D&D 5 à la sulfateuse

19 mai 2014 par Kazz → Non classé

Je sais que je tire sur une ambulance, vu ce qu’il reste aujourd’hui de Dungeons & Dragons. Il faut avoir de la merde dans les yeux pour ne pas comprendre que les numéros des éditions dont on affuble ce produit servent seulement de cache-misère à une opération commerciale consistant à vendre à nouveau les mêmes objets : manuels de jeu, suite de recueils de monstres, livres spécialisés, règles optionnelles, et les accessoires qui vont de plus en plus forcément avec : écrans, plans modulables, figurines, abonnements variés… On sait que le D&D- le-vrai, c’est Pathfinder ou AD&D. On n’ignore pas non plus que le groupe propriétaire du fabricant de ces produits a envers le jeu de rôle les mêmes sollicitude, connaissance et intérêt qu’un trader de chez BNP-Paribas. Mais au moins, chez BNP-Paribas, ils n’essaient pas de vendre ce qui est gratuit partout ailleurs.
Alors oui, une gueulante supplémentaire au sujet du cadavre D&D que son éditeur essaie péniblement de faire passer pour un zombie. Parce que s’en indigner revient aussi ne pas abdiquer sa dilection pour ce que furent ces règles, emblème du jeu de rôle. Et parce qu’il y a des gens qui ne sont pas Jason Buhlmann ou Erik Mona et se servent de basses opérations pour faire imprimer leur nom là où figurèrent ceux de Gygax, Arneson, Kuntz, Cook (Zeb & Mike), Moldvay ou Ward.

Selon l’excellent site Aidedd.org qui nous informe en temps réel de la progression de cet événement mondialement attendu qu’est D&D 5e édition, section « le Combat », Encart « Improviser une action» : « On peut accomplir de nombreuses choses qui ne sont pas décrites dans cette section. Les seules limites aux actions que l’on peut entreprendre sont celle de l’imagination et des scores de caractéristiques. Lorsque qu’un joueur décrit une action qui n’est pas détaillée dans les règles, le MD définit si cette action est possible, et quel type de jet elle implique éventuellement pour déterminer son succès ou son échec. »

Dungeons and Dragons naît officiellement, en 1974, année de sa première publication. Cela fait donc désormais 40 ans que ce jeu de rôle inclut la règle précitée. Voilà qui augure assez que l’opération de D&D 5 consistera à vendre, pour la 5 ou 6e fois en 40 ans, la même chose, avec le même titre au suffixe près. L’industrie du jeu de rôle sur table est finalement assez peu coûteuse.
Car tout ce que je lis à propos des règles de D&D 5 (D&D Next pour certains) existe déjà. Tout ce qui est proposé, y compris ce qui peut sembler différer des éditions précédentes, a déjà été inventé, parfois mieux, en D&D ou ailleurs. J’ai l’impression de lire ici Pathfinder, là D&D3, ailleurs AD&D1, ou encore les suppléments de Judges Guild ou autres pour OD&D. Aucune innovation. Est-ce forcément un mal ?
Non, si ce système fonctionne commercialement, en ce qu’il permettra peut-être à des novices de pratiquer du vrai jeu de rôle, c’est à dire quelque chose de moins pire que cette insondable puits de bêtise que fut D&D4 tout en s’avérant moins ardu à découvrir que D&D3. Reste toutefois que le terme édition semble coller parfaitement à la réalité : c’est en effet bien la réédition de quelque chose qui existe déjà. Un nouveau tirage. Une version de poche au prix de la grande.

Sans doute pourrait-on sembler nourrir une certaine mauvaise foi à reprocher à D&D5 de ne pas innover là même où l’on accusait D&D4 de tout chambouler. Mais je ne romprai avec ma mauvaise foi de critique que lorsque WotC aura rompu avec la sienne de vendeur. Car D&D5, comme le fut hélas D&D4, sera proposé à la vente. Par les mêmes. Les mêmes qui ont foutu un jeu en l’air pour des raisons commerciales vont vendre ce qu’ils a déjà vendu, par le piteux truchement d’un changement de numéro en guise de nouveauté. Et en écrivant ça, j’ai vraiment l’impression de me répéter.

