C’est un véritable coup de tonnerre qui a ébranlé les chancelleries de la plupart des Etats de Derenworld lorsque arriva la nouvelle de la reconquête de Ganarbe par le Wejlar le 17 Taurus de cette année. Jamais depuis 4618 les tentatives wejlanes pour reconquérir les provinces orientales perdues lors des terribles événements du XLVIIe siècle n’avaient permis fusse de revenir sous les murs de la grande cité. Jamais les guerres successivement menées contre les Héritiers d’Hornst, les Citadelles Nordiques, la All Wizards War, la Great Evil Coalition et enfin la Great Anarchy n’avaient abouti à pareil succès. Si cette nouvelle devait se confirmer par la suite, c’est un événement majeur, à maints égards, qui s’est produit en ce printemps VM-CCXV.
D’autre part, cette opération semble avoir été menée conjointement par la Grande Duchesse d’Evriand et par le Vieux Royaume, ce qui, si cette information s’avérait exacte, traduirait aussi un renversement complet des tensions politiques que l’on observait depuis quelques mois sur l’ouest du continent, dominée par une hostilité entre Evriand et Wejlar.

De Lainz à Ganarbe.

On sait que la récente conquête les armes à la main de la Couronne d’Evriand par Lady Melkria de Lainz-Keshamar n’avait pas été sans susciter quelques grincements de dents à la Cour de Vizinov. Cette action, applaudie partout ailleurs, en ce qu’elle aboutissait à la fin des Lich-Kingdoms, ôtait à Sa Majesté Rhunring le bénéfice politique d’une conquête qu’il escomptait lui-même entreprendre et qu’il préparait depuis des années, après avoir longuement et victorieusement résisté tant armées des Reines Liches qu’aux invasions Grand-Anarchiennes. Lady Melkria, à l’origine une aventurière devenue célèbre et noble de Premier Rang de l’Empire Naëmbolt, avait déjà tâté de la politique internationale (Ambassade à Dere pour le compte de la Cour d’Ilnaëmb), de la bataille à grande échelle (Hawk Society à l’époque de la Main d’Arioch), de l’intrigue de Palais (succession de Nirag III) et de la rébellion féodale (Révolte de Lainz-Keshamar). De la même manière que pour ce dernier duché, elle avait succédé à l’antique famille éteinte des Comtes Bruggs de Keshamar et Ducs de Lainz, elle succéda aux Bryn d’Evriand à la tête du Grand Duché. D’où l’irritation et le dépit du Wejlar qui, au-delà de son monarque, a toujours considéré l’Evriand comme le fils aîné du Vieux Royaume. Cette irritation se changea en hostilité lorsque la Grande Duchesse se mit à manifester des vues expansionnistes vers l’ouest en profitant de la décomposition des Lich-Kingdoms, ce qui aboutit à la réunion de Dol Bera à l’Evriand, premier empiétement réalisé par le Grand-Duché sur l’ex-Confédération. Mais loin de s’en tenir là, la Grande Duchesse allait dans la foulée annexer l’Ithylian, c’est-à-dire le plus beau et gros morceau de l’ex-Confédération, le seul avec Portown qui soit resté économiquement intact des invasions Lich-Kings. Le Wejlar y vit, non sans quelques raisons valables, la menace d’un isolement hermétique sur sa frontière méridionale par un nouvel Etat, le supplantant dans son influence traditionnelle sur l’ouest du continent. En outre, La Cité Libre de Portown, véritablement ulcérée par les agissements Evrianders, et coupée de facto de son hinterland, était prête à se déclarer en état de guerre.

On peut pourtant remarquer que le Royaume de Marn n’avait pas agi très différemment en avalant Maelne au mépris des conventions passées avec l’ex-Lich-Kingdom et en transformant le Haut-Kohrland en protectorat de la monarchie Varik. Compte tenu de la froideur traditionnelle entre Marn et Evriand, le Grand Duché semblait singulièrement isolé, ne pouvant guère compter que sur des sympathies raciales (Lowenland, Dere) de peu d’effet pratique. Semblait au contraire se dessiner une coordination Portown – Wejlar – Marn qui eut laissé peu de chances à la jeune et fragile construction de Lady Melkria.
C’est donc un renversement complet de situation qui semble s’être opéré ces derniers jours : une alliance Wejlo-Evriander avec pour but la reconquête de l’Oswejle; en quelque sorte une redéfinition des ambitions Wejlanes du sud vers l’est, en échange d’une construction evriander à l’ouest.

