Contrée de Great Anarchy : 6e partie

19 novembre 2018 par Kazz → Atlas

La fin de la Grande Coalition

Réunion de la Starway

Il arrive que les grandes idées ou inventions ne soient pas le fruit d’une réflexion unique ou même principale mais de plusieurs idées agrégées dans un mouvement collectif :  c’est la cas de la Starway.

Dans les années précédant la constitution de cette compagnie, notamment à partir de 4875, de petits groupes d’aventuriers ou de combattants tentent de mener la vie dure aux forces meganarkiennes, en particulier dans des régions accoutumées à la guérilla contre des envahisseurs, telles le Wejlar, le Tangut, l’ouest et le nord-est du continent. La plupart de ces groupes, généralement d’une dizaine de personnes, sont alors dirigés par deux ou trois guerriers, éclaireurs ou prêtres, qui représentent à la fois le commandement et la force de frappe. Leurs autres membres sont des assistants de combat, généralement guerriers ou archers secondaires, ou assurent l’intendance.

L’un des plus fameux d’entre eux est mené par Negrod-Tür, Lord Paladin d’Ukko et de Tyr, Chevalier de Kalderland, et vétéran de quasiment toutes les guerres du nord du Wejlar depuis une vingtaine d’années. Son père était un soldat marner accompagnant le fils aîné du Jarl d’Ebersburg venu jouter au tournoi biennal de la Commanderie de Reedence, qui en avait profité pour engrosser une servante demi-orc de la Commanderie dénommée Nalgargrade, particulièrement avenante et peu farouche. Elevé par elle sous la débonnaire supervision du castellan Bohor Daltritt, Negrod-Tür était devenu un superbe gaillard de près de deux mètres, d’une force herculéenne, avec une gueule magnifique aux mâchoires carrées entourées d’une grande chevelure châtain aux reflets roux, et des yeux gris bleuté devant lesquels moult jeunes filles rosissaient volontiers. Il avait très rapidement montré des dispositions de combattant hargneux et accrocheur, mais aussi incapable de supporter la moindre défaite sans sombrer dans des rages un peu ridicules. Ces traits de caractère conduisirent le seigneur Daltritt à l’envoyer à l’Abbaye Solitaire des chevaliers de Kalderland, histoire de refroidir ses ardeurs et peut-être d’apprendre à devenir quelque honorable fantassin ou écuyer. Le jeune Negrod y rencontra à 16 ans une vocation suscitée par le vieux chevalier Raymun Ilfersen, son véritable mentor, qui l’ordonna paladin. Dix ans plus tard il était fait Chevalier de l’Ordre de Kalderland et vingt ans plus tard il avait survécu à plus de cinquante batailles, rencontres ou escarmouches.
Mais même paladin, vétéran, chevalier émérite et caetera, Negrod-Tür continuait dans son for intérieur de ne pas supporter la défaite – et pourtant, la G.E.C. lui en avait infligé plus d’une, auxquelles il avait néanmoins survécu. Il est heureux que l’avisé seigneur Daltritt ait choisi l’ordre de Kalderland, spécialiste de la résilience et de l’action en terres ou milieux hostiles afin de préserver des effectifs toujours insuffisants. « Vis pour vaincre un autre jour » est une maxime des Kalderlins que lui répétait souvent Ilfersen.

Depuis quelques années, Negrod opérait dans le grand nord du Wejlar (Norwejle) avec un mage associé du nom de Wengoll.
Wengoll Noluskoth était initialement destiné à devenir le type même du mage patricien. Deuxième fils d’une riche famille de Rwandel qui avait décidé de lui payer des études au Hall d’Ariacandre parce qu’un mage dans la famille ça peut toujours servir, il avait été amené à étudier dans le Hall pendant le Long Siège d’Ariacandre sans réussir à admettre que depuis la Convention de Bakor, la puissance magique ne serve à rien contre ces armées de la G.E.C. qui s’étalaient tout autour de la cité ou ravageaient le reste du monde. Pendant des années il avait chaque jour regardé de l’autre côté des murailles les camps des cavaliers orcs et des fantassins trolls, ou se pavaner des géants ou des monteurs d’hippogriffs, sans rien y pouvoir faire. Il avait vu des restes et des ossements d’elfes, hobbits, humains, gnomes, avec des lambeaux de chair grillée ou mordillée, que les ogres avaient lancé aux pieds des murailles afin de bien faire comprendre aux défenseurs de quoi se composait leur régime alimentaire. Et il n’avait rien pu faire.

Ce constat d’impuissance le changea du tout au tout. Rompant avec sa destinée familiale, il décida d’employer ses talents et sa vie à combattre les hordes ennemies et, à vingt quatre ans, de quitter le Hall pour mener cette existence. Il voulut aller d’emblée au plus difficile en affrontant les gnolls et trolls des marches d’Arkandahr et du Bervikelt. Ayant miraculeusement réchappé de trois affaires qui avaient fort mal tourné, il comprit qu’il ne pouvait pas accomplir grand’chose à lui seul. Il parvint à devenir un temps membre de « la bande à Orgund », du nom d’un fameux guerrier arkander spécialiste des raids contre les humanoïdes, qui avait accepté ses services de magicien. Mais ayant dû quatre fois le récupérer après qu’il ait été laissé pour mort durant autant d’expéditions, Orgund lui expliqua qu’il n’avait pas l’utilité d’un combattant aussi fragile.

Ces expériences en Arkandahr le marquèrent moralement et physiquement. A vingt sept ans il en paraissait le double ; ses cheveux étaient devenus gris ou blancs, ses joues amaigries et barbues, sa peau ridée. La détermination de Wengoll ne faiblissait pas pour autant mais il admit qu’il lui restait encore beaucoup à apprendre.

Comme tant d’autres avant lui, Wengoll décida de voyager de par le monde, notamment en Empire où ses offres de services furent systématiquement refusées. Il comprit ainsi ce que Keraptis avait perçu bien avant lui : les gens détestaient les magiciens. Sa famille bourgeoise, ses mentors et condisciples d’Ariacandre, ou un aventurier expérimenté comme Orgund, constituaient des exceptions. Pour le peuple, la magie était une malédiction. Toutes les catastrophes qui s’étaient abattues sur le monde : le Dragonlore, Hornst, ses Héritiers Premiers et Seconds et en particulier Iauwë, Iggwilv, Vraxer, avec, pour couronner le tout, la All Wizards’ War, toutes ces calamités avaient pour point commun la magie. Les gens assimilaient à ces précédents une G.E.C. vue comme la résurgence supplémentaire des mêmes fauteurs magiciens, la meilleure preuve étant que les yuan-tis, drows, illithids, dragons et autres créatures diaboliques ou démoniaques et en tout cas magiciennes, étaient de leur côté. La plupart considéraient même que se déclarer mage combattant revenait à se déclarer agent de la G.E.C. Ce fort préjugé, issu de siècles de ravages couronnés par le traumatisme mondial de la All Wizards’ War, avait aussi été alimenté par des décennies de doctrines anti-elfiques propagées en Empire, et évidemment relayées par la Great Anarchy, qui confondaient elfes et dragons en une même menace naturellement douée de magie et naturellement dirigée contre les civilisations humaines. Ainsi, après la Convention de Bakor, nombre de petits seigneurs ou chefs locaux et toutes sortes d’ambitieux avaient employé la magophobie pour asseoir ou légitimer leur autorité : par exemple, dans l’énorme majorité de l’Empire Naëmbolt, il eut été inconcevable de remporter une élection à une quelconque guilde ou députation en se déclarant proche des elfes ou favorable à l’utilisation de la magie.
Le jeune Wengoll découvrit donc avec désappointement combien son métier était honni par 90 % des humains qu’il rencontrait. Il comprit qu’il lui fallait aller ailleurs, où son activité serait moins déconsidérée, et obtint l’accord du Hall pour qu’il le soutienne dans ce projet. C’est ainsi qu’il traversa tout Derenworld alors envahi par le Great Anarchy en accomplissant diverses besognes ça et là dans le but de renforcer son expérience de mage de combat, pour arriver un jour d’hiver à l’auberge du Golden Monkey d’Ithyl où il fit la rencontre d’un paladin lui-même en route pour Holderin et qui s’appelait Negrod-Tür. Ce dernier le prit avec lui.

Negrod-Tür et Wengoll formèrent le noyau de ce qui allait devenir la Starway, avec Ithyl pour base arrière de leurs opérations. Wengoll y devint le correspondant du Hall d’Ariacandre. Le groupe d’aventuriers de Negrod-Tür incluait déjà le guerrier krynn Mirhoïm et Cantiarée, servante d’Athéna. Celle-ci lui proposa peu après de recruter sa sœur Lionorée, spécialiste du polymorphisme grâce à un anneau déniché dans l’une de ses premières aventures, qui fut chargée d’infiltrer l’ennemi et notamment les guildes de voleurs de Dariol et de Ganarbe pour y obtenir de précieux renseignements. Cela commençait à ressembler à quelque chose. Néanmoins, aussi efficaces soient les actions de guérilla menées par le groupe, il ne s’agissait que de résistance, n’empêchant ni la progression de la Great Anarchy ni le règne global de la Great Evil Coalition. Après la prise d’Ithyl par le Vizan, les forces meganarkiennes se trouvèrent comme chez elles en Ithylian et le groupe jugea prudent d’établir une seconde base arrière à Portown qui se trouva elle-même bientôt assiégée par les meganarkiens.

