Contrée de Great Anarchy : 3e partie

15 juillet 2018 par Kazz → Atlas

Bon ben alors voilà : je ne peux pas raccourcir. La trame de ce qui est raconté ici est l’une des plus anciennes histoires créées pour Derenworld et je la trimbale depuis plusieurs décennies. Je pensais qu’elle tiendrait en un article mais il s’avère que la synthétiser n’est pas si facile car elle a aussi reçu son lot de sédiments supplémentaires avec le temps. J’ai donc fini par prendre le parti inverse, ce qui allonge la narration au delà des trois articles prévus originellement pour la Great Anarchy. Je suis désolé que ce récit s’interrompe donc en son milieu pour le moment, et aussi pour des raisons pratiques (lisibilité), mais l’article suivant est déjà bien avancé. 


V – La création de la Great Evil Coalition

Une longue et patiente genèse

Il faudra bien des décennies de réflexion à bien des esprits pour tirer les conséquences de la All Wizards’ War. Keraptis et Grsk passent près d’un siècle à devenir des liches en des lieux soigneusement tenus secrets. Pendant ce temps, Molior Dragonskull séjourne à Myskrband où il négocie et obtient de recevoir du sang de dragon qui le rend, suppose-t-il, quasi immortel. Grsk, auparavant défait par Molior Dragonskull en combat singulier, s’enferme dans sa tombe pour y cuver une inextinguible haine. Mais Keraptis, dès qu’il acquiert la maîtrise de sa nouvelle condition, agit.En quoi il est pratiquement le seul. Seul en effet, Keraptis croit encore que les Seconds Héritiers conservent un destin collectif sur Derenworld, à condition de le penser différemment du passé. Car, à part Iggwilv, tous les autres sont apparemment encore là lorsque Keraptis émerge de sa cachette. En bon négociateur, assurément le meilleur d’entre eux, il va tenter de les convaincre un par un et pour cela, il faut commencer par renouer les fils.

Keraptis envisage de commencer par Iauwë, constatant qu’elle a beau passer pour demi ou même trois-quarts folle, elle n’en pas moins réussi à construire en Loskelnaï une structure d’Etat meganarkien qui appparaît relativement stable (selon les normes locales…) et même prospère autour de sa personne. Mais elle demeure murée dans Yu D’leh, sourde à ses tentatives de reprise de contact. Il n’a pas plus de succès auprès de Molior Dragonskull qui a conservé de vastes domaines dans les pays Icefolk et avec qui il a une courte entrevue à Sylax  : même pour un diplomate aussi souple que Keraptis, ce Molior qui s’amuse à le traiter de thanato sapiens ou de putréfaction ambulante est décidément bien trop imbu de lui-même, méprisant, désagréable à tous égards, pour permettre une conversation constructive.

Vraxer le Conquérant pourrait en revanche représenter une piste fructueuse. Encore faut-il le retrouver. Devenu l’un des plus grands mages-seigneurs de guerre de la All Wizard’s War, célèbre pour ses effroyables armées d’undeads, il a amassé des fortunes colossales qu’il a léguées à son fils, Niokas Vraxeri, qu’il avait auparavant installé à la tête de Gaùruil. Après quoi, selon ce même fils, il est passé à l’ennemi. Ainsi Keraptis, enfin reçu avec tous les honneurs qui lui sont dus par Niokas, apprend avec stupéfaction que son pair Vraxer, Grand Nécromant d’Helkmoor, Sudelyn Arch-Mage, conquérant en situation de devenir un des rois du monde, a tout laissé tomber pour adhérer à la Convention de Bakor. Il a rejeté la tutelle morale des Citadelles, son passé de second Héritier d’Hornst, sa gloire et ses fortunes de guerrier pour finir sa vie et mourir de vieillesse dans un ermitage du désert proche de Bakor. De ses six enfants, il n’y a que trois qui survivent dont Niokas, le puîné, qui demeure attaché à la Great Anarchy en général et à son trône de Gaùruil en particulier. Niokas s’entend assez mal avec Ojrok, l’aîné, intronisé chef des armées de son père, qui fut longtemps une sorte d’aventurier louant ses services aux Citadelles et méprisait un peu son cadet planqué derrière des murailles qu’il n’a pas conquises. Quant à Aiguebelle, la petite dernière, elle aurait trouvé le bonheur en Forêt d’Obsidienne auprès d’un chef orc avec lequel elle s’occupe à pondre des flopées de demi-orcs.
Niokas, du coup, se sent un peu seul, et réserve un très bon accueil à la liche Keraptis. C’est aussi que le fils de Vraxer n’est plus tout jeune : à plus de 70 ans, il sait qu’il n’a et n’aura pas pas les talents nécessaires à être un grand roi ni à devenir liche et n’envisage pas de le faire. Sa vie a consisté à s’accrocher à Gaùruil autant qu’il le pouvait, principalement grâce aux richesses dont il a hérité et qui lui permettent d’acheter une tranquillité que ses seules capacités ne lui procureraient sans doute pas. Il a su ainsi s’entourer d’une force de mercenaires humanoïdes, notamment d’orcs et de géants, qui, les décennies passant, on pris coutume de lui être fidèles et même attachés. Car c’est un homme d’un commerce aimable qui cherche à nourrir de bons rapports avec quiconque, notamment les représentants d’Iauwë, de maisons drows, et même de Molior ; Niokas, qui sait faire preuve quand il le faut d’une certaine munificence, sait aussi flatter ses interlocuteurs d’autant mieux qu’il éprouve authentiquement respect, crainte, et admiration envers eux.
Niokas trouve en Keraptis l’allié qui lui manquait et Keraptis en Niokas l’appui qu’il recherchait. Tous deux ont un tempérament de négociateur capable de rechercher le compromis et conscient qu’un mauvais accord vaudra toujours mieux qu’une bonne défaite. Keraptis imagine qu’il réussira à rabibocher les deux frères, ce qui permettrait de récupérer l’héritage matériel, moral et militaire d’un des plus grands généraux que la Great Anarchy ait produit. Mais il faudra pour cela détacher Ojrok de Molior Dragonskull, sous la coupe duquel il est passé, et qui lui infuse de quoi survivre à un âge désormais très avancé.

