Derenworld News : Gemini 5228

23 décembre 2022 par Kazz → Atlas, Société

Cette parution de news est la plus longue jamais publiée ici, en partie parce que certaines sections contiennent aussi un aperçu descriptif du contexte dans lequel les événements se produisent. Il s’agit même, au moment de cette publication, de la plus longue du site, tous articles confondus, d’où un temps de relecture assez important afin d’éliminer erreurs ou coquilles, bien que je ne doute pas qu’il en reste malgré mes efforts.
D’autre part, au contraire de la plupart des précédentes, elles ne consistent pas en un recensement occasionnel de ce qui se passe dans divers lieux de Derenworld mais plutôt en la suite de celles d’Aquarius 5227 qui étaient déjà assez volumineuses. Plusieurs cartes sont incluses afin d’en faciliter la compréhension et l’on peut aussi se référer utilement à celle du monde.


Sommaire

Sous le volcan de Marn | Bataille d’AuriskholdLignages d’ArkandahrNuages sur Avros |
De l’inattendu du BervikeltHumanoïdes des champsLa question zevjane | Audience royale en Wejlar

Les dessous du volcan de Marn

Ci-après une carte indicative de l’ouest qui aidera à se repérer éventuellement dans cet article voire dans d’autres (un errata des frontières autour du carrefour de Djebaïr a été rectifié le 7/1/23)

D’autre part, avant d’aborder les tensions qui agitent l’ouest du continent, un petit rappel au sujet du royaume de Marn n’est sans doute pas inutile.

Marn se revendique comme étant aujourd’hui le seul royaume originel et authentique du peuple varik.

Les Variks sont une peuplade originellement établie sur la rive ouest de l’Undine. Ils forment aujourd’hui l’une des plus importantes ethnies humaines de Derenworld avec les Alnoes, Maurims, Wejles et Zahires.
Les Variks sont traditionnellement plus proche des nains que des elfes et forment une ethnie très « humano-centrée » en ce qu’elle prétend descendre d’une civilisation humaine établie par Fyölnir Vissdommer « le Sage » et son épouse Gersamée ensuite d’une intention divine tenue pour tout aussi légitime que la Dévolution du monde aux elfes et dragons. Ils se considèrent à l’origine de l’idée fondatrice de l’Empire Naëmbolt : un état se définissant comme nation des humains affranchis de toute forme de tutelle d’une autre race. Cette idée fut pensée et mise en oeuvre par les premiers Naëmbolts, en particulier Mellung Naëmbolt, qui vécurent longtemps au contact des variks, sur la rive orientale de l’Undine. Les maisons régnantes de Naëmbolt et de Marn ont constamment entretenu des liens étroits tant matrimoniaux que politiques et diplomatiques depuis la création de l’Empire et Marn a toujours pu compter sur le soutien et l’alliance défensive de son puissant voisin.

Les Variks se composent des variks du nord, qui forment l’actuel royaume de Marn, des variks « centraux » qui formèrent l’ex-Wiestmark et aujourd’hui les quatre cinquièmes de l’actuel Mulgorge, des variks de l’ouest, qui forment le restant de Mulgorge ainsi que le duché de Maelne et une bonne part du Kohrland, et des variks du sud, qui forment l’actuel Isenheim. L’ensemble des terres variks est surnommé « Varikland », appellation ethnique plutôt que politique bien que l’union de tous les Variks demeure un objectif multiséculaire du royaume de Marn.

La grande, légendaire et fondatrice originalité des variks vient de leur résistance à l’assimilation dans ce qui était le Grand Wejlar, lequel y réagit avec pacifisme et tolérance. Ce pays se borna à entourer le « Varikland » pour continuer son expansion vers le sud ou le long de la côte. Cet encerclement conduisit de nombreux variks à rechercher vers l’est de nouvelles terres ou d’autres civilisations, conduisant à un mouvement migratoire vers l’orient qui est l’un des plus constants et puissants de l’histoire, dont les ramifications s’étendent jusqu’à l’extrême orient (Empire, Farxel, Tangut, Eriendel).

Mais la résistance des Variks au Wejlar est légendaire aussi au sens figuré, car elle ne concerne en réalité que certains d’entre eux : les Variks du sud et la majorité de ceux de l’ouest acceptèrent volontiers de s’intégrer dans le Grand Wejlar. Cette césure, manifestée par l’indépendance de Maelne, du Kohrland et d’Isenheim envers le royaume de Marn, demeure encore aujourd’hui. Ni Kohrland ni Isenheim n’imaginent en effet un seul instant se rallier à Marn ou même fusionner avec elle dans une nouvelle entité. Maelne devint même officiellement rivale de Marn en aidant à susciter la création du Wiestmark afin de l’affaiblir ; l’annexion récente de l’opulente et bourgeoise Maelne par l’austère et militaire Marn représente ainsi une forme de vengeance de la seconde contre la première.

