la vie dure. En 4462 les Kuneskis appuyées par une improbable coalition de chevaliers de Prias, de draconiques d’Orishal, de mercenaires de Kelnore et de commandos de l’Empire missionnés par Coron III, réussissent à s’emparer de la citadelle de Silverph’Fyr avant d’assiéger vainement Gaùruil pendant les deux années suivantes. L’échec du siège, combiné à une expansion continuelle de l’Empire le forçant à regarder ailleurs et à l’instabilité chronique des Kuneskis sauvent les Citadelles d’une menace d’anéantissement complet.
Le renouveau provient d’une « nouvelle génération », qui se constitue en collectivité pendant le siège de Gaùruil, et qui va après coup s’emparer du contrôle de celle-ci, puis d’Inglocetir puis de Saïkanthra avant de s’allier à Myskrband et Icehall, les deux plus anciennes et secrètes, celles que les trolls des glaces appellent les Citadelles-mères.
Bien qu’assez disparate, cette génération de mages se revendique ouvertement d’Hornst Soulslayer, s’auto-proclamant ses Seconds Héritiers, quoiqu’aucun n’ait quelque parenté physique avec lui ni bénéficié d’un quelconque legs de sa part.
Les principaux, et les plus célèbres, ont nom Keraptis, Iauwë, Grsk, Iggwilv, Iliokè, Vraxer, Molior Dragonskull. Leurs histoires sont beaucoup mieux connues que celles de leurs prédécesseurs car à la différence de ces derniers ils ne cherchent pas l’anonymat mais la gloire personnelle, outre qu’il existe une importante documentation grâce aux archives impériales, evrianders, virissianes, ariacanders, thûzz ou encore zevjanes, qui sont dès cette époque bien tenues et conservées.
Iliokè est un pur produit de Helkmoor, où il a été formé par Acererak, et l’exemple même du sorcier « classique », conscient et fier de son savoir, attiré par les recherches fondamentales. Grsk, réfléchi et dévoué, est un Uir demi-goblinoïde qui a commencé comme serviteur à Silverph’Fyr où il franchi à force de ruse et d’intelligence tous les échelons pour devenir mage. La mélancolique Iauwë est une aldaquendi perdue et enlevée par des gnolls, devenue plus tard agent de la maison drow Tormtor, récupérée après moult vicissitudes par Iliokè qui l’a un temps prise sous sa protection. Iggwilv, née de père inconnu, est la fille d’une hag de la mangrove de la côte du Xionner ; d’abord refusée à Xionne, son goût prononcé pour les voyages l’amènera jusqu’à découvrir Sylax où elle sera acceptée contre certaines faveurs par le Seigneur Gerne-Hegg qui deviendra son mentor. Le rude Vraxer est, comme Iliokè, un ancien de Helkmoor, qu’il quitte toutefois assez rapidement, préférant la bataille à la nécromancie, pour étudier la stratégie et expérimenter le combat tactique en s’inscrivant la tradition des mages-guerriers hornstiens. Molior Dragonskull, probablement demi-drow, certainement surdoué, et assurément conscient de l’être, vient sans doute d’Icehall où il a reçu une éducation draconique puis drowish dont il a retiré toute la morgue qui le caractérise. Keraptis enfin, né à Zevjapuhr d’une famille de la bonne bourgeoisie, doté d’un certain charisme et d’une imagination fertile, commence son éducation par le clergé de Set avant d’estimer que la magie marche mieux quand on la libère des servitudes cléricales et de devenir conséquemment mage sudelyn comme le fut Hornst, puis aventurier en quête de richesses mais rêvant aussi à l’histoire du grand conquérant.
Tous se trouvent à Gaùruil pendant le siège, où chaque aura tout le loisir d’apprécier les qualités des autres, et tous ont très faim de gloire, de puissance, de revanche aussi.
Leur émergence coïncide avec l’anti-elfisme d’état prévalant alors en Empire, qui accroît l’affaiblissement général des grandes puissances elfiques, lesquelles avaient jusqu’alors victorieusement combattu Hornst et ses alliés ou ses descendants, notamment en déclenchant la « Punition Elfe » (cf. Notes de la 1e partie).
Les Seconds Héritiers ont certainement reçu l’assistance du Nourricier car leur apparition précède une explosion démographique d’humanoïdes, en particulier celle de trolls et gnolls dits du froid, également « ice gnolls/trolls » ou « pale gnolls » (à la fourrure gris clair) qui formeront dans un premier temps l’élite de leurs troupes avec des groupes de géants et de kobolds. Les succès des Seconds Héritiers s’appuient aussi sur de complexes tractations diplomatiques, y compris avec des démons, notamment des Princes comme Yeenoghu, Fraz-Urb’luu ou Graz’zt, dont on considère en général qu’ils interviennent à cette occasion pour la première fois dans la politique du monde.
Les Seconds Héritiers ont longtemps étudié les forces et faiblesses de leur prédécesseurs : les premières sont la surprise et la violence, les secondes le manque de coordination tactique et le chacun-pour-soi stratégique. Ils agissent donc de façon concertée, se répartissant les tâches avant de suivre un plan adopté et exécuté en commun. La logistique est confiée à Grsk, les relations avec les puissances surnaturelles à Iggwilv, la magie fondamentale à Iauwë, la tactique militaire à Vraxer, l’entraînement des troupes à Iliokè, les finances et la police à Molior Dragonskull, la diplomatie à Keraptis. Même si Keraptis, Vraxer et Iauwë sont les plus brillants, c’est Grsk, l’un des moins connus, qui est l’âme de leur organisation.