Et Iliokè ? L’ex d’Iauwë consent à recevoir Keraptis pour lui montrer  combien on se sent merveilleusement bien dans sa Blood Tower et lui demander comment va Iauwë au fait ? Et à peu près rien d ‘autre. Au sortir de l’entretien, Keraptis a compris qu’Iliokè le prend pour un vestige du passé qui ne peut souffrir la comparaison avec l’éclatante réussite du maître de Blood-Isle.

Reste enfin Grsk. Le vieux complice. Celui qui ne l’a jamais trahi. Mais Grsk est très affaibli moralement et physiquement. Il n’a pas parfaitement réussi sa transformation et n’est pas une liche bien puissante. Son psychisme est profondément atteint, tant par les défaites personnelles et collectives que par sa condition. Il accepte toutefois la visite de Keraptis qui a bien du mal à redécouvrir le patient stratège et organisateur sous des bouffées de haine alternant avec périodes de prostrations mélancoliques ou désespérées. Mais même diminué quasiment de moitié, cette liche reste Grsk.
Celui-ci a choisi de régner en Underdark. En quelques années, il y a fait d’intéressantes découvertes et noué des contacts prometteurs. Pendant ses périodes de sagesse et de lucidité, Grsk s’est souvenu de l’importance des drows dans l’histoire des Citadelles du Nord. Il a ainsi péniblement réalisé qu’il aurait peut-être dû mieux tenir compte des réticences de cette Reine-Mère Onerra N’Sadranna qui ne doit pas être si conne que ça puisqu’elle règne quand même depuis des siècles sur les maisons drows du centre du continent. Keraptis sait que les Seconds Héritiers sont durablement grillés auprès de la Reine-Mère mais cette conversation le ramène au souvenir d’autres drows qu’il a fréquenté dans l’ouest et en particulier d’une maison Eilservs dirigée par une matrone dont l’envergure intellectuelle l’avaient impressionné. D’autre part, les connaissances de l’Underdark acquises par Grsk l’impressionnent et l’incitent à rechercher comment les employer.