Or à l’autre bout du continent, en Tangut, une prêtresse avrossiane du nom de Destrée Bleyn d’Isis enrageait de manière similaire à celle de Wengoll, refusant d’admettre que la magie ait déserté de camp du Bien et réciproquement. Elle attendait avec la flotte avrossiane à Starstone quand, au lendemain de la victoire de Hellgong, elle reçut d’Isis la vision d’aller voir Llangwellyn the White. Elle parvint à le rencontrer quelques jours plus tard et il lui raconta le déroulement de la bataille de Hellgong, y compris sa suite souterraine. La même nuit, Isis la fit rêver d’un mage dans une auberge d’Ithyl. Le lendemain, Llangwellyn s’y téléportait avec elle et les deux s’invitèrent à la table de Wengoll qui déjeunait tranquillement au Golden Monkey avec un barde de ses amis su nom de Selimnel. Destrée raconta avec exaltation ses visions envoyées par Isis puis la bataille du Hellgong telle que la lui avait relatée le grand Llangwellyn, là, l’elfe tout en blanc juste à côté d’elle. Après quoi Wengoll commença par demander :
– Et alors ?
– Vous ne savez pas à qui vous parlez s’exclama Destrée
– Ma chère enfant, interrompit Llangwellyn en lui prenant le bras, n’accablez pas notre ami. Comme bien de mes… comment dire… congénères ? poursuivit-il en se tournant vers Wengoll, j’apprécie la discrétion, voire même un certain mystère. Je dois à ma longévité elfique une petite réputation dans mon pays, qui ne dépasse pas ses frontières. Grâce à cela, j’ai pu mettre de côté quelques modestes économies, néanmoins suffisantes à me permettre le luxe de pouvoir choisir mes clients et parfois même d’exercer à titre gratuit, par exemple au profit des causes que vous défendez par ici. Mais cet ici n’est pas chez moi : aussi, cher collègue, je vais maintenant m’en aller. Souffrez toutefois que je vous prodigue deux conseils. Le premier serait d’écouter attentivement cette jolie jeune femme : sa déesse ne l’a pas envoyée de ce côté-ci du monde pour le douteux plaisir d’un si lointain voyage. Elle a certainement quelque chose d’important à vous dire, et vous quelque chose d’important à entendre. Les dieux désignent rarement par hasard et j’ai dans l’idée que vous êtes appelés, elle et vous, à de grands desseins. Mais ayant moi aussi été désigné pour que leur message s’accomplisse, j’en déduis que la céleste puissance révérée par notre belle amie escompte que vous livre aussi mon avis et voici donc mon second conseil : renforcez-vous. Sans doute, Wengoll, vous incombe-t-il de restituer à notre profession un crédit qu’elle a beaucoup perdu. Les elfes de ce monde tels que moi-même ne pourront que vous en féliciter. Mais je ne vous y crois pas encore de taille, ni seul, ni même à quelques-uns. Tenez, vous ne devriez pas rester le seul mage de votre petite société ; sinon un jour viendra où vos talents, dont je ne conteste pas l’étendue, ne pourront pallier votre unicité. Renforcez-vous donc, en nombre et en qualité. Sur ce, mes vœux vous accompagnent. Chère prêtresse canone, ce fut un plaisir d’avoir pu vous obliger.
Llangwellyn incanta sa téléportation et retrouva avec ravissement le Ninqueloth où il dut cependant satisfaire la curiosité d’Araïta.
– Tu as couché avec elle ? fut sa première question.
– Evidemment ! Une jolie prêtresse d’une déesse de l’amour. Il eut été malpoli de ne pas lui faire la cour.
– Evidemment… tu n’as pas l’impression d’avoir raté quelque chose dans cette affaire ?
– Quelle chose ?
– Je ne sais pas… Isis t’avait quand même choisi.
– Pour lui servir d’estafette. La belle affaire !
– Peut-être aussi pour sauver le monde si tu t’étais proposé.
– Sauver le monde ? Mais ma belle, tous veulent sauver le monde. Il sont des milliers, que dis-je, des millions, à commencer par le premier imbécile venu. Que d’atrocités n’ont pas été commises sous des bannières de sauveurs du monde ! Non, non : sauver le monde n’est ni dans mes moyens, ni dans mes envies ; c’est l’affaire des dieux, tiens, après tout, ce monde n’est-il pas leur œuvre ? Moi, je m’en tiens juste à tenter de bien faire ce que j’estime être bien. Et même ça, crois-en mon âge millénaire, n’est pas si facile. Oublions donc tout cela, cette histoire, le monde, les sauveurs, les dieux et leurs serviteurs, et dînons, veux-tu ?
La brune Araïta gratifia d’un sourire lourdement ironique son cher Llangwellyn Nincilmë Hersairin Falinoro, dit the White, qu’elle savait le plus puissant archimage de Tangut, Farxel et Avros réunis, pendant qu’il se servait d’une salade de poulpes et crevettes à la pimentelle citronnée.

Wengoll comprit qu’il avait dit une bêtise en se méfiant peut-être exagérément de cet elfe pomponné de blanc et de sa compagne excitée d’Isis. Il réécouta le récit de Destrée, apprit ce qu’il lui fallait savoir de Llangwellyn, et regretta d’avoir laissé passer l’occasion de l’enrôler. Le mage tangutian avait raison : il lui fallait du renfort, un mage plus puissant ou expérimenté que lui-même. Pour cela, il n’avait pas à aller très loin.

On date généralement la création de la Starway par la réunion du groupe formé par Negrod-Tür, Wengoll et Mirhoïm, avec le duo Rogahn – Zelligar. Les seconds, opérant depuis Portown selon un schéma semblable aux premiers, jouissaient d’une forte réputation rehaussée des butins récupérés au cours d’expéditions dans le grand nord ou de hardis coups de main sur les côtes.
Rogahn the Fearless passait pour un guerrier extraordinaire, le meilleur de Portown, certes pour son expertise au combat mais surtout parce que particulièrement polyvalent, capable de combattre aussi bien sur un navire qu’au tréfonds de complexes souterrains, au sein d’une sombre forêt, ou dans les rues d’une ville. Ambidextre, spécialiste du combat avec deux armes, il était aussi un chasseur émérite et un expert au tir à l’arc. Sa grande ambition avait été de devenir barde mais le constat répété d’une voix particulièrement fausse et d’une remarquable absence de charisme avait fini par l’en dissuader. Sa dextérité paraissait d’autant plus étonnante que son physique de taille de moyenne, taillé comme un taureau, le faisait ressembler à un paysan trapu plutôt qu’à un élégant duelliste de cour. Très conscient de sa propre valeur au combat, il cultivait une tendance à railler autrui et un sens de l’humour un peu potache qui cachait le manque d’assurance d’une personne guère à l’aise avec son propre physique.

Zelligar était devenu « le » mage de Portown où il avait déjà ouvert une petite école promise à un grand avenir. La célébrité cet établissement a fait sombrer dans l’oubli les humbles origines de son fondateur. Il semble avoir été le dernier des fils d’une famille très pauvre du Sablern, qui ne pouvait sans doute pas le nourrir. Il passe sa jeunesse parmi les enfants des rues d’Isablis où il devient chef de gang. Ses rapines lui permettent d’amasser un pécule suffisant à ce que, passionné par les épopées des Seconds Héritiers, il entreprenne le voyage vers la Blood Tower, à laquelle il est admis.
Zelligar n’évoqua jamais de ce qu’il connut dans l’antique Minas Sercë, étant l’un des très rares anciens étudiants à avoir réussi à s’en enfuir après un échec à l’une des épreuves des impétrants Blood-Mages. Il progresse ensuite en passant de mentors indépendants à une brève adhésion à l’Arcania avant de finir par parvenir à développer son propre système de magie à Portown, ville particulièrement tolérante aux étrangers à condition qu’on n’y fasse pas de bêtises, où il a eu la perspicacité de s’installer. Sa rencontre avec Rogahn change sa vie en lui permettant de devenir mage-aventurier non plus à l’instar d’un second Héritier mais contre leur ultime émanation : la G.E.C. La cité de Portown décida en effet d’employer officieusement le duo pour des opérations spéciales en Confédération, à quoi ils réussirent si bien qu’ils en firent un véritable business. Le fait qu’il soit prématurément et complètement chauve n’empêchait nullement son visage mat, aux lignes fines, d’être d’une grande beauté. Il s’habillait systématiquement en robes rouge et brun, avec un simple bonnet pour couvre-chef. Il appréciait les bijoux, en particulier les boucles d’oreilles, la musique, et les blagues de son son compère Rogahn. Le seul fait que Zelligar ait inventé sa propre écriture de magie dit les compétences du mage qu’il était. Il représente, avec Roen ou Wengoll, un archétype du mage de guerre de son époque.

Tel est le duo auquel Wengoll proposa de fusionner avec le groupe de Negrod-Tür pour former la Starway. L’adhésion fut immédiate, totale, et sincère. Tous partageaient le même mode opératoire, avaient connu les mêmes périls, s’attaquaient aux mêmes ennemis. Rogahn essaya immédiatement de draguer Destrée Bleyn d’Isis pendant que Zelligar proposait à son voleur préféré, le hobbit Zadjune Pilferwiffle, avec lequel il collaborait de longue date et dont il connaissait la détestation de la G.E.C., de les rejoindre. Zadjune accepta avec enthousiasme : le terrier des Pilferwiffle avait été éventré et pillé par des bugbears meganarkiens quelques années plus tôt et même si sa famille avait pu s’échapper, ce sont là des choses qu’un hobbit bien né n’oublie ni ne pardonne.

Negrod-Tür, considérant la compagnie complète, commença à dresser une liste de raids à accomplir et à proposer qu’on réfléchisse à de nouvelles méthodes d’action. Cependant, Wengoll et Zelligar considéraient à l’inverse que leur société n’était pas tout à fait achevée : il leur manquait un nom, un chef incontestable, une incarnation de leur mouvement, quelqu’un dont le recrutement donnerait à leur société une envergure non plus locale mais universelle.
– Pourquoi ne pas taper au plus haut ? proposa Zelligar. Après tout, c’est bien Llangwellyn qui s’est chargé de te cornaquer. Qu’est-ce que tu as d’autre chez les elfes ? Peren d’Ariacandre, on sait même pas s’il existe encore, tu n’es même pas capable de me dire si tu l’as jamais vu. Qwim de Bakor, qu’est même pas elfe d’ailleurs, ne remuera évidemment pas une oreille. N’en reste que deux : Celebengrin ou Gwaigill.
– Pourquoi un elfe ? demanda Wengoll.
Zelligar le toisa.
– Tu crois que parmi les humains il y aurait un seul meilleur mage que nous ?

Comme la plupart des entrevues de quiconque avec Gwaigill Elengal du Cercle d’Evlin, celle qu’il accorda à Zelligar et Wengoll fut brève et désagréable mais pas inutile. Gwaigill considéra ce type chauve en robe écarlate qui semblait sortir de Blood-Isle et ce freluquet d’Ariacandre prématurément vieilli qui voulaient jouer aux libérateurs contre Keraptis et le Vizan. Le dernier des Evlini leur fit vite comprendre que passant ses journées à contrecarrer Loki Hellson, le reste de ce qu’il avait à faire ne lui permettait pas de biberonner des apprentis révolutionnaires. Après quoi, il leur donna quelques informations précieuses. D’une part, Celebrengrin les enverrait certainement sur les roses, à supposer qu’il accepte de les entendre. Ensuite, ils n’étaient pas seuls : en Middle Empire, un magicien nommé Roen opérant en solo commençait à se tailler une jolie réputation d’emmerdeur de trolls, et la résistance de villes comme Portown, Ariacandre ou Ilnaëmb entretenait l’espoir contre la G.E.C. Donc, leur moment était peut-être bien choisi. D’ailleurs, sans la direction de Keraptis, la G.E.C. commençait à donner des signes de craquements, au niveau local mais aussi entre le Vizan, la Great Anarchy, le roi de Marn, les drows. Enfin, s’il n’était pas lui-même intéressé, son meilleur apprenti, un certain Fingarë, serait peut-être bien assez barge ou assez con pour accepter de les rejoindre.