Mais l’histoire reconnait aussi que Marn fut un très vaste royaume après le reflux du Wejlar, qui réalisa un temps le rêve du Varikland reconstitué sous sa couronne. Ce rêve n’a jamais été abandonné ; il gouverne encore aujourd’hui sa politique étrangère.

Voici des années que Marn tolère de moins en moins bien la situation politique prévalant à l’ouest et le poids économiquement majeur du Royaume Confédéré d’Evriand. Défié par la considérable expansion territoriale de ce pays, agacé par la gloire de la victoire de sa reine contre les Lich-Kings, piqué par son émergence en tant que puissance maritime autant que par le rétablissement de son rayonnement intellectuel et commercial, gêné de la solidité de son système d’alliance avec Lowenland et Wejlar, le roi de Marn n’en peut plus de nourrir un complexe d’infériorité dont l’acuité n’a cessé de s’accroître au cours des dernières années de son règne. Il lui faut avant de mourir une gloire différente de celle issue de sa résistance acharnée contre les Lich-Kings, une réussite plus concrète que le seul rêve de reconquérir Mulgorge, une revanche sur ses impuissances à influer sur le sort de l’Isenheim ou l’ex-Confédération.
Ce qui fut qualifié de bruits de bottes dans des chancelleries directement exposées à l’ambition marner a été renforcé par l’arrivée d’une légion impériale sur le territoire marner qui devrait permettre de libérer l’ensemble des forces militaires du pays pour d’éventuelles tâches offensives. Autant dire qu’on s’attend désormais à une résurgence belliqueuse d’un royaume de Marn qui n’a jamais redouté le conflit ouvert. Cette résurgence peut prendre trois directions possibles au sud, nord, et ouest.

S’agissant de l’ouest, on se souvient de la récente réapparition d’une fort ancienne revendication de Mirba à l’encontre de Portown désormais reprise, c’est une nouveauté, par le duc de Miribar au lieu de la seule ville de Mirba. Des entretiens entre le duc et le roi Karl-Maria de Marn ont eu à plusieurs reprises, vraisemblablement à ce propos. Mais un autre sujet de discussion entre les deux souverains pourrait porter sur le sort du Havener, territoire situé entre Miribar et Marn.

Le duc Mandarick de Havener est bien moins agité et moins attentif à la diplomatie que son homologue et ami Ingwar de Miribar. Il se préoccupe surtout de son domaine et d’art. Il doit aussi composer avec les tensions classiques du Havener manifestées par les deux parties de la ville de Cryge et de Haven qui forment néanmoins Cryge-Haven (Haven étant la ville basse, active et commerçante, qui s’étend le long du fleuve principalement sur sa rive gauche, Cryge la ville haute, administrative et aristocratique, couronnée par le château ducal sur la rive droite).
Le duc fait ainsi fort attention à éviter de faire peser son autorité sur les ombrageux citoyens de Haven.

Le Havener possède avec le Maelner les terres les plus fertiles de la région et il et est réputé pour ses élevages : chevaux, vaches et aussi ses molosses. Sa cuisine passe pour l’une des plus savoureuses qui soient et ses fromages ou ses liqueurs sont réputés dans le monde entier. C’est aussi un phare culturel qui rivalise avec Evriand ou Zevjapuhr, notamment au plan musical avec des luthiers et facteurs d’instruments de musique réputés les meilleurs au monde. Enfin, Cryge-Haven disputait à Ithyl la place de première cité de l’ex-Confédération tant en population qu’en tant que place de marché. C’est en vérité un fort appétissant duché que celui de la maison Vieting, titrée de Havener depuis plus d’un millénaire, dont les ancêtres furent de Swanria, de Barandor, de Juliand ou de Meindes de Wejlar. On la dit protégée par une licorne qui détermina sa création.

Il serait logique qu’une alliance marno-miribarienne pour annexer le Havener entraînât une réaction immédiate du Wejlar et sans doute de l’Evriand avec lui. Cette réaction pourrait alors fournir à Marn et Miribar une occasion s’emparer du Bas-Kohrland, fief côtier d’allégeance wejlane.
Toutefois cette conquête indisposerait considérablement le Haut-Kohrland, qui ne s’accommode de l’existence du Bas-Kohrland qu’à condition que personne d’autre que lui-même ne mette la main dessus. Et le Haut-Kohrland a pour allié Mulgorge, dont il est officieusement vassal. C’est une sérieuse épine dans le projet marner.
Car Marn allié à Miribar pourrait sans doute soutenir une guerre contre une alliance wejlo-evriander de force à peu près équivalente, surtout après avoir avalé rapidement un Havener et un Bas-Kohrland qui ne semblent pas en mesure de lui résister. Mais s’il en découle l’intervention de Mulgorge et du Haut-Kohrland, mener cette guerre sur deux fronts au nord et au sud devient évidemment déraisonnable.