Au sortir de ces rencontres modérément fructueuses, Keraptis a surtout compris que les choses ont changé, ne serait-ce qu’au vu du dédain avec lequel on le considère. Etre mage, au XLIXe siècle n’a plus rien à voir avec ce qu’il en était deux siècles plus tôt. Le prestige de ce métier est au plus bas tandis que la Roue de Bakor veille et agit. Keraptis a beau avoir les pouvoirs d’une liche et encore de considérables trésors monétaires, toutefois bien entamés par les frais de sa lichdom, il ne compte plus pour grand-chose dans ce nouveau monde qu’il découvre depuis sa transformation.
Alors, sagement, il va entreprendre de voyager. Il va visiter le monde entier afin d’y apprendre encore et encore. Il restera longtemps en Tangut, sur les traces d’Iggwilv et de ses intrigues compliquées avec les princes démons. Il y fera la connaissance d’un étrange magicien qui se prétend et réclame son descendant : un dénommé Gilibert Szeiheitt, qui montre de grandes ambitions, avec lequel il noue une solide amitié. Il est accueilli en Vizan à son école de Sudel qui l’initia à la magie et s’y enferme longuement pour réfléchir. Il séjourne aussi en Confédération puis en Wejlar, où il rencontre les Eilservs qui le traitent avec mépris mais il s’y attendait, puis en Empire et en Eriendel et enfin à Zevjapuhr, sa ville natale. Il attend que la chance lui sourie. Mort-vivant, le temps ne compte pas pour lui.

La première opportunité se présente enfin au printemps 4809 lorsqu’il apprend, à Zevjapuhr, que le Sultan d’Okhpuhr s’est fait dérober l’Ineffable Jacinthe, légendaire joyau de son trésor, et qu’il a envoyé des sbires la rechercher activement dans les rues de Zevjapuhr en général et dans celles menant à la Guilde de la Benvenenta Fraternita en particulier. Quelques sortilèges bien choisis lui permettent de retrouver la chose et de la ramener à Izar II le Balafré, Sultan depuis moins d’un an, dont la popularité flageolait depuis que la nouvelle du larcin, malencontreusement éventée, pimentait toutes les conversations de sa capitale. Izar II était bien plus malin que son physique de baroudeur renforcé d’une impressionnante balafre, souvenir d’un voyage maritime qui ne s’était pas très bien passé, ne le laissait croire au premier abord. Quatrième fils que précédent le sultan, Pullevar le Joyeux, avait obtenu de sa deuxième épouse, il avait étudié avec les meilleurs précepteurs vizaners les meilleurs moyens de disqualifier ses aînés dans l’ordre de succession afin d’être couché en numéro un sur les dernières volontés de son cher papa, ce qui avait été le cas. Il est d’ailleurs probable que le larcin qui lui faisait tant de tort ait été commandité par son rival Ikzoar, qui fut décapité le lendemain de l’arrivée du sauveur Keraptis. Ce dernier découvrit un prince remarquablement intelligent, cultivé, et dépourvu de scrupules. Il lui proposa donc une alliance et Izar éclata de rire.
« Mister Keraptis ! Vous n’êtes pas, pas du tout, capable d’être mon allié ! Un sorcier, j’en loue un ou plutôt une, de Xionne, je préfère les femmes. Elle est très bien et elle me coûte le travail de deux cent esclaves : une babiole. Et avec ça, j’ai tous les services dont j’ai besoin. Tenez, elle m’a très bien renseigné sur vous, par exemple. Qu’est-ce que c’est qu’un mage aujourd’hui ? Un prestataire. Essayez donc de reprendre Dariol ou Dilanovia à coup d’éclairs, de tempête de feu, de je ne sais quoi : vous serez en moins de deux mis dans une cage pour dix siècles, dans le meilleur des cas. Le pouvoir aujourd’hui c’est  l’argent, la terre, les hommes. Vous n’avez pas les deux derniers et pour le premier je suis aussi riche que vous. Mais je vais vous faire une fleur. J’ai un château, dans le nord du pays, à Reyff. Je vous le prête pour cent ans, en remerciement du service que vous me rendez. Vous y serez chez vous avec, mettons, trois cent esclaves. Et vous venez à ma cour quand vous voulez, nous causerons. »

Keraptis accepta, bien entendu. A Reyff, il rédigea un journal contenant ses interrogations, découvertes, projets, et notamment la tirade que lui avait sorti Izar le Balafré, qui lui fit un choc. Pour la première fois, un prince humain lui parlait en toute franchise et en toute clarté. Il n’ignorait pas que pour Izar la chose était aussi tout bénéfice : il obtenait la présence d’un Arch Mage à moindres frais, et pas n’importe lequel. Mais les nombreuses conversations qu’il eut avec le sultan dépassent de beaucoup le cadre de la relation d’affaires. Etant d’origine zevjane, Keraptis connaissait bien l’esprit et les moeurs des okpuhrans, notamment leur mélange si particulier de raffinement matériel, de franc-parler brutal et d’arrières-pensées soigneusement celées ; le sultan et lui se trouvèrent donc rapidement et aisément en complicité intellectuelle. Il nota en particulier cette remarque d’Izar : « Les drows ne vous respectent pas, vos ex-collègues ne vous respectent pas : ils ont raison, puisqu’ils sont toujours là. Dans votre branche, avec votre gueule de squelette, vous ne pouvez pas régner par l’amour, et vous n’êtes plus en mesure de régner par l’intrigue : vous n’emportez plus la conviction de personne. Donc vous devez régner par la peur, ou au moins par la crainte. Alors, alors seulement, vous verrez les alliés revenir et les vassaux se soumettre. »