Fingarë avait effectivement été l’apprenti de Gwaigill Elengal. Il était aussi devenu le numéro deux du Cercle d’Evlin et son Maître Enchanteur. Il était enfin, depuis longtemps, une célébrité.
Fingarë du Cercle d’Evlinne 1 (1997-5029), parfois appelé Fingar ou Fingare, surnommé le Bâtisseur, est considéré à la fois comme un génie de l’architecture, l’un des plus grands mages de l’histoire de Derenworld et le plus célèbre enchanteur elfe après Peren d’Ariacandre et Caranwë de Dere. Cette notoriété est acquise de longue date au moment où il accepte uniment de rejoindre la Starway.
Fingarë est alors bouleversé par l’ampleur des conquêtes de la G.E.C., qu’il considère comme une entreprise destructrice de son oeuvre d’architecte, de créateur, de constructeur.
Gwaigill Elengal s’en est évidemment aperçu et sait qu’il ne parviendra pas à retenir longtemps son Maître enchanteur. Si ce n’est pas Wengoll et Zelligar, ce sera quelqu’un d’autre, alors pourquoi pas ces deux-là ?

Fingarë apporte exactement ce qui manquait à la Starway : une légitimité irrécusable, une l’expérience multimillénaire, et une connaissance du monde entier. Par surcroît, il n’arrive pas seul, offrant sur un plateau le recrutement de son neveu Fang 2 , fier à bras déjà bien engagé dans la guérilla contre les meganarkiens.
Doué à la fois de nombreux talents et d’un caractère aussi franc qu’impétueux, Fang s’était dès les débuts de la G.E.C insurgé contre la passivité des elfes vynareans. Ce qui l’avait conduit à quitter ses forêts pour aller rechercher l’appui de la reine Alphanëa de Danth, en lutte constante avec les meganarkiens pour préserver son royaume en Wejlar. Constatant le peu de goût du jeune elfe pour la défensive, celle-ci l’avait renvoyé vers le sud, chez les Paëreidhels, afin qu’il organise avec eux des opérations en Wejlar, Evriand et Confédération visant à harceler et désorganiser les réseaux et arrières meganarkiens, dans le but d’affaiblir la pression sur le Wejlar méridional où se trouve le pays de Danth.
Les multiples capacités de Fang, à la fois guerrier, roublard et mage, y avaient fait merveille. Il avait rallié à sa cause quelques bourgeois de la cité de Dol Bera et quelques nobles du Beraïc pour former avec eux et les elfes de Paër un réseau de résistance secrète, le Silver Circle, ainsi nommé en hommage à son école de magie, qui était devenu en quelques années le pire ennemi des meganarkiens en Evriand.

 

Hauts faits de la Starway

Wengoll et Zelligar voulaient un leader : ils vont l’avoir, mais pas au sens où ils l’entendaient.
Au contraire de son neveu, Fingarë n’a guère de goût pour le combat rapproché ; bien davantage un stratège, un penseur, un logisticien, il apporte ces compétences en même temps que sa capacité à rebâtir sur les décombres de la G.E.C. Or ce dernier aspect n’est pas un détail : le souci de poursuivre la libération par une reconstruction assurera à la Starway une formidable popularité. Ses actions ne se résument en effet pas à un simple effet militaire dont le passage laisse aux survivants la tâche de se réorganiser et de rebâtir leurs maisons détruites par la guerre. Chaque territoire libéré est confié à un conseil ou d’un bailli provisoire, généralement désigné par Cantiarée, Negrod-Tür, ou Destrée Bleyn, qui ne remettra ensuite le pouvoir qu’à des représentants légitimes avec la garantie qu’ils suivront des mesures garantissant la sécurité, la reconstruction, et le redémarrage économique et social de ce territoire.
Fingarë n’est aucunement le chef charismatique qui va porter ce projet : ce rôle qui sera dévolu à Negrod Tür et à un moindre degré Wengoll, Destrée ou Zelligar. Mais Fingarë sera le leader interne de la Starway, celui qui décide ce qu’on va faire et comment on s’y prend, et le cas échéant l’arbitre des éventuelles divergences, y compris celles qu’il découvre dès son arrivée.

Negrod-Tür a pour objectif la reconquête des terres prises par la G.E.C. en avançant depuis Portown vers l’Evriand puis le Wejlar jusqu’en Norwejle, en quoi il se sait appuyé par Cantiarée, Mirhoïm, Zadjune et Rogahn. De son côté, Destrée Bleyn insiste sur l’importance de définir un rôle particulier aux mages, qui pourrait éviter une progression géographique à laquelle l’ennemi s’attend, en quoi elle est rejointe par Wengoll, Fang et Zelligar ; d’autre part, elle considère qu’il faut d’emblée raisonner à l’échelle mondiale, comme la G.E.C fut elle-même pensée.
Fingarë va donner raison aux deux : « Negrod, tu seras notre fer de lance, mais la main qui tient cette lance sera celle d’un magicien ».

Negrod-Tür va donc encore patienter tandis qu’enfermés dans une petite maison des hauteurs de Portown, Fingarë, Destrée Bleyn, Zelligar et Wengoll conçoivent le mode opératoire qui allait libérer la moitié du continent en partant des constats suivants.

L’objectif du Divin Concile ayant abouti à la Convention de Bakor consistait à mettre fin aux destructions civiles et aux magocraties engendrées par la All Wizards War. Le ressentiment à l’origine de l’intervention des clergés puis des dieux provenait d’un usage incontrôlé et omnipotent de la magie. Il fallait donc mettre un terme à la facilité avec laquelle des magiciens pouvaient raser un château, ravager une ville ou mettre en déroute des armées, éliminant de décrédibilisant les pouvoirs politiques préexistants, ou plus tard des mages rivaux, pour se substituer à eux. Les dieux ont ainsi voulu museler ces mages que leurs ambitions personnelles conduisaient à se prendre pour Hornst, d’autant que Hornst n’avait ni voulu devenir un empereur ni d’ailleurs fondé un empire.

La Convention de Bakor prohibe donc la substitution de la politique par la magie, mais non le service de la politique par la magie. Or l’objectif de la Starway, justement défini par Negrod-Tür, consiste à rétablir le politique, non à le remplacer. La G.E.C a d’ailleurs elle-même employé la magie, par exemple de drows, de yuan-tis ou de dragons, sans encourir les foudres bakorannes : la Starway peut donc parfaitement en faire autant.

Au plan tactique, les mages de la All Wizards War opéraient sous la protection de régiments destinés à leur éviter de subir des attaques physiques, à vaincre les débris des forces ennemies, et à exécuter les basses besognes d’occupation et de nettoyage. Au contraire, la G.E.C. s’est prudemment bornée à utiliser la magie à des fins logistiques, ainsi que l’avait imaginé Keraptis, comptant pour le reste sur sa supériorité numérique ou militaire. Certes, il est arrivé à des groupes isolés de patrouilleurs ou d’éclaireurs d’user de sortilèges, mais jamais un Sissipish ne se serait aventuré au milieu d’une bataille rangée pour y lancer un fireball, exemple archétypal d’une action déclenchant l’intervention de la Roue de Bakor.

Par conséquent, ce à quoi personne ne s’attend, c’est l’action du mage isolé contre toute une armée, à l’instar de ce qu’ont osé les plus audacieux des Seconds Héritiers, tels Molior Dragonskull ou Vraxer. C’est donc ce qu’il faut faire. Ce que Fingarë résuma en une phrase : « En fait, Wengoll et Zelligar, vous allez jouer aux dragons. »

Wengoll devint ainsi fameux pour affronter seul, quoique bardé de protections concoctées par Fingarë, des hordes que ses sortilèges mettaient en déroute. Tel un dragon il frappait depuis le ciel en déclenchant le feu ou la glace ou l’électricité ou le nuage empoisonné. Son exploit plus spectaculaire consista en l’anéantissement à lui seul d’une colonne d’orcs de l’armée Borgpht en Empire, qu’il surprit en volant invisible aux abords de Corontown et décima en enfilade sous les acclamations des habitants de la cité.

L’action du mage isolé ne fut bien sûr pas la seule méthode tactique de la Starway. Une autre innovation majeure consiste dans le choix d’affronter en petit groupe une armée entière. Avec son effectif à moins d’une dizaine, la Starway évitait tout risque de sanction par la Roue de Bakor, étant bien trop peu nombreuse pour être considérée comme une force militaire. Elle pouvait donc recourir à la magie au contraire de ses ennemis qui se comptaient par hordes ou régiments.
Afin de les empêcher de profiter sur le champ de bataille de leur écrasante supériorité numérique, la Starway utilisait la hutte de combat de Fingarë 3 pour immuniser ses flancs et arrières. Cette tactique fit le succès de sa formation classique en « sept plus un » : trois combattants de contact, un magicien artilleur, un porteur de la hutte, un prêtre défensif, plus un second magicien ou prêtre éloigné en surveillance. C’est cette formation qui s’ouvre la route d’Ithyl puis de Dol Bera avant de continuer par Evriand et Amberfin vers l’Empire et le centre du continent, marquant les esprits et forgeant la légende de Negrod-Tür, parfois seul à combattre dans la porte de la hutte face à des centaines d’adversaires.

Contre les châteaux ou fortifications, elle combinait ces des deux méthodes : d’abord l’attaque par un mage volant assisté d’un prêtre afin de décimer les défenseurs des remparts, puis une téléportation massive sur ceux-ci de la formation classique.
Zelligar, Rogahn, Zadjune, Cantiarée et Lionorée se spécialisèrent également dans des opérations secrètes en profondeur dans les terres ennemies, désorganisant une G.E.C déjà souvent mal ou peu structurée. Des opérations de ce type servirent notamment à investir par ruse des forteresses équipées contre les attaques aériennes, telles Dariol, Caër Bär Tœnder 4 ou Urf Dürfalls.

Plus méconnus mais assurément non moindres sont les exploits de la Starway sous terre. Elle employa d’abord le harcèlement, le raid par surprise, le « hit and run », afin de déstabiliser l’ennemi et d’affaiblir son ravitaillement. Renseigné par Mirhoïm puis par les nains holderinis, puis par les krynn, olges, thûzz, et naugs du monde entier, Fingarë établit une cartographie des voies souterraines afin de déclencher de multiples éboulements et comblements par le roc, mais aussi par l’eau ou par la lave, qui anéantirent la logistique de la G.E.C. Puis, réunissant tous ses membres, la compagnie affronta plusieurs armées de créatures souterraines, notamment des drows et de leurs alliés y compris démoniaques. Un terrible combat dans un défilé menant à Erelhei Cinlu forgea la légende de Negrod-Tur, paladin infranchissable et fléau des drows, depuis lors redouté de tout l’Underdark qui l’appelait l’éclair des profondeurs.