Les autres directions vers le nord ou le sud impliquent toutes deux un positionnement envers l’ancestrale revendication du peuple varik sur les terres qui formèrent l’ancien Wiestmark, celles des variks « centraux », devenues aujourd’hui Mulgorge.

Mulgorge incarne le dernier reste des Lich-Kings, sur les terres qui formèrent le royaume central des Lich-Kingdoms.
Les Lich-Kingdoms furent un chemin de croix pour Marn, qui leur résista toujours victorieusement malgré l’encerclement des quatre cinquièmes de ses frontières. L’actuel autocrate de Mulgorge est le dragon Siussfuld, ex-général devenu dictateur du pays qu’il a créé avec l’aide des clans d’orcs et des humains privilégiés par les Lich-Kings.

Avec une grand habileté, Siussfuld s’est imposé de facto, par voie et droit de conquête. Il a créé de toutes pièces un état sur les débris du Lich-Kingdom avant que Marn ait eu le temps de reconstruire une armée passant de la défensive à l’offensive afin de s’emparer de ces terres. Il a ensuite a évité toute provocation et toute occasion de guerre ouverte.
Néanmoins, jusqu’à une époque encore récente, Mulgorge représentait l’ennemi et l’objectif premier de Marn puisque sur des terres qu’elle revendique en intégralité. Cette revendication a constitué l’objectif central et clairement affiché de la politique du roi Karl-Maria pendant la quasi totalité de son règne, y compris antérieurement aux Lich-Kingdoms.

Cependant, force est d’admettre que pareille situation arrangeait nombre de ses voisins à commencer par l’Evriand, rival traditionnel : l’accaparement constant des forces marner par la perspective d’une guerre avec Mulgorge a ainsi permis à l’Evriand une expansion sur les terres de l’ex-Confédération sans craindre de réaction de son traditionnel ennemi.

Ces derniers temps, Siussfuld a discrètement et habilement encouragé le rétablissement sur sa frontière sud d’un Isenheim compatible avec sa sécurité, ne s’opposant pas à l’influence vizaner et ostmarkienne.
Plus habilement encore, Mulgorge ne s’est pas non plus agacée de l’annexion par Marn du duché de Maelne, auparavant terre de Wiestmark, bien que cette annexion aboutisse à étirer vers l’ouest la frontière entre les deux pays.
Mulgorge a au contraire choisi d’intensifier son commerce avec Maelne en profitant de ses liens traditionnels avec ce duché, tant et si bien qu’elle est devenue un partenaire commercial important de Marn. Lors de la récente famine, alors que Marn et Mulgorge souffraient beaucoup, l’Etat de Mulgorge a veillé à empêcher tous raids sur les terres de Maelne et du Havener et les a laissées approvisionner Marn au lieu de détourner à son profit, par la force ou par l’argent, les récoltes disponibles.

Mulgorge dispose en effet d’un accès maritime via le Haut-Kohrland dont le roi est sinon son vassal officiel du moins son obligé statutaire. Ce lien lui donne accès à Genakohr, quatrième port le plus important de la côte occidentale. Le rôle de Genakohr et de Mirba face aux récentes pénuries alimentaires a été fondamental en évitant une famine à leurs habitants et à ceux des alentours grâce à leur activité de pêche.

Enfin Mulgorge a répandu ou s’est en tout cas appuyé sur cet argument qui fait mouche dans une grande partie de la population marner : si une elfe dirige un état humain, en l’occurrence le Royaume Confédéré d’Evriand, alors pourquoi un dragon, race tout autant honorée des dieux que les elfes, n’en dirigerait-il pas un autre ?

Cette politique de long terme a commencé de produire ses fruits économiques mais aussi dans les coeurs et les têtes, y compris au sein des plus hautes sphères. Or un glissement de Marn vers l’admission d’une coexistence avec Mulgorge rebattrait les cartes de l’ouest du continent. Il est sans doute à l’origine de la décision impériale de rappeler l’importance attachée à son vieil allié marner en envoyant une légion pour l’aider à administrer son royaume ainsi que nombre de ressources pour pallier les conséquences de la famine.

Car le prince héritier Odden de Marn a déjà été amené à conclure qu’un rapprochement avec Mulgorge représentait la politique la plus cohérente et la plus profitable aux intérêts de son pays. Il envisagerait d’adjoindre Miribar et Haut-Kohrland dans une « Tétralliance » dirigée contre Portown, l’Evriand et le Wejlar.
C’est prendre la direction du nord.