En 4812, un complot ourdi par un Atazoen II, qui se prétend le fils du dernier empereur usurpateur, échoue à Ilnaëmb. Le nouvel empereur Naëmbolt, Irwin V, apprend opportunément qu’Iliokè soutenait activement ce complot, comptant sur Atazoen II pour contrôler indirectement l’Empire. Quelques jours plus tard, Iliokè est officiellement déposé de sa Blood Tower et remplacé par un certain X, qui sera révélera plus tard sous le nom de Loki Hellson. Ce même X a accompli les mois précédents pas moins de 18 voyages à Castle Reyff. On n’a jamais retrouvé trace d’Iliokè depuis lors.

En 4825, le roi d’Arkandahr Jubal II entreprend les vastes conquêtes qui doubleront in fine la superficie de son royaume. Son attaque se porte sur les terres alors contrôlées par les vassaux et alliés de Molior Dragonskull. Celui-ci envoie depuis Sylax une importante armée composée notamment de géants et trolls des glaces, afin de mettre au roitelet d’Hillbreak la raclée qui lui apprendra à rester à sa place. Quelques semaines plus tard, près de Fréas en l’Isle (Freax-Isle), les armées se font face ; Molior se téléporte alors depuis Sylax et, invisible, part survoler le champ de bataille afin d’en connaître la topographie pour mieux donner ses ordres. Il n’en est jamais revenu. Le même jour la mage personnelle de Jubal II, une certaine Tia Pekira, présente depuis peu à ses cotés, disparaît elle aussi, et n’a jamais été retrouvée.
Privée d’instructions, l’armée de Molior succombera le lendemain aux forces parfaitement coordonnées des arkanders, non sans une farouche résistance des trolls emmenés par le chef Hir Trollvak qui réussit d’ailleurs, mystérieusement, à s’échapper, pour réapparaître quelques jours plus tard promu généralissime (« War-Khan ») de Niokas à Gaùruil.

L’année suivante, privé des philtres de Molior, Ojrok meurt de vieillesse et de maladie, peut-être hâtée par le poison. Les forces orcs battent en retraite face à Jubal mais demeurent unies grâce à Ziush, un nouveau chef, qui émerge dans la défaite en les ralliant grâce au soutien de ce même Keraptis qui est l’illustre vainqueur de Skanden Manor et a deux siècles plus tôt mené les orcs à tant de victoires dans l’est du Wejlar. Keraptis en profite pour noter la brillante intelligence du jeune fils de Ziush : Niush, qu’il voit promis à un fort bel avenir et prend rapidement sous sa protection.

A partir de cette date, les choses commencent à changer pour Keraptis. Il est reçu avec les honneurs un peu partout. Et surtout, entre Gauruil et Reyff, nanti de conseillers aussi variés que le sultan Izar, le jeune orc Niush, le prudent Niokas, l’expérimenté Grsk, ou encore la matrone drow Eclavdra des Eilservs, il élabore la stratégie qui va donner lieu aux triomphes à venir.
Le calcul est simple : s’il n’y a plus de magie « politique » alors, comme l’énonce Izar, le pouvoir se mesure en hommes, à l’argent, aux terres. Dans guerre sans magie, la meilleure armée l’emporte : la plus nombreuse, la mieux entraînée, la plus vaillante, la mieux équipée. Question équipement, le physique des ogres, trolls, gnolls ou géants surclasse naturellement leurs adversaires. Question nombre, les orcs, kobolds ou gobelins assurent. Les uns et les autres ne manquent pas de vaillance naturelle et d’ardeur au combat. Reste l’entraînement, à tous égards et dans tous les sens du terme : la qualité de manoeuvre, la cohésion des troupes, mais aussi et surtout l’entraînement de l’ensemble des forces en mouvements coordonnés et cohérents, animés de volontés au moins compatibles, voire communes, exécutant un plan d’ensemble à tous niveaux : tactique, stratégique, mondial. Il y faut un vétéran, un spécialiste de la chose militaire non plus à l’ancienne mais au contraire moderne, sans magie décisive ni même auxiliaire. Cette perle, Keraptis ne l’a pas. Il n’envisage pas de faire appel à ses vieux alliés Githyankis qui, comme les drows, méprisent bien trop les autres races pour s’occuper d’elles. Les anciens cadres des armées des Seconds Héritiers sont tous décédés ou éparpillés et ont tous exercé à une époque où la magie gagnait les batailles.