Enfin, et surtout, la Starway osa frapper les têtes. Zok’r’Tio, Klagruj, Parhuskol périrent par ce qu’il faut bien appeler des opérations d’assassinat conduites par Zelligar, Rogahn, Lionorée et Fang, préalablement élaborées avec Fingarë et Destrée. Ces disparitions privèrent la G.E.C. des brillants conducteurs militaires qui avaient déterminé ses succès.

Du nord du Wejlar au sud de l’Evriand, l’ouest connaissait alors un état de désordre indescriptible. Les possessions s’enchevêtraient, territoires et fiefs changeant de contrôle comme on change de chemise ; invasions meganarkiennes, victoires de guérillas locales, opérations de pacification vizaner, raids libérateurs d’aventuriers ou de résistance organisée, réoccupations par des secondes vagues de la G.E.C. se mêlaient les unes aux autres, rendant pratiquement impossible de savoir qui prêtait quelle allégeance à qui. Au sein de la G.E.C., le yuan-ti Zok’r’Tio, récemment réaffecté sur place, et le demi-orc Parhuskol, présent de longue date, se marchaient sur les pieds en se disputant le leadership militaire. Il fut finalement décidé que Zok’r’Tio se concentrerait sur l’Evriand et le nord-ouest de l’Empire tandis que Parhuskol s’occupait du Wejlar et de la Confédération. Ce désordre laissa le général gobelin Klamirjamaj faire le siège du « bec » de Portown avec des effectifs insuffisants pour forcer le passage.

C’est dans ce contexte que la Starway commence sa reconquête du continent. Bien renseigné par les opérations de Lionorée, elles-mêmes complétées ou corroborées par moult divinations, Negrod-Tür décide de briser les forces de Klamirjamaj en attaquant par surprise, malgré l’hiver, dans les derniers jours de l’an 4882. Ce faisant, il va donner l’illusion, y compris réelle : renforcée par des sortilèges appropriés lancés par Zelligar, d’une offensive portownienne de grande ampleur qui appelle urgemment l’envoi de renforts.
Or les secours de la G.E.C ne peuvent passer par le nord, où les wejlans résistent en s’appuyant sur le Wejlenfjord, sur la forêt de Danth, et sur de nombreuses fortifications en bon état. Ils ne peuvent non plus passer par le sud, qui est sous administration ou protectorat vizaner. Ils viendront donc de l’est, ce qui signifie qu’ils passeront par le Beraïc, dans le territoire du réseau de résistance monté par Fang. C’est là que Wengoll les attendra.

En deux semaines, du 11 au 25 Pisci, la Starway occis les centaines de gobelins, hobgobelins, bugbears et trolls composant la horde de Klamirjamaj, avant de terminer par le dragon vert que Parhuskol a dépêché en renfort. Les 27 et 28 du même mois, à cent lieues de là, Wengoll, opérant en liaison avec Fang et couvert par Destrée Bleyn, surgit des nuages pour anéantir seul les deux colonnes de renforts orcs et ogres envoyés par Parhuskol. Le plan a parfaitement fonctionné. De retour à Portown, dans une grande fête célébrant ces victoires, un Wengoll enthousiaste « prophétise » la fin de la G.E.C avant celle du millénaire. Ce sera en réalité avant celle du siècle.

Le 6 Aries 4883, Zelligar, Rogahn et Zadjune assassinent Parhuskol près de Peelstream, alors qu’il vient de traverser le Wejlenfjord.  Le 8, Dol Bera se soulève en même temps que les Paëreidhels et libère le Beraïc. Le 8, la Starway, flanquée de trois régiments de Portown renforcés d’un contingent de nains holderinis, obtient la reddition sans combat des gobelins réfugiés dans Ithyl, puis prend d’assaut le château Merendor qui contrôle les environs. Dès le surlendemain, elle commence à débarrasser les campagnes alentour des clans orcs qui les rançonnent. A la fin du mois, l’Ithylian et le Beraïc sont complètement expurgés des forces de la G.E.C. qui, désorganisées et sans chefs, se replient à toute allure vers l’Evriand ou le Wejlar. La majeure partie de l’Inwejle est reconquise dans la foulée. Il faut maintenant attaquer l’Evriand, annexé par Marn dans le cadre de la G.E.C., afin de couper la liaison entre les armées de la G.E.C opérant en Wejlar et celles en Empire.

Le 29 Aries, la Starway s’attaque aux remparts d’Evriand City. Dans la nuit suivante, Zok’r’Tio est à son tour assassiné dans une cour du Palais Ducal d’Evriand par une expédition comprenant Zelligar, Rogahn, Destrée, Lionorée et Fang. Le 30, Wengoll, Negrod-Tür, Zadjune, Mirhoïm, Cantiarée et Fingarë s’emparent de la porte principale de l’ouest de la ville qu’ils détruisent. Fingarë lance alors l’illusion d’une horde de régiments beraïcs, ithylians et holderinis prête à s’y engouffrer. Sans leur commandant en chef, les troupes de Zok’r’Tio cèdent à la panique, se défont et s’enfuient.
Du 1er au 5 Taurus, Wengoll et Zelligar multiplient les opérations volantes pour harceler ou éliminer les fuyards qui ne réussissent à être ralliés qu’à Amberfin, après quelques trois cent kilomètres de déroute. L’ogre Jiargus, principal lieutenant de Zok’r’Tio, qui tient la marche de Dürfalls, hésite : se porter sur Amberfin avec son armée ou continuer le siège d’Urf Durfalls ? Negrod-Tür n’hésite pas. Amberfin est prise par la Starway le 7 Taurus, après son plus violent et difficile combat face à des milliers d’ennemis bien retranchés et renforcés par un contingent d’ogres mages et de drows. La prise des murs se fait sans difficulté majeure mais la prise de la ville, ses rues et bâtiments, devient un enfer car orcs, ogres-mages et drows sont décidés à se battre dans chaque maison. La bataille d’Amberfin est la seule où Fingarë sera contraint d’intervenir en personne de façon léthale. Cantiarée et Zadjune devront être ressuscités. Peu après, Wengoll réalise que Loki Hellson est passé par Amberfin quelques jours avant l’attaque de la Starway pour y droguer l’ensemble de sa garnison.

Il lui apparaît alors que la G.E.C n’a pas de mage à opposer frontalement à ceux de la Starway. Wengoll s’attendait pourtant à ce que Keraptis, Loki Hellson ou quelque héritier des héritiers ou quelque mage ou liche sorti d’Icehall ou Myskrband ou à tout le moins quelques matrones drows s’en prennent à eux personnellement. Or aucun d’entre eux ne se risqua à l’attaquer directement. Seules des créatures naturellement douées de pouvoirs magiques, au demeurant peu nombreuses, tentèrent quelques affrontements. En rigolant, Zelligar lui expliqua que la Starway flanquait la frousse à ses ennemis. Ce qui semble avoir été autant une boutade que la réalité.

Le mois suivant, la Starway investit Tœnde puis contraint les meganarkiens à lever leur siège d’Urf Durfalls, libérant le nouveau Paladin Glade, intronisé depuis quelques mois, son prédécesseur ayant été tué sous les murs d’Ilnaëmb. Il a avec lui les survivants de la IIe Légion impériale, retranchés dans l’île-citadelle au coeur de la ville. C’est désormais d’une armée complète dont pourrait disposer Negrod-Tür mais il ne change pas ses méthodes. La Starway continue d’opérer seule, descendant l’Undine pour reprendre à la G.E.C. contrée après contrée, ville après ville : Corotonwn, Nederia, Isablis, et réveillant l’Empire Naëmbolt. Car le pivot de la stratégie mondiale voulue par Fingarë et Destrée consiste à ressusciter l’Empire, seule puissance de taille à vaincre militairement la G.E.C et à contrecarrer le Vizan.

Un peu comme l’Empire Naëmbolt face à la G.E.C., celle-ci ne comprend pas ce qui lui arrive. La Starway est trop inattendue, trop rapide, trop discrète, pour que ses dirigeants prennent des mesures efficientes à son encontre. Par surcroît, entre hiérarques méganarkiens, Vizan et Marn (c’est à dire Loki Hellson) ont ne s’entend ni sur qui devrait réagir ni sur comment réagir. Il devient clair que la G.E.C. paye au prix fort l’absence de promotion d’un Vlad Holghing à sa tête. Après la mort de Niokas Vraxeri, du fait de l’absence de Keraptis et de l’instabilité mentale de Grsk, Onerra N’Sadranna s’est retrouvée de facto seul chef de la G.E.C. mais en réalité arbitre entre d’une part les clergés des diverses races qui la composent, d’autre part le Loskelnai d’Iauwë, et enfin les seigneurs des Citadelles du Nord, aucune de ces factions ne s’entendant durablement avec les autres. L’inaction de Marn et du Vizan leur est vivement reprochée par Onerra N’Sadranna, mais le même grief pourrait lui être adressé depuis des années. Or, en face, les événements se succèdent.

La mort du défaitiste empereur Irwin VII permet cette même année 4883 l’avènement de Meredith III, alors réfugié dans les Barrières. L’Empereur-qui-jamais-n’entra-en-sa-capitale tentera vainement de la libérer depuis l’est, ce qui va lui coûter la vie, pendant que la Starway progresse depuis l’ouest. Mais le bref règne de Meredith III consacre un renouveau de la volonté impériale en cohérence avec l’action de la Starway. Celle-ci a désormais non seulement l’empereur mais encore la noblesse et les sujets de l’Empire pour alliés. Il en découle bien plus qu’un soutien moral ou matériel : une cascade d’adhésions à la Starway elle-même, aux premiers rangs desquelles on retrouve Orgund, l’ancien chef de Wengoll, et des noms fameux comme le mage Larraka, le guerrier Beoliant, le prêtre Cuthbert Thorvoï. Negrod-Tür, chef désormais célèbre et incontesté, se retrouve face à l’embarras du choix de ceux avec qui il va marcher sur Ilnaëmb.
Les événements consécutifs, sous les règnes de Meredith III et Cyne Ier, figurent à la IVe partie de l’histoire de l’Empire Naembolt. Il est donc inutile d’y revenir ici.