Son père le roi Karl-Maria III s’est récrié qu’un tel système jetterait définitivement Portown dans les bras de l’Evriand et que jamais le Beraïc ou l’Ithylian n’accepteraient de devenir marners sauf à la marge pour le premier. Le vieux roi a rappelé que son objectif consistait à reprendre ses terres, celles des Variks, et non de piquer aux Wejles les leurs. Il a martelé que l’incontestable et ancestrale légitimité de cet objectif valait à son royaume le soutien traditionnel de l’Empire Naëmbolt .
C’est prendre la direction du sud.

L’affaire est connue car le vieux roi s’est écrié qu’il n’avait rien à cacher. Du coup, la nouvelle de l’échauffement entre le père et le fils a fait le tour de la Cour et de toutes les oreilles qui s’y trouvent. D’où la crainte affichée et répandue par certains que leur souverain ne soit frappé d’un début de sénilité. On en est là dans les échanges d’amabilité entre les partisans du roi et ceux de son fils.

Les données du problème rendent très incertaine son issue.
Odden a plusieurs points forts à faire valoir.
– Marn est seul contre Mulgorge, il a trois alliés contre l’Evriand.
– S’en prendre à Mulgorge revient à attaquer des Variks ; à l’inverse l’Evriand, ennemi traditionnel, est peuplé de Wejles.
– Il y a plus de butin à court et long terme en Evriand qu’en Mulgorge.
– Il existe une convergence d’intérêts objective, immédiate et directe entre Mulgorge, Miribar et Haut-Kohrland : elle est même suffisamment évidente pour qu’ils soient prêts à conclure dès demain la Tétralliance.
– L’éventuelle Tétralliance serait suffisamment forte pour faire face à tous ennemis : elle borne donc l’expansion de l’influence vizaner à l’Isenheim ce qui ne peut que satisfaire un Empire qui préférera la garantie d’un Mulgorge indépendant au risque de le voir en orbite du Vizan.
– Il n’est de bonne politique que réaliste : Mulgorge est un fait et refuser les faits est toujours une erreur.

Mais Karl-Maria a pour lui quelques arguments massue.
– Marn n’existerait pas si elle avait cédé au « fait » du Grand Wejlar.
– Les guerres marno-evriander n’ont jamais visé la destruction d’un Etat ennemi : Marn ne cherche pas à abattre l’Evriand ou le Wejlar ou le Havener mais à prendre des terres à la marge dans le duché d’Evriand. A l’inverse, les autres membres de la Tétralliance voudront casser le Royaume Confédéré d’Evriand. Il s’agit donc d’entrer en guerre pour les buts d’autrui.
– Un roi de Marn ne s’allie pas avec un successeur de Lich-Kings : aucun butin ne vaut de perdre son âme.
– Croit-on vraiment que le Naëmbolt redoute assez le Vizan pour accepter que son propre allié Marn s’allie à Mulgorge ?
– La politique de Marn ne se fait pas à Iax ou Mirba mais par la seule volonté de son roi. Il est le roi et c’est lui qui fixe la conduite de l’Etat.

Pour nombre d’observateurs, le vrai choix dépend d’abord de l’empereur Jalx : qui soutient-il réellement entre Siussfuld et Karl-Maria ?
S’il choisit Karl-Maria, il risque fortement de voir Mulgorge devenir la prochaine conquête du système diplomatique mis en place par Yimre de Vizan. Mais s’il soutient Siussfuld, il renvoie l’ouest du continent à sa condition récurrente de pétaudière et prend un risque personnel en inversant la politique de tous ses prédécesseurs et en froissant les nombreux alliés ou sympathisants de Marn en Empire…. sauf à ce qu’Odden ne s’impose rapidement et efficacement.

Cette incertitude fait en tout cas peser sur l’ouest du continent une lourdeur sensible dans toutes le chancelleries intéressées de près ou de loin à la question. Y compris sous terre où des tensions entre nains krynns et olges sont apparues à cette occasion. Y compris en Vizan qui aurait envoyé de nombreux espions à Marn mais aussi Mulgorge et Armakohr (capitale du Haut-Kohrland) et dont on dit qu’il se préparerait à proposer une alliance de rechange à l’Evriand ou à Marn selon l’évolution de la situation.