A cette époque, la fille de Vraxer, Aiguebelle Vraxeri, devenue veuve, décida de rendre visite à son frère Niokas. C’était une vieille dame flanquée d’une tripotée de demi-orcs qui ne cessait de se plaindre que son fils aîné l’ait sans ménagement expulsée de ses pénates au motif qu’elle lui préférait un de ses cadets. Au cours d’une conversations à laquelle Keraptis assistait, elle vint à donner quelques nouvelles de l’un de ses innombrables petits-enfants, Bloghu le Fracasseur, qui exerçait ses talents dans une bande si bien préparée par son chef qu’elle était capable d’affronter en rase campagne des régiments Naëmbolts. Ainsi Keraptis apprit-il l’existence de Vlad Holghing.
Ce guerrier dans l’âme, fils d’une fille facile, avait débuté comme garde du castel farxelois où sa mère prodiguait ses services. A ses 17 ans, cherchant une vie plus palpitante, il était parti explorer les Ered Dawn jusqu’en Empire où il se fit embaucher en tant que mercenaire auxiliaire des patrouilleurs d’Haldwarrow. Il donna toute satisfaction à ses supérieurs et fut promu aux fonctions d’éclaireur attaché à la IXe puis à la VIIe légion avant de passer capitaine dans les armées d’Arkandahr. Après quoi il choisit de devenir Red Monk et vécut pendant plusieurs années à K’Chunga en Arlve, dont il sortit pour entreprendre de fédérer et diriger des bandes principalement composées d’orcs et demi-orcs qui menaient la vie dure aussi bien aux elfes d’Ariandor qu’à ses anciens employeurs de la VIIe Légion, esquissant ainsi une prometteuse carrière de potentat du Silverdon. Il demeurait dans un gros castel que ses troupes s’employaient à remettre des ravages de la All Wizards War. Keraptis se téléporta chez lui, dans son donjon, sans que cela paraisse l’impressionner le moins du monde. Il évoqua des plans mirifiques, des armées gigantesques, des gloires fabuleuses, l’appui des drows, la puissance des Citadelles, sans arracher autre chose qu’une impavidité bloquée en mode sceptique. Finalement, Keraptis se tut. Vlad continuait de le regarder tranquillement. Finalement, avec une lenteur délibérée, il reposa sa pipe, expira une bouffée de fumée bleue, et se mit à parler.
« Tu t’énerves pour rien, mec. Qu’Arès me tripote mais pourquoi que j’m’acoquinerai avec une saloperie de liche, des noir-elfes qu’ont la trahison génétique, et tous tes potes ombreux, noirauds, draconiques, vermine, qui sont tous experts en coups les plus tordus possibles ? T’es sérieux ? Parce que tu vois, là, moi, je suis bien, j’ai un grand chez moi, une armée, mes gens, ma forteresse, mes laquais, du gibier tout ce qu’il faut, et même du vin ! Une caravane, y a deux semaines, provenance de Gelkard… J’ai même des baisables minettes Stroels qui m’la sucent quand j’veux. Et toi, pauvre morte-chose, tu peux pas goûter à tout ça. La bite, le pinard, les petites joies de la vie, tu sais plus ce que c’est. Alors t’as des ambitions royales, cataclysmiques, comme ta compère Iauwe qui submerge tout un pays. Bon, tu t’amuses comme tu peux, hein. Mais tu dois avoir sacrément besoin de moi sinon je serais déjà mort ou enslavé. Donc pourquoi que tu me demandes pas simplement ce que je veux ? »
Vlad accepta de mettre ses talents au service de Keraptis moyennant des centaines milliers de pièces d’or et la promesse de bien plus. Plus de la moitié des réserves financières de la liche y passèrent, mais aucun recrutement ne lui fut plus utile que ce jeune vétéran.