Mode Sulfateuse [ON]

Pour mémoire, le design team de D&D3 c’est :
– Skip Williams, né à Lake Geneva, ex-directeur de Gen Con et du RPGA à l’ère gygaxienne, vingt ans le Sage Advice du Dragon Magazine, autant dire une encyclopédie vivante du D&D ;
– Monte Cook, soit a Paladin in Hell, Labyrinth of Madness, Ptolus, pour ne citer que trois de ses œuvres : peut-être bien le meilleur designer vivant et encore actif ;
– Jonathan Tweet, qui avait travaillé sur pas moins de 4 systèmes différents pendant plus de 10 ans avant de rejoindre le projet D&D3 sans avoir alors jamais publié le moindre matériau pour ce jeu. C’est lui qui fait venir Rob Heinsoo, son pote qui élaborera D&D4.

A tous égards, D&D 4 a été confié à des bras cassés. Des mecs qui n’ont jamais publié un module majeur de leur vie. Des troisièmes couteaux qui n’ont jamais produit aucun matériau top-niveau : quelques trucs pour Planescape, du travail sur Eberron ou Al-Qadim. Des copains de copains, des attrapeurs de dernier wagon du train en marche, des profiteurs incapables ; en un mot comme en cent : des médiocres. A côté d’eux, les Pieds Nickelés, c’est trois fois Einstein.
L’un d’eux, uniquement versé dans les miniatures, spécialiste de Chainmail n’ayant jamais créé la moindre aventure, se laissait modestement appeler le fou génial par ses petits camarades ; ce génie a effectivement réduit D&D à un Chainmail version pré-Arneson quoique post-WoW, avant d’être viré en 2009, soit bien cinq ans trop tard.

Le résultat fut un anti-jeu de rôle de table, un machin exceptionnellement mauvais en tout ses aspects et à tous points de vue, aussi bien pour les rares nouveaux clients que les débris de la base de fidèles. C’est de la peinture barbouillée par des types qui croient que la Joconde est un tube de Michaël Jackson. Il est difficile de ne pas qualifier de bouse absolue cet énorme ratage tant sur le plan commercial que sur le plan fonctionnel. La mascarade aura duré pas même 4 ans, 2008-2011. Le temps pour le vendeur de trouver comment entuber d’autres imbéciles ?
Car que signifiait bombarder designers en chef de pareils archétypes de la médiocrité ? Qu’on en avait strictement rien à foutre de la qualité du produit. Tous les stocks furent vendus sur précommande, en en révélant le moins possible, de façon que personne ne soit en mesure d’avertir le chaland de combien déjà ça puait. Ensuite advint l’inévitable flop intégral, accentué d’un an de pur mensonge sur l’interactivité électronique de la chose ; mais qu’importe puisqu’on était rentré dans les frais.

D&D 5 : on prend l’équivalent et on recommence ? Design team : Mearls & Baur. Mike Mearls a fièrement publié deux modules D&D dont Keep on the Shadowfell, qui sert d’exemple de connerie démolie sur The Alexandrian. L’autre est une aventure convenable de 32 pages, soit un peu plus longue que les dizaines du même tonneau dont regorgeait Dungeon Magazine. Il a aussi inventé une variante du d20 system, « Iron Heroes », qui consiste à renommer le Barbare en Berseker ou à imaginer un Arcanist à mana pool en remplacement du Mage Vancien, fallait y penser. Et il est, bien entendu, le designer de deux des trois manuels de base du D&D4. C’est cet aigle du jeu de rôle, ce phare de la créativité donjonnesque, ce génie des Carpates de la mécanique ludique, qui est propulsé chef du projet après que le précédent nullard ait été viré en 2009 ; comme un Bone Devil enfin devenu Pit Fiend.
Wolfgang Baur, 24 ans chez TSR/WotC et… pratiquement rien. Le maquettiste, la secrétaire, eux, ils font bien leur boulot et rien que leur boulot ; ils ne se prennent pas pour l’inventeur de la police Garamond ou la réincarnation de Catwoman. Il n’y rien de mal ni rien d’extraordinaire non plus dans la carrière de l’honorable Wolfgang Baur, mais il se trouve subitement supposé construire la suite de D&D, AD&D, d20 System, règles qu’on peut aimer ou pas mais qui firent des jeux ayant marqué le genre et leur époque. Or ce n’est pas à un mec qui a passé un quart de siècle comme second assistant réalisateur qu’on confie la suite de Citizen Kane.