Bien évidemment, si elle devait se confirmer, la reconquête de Ganarbe, des Ganarbean Reaches, et de l’Oswejle en général, constituerait un succès majeur et historique pour la monarchie Wejlane. Elle aboutirait à redonner en effet au Vieux Royaume l’étendue originelle de ses terres avant sa Grande Expansion, celle-là même qui fondait la proclamation de Renoncement après sa dernière guerre humaine, laissant le champ libre à l’Empire, Vizan, ou Avros pour dominer la scène politique du continent. Elle exaucerait aussi un rêve vieux de plusieurs siècles de récupérer des territoires dont le Wejlar, affaibli, fut amputé par la Great Anarchy, berceau de ces Ordres de Chevalerie du Nord donc plusieurs (Kalderland, Highfrost, Chemnarg, Prias) sont fort vivaces et actifs. L’Oswejle représenterait aussi un accroissement de 25% du Wejmlar actuel, formé de terres certes modérément arables, mais riche de plusieurs ressources (bois, minerai, tourbe, fer, naphte, soufre, diamants) considérables. Le repeuplement de cette région entraînerait un débouché naturelle pour des exportations de blé et de produits Evriander contre de telles ressources et contribuerait aussi grandement à la prospérité du Royaume des Nains Krynn. C’est pourquoi il est patent que tous les nobles de Wejlar, et notamment ceux de Dariolan, de Juliand, de Krynn, de Kalderland, de Highfrost, de Danth, de Swanmere, se soient unis autour de la Couronne pour approuver et contribuer à cette reconquête.

Un rival pour l’Empire ?

Mais un autre spectre agite maintenant les cours de les chancelleries : celui, à long terme, d’une alliance entre deux puissances moyennes reconstituées, un tandem Evriando-Wejlan, dont le poids réuni deviendrait considérable sur l’échiquier diplomatique mondial. Lorsqu’on sait que le Lowenland, Isenheim, le Southend, et même Zevjapuhr, et aussi, étrangement, la petite principauté d’Osmark, soutiennent officiellement ou officieusement cette perspective, se dessine alors une sorte d’alliance de grande envergure, liant la majorité des puissances de l’ouest du continent, face à laquelle Marn et ses alliés, Mulgorge, l’Okpuhr ou Portown, ne pourraient former qu’une opposition dispersée, de faible importance, disparate et désunie. Compte tenu de l’affaiblissement politique constant du Vizan, et du fait que le centre de gravité des autres grandes puissances que sont Avros, le Thûzzland, ou le Farxel Uni vise au moins le Tangut que le mainland de Derenworld, on peut penser que cette alliance du Grand Ouest porte alors en germe la constitution, à terme, du premier rival de l’Empire sur le continent.
On n’en est certes pas encore là, mais c’est sans doute face dans cette optique qu’il faut rechercher l’extrême prudence, voire réserve, avec laquelle les Cours de Marn, d’Ilnaëmb, d’Okhpuhr, et le Sénat d’Avros ont accueilli la nouvelle, cependant que les Places de Zevjapuhr, d’Evriand et d’Ithyl faisaient des bonds impressionnants. Le Délégué Général de l’I.T.G. d’Ithyl s’est d’ailleurs ouvertement félicité des nouvelles perspectives qui se dessinent tandis qu’à Zevjapuhr le titre des maisons de commerce et banques ayant crédit sur les Couronnes d’Evriand et de Wejlar s’envolait littéralement.