Ils déclenchent leurs offensives à partir de 4552, pénétrant comme dans du beurre au coeur du continent, pulvérisant l’Orishal mais passant sagement à l’ouest et à l’est du Kelnore qui demeure au milieu de l’invasion telle une île efficacement protégée par ses forts et par son alliance avec Ariacandre. Combinant parfaitement troupes de choc et d’appoint avec des mages et des unités spéciales volantes ou souterraines, chaque percée étant relayée par une masse bien entraînée et une logistique sans faille, conservant toujours le double avantage et du nombre et de la surprise, ils remportent victoire sur victoire au point d’aboutir en quelques mois à un triomphe que l’Empire et le monde hébétés sont bien obligés de reconnaître.
Ils opèrent localement des jonctions préparées de longue date avec des descendants des premiers Héritiers qui gouvernent encore d’importants territoires, notamment au centre et centre-est où va régner Iauwë, le long de la Nevaïn que Molior descend en ravageur à l’instar des Kuneskis quelques siècles plus tôt, et jusque dans ce qui forme aujourd’hui les régions du Valdorse et d’Erguña impériale où s’établit Iggwilv. Iliokè et Keraptis récupèrent les ex-Satrapies et taillent d’importantes croupières dans le Heart d’Empire, Keraptis s’amusant à pousser des raids-surprises jusqu’en Zevjapuhr et même Okhpuhr.
Ce triomphe dure le temps d’une vie humaine. Car avec la réussite acquise et l’âge avançant, la cohérence des Seconds Héritiers s’effiloche. Entre ceux qui se comportent en rois en leurs royaumes, ceux qui poursuivent le rêve hornstien d’un empire mondial, ceux qui pensent avant tout à leur nombril, ou ceux qui visent déjà la mort-vie, la solidarité aventurière laisse graduellement place aux égoïsmes profiteurs et l’élan général cède aux calculs particuliers. Ils ont aussi un ennemi redoutable en la personne d’Irwin Ier, empereur qui s’acharne à liguer contre eux des puissances aux intérêts historiquement antagonistes tels Wejlar, Avros, Dere, Vizan.
En orient Iggwilv n’a pas réussi à prendre Orfajaz (la poliorcétique étant une des rares faiblesses militaires des Seconds Héritiers) mais attribue cette déconvenue à un soutien trop mollasson de Vraxer et surtout de Molior Dragonskull qu’elle laisse par esprit de vengeance échouer tout seul devant Iolbec. Elle a cependant déjà décidé de partir en Tangut, se rêvant impératrice du sous-continent qu’elle érigerait ensuite, grâce à ses relations démoniaques, en trône de Derenworld. Elle suscite ainsi chez Molior un sentiment de trahison qu’il va silencieusement cuver jusqu’à ne plus jouer que pour son compte à l’est du continent.
Au centre, là où Hornst avait rêvé d’ériger sa capitale, règne Vraxer en autocrate absolu. Il a de facto largement supplanté une Iauwë s’enfonçant dans des recherches de magie de moins en moins intelligibles. Molior ne répondant pas à ses propositions de suppléer Iggwilv en Orient, Vraxer décide de gouverner lui-même les territoires délaissés par sa camarade et se tourne donc vers l’est.
Pendant ce temps, Keraptis noue des alliances et amasse des fortunes par ses raids-surprises mais néglige aussi ses domaines et devoirs, et notamment de secourir Ilioké confronté à un Irwin Ier Naëmbolt de mieux en mieux armé (il faut à la décharge de Keraptis reconnaître qu’il a quelques raisons de se défier d’un Iliokè qui s’est approprié Inglocetir sans demander l’avis de quiconque après y avoir détruit l’ancien « Dark Lord », l’un des derniers Héritiers mort-vivants de Horsnt, qui y avait son repaire). Petit à petit des morceaux des Satrapies et du Heart retombent dans l’escarcelle impériale, fragilisant Iliokè qui se retrouve pratiquement seul face à l’Empire. Tout en maudissant son collègue, Iliokè choisir de se concentrer sur la Vallée d’Arlve où il réussit à tenir en échec les ambitions impériales grâce à de puissants soutiens des drows et surtout à l’alliance avec les dragons et draconiques de Kelngurth, acquise au prix d’une rupture avec ses petits camarades exigée par les nombreux ex-Orishaliens qui s’y sont réfugiés et influencent son gouvernement.
Ces égoïsmes et bisbilles contrarient les tentatives de Grsk d’imposer une coordination d’ensemble pour un nouvel élan qui ciblerait cette fois le Dere, le Wejlar, Marn, et plus généralement l’ouest du continent où demeurent les seules puissances qui pourraient encore menacer la survenance du futur empire des Seconds Héritiers.