La bataille d’Auriskhold

Emplacement de la bataille d’Auriskhold ( X rouge)

On sait qu’une dispute avait opposé le seigneur Edmund de Bergmale, commandant l’armée impériale en Arkandahr, au nouveau monarque de ce pays, le roi Morag, qu’appuyait le prince Erwindal de Colstone (voir news précédentes). Le sujet en était la décision de prolonger ou non durant l’automne la victorieuse mission de libération de l’Arkandahr par l’Empire jusqu’à la province du Kelnetur, au nord-ouest du pays. Le général de Bergmale avait décidé d’opter pour la prudence face à l’hiver approchant et imposé son autorité au grand dam de ses opposants. Ses trois légions, les VI, X et XIIe, avaient donc pris leurs quartiers d’hiver entre Hillbreak et Freax.

Etait-ce une intox ? On peut se poser la question car au lieu de rester à Freax, la XIIe légion renforcée du 1er régiment de la VIe (celui de ses piquiers) voyagea lentement et discrètement en passant par les montagnes Dornathol malgré la neige et le froid jusqu’à retrouver la haute vallée de la Rauschvine et y prendre position en Arcandom, au sud du Kelnetur. Son départ fut couvert par la Xe Légion prenant sa place à Freax tandis que l’armée d’Eriendel allait de son côté assurer la sécurisation de la moyenne Rauschvine, entre Hillbreak et Freax, le reste de la VIe légion couvrant Hillbreak et le sud-est du pays.

Dès l’annonce du printemps, alors que le sol était encore gelé, la XIIe légion renforcée passa à l’attaque malgré des conditions climatiques encore très défavorables. Bergmale avait fait le pari que cet inconvénient serait compensé et par la surprise et par la présence des piquiers de la VIe, rompus au combat contre les monstres et particulièrement efficaces face à eux.

Les éclaireurs de la XIIe arrivèrent à Keln’s Gate où ils prirent l’attache de leurs collègues locaux. Ils obtinrent ainsi la confirmation de la position de l’ennemi telle que déjà repérée par les services spéciaux de l’armée impériale.
Au nord et à l’ouest, à une distance d’en moyenne trois jours, un grand arc de cercle ennemi, composé d’orcs, demi-orcs et barbares renégats, vivait dans leurs campements après avoir pillé la région en attendant leur campagne du printemps. A l’est, barrant la passe d’Auriskhold où s’engouffre la Raushvine, se situait la principale force ennemie chargée de verrouiller la région en bloquant une offensive impériale.

Son noyau consistait en une force d’environ 300 trolls ; ses meilleurs troupes étaient composées de gnolls, y compris des flinds, au nombre de 7000 et d’un clan d’une petite centaine de géants des collines, appuyées par une piétaille d’auxiliaires kobolds ; au total 1500 combattants environ, mais valant le double par la présence des trolls et géants. Le tout parfaitement retranché dans la vallée et sur les collines de part et d’autre du fleuve.

Le général Televranni, vétéran des guerres contre les Lich-Kings commandant désormais la XIIe légion, décida de profiter du brouillard et du blizzard pour faire avancer ses troupes quasiment au contact de l’ennemi qu’il alla inspecter de nuit. Le dispositif, centré sur un village tombé depuis longtemps en ruines, était impressionnant. Aux ailes, sur les collines, les géants, prêts à bombarder la vallée avec des rochers. Au coeur, le long du fleuve, dans les ruines, les trolls. Entre eux et les collines, un groupe de gnolls flanqués de deux cohortes de kobolds.
Les géants avaient coupé ou arraché les arbres pour former des fortins, barricades et palissades.

Mais tout ce dispositif faisait face à l’est, du côté où l’ennemi attendait l’armée impériale : ces installations et préparatifs seraient peu efficaces contre une attaque par surprise depuis l’ouest.

Toutefois l’ensemble paraissait fort bien agencé. Televranni savait qu’il avait devant lui des troupes aguerries et bien commandées, qui avaient su se replier face à l’avancée impériale, manœuvre toujours difficile à réaliser. Cette armée représentait l’une des élites du Trollwarkhan Gh’ Niardèchôssn. Elle était commandée par le chef gnoll Solxvak dit Grossepogne (probablement parce qu’il posséderait des gants lui conférant une force surnaturelle) : un vétéran qui aime la castagne, bien connu des chevaliers de la Marche.

En amont de la fortification un pont grossier, dont les piles étaient constituées d’énormes rochers posés par les géants et reliées par des troncs attachés, permettait de franchir la Rauschvine, partiellement gelée. Televranni l’identifia comme point faible du dispositif ennemi. S’il pouvait affronter séparément une partie de l’armée ennemie d’un côté du fleuve sans que l’autre partie puisse le traverser pour lui venir en aide, alors il obtiendrait, au moins temporairement, une supériorité numérique permettant d’espérer la victoire. Pour cela, il fallait agir rapidement avant d’être repéré.