L’année suivante, pendant que la compagnie alterne combats terrestres et expéditions souterraines, Wengoll, Destrée et Fang se chargent de signaler et narrer dans le monde entier les soulèvements et victoires de l’hiver 4882-83, Ainsi la Starway suscite-t-elle maintes vocations d’aventuriers, ce qui permet la formation de petits groupes mobiles, efficients, et bien plus rapides à mettre en oeuvre que des régiments. Ces groupes s’avèrent aussi considérablement plus efficaces que des milices ou compagnies de gardes ou de soldatesque contre les monstres et humanoïdes qui se sont installés dans les fourgons de la G.E.C., d’autant que ceux-ci ne s’attendent pas à être attaqués de cette manière et n’ont pas l’habitude de combattre défensivement. Les groupes d’aventuriers impulsés par la Starway vont les chasser avec d’autant plus d’enthousiasme qu’ils reçoivent en échange le butin des envahisseurs, qui est souvent encore considérable. Ensuite, il appartiendra au politique de reprendre ses prérogatives et de rétablir l’ordre.

A l’été 4884, Fingarë et Negrod-Tür abandonnement momentanément les combats souterrains pour se tourner vers un objectif nécessaire à parfaire leur stratégie terrestre.
Le grand Royaume de Marn a alors toujours pour monarque le vieillard Ereykard III, qui ne survit que par le sang empoisonné que lui infuse régulièrement Loki Hellson et qui ressemble chaque jour davantage à un vampire décharné et insane. Les marners sont partagés : une partie du peuple et surtout de la bourgeoisie se réjouit de faire partie d’une coalition victorieuse dans le monde entier, mais tous ceux qui ont vu l’ombre qui leur sert de roi sont atterrés. Adiénaer Bärgrau, margrave de Tœnde, est l’un d’eux. Capturé par la Starway, il a été convaincu par Negrod-Tür de renverser le monarque. Lui-même convainc à son tour le jeune Enntrik, nouveau Jarl d’Ebersburg, auquel Negrod-Tür, qui n’oublie pas ses origines, est venu rendre hommage, puis Bershal IV, Duc de Maëlne. Mais le plus facile autant que le meilleur recrutement est Gervard, fils d’Ereykard III déshérité au profit de son prétendu autre fils Eyrikard, lequel est en réalité un cambion se faisant passer pour le dernier-né du roi.
Par ailleurs, dans les archives d’Evriand, Cantiarée et Lionorée ont trouvé de quoi prouver une trop parfaite collusion entre le roi de Marn et l’agent de la Great Evil Coalition qu’est Loki Hellson.

Le 28 Taurus 4883, la trahison d’Eyrekard III est révélée en pleine cour de Marn par le margrave Bärgrau de Tœnde ; un violent affrontement s’ensuit où Eyrikard est occis par Negrod-Tür. Déposé par son fils Gervard, Eyrekard III est aussitôt exécuté par Bershal de Maëlne. Fingarë reste à Marn le temps de protéger le nouveau roi Gervard II d’éventuelles représailles de Loki Hellson.
Dans les jours qui suivent, Fingarë autopsie et analyse le cadavre d’Eyrekard et envoie un message à la Roue de Bakor avec ses conclusions. Le 12 Gemini, la Roue de Bakor édicte que le contrôle d’un souverain par un mage employant des procédés surnaturels répétés et de grande ampleur contrevient à la Convention de Bakor. Le 15 Gemini, Gervard II expédie à Liftipyge un ultimatum pour récupérer les terres méridionales de son royaume et passe un contrat avec l’Ecole de Bakor afin d’assurer sa protection personnelle. Pendant les dix années suivantes, Loki Hellson ne quittera pas les murs de sa Blood Tower.

Selon Larraka, le renversement de Marn a été imaginé et planifié par Fingarë, qui en était particulièrement fier.
– J’ai rapidement pensé que Marn était la clé de voûte du dispositif de la G.E.C. lui aurait-il expliqué. Marn était le seul point de rencontre entre ses deux grands composants : la Great Anarchy au nord, le Vizan au sud. Ressusciter l’Empire n’avait de sens que s’il pouvait exercer un rôle de cloison entre eux, ce que Marn empêchait tant qu’elle était à l’ennemi. Par surcroît, exposer la tricherie de Loki Hellson invalidait l’un de nos plus puissants ennemis. La déposition d’Eyrekard a fait une seule victime pour un gain inestimable ; je la considère comme ma plus belle victoire.

Les hauts faits de la Starway font plus qu’ébranler la G.E.C. : ils sont le détonateur d’un écroulement dont les prémisses ont été constamment ignorées par des chefs restés physiquement et intellectuellement dans leurs pénates.
Holghing, Niush, Borgpht, Gorgrodd, Trollvak et même Sissipish sont toujours vivants, mais s’agacent d’être sans cesse réaffectés d’un bout du monde à l’autre au gré de décisions de moins en moins compréhensibles prises par un conseil qui semble tout ignorer des réalités de terrain et préférer jouer au wargame plutôt que de mener des politiques efficientes. D’autant qu’ils savent ce qui est arrivé à Zok’r Tio et sont inquiets et sur leurs gardes.
Bien des hiérarques sont eux aussi encore là, tels Loki Hellson, Onerra N’Sadranna, Grsk, Iauwë. Mais chacun pense la situation dans son coin, non à l’encontre les autres mais simplement en fonction de ses intérêts particuliers, imprégnés d’une croyance fallacieuse que leur grande coalition achevé ses conquêtes et qu’ils ont ainsi réussi leur mission collective quand, en réalité, le plus dur a commencé il y a déjà longtemps.
C’est en réalité la mécanique collective de la G.E.C qui s’est enrayée. Les drows et leurs alliés yuan-tis ou illithids, ayant amassé les richesses qu’ils convoitaient, sont de moins en moins enclins à prendre des risques. Bien des troupes, notamment d’élite, mais également les géants, minotaures, trolls, bugbears, en ont assez de guerroyer depuis des années parce que des leaders qui ne risquent rien en Underdark ou en Great Anarchy ne réussissent pas à leur garantir des conditions qui leur permettraient à eux aussi de s’installer et profiter durablement de leurs victoires. Holghing et Niush soupçonnent que toute cette affaire pourrait tourner mal et se sont prudemment éloignés de la Starway, feignant de mener des opérations de nettoyage en orient, laissant Trollvak mener le siège d’Ilnaëmb et Gorgrodd et Borgpht conduire ailleurs une guerre devenue défensive. La mécanique de la G.E.C est décidément bein abîmée, d’autant que le démiurge qui pourrait la réparer l’a de fait quittée.

 

Keraptis en solitaire

Jool Auchmurr’h, qui rencontra Keraptis à Vizinov dans les premiers jours du sixième millénaire pour le convaincre de raconter l’histoire de la G.E.C., se souvient d’un homme — ou plutôt d’une liche ayant pris apparence humaine  — très affable, poli, presque serviable, au point qu’il lui fit l’effet d’un masque un peu trop soigneusement agencé. Maître Auchmurr’h a notamment consigné dans ses notes ce passage de leurs entretiens.
– Je ne me suis jamais beaucoup intéressé au femmes. Je suis de ceux pour qui le travail ou l’idéal passent avant le reste. Pour atteindre ce qu’on veut, on doit jeter ce qui encombre ou qui gêne. Par exemple l’amour, y compris l’amour-propre. Le coeur, je n’ai pas eu le temps pour. Le coeur vous rend fragile. La fragilité est un luxe que je ne pouvais pas me permettre. Séduire, je sais faire,  mais seulement si ça sert le but que je me suis fixé et seulement à proportion de ce but. Le reste, les affaires de coeur, ça ne m’intéresse pas. La loyauté, l’estime, la reconnaissance, ça oui. Mais le coeur, c’est vulnérable, c’est une chose faible, il suffit d’un mot ou d’un poignard pour qu’il cesse de battre et donc de compter.  Cette façon de voir était d’ailleurs aussi celle de la plupart de mes camarades. Peu ont fait souche. Les Vraxeri sont une exception.
Le Maître Barde demande alors à Keraptis s’il a conservé un portrait de lui en jeune homme. Ce dernier lui répond que non et que de toute manière cela n’aurait aucun intérêt. Le Maître Barde observe un raidissement dans les manières de son interlocuteur mais ose poursuivre en suggérant que même les mages sudelyns peuvent trouver à s’amuser dans leur jeunesse.
– Oh je ne dis pas le contraire. J’ai tâté de la gueuse, pour ce qu’il me fallait, à l’époque. Mais c’était il y a si longtemps : des siècles désormais. Cela ne compte pas. L’amour qu’on mesure en siècles, il faut être elfe pour le subir. Et puis de toute manière, parmi nous, j’étais le plus moche, avec Grsk. Le malingre et le bossu : on faisait la paire. Rien à voir avec le bel Iliokè, Vraxer et ses gros biceps, la prestance naturelle de Molior, pour ne parler que des mecs.
Le Maître Barde note pour lui-même qu’il n’y a pas d’autres « mecs » chez les Seconds Héritiers. Il répond que les hommes ne tombent pas amoureux des femmes selon les mêmes critères que l’inverse.
– Je connais peu de monde qui sache mieux que moi le pouvoir de séduction de l’intelligence réplique en souriant Keraptis.
Le Maître Barde souligna plus tard dans ses notes cette phrase qui termine sa relation de cet entretien, en y ajoutant : « Iauwë ? ».

De l’avis général, au moment où la Starway commence ses opérations, Keraptis n’était plus lui-même. La matrone Eclavdra qui l’a bien connu à cette époque, confiera à Luhor qu’il semblait avoir pris conscience d’une sorte de manque qui le maintenait dans un état d’instatisfaction certes refoulée quoique néanmoins perceptible pour quelqu’un d’aussi intelligent et fin qu’elle-même.
Keraptis était pourtant encore au faîte de sa gloire. La direction de la G.E.C. lui tendait les bras. Eclavdra venait de lui offrir l’épée Blackrazor en gage de son estime. Les orcs de Meganarkia, triomphants en Wejlar, lui apportaient en offrande le marteau Whelm récupéré d’une cité Krynn. Le trident Wave lui fut envoyé depuis l’Empire en hommage de potentats espérant qu’il vienne organiser un nouvel état sur leurs terres. Gaùruil appelait à son arbitrage dans la querelle entre les descendants Vraxeri. Loki Hellson lui demandait conseil sur la manière de traiter Liftipyge via le pantin Ereykard. La Reine-Mère Onerra Nsadramma  ravalait sa jalousie de le voir fréquenter cette petite péronelle d’Eilservs pour redemander sa présence au conseil des hiérarques par des requêtes aux allures de suppliques.