Les succès des Seconds Héritiers s’adossaient à une diplomatie fondée sur une double neutralité vizaner : celle du monarque et celle des écoles de magie du pays : Emer, Sudel et Xionne. Cette situation provenait de longues et intenses tractations conduites à partir de 4550 par Keraptis ; grosso-modo, elle consacrait un partage où les destinées de Dere (alors Grand Royaume), d’Okhpuhr et Zevjapuhr, et surtout d’un large sud-est du monde : Farxel, Thûzzland, Tangut, Avros, étaient à la discrétion du Vizan.
Le Kaliph Orrossian le Magnifique prend donc assez mal la nouvelle de l’incursion d’Iggwilv en Tangut venant après que ses espions lui aient rapporté la rumeur aussi déplaisante que vraisemblable de visées territoriales et militaires que Grsk entretiendrait au sujet de Dere ; le Vizaner entreprend donc de commencer à sonder le Naëmbolt et le Wejlan pour s’enquérir des conditions d’un éventuel renversement d’alliances auquel ne cesse d’appeler Irwin Ier. Cette démarche est aussitôt connue de mages Sudelyns qui s’empressent d’alerter Keraptis.
Comprenant que son crédit auprès du trône de Jade* n’est plus très sûr, Keraptis rejoint Grsk à Gaùruil et les deux convoquent une réunion acceptée par Iauwë et Vraxer, mais à laquelle refusent d’assister les trois autres. Iggwilv concèdera finalement de communiquer à distance. Au cours de ces palabres, ces cinq Seconds Héritiers s’entendent sur la nécessité devenue urgente de fonder un Etat qui leur soit commun à tous et dont Grsk et Iauwë vont devenir les architectes civils, Vraxer leur pendant militaire, et Keraptis leur pendant diplomatique. Ce dernier multipliera ensuite ses voyages afin d’obtenir un renfort de drows et de githyankis qui formeront le fer de lance d’une nouvelle armée.
La stratégie de Vraxer, appuyé par Iauwë et Grsk, a pour priorité d’en finir avec l’énorme épine formée par les terres kelnoréenennes au coeur du futur empire des Héritiers, puis de déferler sur le reste du continent. Keraptis et Iggwilv préfèreraient éviter de s’embrocher sur le hérisson kelnoréen, bien défendu par ses fortifications, et archi-préparé à être attaqué, mais ils n’osent pas contredire le maître-stratège. Keraptis s’emploie néanmoins à semer la discorde en Evriand afin d’attirer le Wejlar dans une énième guerre contre ses rivaux de Marn.
La dernière décennie du XLVIe siècle voit les générations d’humanoïdes préparées par le Nourricier et Grsk atteindre enfin leur masse critique. Il est alors temps, pour Iauwë, Grsk, Vraxer et Keraptis de proclamer l’avènement du rêve horsnstien d’un état destiné à devenir l’empire du monde entier : la Great Anarchy. En 4602 un nouveau siècle s’ouvre : ce sera le leur.
La Great Anarchy s’appelle ainsi faute de mieux et un peu en dérision car par reprise de l’expression favorite de l’empereur Irwin Ier pour qualifier péjorativement les étendues glacées du grand nord.
A son apparition, elle s’analyse en une sorte de confédération réunissant les Citadelles, les vastes territoires contrôlés par des warlords humanoïdes entre Wejlar et Bervikelt, et les diverses possessions des Seconds Héritiers gouvernées par ceux-ci. Elle a pour but initial d’annexer le Kelnoreland, ce qui lui offrirait une masse territoriale continue l’érigeant en premier état de Derenworld.
C’est ce que comprennent en 4608 l’Empire et surtout le Wejlar qui choisissent sur le champ l’offensive. Les deux comptent prendre le nouvel état par surprise, considérant que la meilleure défense est l’attaque et que la fortune sourit aux audacieux. Pour cela, le roi Olan XVII de Wejlar reste délibérément sourd aux avertissements du Margrave Tibor de Kalderland qui, renseigné par des éclaireurs, pense que le roi sous-estime terriblement son ennemi et le supplie vainement d’attendre au moins qu’on se coordonne avec le Kelnoreland. Les wejlans foncent donc tête baissée sur la masse de l’armée de Great Anarchy alors au grand complet, entièrement concentrée, prête à l’offensive en Kelnore… ou ailleurs si besoin est. Une armée en surnombre de dix contre un, avec des trolls, des githyankis, des ogres en pleine forme, conduite par deux grands sorciers vétérans de plusieurs guerres : Vraxer et Keraptis. A peine l’expédition wejlane a-t-elle dépassé le poste avancé de Skanden Manor qu’elle rencontre des forces de plus en plus denses, de plus en plus nombreuses, se trouvant confrontée à d’incessants combats dont le caractère désespéré ne fait assez vite plus de doute.
Skanden Manor est une victoire décisive à plus d’un titre. Elle cimente et légitime la Great Anarchy en tant qu’Etat, donne un moral d’enfer à ses troupes, et leur offre l’opportunité – qui sera aussitôt saisie – de battre le fer quand il est chaud. Bouleversant du jour au lendemain leurs plans, Keraptis, Grsk et Vraxer décident sur le champ d’envahir le Wejlar plutôt que le Kelnore. Poursuivant les débris de l’armée wejlane, ils déferlent en 4603 dans le nord-est du pays, capturant la grande ville de Ganarbe dont le château s’effondre sous les sorts de Keraptis et qui est livrée à ses orcs. Repoussés par des Krynns bien retranchés dans leurs montagnes, ils progressent vers l’ouest dans les plaines glacées, malgré la résistance forcenée des chevaliers de Highfrost et Kalderland, et parviennent à s’emparer en 4608 de la cité de Dariol.