L’observateur peu avisé s’étonnera peut-être de ce que l’Arch-Mage Liche Keraptis, Héros et Hiérarque de la Great Anarchy, vainqueur de tant de batailles, dont le nom était depuis longtemps connu dans le monde entier, accepte d’être traité par beaucoup de ses interlocuteurs avec condescendance, voire avec mépris, de manière indigne de ses hauts faits. Ce serait négliger sa nature profonde autant que ses capacités : Keraptis est avant tout un négociateur nanti d’une intelligence exceptionnelle. Il sait l’importance autant que la contingence des apparences, des attitudes, des paroles. Il a parfaitement compris que bien des réactions qu’il suscite émanent de la terreur ou de la répulsion qu’inspirent logiquement sa condition de mort-vivant et laisse l’agressivité verbale l’en débarrasser. Tout discours, aussi désagréable soit-il, lui apporte des informations, et c’est d’abord ce qu’il recherche. Keraptis ne sera jamais assez stupide pour tomber dans les pièges de l’orgueil, de la vanité, de l’offuscation facile. Il a été formé par les Sudelyns, qui ne sont guère adeptes de l’action directe et personnelle. Zevjan, il a longtemps étudié la philosophie, la littérature, la rhétorique, dans la plus cultivée et la plus cosmopolite des villes. Le théoricien fondateur de la Great Evil Coalition est un intellectuel réfléchi et sage, un ouvrier de l’intrigue, un mécanicien de la pensée.

Avec Holghing, Keraptis acquiert le maillon manquant de son projet. Grâce à lui, il pourra d’ici quelques années disposer de troupes naturellement plus fortes ou plus nombreuses qu’humains, elfes et nains, et suffisamment bien entraînées pour les affronter en bataille rangée. Il peut déclencher la première phase de son plan.

Keraptis à l’ouvrage

Keraptis a réalisé que depuis la Convention de Bakor, qui prohibe l’usage de la magie militaire, l’ère des sorciers conquérants et maîtres du monde est terminée. Mais il est parmi les premiers à comprendre que la magie militaire n’est pas la magie « civile » et que cette dernière peut elle aussi être employée à de nombreuses fins diplomatiques ou logistiques. Et il est sans doute le premier à tirer toutes les conséquences de ce que sans magie, un humain n’a pas plus de chances face à un troll que cent humains face à mille orcs. Reste donc à unifier ces mille orcs, et tous ceux qui viendront avec.

Cette unification sera connue sous le nom de Great Evil Coalition (G.E.C.). Pour Keraptis, c’est bien entendu la Great Coalition tout court, pensée comme complément et prolongation de la Great Anarchy ; le qualificatif central sera rajouté par ses ennemis. Celle-ci est d’abord et surtout une aventure collective, la seule d’une pareille ampleur menée sur Derenworld. Il est remarquable que tout au long de l’existence de la G.E.C., ses factions n’entreprendront pratiquement jamais de conflit armé les unes contre les autres. Au contraire : pour la seule fois de l’histoire, des races maléfiques ennemies vont néanmoins coopérer durablement et efficacement ; ainsi, par exemple, les duergars vont-ils travailler pour les orcs, fournissant armes et armures, et les orcs pour les duergars, fournissant esclaves, matières premières, et nourriture.

Sans doute l’objet le plus utile à Keraptis est-il son fameux chapeau qui lui permet de se téléporter sept fois par jour sans erreur possible. Cette merveille a été fabriquée à Gaùruil avec l’aide (et plus probablement sous la direction) d’Iliokè, avec aussi de la contribution de Molior Dragonskull. Avec l’ajout de ses propres sortilèges, il arrive à Keraptis d’user de téléportations douze fois dans la même journée. Car il faut bien cela pour réunir, expliquer, convaincre tout et tous ceux ce qui vont former la Great Evil Coalition.

Son premier soubassement est l’adhésion des drows, sur lesquels repose l’exécution stratégique. Or convaincre des maisons drows qui se détestent depuis des millénaires de travailler ensemble est chose impossible. Toutefois, en convaincre quelques unes, à des endroits clefs, et s’assurer que ces maisons règnent sur ces endroits, est en revanche possible.
A cet effet, Keraptis dispose désormais d’une légitimité dont on lui avait nettement fait sentir l’absence auparavant : il est devenu le maître incontesté des ex-Seconds Héritiers, leur représentant légitime, et de fait un quasi ambassadeur de la Great Anarchy. Il s’est débarrassé de Molior et d’Iliokè. La famille de Vraxer et Grsk lui sont acquis. Et aussi Iauwë.