Televranni ne disposait que d’une cavalerie locale, la sienne n’ayant pu traverser les montagnes ; elle était placée sous le commandement du chevalier Monroe d’Irluinn, fils du comte Mecklë. Televranni décida de la sacrifier pour quelle atteigne le pont et y mette le feu à l’aube, appuyée par un bataillon d’archers. Ensuite l’infanterie lourde et les piquiers prendraient le relais afin de défaire les gnolls et les kobolds avant que les géants ne surviennent. L’infanterie légère, appuyée par l’autre bataillon d’archers, irait de son côté chercher le contact avec les géants afin de les intercepter avant qu’ils ne puissent intervenir au centre.
Il sépara donc ses archers en deux bataillons et en fit autant avec son d’infanterie lourde afin qu’une partie soutienne les piquiers tandis que l’autre se porterait à l’endroit le plus propice selon l’évolution de la bataille.

Ordre de Bataille

XIIe Légion (renforcée) : Général Cder. Knight Holoam Televranni, Lieutenant-Général Ilve Dan’Arvida (1/2 E. , premier aide de camp), Lieutenant-Général Bendic Barthos (Etat-major), Capitaine Général Evariste Glovo (1/2 O. ; Train).
XIIe Leg. 1er Rgt. “Steelfist” (Hv.Inf.) : Chevalier Jonath Oakfen Maramoor (1er bataillon : XII-1-1 sur la carte), Capitaine Hul Sanzo (2e bataillon : XII-1-2).
XIIe Leg. 2e Rgt. “Meddan Mountaineers” (Md.Inf.) : Lieutenant-général Bermuth Salios, Chevalier Leylion O’Lukath (XII-2).
XIIe Leg. 3e Rgt. “Bardic Bowmen” (Md.Bow) : Lieutenant-général Sparmonte Dochquez (1er bataillon : XII-3-1), Capitaine Valdray Samarkad (2e bataillon: XII-3-2).
VIe Leg. 1er Rgt. “Walderland” (Hv.Pik.) : Chevalier Alastair de Nadron-Verimeil, Capitaine Gerd-Emmerand Tsalberg (VI-A).
Compagnie de Cavalerie Comtale d’Irluinn (Md.Cav.): Chevalier Monroe d’Irluinn, Lieutenant-Capitaine Rommer Agateos (Irluin).

Les types d’unités adverses sont mentionnés sur les deux premières cartes suivantes.

Situation de départ : 27 Pisci 5228 (6h)

La cavalerie d’Irluinn fonce à l’aube pour s’emparer du pont d’Auriskhold. Elle est suivie par l’infanterie légère (XII-2). La brume et la pénombre permettent de dissimuler leur progression.

 

Situation à 7h

La cavalerie accompagnée d’éclaireurs arrive au contact du pont. Les éclaireurs ont balayé quelques gardes kobolds.

L’aurore pointe. Les cavaliers vont mettre le feu au pont.

L’infanterie légère (XII-2), formée de montagnards accoutumés au terrain difficile et à l’escalade, prend la direction des collines, accompagnée du bataillon d’archers (XII-3-2) qui doit l’appuyer, le reste suivant les traces de la cavalerie.

 

Situation à 7h30

L’alerte a été donné par les archers kobolds dans le camp. Les femmes et le train sont évacués et partent vers le nord-ouest (ce mouvement n’est pas indiqué sur la carte).

L’infanterie légère (XII-2) commence son parcours dans les collines. Le 1er bataillon d’infanterie lourde (XII-1-1) se met au centre du dispositif pour conserver la liaison avec le reste des forces.

La brume s’éclaircit sous un ciel couvert.

Situation à 8h

Auriskhold – 8h

Les archers kobolds sur la rive nord ont pris position afin d’attaquer la cavalerie qui a réussi à mettre le feu au pont devenu inutilisable. Une infanterie kobold évacue le camp.
Face à eux, le 1er bataillon d’archers arrive juste à temps pour effectuer un contre-tir vers l’autre rive. L’infanterie lourde et les piquiers poursuivent leur progression vers le centre.

Les trolls et un groupe d’archers kobolds de la rive sud ont été alertés et font mouvement vers le pont. Ils ne voient pas l’infanterie légère qui progresse dans les collines, dissimulée par les bois et suivie par les archers.

Les troupes gardant la ligne de fortins du nord ne font pas encore mouvement, ignorant si l’incendie du pont est un simple accident ou éventuellement une diversion. On décide néanmoins de réveiller Solxvak Grossepogne.

 

Situation à 8h30

Auriskhold – 8h30

La bataille commence en même temps que le jour se lève pleinement et que la brume se dissipe.