Mais le gain de temps obtenu par les sacrifices des chevaliers a permis au Wejlar de reconstituer une armée, d’appeler l’intégralité de son Ost et le ban de toutes ses provinces, de tous ses vassaux et alliés, et de resserrer ses lignes de défense. Malgré de furieuses batailles pendant les deux années suivantes, Vraxer ne parvient pas à percer le front du Dariolan et de franchir la passe derrière laquelle s’ouvrent les plaines, le coeur, les meilleures terres du Wejlar. De son côté, Keraptis continue vers l’ouest jusqu’à atteindre la capitale, Wejlara, prise et pillée grâce une audacieuse opération d’assaut magique.
Pendant ce temps Iliokè, certes fort occupé à découvrir ses capacités de vampire-liche dans Inglocetir, voit avec stupeur l’Empereur Naëmbolt en personne longer l’est de ses terres à la tête d’une expédition d’une témérité insensée qu’il conduit droit vers les Citadelles. L’occasion est belle mais le vieil Iliokè choisit d’honorer son engagement envers Kelngurth de rester sur place afin de continuer de protéger les terres draconiques, outre qu’il déteste trop Keraptis pour l’alerter. En outre, les seules choses qui l’intéressent vraiment sont sa forteresse et sa lichdom. Il laisse donc John-Alexander Ier pénétrer en 4606 dans le grand nord sans être repéré pour y devenir le premier et à ce jour le seul empereur Naëmbolt légitime à avoir été occis en dehors de l’Empire et à finir sans sépulture. Quasiment aucun impérial n’en réchappera, le Maréchal Avernon d’Orandreth-Colstone périssant aux côtés de son souverain et le général Twurl de Goldhelm échouant à percer vers le sud pour revenir en Empire. Et c’est ainsi que s’achève le secours de John Alexander Ier au Wejlar ; Olan XVII et lui auront commis à quelques années de distance la même présomptueuse sous-estimation de leur ennemi.
Même si plus grand mystère continue de planer sur les circonstances exactes de la mort du treizième souverain Naëmbolt, certaines légendes affirmant que son cadavre orne une salle glacée de Myskrband, d’autres qu’il aurait aurait bêtement été victime d’une tempête de neige, l’hypothèse la plus couramment admise tenant qu’il a péri lors d’une bataille contre une force de githyankis qui ignoraient tout de la personnalité de leur ennemi, ce qui n’explique toutefois pas l’impossibilité constante de retrouver le lieu comme la dépouille du monarque.
Le Wejlar abattu, l’Empereur éliminé, la toute neuve Great Anarchy a enfin le temps de se retourner vers son objectif premier : le Kelnore. Mais le nouvel empereur Cyrus II la prend de vitesse par une stratégie indirecte : au lieu d’aider à délivrer le Wejlar ou d’attaquer directement la Great Anarchy sur ses terres, il choisit de profiter de l’enkystement des conflits au nord pour attaquer au sud afin de récupérer le Middle-Empire. A peine a-t-il réorganisé l’armée impériale en légions professionnelles qu’il la jette à partir de 4611 au centre du continent en direction de l’orient, profitant de ce que Keraptis et Vraxer ferraillent encore en Wejlar où sont concentrées les meilleures troupes de la Great Anarchy. Cyrus rompt du même coup l’encerclement du Kelnore et poursuit vers l’est afin de d’opérer sa jonction avec le Gaïko, opiniâtrement tenu par les forces placées sous l’autorité du général d’Empire Chamur Zvakian, premier demi-orc élevé à cette dignité, commandant la Xe Légion et victorieux défenseur d’Orfajaz. Dans le même temps les IVe et VIe Légions obliquent vers le nord afin de s’attaquer aux possessions de Molior Dragonskull, alors lui-même engagé contre les Berviks appuyés par Avros, et le prendre à revers.
Devant le danger de désagrégation des domaines de Vraxer, Iauwë, peut-être affolée, déclenche au printemps 4614 une invasion générale du Kelnore certes prévue de longue date mais à contre-temps car en l’absence de Keraptis, Vraxer et Molior. Au plan tactique, la recette élaborée par Vraxer pourrait s’appeler : « les drows la nuit, les orcs le jour ». Des alliés Kuneskis font diversion à l’est et des bataillons de choc, composés de trolls, ogres, githyankis, brisent les points de résistance ennemis.
Mais le Kelnoreland est bien cet hérisson de fortifications qui inquiétait Iggwilv, d’autant plus difficile à battre qu’il n’est plus encerclé. Les kelnoréens parviennent à ralentir Iauwë et à tenir assez longtemps pour laisser le temps à Cyrus II de rameuter ses légions et voler à son secours. Pas besoin d’alliance officielle ou de tractations diplomatiques : Cyrus a compris que si le Kelnore tombe, la prochaine cible sera l’Empire. Profitant des infrastructures impériales et de l’excellente coordination de son intendance, réussit à intervenir à temps en Kelnore pour contrecarrer l’invasion meganarkienne.