Lorsqu’il racontera plus tard l’histoire de la Great Evil Coalition aux Grand-Maîtres Bardes de Mac Fuirmidh (« Derenworld Overrun : Telling of the Great Evil Coalition from Arch-Wizard Keraptis, collected at Mac Fuirmith by Master Bards Denlariege Halmore and Jool Auchmurr’h « , Scriborium de Mac Fuirmidh, 5018 ; trois exemplaires connus conservés dans les bibliothèques de Mac Fuirmidh, Sudel et Enlight), Keraptis indiquera qu’aucune étape de celle-ci ne lui fut personnellement plus douloureuse que sa rencontre à Yu D’leh avec Iauwë. Celle-ci accepta de le recevoir mais non de le voir et ils ne se parlèrent qu’au travers d’une pénombre impénétrable. La conversation consista d’abord en une suite de propos incohérents et désordonnés proférés pendant près d’une dizaine de minutes par la reine folle. Persuadé qu’elle avait complètement perdu l’esprit et la mémoire, Keraptis se demandait comment prendre contact avec qui ou ce qui contrôlait l’apparence d’Iauwë lorsque la voix de celle-ci devint soudain claire. Elle lui demanda si c’était bien lui qui avait fait disparaître Molior et Iliokè. Il ne lui mentit pas. Elle demanda pourquoi et il le lui expliqua, à nouveau sans mentir ni dissimuler. Elle dit alors qu’elle n’avait plus les moyens de regretter Iliokè, qui n’était pas venu la délivrer. Il lui demanda si elle voulait être délivrée. Elle lui répondit qu’il n’en avait pas les moyens. « Je pourrais te tuer, si tu veux » proposa-t-il. « Tu ne le pourrais pas et ça n’arrangerait rien » dit-elle et Keraptis s’imagina qu’elle lui souriait tristement. « Veux-tu et peux-tu néanmoins m’aider ? » demanda-t-il à nouveau. Elle lui dit qu’il aurait tout : troupes, passages, administration. Elle rangerait le Loskelnaï à ses côtés.
— Mais ? demanda-t-il.
— Mais tu me dois un service en échange. Dominer ma folie, mon fardeau, ceux qui me tiennent… avec cela je le pourrai peut-être.
— Quel service ?
— Je suis reine par la même force qui m’emprisonne. Il n’y a qu’un moyen de la repousser : les dieux. Ils doivent m’accepter. Je dois devenir reine par leur bénédiction.
— Tu es au courant que les dieux eux-mêmes se sont employés pour réparer tes dingueries ? Je veux dire : même Arioch a contribué.
— Je sais. Et pourtant c’est dans l’intérêt des dieux eux-mêmes, comme tu dis, que je te demande cela. Aussi, je sais qu’ils ne refuseront pas. Il te suffira de le forcer le destin et de les forcer avec lui.
— Comment ?
— Tu devras m’emmener quelque part, si tu réussis dans tes entreprises. Je t’enverrai un message lorsque les conditions nécessaires seront réunies. »
La conversation se termina sur ces mots. Iauwë savait acquise l’acceptation de Keraptis. Il l’entendit se lever et alors qu’elle quittait la pièce, il entrevit un instant au travers de la pénombre qui se dissipait la mince et fragile silhouette de l’elfe exterminateur de millions d’êtres vivants.

Donc, il avait maintenant le Loskelnaï entier avec lui. Niokas et Iauwë. Poutak et Gaùruil. Autant dire tout ce qui comptait en Great Anarchy, du moins selon le reste du monde. C’est donc fort respectueusement que la Matrone Eclavdra Eilservs écouta ce que le très puissant et très redoutable Hérault de Meganarkia avait à lui dire. Matrone par ailleurs fort flattée de ce que cette haute personnalité ait choisi d’entamer par les Eilservs ses pourparlers d’alliance avec les puissances de l’Underdark. Mais elle comprit vite qu’il y avait immensément à gagner dans le projet que lui détaillait Keraptis et lui recommanda aussitôt des alliés que son amante Edralve s’employa dès le lendemain à démarcher. En quelques mois, KEraptis obtint le ralliement de Shinifaru Matrone de la maison Kolsek, branche éloignée des Kilseks eux-mêmes traditionnels alliés des Eilservs, en Tangut ; de Besandra Matrone Xanishal, maison dominatrice des souterrains de l’est du continent ; de Boryunne Matrone Tertark, dont la maison guerroyait depuis des siècles contre les nains occidentaux ; et à la fin de  la Reine-Mère Onerra N’Sadranna elle-même, toute souriante pour lui reprocher de ne pas être venu la voir plus tôt. Dans les années suivantes, ces maisons allaient tisser le réseau souterrain politique et physique qui jouera un rôle prédominant dans les succès militaires de la G.E.C.