Mais ses entretiens avec Iauwë avaient installé Keraptis dans une sorte d’inextinguible exaspération. C’était un peu trop facile, tout de même. Cette monstruosité elfe commet les mêmes saloperies que lui, en plus fricote avec les pires abominations de l’univers, après quoi elle éradique des millions de vies et hop ! un petit pardon divin et la voilà reine, tranquille, sacrée, au milieu du monde, comme si de rien n’était, avec la bénédiction de Straasha et d’Heimdall et de Yog-Sothoth réunis ?
Et lui alors ? Lui le penseur et l’architecte de la plus vaste conquête de l’histoire, lui qui n’a depuis des siècles cessé de renverser les ordres établis, lui qui a toujours fait passer l’intérêt collectif avant sa gloriole personnelle, lui le fédérateur des drows et des trolls, des orcs et des dragons, des kobolds et des géants, lui qui fait la leçon au Sultan de Vizan comme à la reine-mère des elfes noirs, lui qui a organisé et prévu la chute de Dere, le dépècement de l’Empire, l’impuissance d’Avros, il serait tout juste bon à servir de laquais à cette roitelette de Shaggoth, cette ex-Héritier qui n’a pas le dixième de son talent ni accompli le dixième de ses prouesses ?

Il se devait d’exiger du destin mieux que qu’en avait obtenu Iauwë. Lui ne deviendrait pas roitelet d’une terre paumée au milieu d’une mer pourrie. Il allait viser bien mieux et bien plus.
Sans doute considéra-t-il les couronnes qu’il pourrait s’offrir ou se voir octroyées : Farxel, Okhpuhr, Arkandahr, Zevjapuhr, quelque Varikland du sud, quelque découpe dans le ventre de l’Empire. Mais cela ne suffisait pas. Il lui fallait chercher plus haut, et même au plus haut, afin de montrer au monde qui il était et remettre Iauwë à sa place.
Le Vizan ? Liftipyge est un allié.  L’Empire ? Il faut l’achever et non le relever. Dere ? Soyons sérieux. La Meganarkia ? Elle n’est pas plus unifiable que le Tangut. Il ne reste alors que le Wejlar. Le plus vieil état des humains, dont le prestige l’influence historique sont incomparables. Régner sur le Wejlar, c’est s’adjuger la référence de tous les états humains du monde, l’inévitable point de comparaison. A peu près tous les pays de Derenworld se sont à un moment ou l’autre de leur histoire référés au legs social du Wejlar. En plus le pays est à reconstruire : il lui apportera à foison les richesses de Nurmania, établissant une puissance et prospérité sans pareilles dans l’histoire du vieux royame, devenant ainsi le monarque le plus admiré du monde. Pour Sa (future) Majesté Keraptis, ce sera donc le Wejlar.

La fracture qui apparaît ainsi dans le psychisme de Keraptis est surprenante, ne serait-ce que parce qu’il gouverne déjà ailleurs un monde entier. Surtout, son ambition de devenir monarque sur Derenworld contredit toutes ses démarches créatrices de la G.E.C. : Keraptis n’a jamais considéré la domination de terres comme une fin en soi mais comme un moyen d’en finir avec une prééminence elvo-naine à la fois injuste et oppressive. Auchmurr’h relève que le seul nom de Derenworld, par la référence qu’il contient, était insupportable à Keraptis.

Mais l’esprit du mort-vivant est incompréhensible à celui des vivants. Cet esprit n’est pas préparé à perdurer pendant des siècles. Il n’est pas construit pour être privé de l’inéluctable repos de la mort. Lorsque devant Auchmurr’h, Keraptis se moque de la fragilité du coeur, c’est aussi pour ne pas parler de celle de l’esprit. Les nécromanciens disent que l’enveloppe matérielle du mort-vivant est souvent à l’image de ce qui lui sert à penser. Ce qu’il lui reste d’un esprit qui fut vivant est comparable à ce qui reste de raison chez le fou. L’axiome sekerite énonçant que désirer la mort-vie est signe autant de blasphème que de démence n’est pas qu’un proverbe.
Enfin, s’il apparaît plausible que Iauwë ait voulu porter un coup à Keraptis, ses buts et motivation réels demeurent un mystère, d’autant que rien n’indique qu’elle ait voulu le délabrement mental qui en sera la conséquence. Il y a dans cet épisode de ces deux vies des non-dits très profonds, d’intimes fêlures, les reliquats d’anciennes histoires ou de vieux penchants à jamais inavoués.

Néanmoins, ignorant tous les appels qui lui étaient adressés, Keraptis se lança seul dans son projet de devenir roi de Wejlar qu’il était également seul à ne pas trouver absurde.
Certes le Wejlar peut apparaître à cette époque une proie relativement facile. A Luckshyn XI, qui a vainement tenté d’alerter le monde quand il en était encore temps, a succédé le vieillissant Johan XIII, au règne tragique, qui a perdu ses deux fils dans les guerres contre la G.E.C. Dernier survivant de la monarchie olanique, il est en fuite, supposément quelque part dans les montagnes du centre de son pays dont pratiquement tout le reste est tombé entre les mains de la Great Anarchy. Keraptis peut ainsi penser qu’il suffira de faciliter la mort de ce monarque sans descendance ou à tout le moins de l’attendre en l’espérant la moins éloignée possible, puis de s’emparer des trois Attributs des monarques olaniques : la couronne, le sceptre et la ceinture, pour se faire couronner ainsi légitimement 5.

Keraptis n’ignore évidemment pas qu’il s’éloigne dangereusement de la G.E.C., perdant son rang de hiérarque architecte coordonnateur pour devenir le profiteur d’un mouvement d’ensemble. Qu’il devienne roi, même de Wejlar, n’est pas ce qu’attendent de lui une Besandra Xanishal ou un Liftipyge de Vizan, ni ce à quoi il s’était engagé. A l’évidence, mettre la couronne sur sa tête signera le début de sérieux ennuis. Il tient donc secrets son action comme ses projets, qu’il ne pargage qu’avec les seuls Eilservs et seulement dans un premier temps. Il commence à édifier des bases en Wejlar, telles la nouvelle ville de Laoreshik ou la forteresse de White Plume Mountain, au pied de laquelle un vaste camp héberge son armée nouvellement épaulée par de nombreux clercs de Set.

Car dépourvu de ses alliés traditionnels, Keraptis s’est tourné vers Set, auquel il manifeste un attachement aussi récent que vif en croyant, à tort ou à raison, que ce dieu est seul à pouvoir lui venir en aide.
Keraptis était toujours resté très discret sur sa religion, semblant n’y accorder qu’une importance très relative, au point qu’on ne sache qui il vénérait réellement. Mais à compter des années 4880 il se considère, comme Set, ou aussi Gruumsh ou Hecate, victime d’un ordre établi qui façonne la morale au gré de ses propres intérêts et réécrit l’histoire du côté des vainqueurs. Il compte également s’appuyer sur le clergé sethiste qu’il imagine devenir un conciliateur entre la Great Anarchy et les traditions humaines du Wejlar, afin maintenir sa férule sur de dernier une fois devenu son roi.

Seulement voilà : Johan XIII ne meurt pas et ne semble aucunement prêt à mourir. Il se terre, caché, en attendant que les choses se passent, insufflant par sa seule survie la volonté de résistance de son royaume. Or Keraptis a beau dépêcher des agents dans le Wejlar entier, le roi demeure introuvable.

Auchmurr’h y voit le premier signe irréfutable de la dégénerescence intellectuelle de la liche. Le Keraptis d’il y a vingt ans aurait compris que de nombreux intérêts se conjuguaient pour éviter une mort du dernier roi de Wejlar qui, dans les conditions actuelles, porterait un coup fatal aux dernières défenses de son pays. Car nombreux sont ceux qui redoutent de voir ce pays tomber aux mains d’une Great Anarchy qui s’étendrait alors sur l’intégralité du tiers septentrional de Derenworld. Il est ainsi notoire que depuis plusieurs années, le Lowenland, Portown ou Mirba aident et financent des compagnies comme celles de Negrod-Tür ou de Rogahn et Zelligar. D’autre part, et surtout, un Liftipyge pense lui aussi que le maintient d’un Wejlar résistant offre un tampon bienvenu entre la Great Anarchy et des terres qu’il s’efforce de rallier à sa civilisation. C’est pourquoi il a offert à Johan XIII l’appui d’Ibzol, mage émérite de l’école d’Emer, qui a rendu le vieux monarque indétectable par des moyens surnaturels. En gratitude, Johan XIII a remis la ceinture de Wejlar à d’Ibzol, offant de facto au Roi des Rois vizaner un droit de regard sur la succession de Wejlar.

Tout cela, Keraptis l’ignore et il continuera de l’ignorer. Depuis son antre de Laoreshik, bizarre ensemble de pyramides édifiées à l’aide de sortilèges et de golems sur les contreforts septentrionaux des Krennered Andunë, il espère inonder le Wejlar de prêtres de Set qu’il s’emploie à former le plus vite possible. Une expédition lui a rapporté le sceptre de Wejlar, pourtant bien caché dans une anonyme cave de Wejlara : ça lui fait déjà un des trois Attributs royaux. La Couronne est avec le roi : il faudra la prendre sur son cadavre. La ceinture demeure introuvable mais ce n’est assurément qu’une question de temps.

Pendant des années, Keraptis va ainsi rompre graduellement avec Grsk, avec les autres hiérarques, et même avec les Eilservs, ne manifestant d’attachement qu’à un dieu dont il croit, à tort ou à raison, qu’il est le seul à pouvoir lui venir en aide ; car comme Set avant lui, Keraptis, désormais, veut régner et il ne veut rien d ‘autre.
Planqué en Norwejle, il se fait passer pour un Warlord sethiste de la G.E.C. qu’il a en réalité commencé de trahir par abstention, laissant la Starway vaincre et tuer Parhuskol et Zok’r’Tio, puis affronter Gorgrodd.

Gorgrodd est un excellent commandant. Ogre mage rusé qui aime à se polymopher en orc, il tout appris de Holghing et est devenu l’un de ses meilleurs lieutenants puis l’un des principaux vainqueurs de l’Empire. Spécialiste du combat en climat nordique, il a été nommé généralissime de la Great Anarchy en Wejlar après les décès de Parhuskol et Zok’r’Tio. Il a profité de la bifurcation de la Starway vers l’Empire pour rallier les troupes défaites en Evriand. Puis, dans les premiers jours de 4885, il déferle depuis la place stratégique de Dariol vers le sud, au coeur du pays, tout en poussant simultanément vers l’ouest pour déboucher dans le Wejlar occidental afin d’encercler l’Inwejle par l’arrière. C’est une opération que Keraptis connaît fort bien pour l’avoir lui-même effectuée des décennies plus tôt du temps des Seconds Héritiers.