Censée aboutir à une victoire éclair, celle-ci s’enlise au contraire jusqu’en 4619, année où Grsk revient du Wejlar. Ayant tenu conseil avec Vraxer et Keraptis, il a résolu de suivre l’idée de ce dernier consistant à réunir ses alliés githyankis en une seule armée et de leur offrir le tiers du Kelnore pour récompense. Il lance une grande offensive par surprise durant l’hiver 4620 qui s’avère couronnée de succès principalement grâce à ce nouveau fer de lance. Les légions impériales sont chassées du Kelnoreland sans toutefois être détruites car Cyrus a anticipé l’attaque et fait préparer des axes pour une retraite générale parfaitement exécutée par les Maréchaux Dariamoon Paladin Glade et Aldus Tolember, ce qui préserve les effectifs impériaux. Dès l’été suivant, l’empereur concentre ses légions pour contre-attaque sur deux axes : Tolember depuis le sud-est via Gelkard avec les Ie, VIIIe et Xe Légions, Glade depuis le sud-ouest via Pellanore avec les IIe, IIIe et Ve. Un peu plus à l’est, Strybov Paladin Dil mène contre les Kuneskis une offensive conduite par ses alliés et vassaux Stroelyns appuyés par les VIIe et XIIe Légions, afin de les fixer puis de les obliger à refluer du Kelnore. Les githyankis ne pouvant se battre partout, les forces meganarkiennes reculent. A l’automne 4620, pratiquement de la moitié sud du pays a été libérée. L’hiver arrivant, le front se stabilise.
Le 30 scorpio 4621 se tient à Gaùruil un conseil stratégique sur la conduite de la guerre qui dégénère rapidement en une quasi-foire d’empoigne. Tous sont là sauf Iliokè, en cours de lichdom, et Iggwilv, qui communique toutefois avec les autres par sortilèges**, comme pour mieux multiplier reproches et récriminations réciproques. Molior Dragonskull agonit Iggwilv d’injures pour l’avoir abandonné à son sort en Orient alors que celle-ci est soutenue par Grsk qui voit au contraire dans ses ambitions tangutiennes un précieux plan B. Vraxer reproche à Iauwë d’avoir inconsidérément déclenché l’invasion du Kelnore et se heurte à Molior qui pense au contraire qu’à force de ne rien faire au centre on a laissé les mains libres à Cyrus. La Reine-Mère Onerra N’Sadranna, représentante des drows, trouve aberrantes les concessions territoriales promises par Grsk aux Githyankis d’autant que la tactique initiale combinant les forces diurnes et nocturnes avait fait ses preuves. Elle rend aussi Keraptis responsable d’une excessive diversité raciale des alliés, notamment de races supposées intelligentes qui, quand bien même incomparablement inférieures aux drows, rendent sans cesse plus difficile une coordination efficace. Iggwilv souligne que Vraxer s’obstine stupidement en Dariolan au lieu de défendre ses domaines dans le centre du continent. Iauwë accuse Keraptis de s’amuser tout seul en Wejlar au lieu d’employer intelligemment et utilement ses forces, par exemple en prenant les impériaux à revers en passant par le Prias afin de cibler Pellanore ou Naù. Keraptis réplique dédaigneusement qu’il est le seul, lui, à avoir pris une capitale. Et ainsi de suite. Le seul point d’accord général se fait sur la traîtrise de ce salaud d’Iliokè égoïstement enfermé dans Inglocetir et qui par surcroît jouit désormais du statut protégé de la vallée d’Arlve édicte juste après sa conquête. Au bout du compte, un triumvirat provisoire comprenant Grsk, Molior et Vraxer est constitué jusqu’à la prochaine réunion prévue à Myskrband sous l’égide d’un Nourricier dont on accepterait les arbitrages. Pour le reste, chacun rentre chez soi, au mieux renfrogné, au pire furieux.
Grsk est inquiet. Depuis longtemps Iauwë lui semble mentalement instable. La Reine-Mère Onerra N’Sadranna partage son opinion : même pour un Second Héritier, elle est bizarre. Elle n’a pas véritablement conduit l’invasion du Kelnore, se contentant seulement de la déclencher sans demander l’avis de quiconque. Elle demeure la plupart du temps tapie dans son antre secret où elle mène des recherches qui vont, selon elle, renverser la situation.
Même pour un Second Héritier en effet, Iauwë a connu un parcours particulièrement tumultueux. Seule elfe parmi eux, mixte en ce que née d’une mère Aldaquendi et d’un père Sindar, longtemps déguisée en drow, capturée, violée, vendue, rééduquée par des drows, re-échappée, dominée mentalement, libérée, re-capturée, re-re-libérée… Bref : entre les influences et souvenirs de sa forêt natale, de la Maison Tormtor, d’un Aboleth qui l’a assujettie pendant des décennies, passée des tentacules d’illithids libérateurs aux frêles bras de son copain Iliokè avec, au milieu, des amours intenses et étranges avec un beau guerrier qui s’appelait Morgan Whistlestone, le psychisme de cette sorcière, en apparence calme, douce, méthodique, n’est pas un modèle de stabilité. Keraptis annonçait avec une certaine prescience qu’elle rejoindrait un jour l’école de Xionne coomme on finit à l’asile de fous.