Le second soubassement s’appelait Vizan. Keraptis n’imaginait certes pas contrôler les océans, mais seulement éviter que les océans le contrôlent. Il fallait barrer la route des mers à Avros, au Lowenland, aux Farxels, à l’Empire, à la Confédération des Cités et Etats de l’ouest, au Wejlar, afin de les contraindre à être vaincus sur terre, où il serait le plus fort, sans que l’océan ne leur offre retraite ou renforts. Or si la Great Anarchy régnait de fait sur les mers glacées du nord, elle n’existait pas dans les trois autres façades maritimes du continent. Convaincre le Vizan d’une alliance s’avérait donc impératif : sa marine était l’une des trois meilleures du monde et sans doute la plus nombreuse ; elle contrôlait la plus vaste côte du continent et potentiellement toutes les mers du sud. C’était aussi la seule dont la Couronne pourrait admettre quelque alliance avec la Meganarkia, ainsi que l’avait illustré sa bienveillance envers les Seconds Héritiers. Et pour cela, Keraptis a imaginé une offre que le Vizan ne pourra pas refuser car elle a pour nom : Dere.

C’est à dire l’antique Haut-Royaume des elfes Sindars, victorieux du Dragonlore, le sauveur et réorganisateur du monde depuis des millénaires et qu’aucun : Hornst, Héritiers, Seconds Héritiers, empereurs, sultans, rois, sorciers, prophètes, chefs de clan, ducs, gouverneurs, généraux, ministres n’a jamais osé mettre en péril, tant les dissuadait la réputation de ses mages et de ses guerriers. Certes Dere était affaiblie par les siècles, les défaites, les changements connus par le monde. Certes le Naembolt comme le Vizaner lui avaient patiemment rogné l’une après l’autre telle forêt, telle colline, telle prairie. Mais personne n’avait osé attaquer le Deran-Taur, la forêt au coeur du royaume où s’élève la cité dont la fondation fixe l’an premier du calendrier. Tout le génie diplomatique de Keraptis apparaît lorsqu’il agite sous le nez du Suprême Sultan Liftipyge les deux plus merveilleuses perles que sa Couronne convoite depuis des siècles : Dere et Zevjapuhr, tout en lui apportant le moyen de les acquérir. Keraptis prit patiemment le temps de lui exposer les choses mais à la fin Liftipyge, qui ne passait pas pour le plus téméraire des monarques, hésitait encore. Ce n’était pas un homme à se déterminer sur la foi de quelques explications. Il voulait tout consulter avant de prendre sa décision : mages d’Emer, Sudel et Xionne, clergés trithéistes ou étrangers, cartomanciennes des rues, sorciers, savants… Keraptis le lut dans ses pensées. Il se retourna, regarda par les fenêtres du palais la vaste baie où passaient les mâtures aux voiles écarlates qui signalent les navires de guerre de Vizan. Liftipyge ne vit plus que le dos de l’homme vêtu de noir qui servait d’hôte à la liche. Keraptis mit sa capuche et prit le ton de sa véritable voix, grinçante et caverneuse, le temps d’une phrase : « Un mot de ceci à quiconque, Sultan, ne fusse que mon nom, et tu n’auras jamais ni Dere ni Zevjapuhr, car je me vengerai de ne plus pouvoir te les offrir ». Puis, de sa voix humaine, il lui donna rendez-vous le soir même pour signer le traité qu’il proposait et prit poliment congé.
Liftipyge signa.

Nommé ambassadeur d’Izar le Balafré, Keraptis passa les mois suivants à fréquenter directement ou indirectement tous les gouvernements et cours du monde entier afin d’alimenter la suspicion ou l’indifférence envers Dere. Dans le même temps, il s’assurait avec Grsk de la coopération entre ses alliés drows. Dans le même temps, il supervisait les plans d’attaque proposés par ses capitaines et présentés par Niush et Trollvak. Dans le même temps, il coordonnait avec Niokas la logistique des déplacements induits par ces plans et l’administration du Loskelnaï. Dans le même temps, il voyait régulièrement Loki Hellson ou Gilibert Szeiheitt au sujet des agents recruteurs envoyés dans le monde entier et faisait avec Holghing le point sur l’état des armées.
Son état de liche lui permettait de travailler 24 heures par jour sans prendre une minute de repos. Son énergie, sa puissance de travail, sa conviction, sa sûreté de jugement faisaient l’admiration de tous. C’est à cette époque que Loki Hellson lui fit cadeau de la dracoliche Dragotha, qui lui servit de garde du corps.


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