Il faut maintenant s’arrêter sur la singularité de cette reconquête encore non confirmée, et sans aucun doute fragile. Il semble que ce soit principalement des forces Evrianders, sous le commandement personnel de la Grande Duchesse, qui aient opéré l’action d’invasion. Ces forces seraient mercenaires pour une grande part, l’armée evriander restant sur son territoire pour assurer la sécurité défensive du pays. Une seconde vague serait menée par l’Ost Wejlan pour occuper le terrain à l’ouest de Ganarbe (Duché Princeps de Clev) et au sud-ouest où la Krynnergate Road serait le théâtre d’avancées communes aux armées d’Evriand et de Krynn et à l’Ost Wejlan. L’action principale aurait été engagée par la Grande Duchesse en personne, accompagnée du Margrave d’Ilanor, du Roi de Damara en Outre-Monde et d’un certain mercenaire spécialisé dans ce type d’action. On relève également, parmi les participants, les Généraux d’Empire Curvenol et Fafnyr, anciens commandants de Légion, le Duc lowenlander de Löwe, les Wardens of Maelne… bref, un assemblage de personnes de provenance pour le moins hétéroclite, assez typique de l’esprit des compagnies d’aventuriers dont Lady Melkria est par ailleurs issue.

Ukko sous la défroque de Straasha ?

Héroine de Straasha, Arch-Mage Maîtresse de l’Herminian School of Thaumaturgy, Elfe, Maître Rôdeuse, Noble de Premier Rang d’Empire puis Grand-Duchesse Souveraine d’Evriand, Lady Melkria Geryonslayer Kardal-Sirith-Ungol est une personne qui, depuis plusieurs décennies, fait parler d’elle aussi bien dans les contes de bardes que dans les cours d’Etats. Une carrière initiale d’aventurière la conduit au Duché de Lainz-Keshamar, c’est-à-dire dans un cénacle de noblesse d’Empire où sa condition de femme et d’elfe ne lui ménage pas que des amitiés. Ses relations personnelles lui ont ainsi valu quelques déboires à la Cour d’Ilnaemb, notamment sous le règne de Nirag III, avant qu’on l’a dise paradoxalement assez proche de l’Impératrice Dandria. Membre de la fameuse Hawk Society sise en Pellanore (ex-Kelnorëa), épouse divorcée du non moins fameux Arch-Mage Whitehorn Baelgen, elle est aussi héroïne de Straasha et amie personnelle de personnes aussi disparates que l’Enchanteur de Dere, le Prince de Goldhelm ou le Roi d’Osmark. Bien que sa condition ne l’y prédispose pas, elle s’est souvent impliquée dans des projets et aventures directement ou indirectement placées sous le signe du Bien, et force est de constater qu’à part son épisodique époux, créateur de la célèbre Blue Rose Company, peu de Mages, depuis un Wengoll ou un Larraka, auront autant influé sur le destin politique d’Etats de Derenworld dans le sens d’idéaux du Bien. C’est en effet à Lady Melkria qu’on doit les actions déterminantes de la fin de la Main d’Arioch, l’effondrement des Lich-Kings, et maintenant de la reconquête de Ganarbe. Comme l’a faire remarquer un diplomate avrossian : qu’est ce que ce serait si elle servait Athena ! Commentaire que renforcent certaines rumeurs distillées par ceux qui la soupçonnent d’être un agent déguisé de quelque grande ordre religieux, Mage, ou chevaleresque aligné sur le Bien, rappelant à l’envi l’extrême goodisme de son époux, héros de Mitra et Mage Ariacander. On pointe aussi l’indéfectible attachement que lui vouent autant le Lowenland, pays connu pour son anti-evilisme, que plusieurs de ses personnalités, comme le Mage Kennan, fondateur de l’Herminian School ou le Duc Luhor.

Quoi qu’il en soit, on peut tenir pour probable qu’après s’être victorieusement attaquée au clergé de Set, aux hordes d’Arioch, au Cercle de Geryon, aux layers abyssaux, aux Lich-Kings et maintenant à la Great Anarchy, il reste assez peu de puissances maléfiques qui ne la tiennent pour la pire ennemie que Derenworld ait depuis longtemps porté.

Bien évidemment, rien n’est encore assuré ni certain et l’on en saura davantage à l’avenir. Mais si la nouvelle devait se confirmer, il est certain de grands bouleversements issus de cette reconquête sont à attendre, à court comme à long terme, au moins sur les plan économiques et géostratégiques. Car la couronne de Wejlar ne sera pas la moindre bénéficiaire de cette entreprise, et le peuple de Wejlar le moins reconnaissant de ces hauts faits; un nouveau Grand Evriand uni à un Wejlar de retour, voilà quelque chose qu’aucune chancellerie du monde ne saurait longtemps ignorer.