Est-ce l’inquiétude de ce que l’invasion du Kelnore serait en train d’échouer ? La fureur de voir les territoires de Vraxer dans ce qui est aujourd’hui le Middle-Empire joyeusement réintégrés chez le Naëmbolt ? La culpabilité de se croire à l’origine de pareils ratages ? La jalousie envers cette magistrale Iggwilv qui prétend gouverner jusqu’aux Princes Démons et qu’un grand destin d’impératrice semble attendre en Tangut ? Le désir de leur montrer à tous, ses potes Grsk, Iggwilv, Iliokè, ces prétentieux Molior ou Vraxer, cet intrigant de Keraptis, de quoi elle est, elle aussi, elle d’abord, capable ?
Car elle est assurément capable, la « petite » Iauwë comme l’appelle un Molior qui n’omet jamais cette épithète ; capable d’être ce mage qui va inventer le Myth, ce sort chaque fois unique qui modifie profondément et durablement l’espace-temps à l’instar d’un dieu. Ce sortilège, que personne ne connaît ni ne soupçonne alors, Iauwë l’a secrètement élaboré et alimenté avec les plus terribles puissances. Elle est allée drainer le Chaos originel au plus près de ses portes scellées afin de le laisser la traverser et sa puissance imprégner son corps.
Dans la nuit du 2 Aquarius 4621, par un froid glacial, alors que le ciel sans lune n’était éclairé que par les étoiles, Iauwë lança le sortilège qui sera connu et maudit sous le nom d’Iauwish. Les témoins de la catastrophe, à Pellanore, Gelkard, ou Garlin’s Hall, racontèrent que le ciel s’était soudainement empli de nuées sombres d’où jaillit un seul éclair nimbé de verdâtre puis que la terre trembla longuement, pendant plusieurs minutes, dans un bruit qui ressemblait à un lourd craquement ou un déchirement pendant que résonnait les hurlements de tous les animaux affolés. Immédiatement ensuite, une pluie intense, épaisse, éteignant toutes flammes, obscurcissant toutes choses, s’abattit sur presque toute l’étendue du pays de Kelnore dans un énorme vacarme qu’on entendait jusqu’à dix lieues. A cette pluie se mêlaient d’énormes grêlons coupants et acérés, frappant avec une force surnaturelle comme s’ils étaient projetés depuis au-delà du ciel. Personne n’osa pénétrer cette herse d’eau et de glace qui s’étendait sur des centaines de lieues sans interruption. Elle dura dix huit heures : le temps qu’il fallut aux dieux pour réparer la déchirure faite par Iauwë dans le tissu de l’Univers ; Ukko, Râ, Isis, Ptah, Balder, Hermès, Athéna, Arès, Gond, Silvanus et même des Princes de l’Enfer comme Asmodée, Tiamat, Dispater, luttèrent pour refermer le ciel.
Dans la nuit du 3 au 4 Aquarius, la pluie s’arrêta et le silence tomba. Tous tremblaient : les animaux comme les hommes, les elfes comme les orcs. Cette nuit-là, en Empire, en Anarchy, en Prias, en Ariandor, chez les Stroelyns, les Kuneskis, orcs et kobolds, gnolls et elfes noirs et elfes des bois, fidèles effrayés et désemparés envahirent les lieux de prières et supplièrent leurs prêtres qui tous, quelque soit leur obédience, répondirent : un immense malheur est arrivé. Et partout on attendit la levée du jour. Au matin, dans la lumière brouillée par les nuages, là où il y eut le Kelnoreland n’était qu’un vaste creux, un contrebas empli un lac immense, sombre, constellé de débris d’êtres de toutes sortes, de choses, de débris de maisons, de plantes mortes, eaux charriant le cadavre émietté de tout un pays, de toute une civilisation, et dont le niveau montait lentement, heure après heure, jour après jour.
Iliokè, ancien amant et toujours ami d’Iauwë, fut le seul qu’elle avait averti de ce qui allait se passer. Elle espérait peut-être encore le séduire ou l’impressionner, ou obtenir son appui et un refuge chez lui. Iliokè fut ainsi le seul à anticiper un profit de la catastrophe et pouvoir à préparer les installations nécessaires.
Pendant l’Iauwish, des millions d’êtres vivants sont morts. Ainsi, l’eau de la Kelnessea montante contenait des milliers de litres de sang, au point que les premiers qui la découvrirent l’appelèrent d’abord Vayorinne, le lac de sang, suivant la coutume alors encore usitée de baptiser les lieux de noms Sindarins. Au moment où la pluie commençait de tomber, Iliokè invoqua un double portail proche de l’épicentre de l’Iauwish afin que s’y écoule et en revienne l’eau ensanglantée des premières heures de la Kelnessea. De l’autre côté, ce liquide transitait par un gigantesque laboratoire servant à récupérer le sang qu’il contenait. Mais l’eau ainsi séparée était encore imprégnée de la magie de l’Iauwish et de la faille qu’elle ouvrit dans l’univers pendant des heures. Iliokè, astucieusement, réemploya cette magie afin qu’une proportion de cette eau mêlée au sang extrait suffise à maintenir celui-ci à l’état liquide et à température constante où qu’il se trouve, et lui transfère certaines propriétés susceptibles de bénéficier à [ce] qui l’absorberait. Cette solution de sang aqueux et magique fut ensuite répandue sur sa tour d’où elle s’écoula vers une grande rivière périphérique, formant une sorte de douve en anneau autour de la Citadelle selon un dispositif encore aujourd’hui en place.