Il faut reconnaître qu’ils n’ont pas pris de risques, les nouveaux bras cassés de service. Ils ne se sont pas foulés non plus. La liste des sorts du mage 1er niveau on la trouve partout, y compris gratuitement sur internet. Les classes proposées sont celles d’AD&D. La mécanique des skills est celle de D&D3. Le système de background c’est Central Casting, en moins bien. Nullité, nullité, nullité.
Des gens achèteront peut-être. Tant pis. Il y a mieux pour moins cher, aussi bien et c’est gratuit. Tant pis pour eux. Après tout, il y en a aussi qui trouvent D&D4 formidable.

Mode Sulfateuse [OFF]

J’avoue, je suis mauvaise langue car D&D 5 innove quand même un peu. Par exemple, le Paladin n’y a plus besoin d’être Lawful Good. Chouette, non ? J’espère juste qu’ils feront la même chose pour l’Anti-Paladin : j’ai toujours rêvé de jouer un Antipal lawful good…

Qu’il massacre le numéro 4 ou le 5, Mike Mearls restera l’Erostrate du D&D et ce n’est pas par hasard. Si les éditeurs de ce produit étaient honnêtes et compétents, ça se saurait, ça se verrait, et le jeu de rôle sur table n’en serait pas là. Paizo a brillamment repris et conservé le flambeau mais Pathfinder, en termes d’ancrage, de réputation, de branding, ce n’est pas D&D, et son design graphique n’est pas vraiment à la hauteur (franchement : le lettrage…). Toutefois, PF reste le seul jeu de rôle pouvant passer pour héritier du « vrai » D&D, sinon dans sa mécanique, du moins par une ambition sincère et réelle d’une qualité et d’une cohérence véritablement pensées en fonction de ce que sont un tel jeu et ses joueurs.

Mais qu’ils fassent gaffe quand même, chez Paizo. S’il y a UNE bonne idée, d’ailleurs constante, dans D&D4 et D&D5, c’est la recherche d’une simplification des règles par rapport au d20 system. Mal exécutée, oscillant entre n’importe quoi, redite et inefficience : on est d’accord. Mais ce souci de simplification, né de l’observation des inconvénients du système antérieur, demeure pertinent. Pathfinder a amélioré les choses notamment parce qu’il partageait ce souci. Qu’il ne l’abandonne pas. Proposer de nouvelles mécaniques ou offrir de régir de nouvelles possibilités fait plaisir aux designers, simplifier les procédures et calculs, à commencer par ceux incombant à l’arbitre, fait plaisir aux joueurs. L’évolution de Pathfinder ne doit pas tant viser une adjonction qu’une soustraction de règles. En 1980 j’animais des tables d’initiation à D&D avec des adultes encore plus vieux que je le suis aujourd’hui, avec aussi des gamins de 13 ans. Sérieusement, vous imaginez attirer un gamin de 13 ans au JdR en l’initiant à MERP hier, Shadowrun aujourd’hui ? La toute première qualité d’un jeu, pour un néophyte, c’est d’être jouable, donc d’abord aisément accessible. Remember, Paizo : easy does it.

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