A cette époque, la Starway est pleinement engagée dans la libération de l’Empire, à commencer par sa capitale Ilnaëmb. Avec, pour Negrod-Tür,  une certaine réticence  : s’employer au secours de l’empereur Cyne plutôt qu’à celui de Johan XIII attriste le chevalier de Kalderland qu’il demeure et qui a pour mission la libération du Wejlar. Il a confié cette tâche à un rassemblement hétéroclite d’ithylians et evrianders qui se sont bornés à pourchasser une armée de Parhuskol en débandade, harcelée de concert avec les nains krynns, jusqu’à la passe de Dariol où elle est ralliée par Gorgrodd. Ce temps a été mis à profit par les Portownians et Wejlans pour nettoyer l’Inwejle de la présence ennemie puis prendre position à l’ouest des Ered Krenner, en Swanmere et Meindes. Les troupes des alliés du Wejlar se sont alignées face à Dariol, protégeant le sud du pays. Ce sont elles qui sont pulvérisées par la grande offensive de Gorgrodd.

Cette fois, Negrod-Tür n’y tient plus. Remettant les rênes de la Starway en Empire à Orgund et Larraka, il se précipite en Wejlar avec la Starway « historique » : Mirhoïm, Destrée, Lionorée, Wengoll, Rogahn, Zelligar, Zadjune et lui. Au grand dam de Fingarë, pour qui le Wejlar demeure accessoire et qui reste en Empire en avertissant ses compagnons qu’ils commettent une erreur, empêchant d’ailleurs quasiment par la force son neveu Fang de les rejoindre.
Cependant, Zelligar, Rogahn, Zadjune et Lionorée opèrent un coup de maître en reprenant audacieusement Dariol que la Starway va ensuite tenir. Cet exploit isole de la Great Anarchy les forces lancées par Gorgrodd en Inwejle, lesquelles sont virtuellement anéanties. La prise de Dariol a un retentissement si considérable qu’elle vaut à la Starway la visite de Johan XIII qui veut en personne remercier les héros. Cette nouvelle galvanise le pays et, de rage, les hiérarques ordonnent que Gorgrodd rase l’antique capitale Wejlara.
C’est sans doute la pire des déprédations commises par la Great Anarchy de toute son histoire : des siècles et même des millénaires de splendeurs architecturales sont intégralement anéantis. La consigne de Gorgrodd est que pas un seul bâtiment ne demeure debout : elle sera respectée.

Cela, Keraptis ne le supporte pas. Wejlara est sa promise. Sa capitale. Le terrain de son sacre, le siège de son règne, sa ville royale. Qu’on l’envahisse et pille, passe encore mais qu’on la lui ôte, qu’on l’en prive ! Ca, ça ne passe pas.
Lui-même y a souvent séjourné. Il a connu la vieille cité au climat glacial, ses maisons de pierre grise et d’ardoise, ses murs maintes fois assiégés et reconstruits, ses avenues élégamment pavées par les gnomes de Gooodfield et les nains de Krynnland, ses petits temples et ses hautes églises, ses tavernes et ses auberges où battait le coeur multiséculaire du royaume. Il a laissé ses orcs, ice gnolls, trolls ou yétis festoyer dans ses rues, piller ses richesses, et puis, évidemment, s’en aller, afin de laisser aux humains le temps de se refaire, quitte à revenir les piller de nouveau. Le Wejlar est ce grand ennemi qu’il convient de combattre, de vaincre, d’assujetir ou d’humilier, mais non d’anéantir.
D’autre part, cette Starway triomphante à Dariol qui reçoit par dessus le marché la bénédiction du cacochyme Johan XIII devient assez embêtante. S’ils ne veulent pas se trouver éliminé dans la course au prestige, valeur singulièrement importante en Wejlar, Keraptis et le clergé de Set ont besoin d’un grand coup, à la mesure de la victoire de la Starway à Dariol, afin d’impressionner le peuple et le monde. Le peuple aime les sauveurs : le temps n’est-il pas venu d’en paraître un ?
Keraptis choisit : il lance son armée contre Gorgrodd. Et plus encore, tel un mage de la Starway, il se rend seul à Wejlara où, comme au temps des Seconds Héritiers, il déchaîne des tempêtes de feu et d’électricité sur les ruines de la cité, fauchant par centaines les hordes de cette Great Evil Coalition dont il fut le concepteur et l’architecte. En quelques semaines il chasse du Norwejle un Gorgrodd totalement surpris et s’installe sur le champ d’éboulis qui fut la capitale du Wejlar.

La réapparition de Keraptis dans ces circonstances ébahit le monde. La menace qu’il représene fait d’autant plus frémir  que personne ne réalise les pertes effroyables qu’ont subi ses troupes en combattant celles de Gorgrodd, pertes dont, en bon Second Héritier, il n’a cure.
La Starway, installée à Dariol, se retrouve à l’ouest avec une sorte de prince de Wejlara qui se targue de contrôler le Norwejle, à l’est avec un Gorgrodd dans une déroute relative, car la Great Anarchy a senti le danger. Cette fois, tous y vont : non plus seulement un Gorgrodd, un Grsk, une Eclavdra Eilservs ; cette fois, ce sont Myskrband, Icehall, Sylax, Saïkantrha, Helkmoor, Gaùruil qui fournissent le contingent. Cette fois ce sont de très anciens dragons encadrés par des mages qui ne sortent jamais de leurs murs qu’accompagnés de créatures abominables, qui viennent à la bataille. Cette fois ce ne sont plus des orcs ou des gobelins mais des beholders, des illithids, des gorgimères, des golems, des hydres, des hordes morts-vivantes qui se mettent en marche. Cette fois la rumeur se répand que le mentor de Hornst, « le Nourricier lui-même », serait très en colère. Contre Keraptis.

C’est ici que les travaux d’Auchmurr’h et de Luhor atteignent leur limite car le sort exact de Keraptis face à cet ennemi est inconnu. Luhor estime que Keraptis, en 4886, est devenu fou, au sens où son esprit a perdu une grande part de sa capacité à appréhender la réalité pour en déduire des conclusions logiques. On sait qu’il continue d’exister puisqu’on a trace quelques années plus tard de vaines tentatives de prendre le pouvoir à la mort de Johan XIII, que sa présence « chez lui » en Nurmania est constamment attestée, et qu’il rencontrera ensuite, sans doute en 5002, le Maître Barde  Auchmurr’h. Mais ce qu’il advint précisément du Keraptis campant dans les ruines de Wejlara demeure un mystère. Le rouleau compresseur lancé par la Great Anarchy écrase ses armées dont il n’a pas pris soin de renouveler à temps les effectifs, sans réussir à s’emparer de lui. De même, les quelques principaux compagnons restant à Keraptis, essentiellement la dracoliche Dragotha et de hauts prêtres de Set, sont mis à l’abri et ne seront d’ailleurs guère inquiété par les méganarkiens.
Pour le reste, c’est l’incertitude. Les membres de la Starway « historique » affirment n’avoir jamais ni vu ni affronté Keraptis personnellement sauf Zelligar qui refusa d’indiquer s’il l’avait ou non rencontré. Des elfes d’Heffenorë rapportent avoir vu Keraptis gagner un duel dans les neiges contre un sorcier mystérieux, probablement le Grand Maître de Myskrband, avant de disparaître. Des romances en ont fait l’esclave ou l’amant d’Iauwë, ce qui est fermement démenti par des sources fiables à Poutak, mais colporté à Vizan et en Arkandahr. Les sages d’Enlight, en Empire, ont formé l’hypothèse, devenue assez répandue, qu’un pacte avec Set l’aurait préservé. En Great Anarchy, il est communément admis qu’il s’est présenté en pénitent à Gaùruil, ou Sylax ou Icehall selon les versions, où il serait resté prisonnier. Enfin, comme l’archimage Roen, Loki Hellson, étrangement débonnaire à ce sujet, affirme en souriant que Keraptis « has as usual fucked everyone, including me ».

Cependant, le moins qu’on puisse dire est que la propagande espérée par Keraptis a lamentablement échoué. Non parce qu’il aurait été vaincu mais parce qu’au lieu des armées d’humanoïdes qu’il a pour une bonne part exterminés, le nord du Wejlar est désormais envahi par des monstres parmi lesquels les géants des glaces auraient presque l’air sympathiques si on les compare aux beholders, mind flayers, mort-vivants et autres dragons blancs infestant désormais la contrée. Ce sont ces adversaires que le Wejlar et la Starway vont devoir se coltiner grâce à la « menace » Keraptis. A cette nouvelle, Fingarë souligna très sérieusement qu’il leur avait bien dit de ne pas intervenir en Wejlar, ce qui en irrita plus d’un.

A partir de 4887, la Starway affronte dans le Norwejle les abominations issues des racines de la Great Anarchy : les Citadelles du Nord. Elle y perd Destrée Bleyn d’Isis, emportée par un dragon blanc qui n’a jamais été retrouvé alors qu’elle était en soutien de Wengoll, puis Mirhoïm, tué dans un combat nocturne par des morts-vivants et transformé en l’un d’eux. Même renforcée de Beoliant et de Cantiarée en remplacement des décédés, le morceau semble bien cette fois trop gros pour la seule compagnie qui se retire à Ithyl, où Wengoll vient d’être intronisé comte Merendor, afin de faire le point pendant l’hiver 4888.

Au printemps suivant, Negrod-Tür, Wengoll, Cantiarée, Lionorée, et Beoliant partent en Underdark depuis le Krynnland, laissant la défense du Wejlar à Rogahn, Zelligar, Fang et Fingarë. Accompagnés de renforts épisodiques, ils vont s’enfoncer jusqu’à atteindre les plus vastes cités drows, les repaires des illithids et des beholders, les temples où se transforment les morts-vivants. Ils passeront le plus clair des années suivantes sous terre, appuyés par les krynn, les naugs, les convads, ne cessant de combattre, progresser, éradiquer des ennemis, cela tant de fois que le récit de tous leurs exploits reviendrait à une énumération fastidieuse et ennuyeuse. Le point fondamental est que la Starway porte la guerre en dessous de la Great Anarchy, avançant inexorablement vers les Citadelles du Nord. Ils arrivent dans Sylax, obligeant son grand-maître, l’Arch-Wizard Eïgnestry, à prendre la fuite. Ils arrivent dans Helkmoor, gardée depuis des temps immémoriaux par le Grand Ver de Glace, le Great Icewyrm Shilyarsssix, dont Negrod-Tür enverra la tête coupée servir de trophée à Chemnarg. Ils arrivent devant Saïkantrha qui capitule en livrant ses deux seigneurs, la Reine-Lamia Yaharzed et la demi-liche Voxerra, qui auront juste le temps de s’enfuir. En Wejlar, Rogahn et Zelligar défont méthodiquement, l’un après l’autre, les monstres meganarkiens. Dans le reste du monde, le reflux bat son plein : l’Empire s’est relevé, le siège d’Ariacandre est rompu, les Thûzz ont aidé à libérer le Gaïko, Marn et le Farxel se coordonnent contre le Vizan qui cherche des solutions diplomatiques.