Les elfes qui découvrirent Minas Inglocëtir ensanglantée au centre d’une ceinture de sang tiède l’appelèrent depuis Minas Sercë, c’est à dire Blood Tower, au centre de Tol-Sercë : Blood-Isle. Cette appellation plut assez à Iliokè qui la conserva.
En une nuit, le premier myth spell jamais lancé sur Derenworld fit disparaître une civilisation que des siècles avaient façonné pour en faire l’une des plus évoluées du monde. Les pertes sont à tout points de vue incommensurables, aussi bien en êtres vivants qu’en richesses économiques, culturelles, artistiques ; on évoque au moins cinquante millions d’humains et humanoïdes ; quant aux animaux…
C’est aussi la fin des Seconds Héritiers en tant que collectivité ; chacun suivra par la suite son destin personnel sur Derenworld. Dans un premier temps Grsk, Keraptis et Vraxer, effrayés par les conséquences du crime d’Iauwë, renoncent à leurs possessions terrestres. Mais assez vite ils imiteront les autres, et leurs lieutenants, qui vont profiter de la terreur qu’inspire alors la puissance de la magie démontrée par Iauwë pour entamer ce qui deviendra la All Wizards’ War. Dans les décennies qui suivent, la Great Anarchy et les terres qui sont ou furent contrôlées par les Seconds Héritiers deviennent, avec le Vizan, les principaux pourvoyeurs de toutes sortes de condottieri mages qui se transformeront bien vite en conquérants pour eux-mêmes.
La dislocation des Seconds Héritiers est définitive. Cela fait d’ailleurs plusieurs années qu’Iliokè, Molior ou Iggwilv n’ont en réalité plus grand chose à faire avec les autres. Grsk, Keraptis et peut-être Molior Dragonskull séjourneront à Helkmoor pour y choisir une mort-vie qu’Iliokè maîtrise déjà fort bien par lui-même. Iggwilv continuera un temps de bénéficier d’Elixirs de Jeunesse qu’elle a acquis à prix d’or à Myskrband. Keraptis écumera le monde et même les mondes. Vraxer vieillissant deviendra néanmoins l’un des grands conquérants de la All Wizards’ War avant de passer la main à son fils Ojrok Vraxeri, qu’on retrouvera plus tard aux côtés de Molior et de Keraptis. Grsk bataillera ferme lui aussi mais il sera défait par Molior et contraint de finir par s’enterrer on ne sait où.
Aucun ne reste en Great Anarchy sauf Iauwë, mi-démente, l’esprit habité par les puissances chthulhoïdes qu’elle a suscitées et entourée d’étranges races qui profitent de l’aubaine pour s’implanter dans et le long de ce Kelnore devenu mer intérieure.
En tant qu’Etat, la Great Anarchy est durablement réduite à l’impuissance. Elle a perdu dans la submersion du Kelnore les deux tiers de ses armées, dont les meilleures forces. Les githyankis, géants, trolls, gnolls d’élite, tous gisent avec les kelnoréens et trois légions impériales dans les eaux maudites qui les ont engloutis avec leur champ de bataille. Surtout, plus personne, roi gobelin, orc, kobold, n’a plus la moindre confiance en elle. Brutalement coupée des Seconds Héritiers dispersés, la Great Anarchy cesse d’exister en tant qu’empire continental et se réduit à ses terres originelles, celles des Citadelles du nord, prolongées à l’est par les conquêtes des Premiers Héritiers, à l’ouest par celles des Seconds, tenues par des troupes indemnes de l’Iauwish temporairement aidées par Keraptis.
Comme toutes les contrées du monde, elle servira par la suite de terrain de manoeuvres à la All Wizards’ War. Elle échappera aux représailles en étant sauvée à l’ouest par à la disparition du Wejlar en tant que grande puissance au terme de la Grande Guerre des Hommes de 4636, à l’est par la rupture entre Avros et le Bervikelt qui prive ce dernier de capacités offensives, au sud par la frontière naturelle que forme la nouvelle mer du Kelnore et par l’affaiblissement de l’Empire en proie lui aussi aux ravages des sorciers en guerre. Mais pendant toutes ces décennies, les factions et fractions de la Great Anarchy ne cessent de se déchirer et de s’entredétruire, cela jusque bien après 4663 et l’entrée en vigueur de la Convention de Bakor. Durant la quasi totalité du XLVIIIe siècle, le pays n’est qu’une proie à l’anarchie qui lui donne son nom.