Les trolls de la rive sud accourent. Ils sont aperçus par les piquiers de la VIe légion (VI-1). Les deux unités s’attaquent réciproquement. Ce choc attire le 1er bataillon d’infanterie lourde (XII-1-1) qui se dirige vers lui au travers de la forêt. Ce mouvement attire aussi les archers du 2e bataillon (XII-3-2) qui cessent de suivre l’infanterie légère pour prendre également position dans la forêt afin de tendre une embuscade.

Cependant, les trolls de la rive nord ont rapidement réagi : ils réussissent à traverser le fleuve malgré l’absence de pont grâce à leur taille et leur résistance au froid. Ils le font même suffisamment vite et bien pour arriver au contact du 2e bataillon d’infanterie (XII-1-2) qui progresse le long du fleuve et l’engagent.

La cavalerie décroche pour se mettre à l’abri des flèches des kobolds. Le duel d’archers de chaque côté du fleuve tournait à l’avantage du 1er bataillon (XII-3-1) à la fois plus nombreux et plus précis, mais le franchissement du fleuve par les trolls et leur l’engagement du 2e bataillon d’infanterie contraint les archers à appuyer aussi ce dernier.

Les gnolls de la rive sud flanqués d’archers kobolds ont abandonné le réseau de fortins et arrivent vers le combat. D’autre part les géants du côté nord, enfin alertés, se pressent d’en faire autant ; or des géants qui courent vont vite.

Situation à 9h

Auriskhold – 9h

C’est le moment où l’Empire paraît perdre la bataille.

Solxvak Grossepogne a fait sonner l’alerte. Les gnolls ont aperçu le 2e bataillon d’archers dans la forêt et se portent à son contact, manquant de le surprendre complètement. Devant la soudaineté et la violence de l’attaque le commandant du bataillon, Valdray Samarkad, sauve son unité en ordonnant une retraite immédiate. Mais cette décision signe un double échec : d’une part son idée d’embuscade a fait long feu au point de le faire surprendre par un ennemi connaissant mieux le terrain que lui, d’autre part il n’est plus en appui de l’infanterie légère (2e régiment) qui de son côté cherche toujours le contact avec les géants.

Or justement ces géants, enfin alertés, font à leur tour mouvement en descendant de leurs collines, passant à portée du 2e régiment de la XIIe légion. Son chef, le lieutenant-général Bermuth Salios, décide immédiatement d’attaquer. Il sait que l’infanterie légère, même expérimentée, même habituée au terrain escarpé, est la moins apte des unités à opposer à des géants. Mais telles sont les instructions et peut-être que le nombre fera pencher la balance en sa faveur, avec l’appui des archers.

Au centre, les piquiers de la VIe légion affrontent comme prévu les trolls. Eux sont là pour ça : l’affrontement contre de grands monstres maintenus à distance à l’aide d’une forêt de piques qu’ils hérissent devant eux, piques qu’ils savent parfaitement manier pendant que les couvreurs les protègent à l’aide de grands boucliers en dessous desquels les épéistes se glissent pour attaquer par surprise et achever les blessés ennemis.
Les piquiers reçoivent l’appui bienvenu du 1er bataillon d’infanterie lourde qui a choisi d’attaquer les trolls par le flanc, ignorant que des gnolls viennent de balayer les archers sur sa droite. Les trolls du centre sont en fort mauvaise posture, mais ils sont les seuls à l’être.

En effet, le long du fleuve, les autres trolls venus de la rive nord ont traversé le fleuve malgré le froid et atteint la rive sud où il entreprennent de décimer le 2e bataillon d’infanterie lourde avec l’aide d’archers kobolds.
Sparmonte Dochquez, lieutenant-général commandant le 1er bataillon d’archers, se retrouve alors tiraillé entre trois objectifs : les archers kobolds de la rive nord, le soutien au 2e bataillon d’infanterie, l’appui du combat des piquiers. Or dans le même moment les géants du nord ont atteint les ruines d’Auriskhold et vont pouvoir à leur tour traverser le fleuve. Sparmonte Dochquez choisit alors le soutien au bataillon d’infanterie.

 

Situation à 9h30

Auriskhold – 9h30

C’est le tournant de la bataille.

Au centre, grâce à l’appui du 1er bataillon d’infanterie lourde, le régiment de piquiers de la VIe légion n’a fait qu’une bouchée des trolls. Après quoi son commandant, le chevalier Alastair de Nadron-Verimeil, voit sur sa gauche la position délicate du 2e bataillon d’infanterie lourde face aux autres trolls : il lance aussitôt son régiment à l’attaque, laissant le 1er bataillon d’infanterie sur sa droite aller au contact des archers kobolds. Les piquiers surviennent ainsi sur le flanc des trolls engagés contre un 2e bataillon d’infanterie qui tient le coup grâce aux archers de Sparmonte Dochquez. La surprise des trolls est totale et entraîne leur débandade. En une demi-heure l’ennemi a perdu le coeur de son armée : ses deux unités de trolls.