Onerra N’Sadramma comprend en 4893 que la partie est perdue lorsque les seigneurs des Citadelles demandent à Iauwë et au Loskelnaï de quitter avec eux la G.E.C. La grande alliance des monstres se délite faute de structures centrales, faute de coordination, faute aussi d’évolution. Ses serviteurs préfèrent s’enfuir avec leurs butins plutôt que de combattre pour une cause qu’ils ne comprennent plus. Sans la poigne d’un Holghing, sans l’incessante activité d’un Keraptis, sans le silencieux labeur d’un Niokas Vraxeri, le chaos et le désordre naturel reprennent le dessus. Plus personne ne vient sauver son voisin parce que l’architecture militaire de la G.E.C. n’a jamais produit de plans ou stratégies défensifs. Reparaissent les gnolls qui refusent de voler au secours de yuant-tis qui méprisent les orcs qui détestent les gobelins. Les dragons ou les géants font peur aux trolls et gnolls qui ont cessé des les considérer comme des alliés ; que dire alors des morts-vivants, des abominations, des démons et des drows qui effraient tous les autres ?
Ce sera déjà bien si la Great Anarchy peut sauver ses gains territoriaux en Empire, Arkandahr, Wejlar.

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1 — Fingare « le Bâtisseur »
Il naît dans la forêt de Vynar à la fin de l’Ere Elfique. Ses parents constatent dès son plus jeune âge qu’ils ont mis au monde un elfe atypique, sinon anormal: surdoué, suractif, introverti, peu intéressé la conception elfique de l’existence. Remarqué par Gwaigill Elengal, avec qui il partage une intelligence hors du commun doublée d’un physique ingrat, il devient son élève. Prodigieusement curieux, animé par une psychologie plus proche de l’humain que de l’elfe, il s’intéresse à tout.
Ses siècles passés au sein du Cercle d’Evlinne sont marqués par la fin de l’Ere Elfique, lorsque les Ainequendi renoncent à tout rôle politique majeur, puis par l’émergence du Grand Wejlar et enfin par la Prédiction d’Onomorë, prophète Sindar qui annonce le déclin des elfes et la future suprématie des humains. Le vol d’Eremothep et le départ des Falinorë achèvent de convaincre Fingarë qu’Onomorë voit juste.
Après plusieurs siècles d’études, il décide de quitter les forêts elfiques et de découvrir le monde sous l’apparence d’un humain et en adoptant leur mode de vie. Il sera successivement maçon, charpentier, ingénieur, paysan, garde forestier, ouvrier de manufacture, tapissier, marinier, couvreur…. Il étudie l’architecture et la sculpture à Zevjapuhr, où se forge sa vocation d’architecte, l’ingénierie civile à Enlight et Rwandel, l’architecture militaire et minière à Narzâd, les Beaux-Arts à Anhâbad… Devenu achitecte, il visitera Gelkard, Dere, Ostohar, Emer, Tresa.
De retour en Arlve, il exerce les métiers d’architecte, de mage civil, d’ingénieur, en commançant par oeuvrer à la restauration du château de Lendore puis de la citadelle de Dürfalls. On lui doit les villas dites « fingaréeennes » en Zevjapuhr, Okhpuhr et Lowenland, la conception du dôme du Palais Ducal d’Evriand, les plans de nombreux manoirs dits d’agrément en Wejlar et ex-Confédération où l’accent est mis sur la lumière et sur la simplicité des formes, s’inspirant considérablement des traditions d’architecture religieuse et civile kelnoréennes. Il y affirme son style, source d’inspiration et d’imitation dans le monde entier. Fingarë s’oppose à l’élévation pour l’élévation, à la grandeur pour la grandeur ; il prône que la beauté architecturale est indissociable de la fonction du bâtiment ou de ses composants, ce qui suppose de rechercher une élégance dénuée d’ascétisme autant que de surcharge.
Maître Enchanteur de l’Ecole d’Evlinne placé immédiatement sous Gwaigill Elengal, il crée des dizaines d’objets magiques les plus divers dans plusieurs laboratoires.
Abordant la magie de manière typiquement elfique, c’est à dire fondée sur un rapport entre des objets parfaits et une thaumaturgie pure plutôt que sur des processus alchimiques transformateurs de matière, il pouvait sans difficulté consacrer des décennies à telle réalisation ou projet l’absorbant tout entier. On dispose de très peu d’ouvrages de sa main malgré une vie de plusieurs millénaires millénaires, car Fingarë n’aimait pas écrire ni théoriser. Il disait rêver ses projets qu’il concevait sans support matériel, uniquement en mémoire, dans le souvenir d’un rêve éveillé. Il pouvait rester ainsi plusieurs semaines comme endormi, plongé dans des spéculations intellectuelles connues de lui seul. Ces phases d’étude et de travail étaient entrecoupées de moments de laisser-aller complet où il se rendait généralement à Zevjapuhr, incognito, pour se livrer à la débauche, à la drogue, et à toutes sortes de fêtes. D’une timidité extrême, il souffrait de difficultés d’élocution que l’alcool l’aidait à surmonter. Il semblait souvent à côté de la conversation, comme blasé ou même éteint, jusqu’à ce que quelque chose l’intéresse soudain suffisamment pour qu’il surmonte sa timidité et que son intelligence se réveille.

2 — Nirnemianne, la jeune sœur de Fingarë, poétesse de son état, appela son premier fils Fëafanghyarmë, ce qui signifie à peu près « l’esprit acéré du rocher du sud ». Quelque soit sa valeur poétique chez les elfes, ce nom était quasi imprononçable par des humains ; Fëafanghyarmë prit donc coutume de se faire appeler du raccourci « Fang », sous lequel il est resté connu.

3 — La hutte de force fut à l’origine inventée pour pouvoir camper en étant protégé des intempéries tout en continuant à observer le milieu environnant. Le cercle d’Evlin en fabriqua une dizaine dont il conserva deux exemplaires. L’un d’eux fut modifié par Fingarë pour devenir la hutte de combat.
La hutte est intégralement construite en parois de force. Elle crée un espace circulaire d’un diamètre de 20 pieds (12 mètres) au sol qui forme également plancher et qui se prolonge verticalement en un cône culminant à 30 pieds (18 mètres). Cet espace présente une ouverture au sol de 2 mètres de haut sur 6 mètres de large, permettant à deux combattants de front de s’y tenir.
Activée, la hutte est posée sur le sol. Il est possible de la déplacer ou pivoter, la hutte entrant alors en lévitation à 1 cm du sol. Si son possesseur se déplace, il affronte les obstacles éventuellement rencontrés par la hutte sur son parcours et doit exercer suffisamment de poussée pour les mouvoir le cas échéant.

4 — Château de l’Ours, surplombant la ville de Tœnde, laquelle est la porte d’entrée orientale du royaume de Marn.

5 — Comme Marn, l’Empire, ou encore le Tangut, le Wejlar est une monarchie dite attributaire, dont il fut d’ailleurs le prototype : la détention des trois attributs matériels du pouvoir du souverain rend incontestable la légitimité d’un règne.


Contrée de Great Anarchy : accès aux parties 123457

Illustrations : HBO Game of Thrones, Saison 7 ; Larry Elmore, Dragon n°65 ;
David Trampier, In Search of the Unknown (module B1) ; Jason Scheier, Artstation.

2 commentaires sur “Contrée de Great Anarchy : 6e partie

  1. A l’attention de Monsieur « EL KAZZ » Dungeon Master et Arbitre
    Derenworld – Elgebir

    Affaire : G.E.C. c/ Starway

    Objet : Note en défense

    Monsieur le DM,

    En ma qualité de conseil de la Great Evil Coalition (G.E.C. – personne morale déposée- en force – au registre d’Ithyl au numéro 666), je vous prie de bien vouloir prendre connaissance des observations ci-dessous développées dans l’intérêt de la G.E.C.

    Vous n’êtes pas sans savoir, Monsieur le DM, que mon client a subi au cours de l’histoire Derenworldienne, une condamnation devant la Cour d’appel de l’Histoire.

    Cette condamnation ressort d’un arrêt d’infirmation rendu au terme d’une longue procédure où le jugement de première instance avait fait l’objet d’un appel diligenté par Messieurs Wengoll, Negrod-Tur et consorts, représentants légaux de la Starway.

    Or, au regard d’un récent article paru sur le blog officiel de Derenworld (G.E.C. – 6e partie), certains éléments m’amènent à vous présenter des observations qui pourraient – sous toutes reserves – se trouver à fonder une action en révision.

    En effet, il ressort des éclairages signés de votre plume dans l’article susmentionné les éléments suivants :

    Au cours de ses opérations de combat, la Starway a fait usage de sa magie, dans un cadre dit « aventurier ».

    Il ressort de ces constatations détaillées dans l’article susvisé que cette magie a été exercée dans le cadre d’opérations militaires, dans lesquelles un groupe d’aventuriers a affronté des troupes constitués de dix adversaires ou plus.

    Il a ainsi été notamment rapporté des exploits de mages, infligeant de lourdes pertes à des troupes militaires le plus souvent dépourvues de toute magie.

    En dépit de certaines affirmations, il apparaît au sens de La Défense que ces actions contreviennent totalement et délibérément à l’article II de la Convention de Bakor.

    Surabondamment à l’infraction faite à la lettre du texte sacré, la méthode employée par la G.E.C. contrevient également à l’esprit qui a gouverné à la rédaction de la Convention de Bakor.

    En effet, le renversement de situation militairement ou politiquement établie, par le seul fait ou par le fait notable de l’utilisation de la magie par l’un de ses praticiens, forme précisément la catastrophe contre-nature qui a constitué la All Wizard’s War et dont les effets néfastes ont abouti au Concile de la montagne sacrée et au texte susmentionnée.

    Toutefois, et malgré les dispositions prises à cet égard qui n’ont pas manqué de frapper par le passé comme le confirmait une jurisprudence jusque là constante (affaire Celebengrin c/ Vizan), la congrégation de Bakor s’est abstenue de toute intervention en l’espèce, violant son serment et causant par-là même un préjudice très important à la G.E.C.

    En conséquence, la Great Evil Coalition se réserve le droit de porter devant vous une action en révision sur l’affaire dite de sa défaite, et se réserve de la même façon le droit d’assigner devant vous la Congrégation de Bakor représentée par Maître Qwim.

    Vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien accorder à la présente, je vous prie de croire, Monsieur le DM, en l’expression de ma meilleure considération.

    Maître Hilarion LE VELACE
    Cabinet Hell and son
    Avocat au barreau de Blood Isle

  2. Cher Maître

    Votre lettre a été reçue et transmise aux autorités compétentes qui ne manqueront assurément pas d’y répondre.

    Avec mes compliments pour votre brillant travail,

    Je vous prie de me croire votre bien dévoué

    DM

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