Toutefois, pendant ce siècle, malgré ou grâce aux guerres, la Great Anarchy évolue considérablement. Plus que jamais anarchie, en ce que composée de parties se méfiant radicalement les unes des autres, son peuplement se répartit en quatre zones définies et nommées par les géographes de Poutak. Au nord, les territoires traditionnels des citadelles, des dragons blancs, des drows et duergars. A l’est, une mosaïque de fiefs où prédominent les giantkin, trolls, ice-gnoll, kobolds, gobelins, que ces géographes regroupent sous le nom général d’Icefolk, et dont le rattachement à la Great Anarchy relève parfois davantage de la théorie que de la réalité. A l’ouest, une zone peuplée principalement d’orcs, ogres, de gobelins aussi, morcelée en petits territoires mais capables de se coordonner pour faire face aux ordres de chevaleries des marches wejlanes ou impériales ; cette zone développe aussi une agriculture et même un commerce autour de Ganarbe et de Yengli, grande cité orc qui émerge à la fin du siècle, grâce aux impulsions venues de la côte méridionale ; les géographes ont donc choisi de l’appeler Urukinia, « la contrée favorite des orcs ».
Et enfin, au sud, les nouveaux arrivants. Illithids, aboleths, kuo-toas, forment une caste dominante autour de Poutak et surtout de Yu D’leh, importante cité portuaire dressée sur une étrange île apparue au nord de la Kelnessea et où Iauwë s’est réfugiée. Grâce à eux, et peut-être grâce à elle, Poutak connaît un essor sans commune mesure avec son passé et ses richesses naturelles. En témoigne l’apparition de divers sages, dont notamment des géographes, qui bénéficient des d’archives des excellents travaux de l’état-major de Grsk.
La Kelnessea est devenue rapidement une ressource halieutique de première importance, fort bien exploitée par les peuples désormais côtiers de la Great Anarchy. Le tandem Yu D’leh – Poutak initie puis développe un commerce et une économie croissantes, avec une société hiérarchisée dans laquelle les prêtres, les illithids et les drows encadrent fermement des populations où les principes chaotiques demeurent profondément enracinés. Dans Yu D’leh la Seconde Héritière Iauwë, qu’on appelle la Folle Reine, dissimulée et aux trois-quarts folle, organise dans ses moments de lucidité le fief autonome le plus étendu et désormais le plus riche du pays, qu’elle a choisi d’appeler Loskelnaï, ce qu’on pourrait traduire par « le lointain meilleur du Kelnore ». Au cours de l’All Wizards War, où elle défend victorieusement « son » Loskelnaï, elle (re)gagne l’estime ou l’alliance de diverses puissances. Après la Convention de Bakor, il s’avère ainsi qu’elle bénéficie de l’appui de l’Ecole de Xionne, des drows, des illithids et aboleths, de plusieurs autres Citadelles à commencer par celle de son vieil ami le Grand Maître Iliokè de Blood-Isle.
Un peu au nord, à la frontière entre Loskelnai, Urukinia et Territoires des Citadelles, se situe Gaùruil où règne Niokas Vraxeri, fils puîné de Vraxer, installé là par son père avec l’assentiment de Grsk. Il nourrit une solide inimitié envers Iauwë et Yu D’leh car il abhorre physiquement les illithids et fera même appel à des beholders pour se prémunir d’eux. Néanmoins, sous son impulsion, la Citadelle de Gaùruil continue de servir pendant des décennies de fanal de la Great Anarchy « classique » et de noeud de communications politiques, y compris avec Poutak, Yu D’leh, ou Blood-Isle.
La répartition définie par les géographes de Poutak permet pour la première fois d’envisager la Great Anarchy comme un tout, certes très disparate, mais dont les composantes sont repérées avec suffisamment de pertinence pour pouvoir les appréhender de manière appropriée à chacune. Cette oeuvre a aussi pour effet indirect de cimenter la Great Anarchy avec une efficacité inattendue.
Jusqu’alors, Hornst ou ses Héritiers procédaient par simple contrainte en employant un rapport de forces qui leur était favorable, souvent grâce à l’emploi massif et brutal de la magie. Dans un monde désormais doté d’une Convention de Bakor, il faut penser et agir autrement. Petit à petit les sages géographes, puis ethnologues, puis biologistes de Poutak, d’abord illithids puis admettant d’autres races, composent les tomes de la Geographia Meganarkian, dont le corpus central sera complété de nombreux appendices et addendas, qui constitue un ouvrage et un outil aussi rare que précieux pour qui veut comprendre comment les choses se passent dans une contrée aux peuplements aussi disparates. Sa connaissance s’avèrera décisive et même indispensable aux Terribles et Effroyables Présences et Puissances que sont les Hiérarques de la Meganarkia, caste de dirigeants qui s’inspire des structures du Loskelnaï et de son modèle bureaucratique pour doter le pays d’une colonne vertébrale administrative. Accessoirement, ce sont les auteurs de cet ouvrage qui donnent au pays ce nom « scientifique » qui deviendra aussi son appellation diplomatique.
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NOTES
* Le Vizan est créé avec Derenworld en 1979. Son trône de jade, à la fois en tant qu’objet matériel et périphrase de sa monarchie, est antérieur au roman éponyme publié en 2006…
** Les informations relatives à cette réunion ont été enrichies par l’Imperial University of Magicks et le Cercle d’Evlin grâce à la découverte récente de manuscrits et documents d’Iggwilv par une expédition menée notamment par Arkenan, actuel Paladin Glade.
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