C’est fort heureux pour les impériaux. Le 1er bataillon d’infanterie lourde croit même pouvoir prendre le temps de consciencieusement décapiter et brûler les trolls avant d’aller au contact des archers kobolds. Il n’en aura pas le loisir : il reçoit l’impact des gnolls qui viennent d’éjecter le 2e bataillon d’archers de leur chemin et chargent avec fougue ces humains quand carapaçonnés d’acier.

Cette charge libère le 2e bataillon d’archers qui continue sa retraite afin de se regrouper : il rebrousse chemin dans la forêt jusqu’à atteindre les collines d’où Valdray Samarkad constate que le 2e régiment d’infanterie légère a engagé les géants sans attendre son appui. Il entreprend de lui porter assistance au plus vite.

Dans le même temps, les géants de la rive nord n’ont pas traversé le fleuve. Au contraire : sur les instructions de Grossepogne ils improvisent un pont en maintenant au dessus de l’eau de grandes planches prélevées dans les ruines ou dans leur camp ainsi que des troncs tenus en réserve, par où ils font passer gnolls et kobolds afin qu’ils rejoignent la rive sud. Cette manoeuvre contrecarre l’effet de l’incendie du pont qui visait précisément à empêcher un tel renfort.

Du côté de ce pont, les archers kobolds, qui tirent depuis le début du combat, imitent le 1er bataillon d’archers en commençant de prendre pour cible l’infanterie lourde impériale.

La situation de la XIIe Légion renforcée devient alors critique. En effet, ses succès initiaux : incendie du pont sans pertes ni difficulté, rapide destruction des deux unités de trolls de l’ennemi, ne sont pas accompagnés d’une progression de terrain optimale ni de la mise hors de combat d’autres unités ennemies ; le contrôle l’espace du champ de bataille semble plutôt appartenir à un ennemi qui paraît en passe de réussir à concentrer l’ensemble de ses forces sur les unités impériales.

Situation à 10h

Auriskhold – 10h

La bataille arrive à son moment décisif. L’intensité des combats est maximale. Des deux côtés,pratiquement toutes les unités sont engagées. Seule une arrière-garde de kobolds a été laissée loin au nord pour prévenir une coordination des impériaux avec d’éventuels renforts, ce qui ne sera pas le cas.

C’est le moment où la cohésion du groupe ou de l’escouade, la force morale et physique de l’individu, l’aptitude et l’entraînement au combat font la différence. C’est le moment où le courage, la vaillance, l’abnégation pèsent plus lourd que les armures, tranchent plus fortement les armes. C’est le moment où il faut lutter avec la fatigue, la souffrance, l’effroi, pour continuer de se battre et espérer vaincre plutôt que mourir.

Le long de la Rauschvine Hal Sanzo, à la tête du 2e bataillon d’infanterie lourde a tué quinze gnolls à lui seul. Devant lui les géants achèvent leur rôle de pontonniers et vont commencer de grimper sur la rive sud. Et il voit aussi Solxvak Grossepogne tuer autant d’ennemis que lui-même.

Le noble Alastair de Nadron-Verimeil combat au milieu de ses piquiers en se répandant en jurons face à ces kobolds trop petits pour être aisément embrochés et qui sont appuyés par leurs deux unités d’archers.

Le chevalier Jonath Oakfen Maramoor a rétabli la situation du 1er bataillon d’infanterie lourde face aux gnolls en se jetant personnellement dans la bataille, prenant le risque, s’il venait à être tué, de démoraliser son unité.
Loin à sa droite le 2e régiment a fondu comme neige au soleil face aux géants mais le 2e bataillon d’archers survient enfin pour l’appuyer ou plutôt empêcher son anéantissement.

A l’autre bout du front, Sparmonte Dochquez décide de tourner tout son bataillon contre les archers kobolds qui le harcèlent depuis deux heures de l’autre côté du fleuve. C’est un pari qui laisse toutes les unités de la ligne centrale sans appui. Voyant cela, Televranni et sa garde d’Etat-Major rejoignent la cavalerie d’Irluinn pour s’apprêter à charger l’ennemi qui réussirait à ouvrir une brèche dans la ligne de front.

Situation à 10h20 et 30

Auriskhold – 10h20
Auriskhold 10h30

(un trait noir signifie une unité fortement diminuée (un tiers de pertes : morts ou blessés ou en fuite), une croix noire une unité débordée et ayant plus de 50% de pertes ; le fond gris signifie une unité en fuite ou déroute.)

Au centre, l’expérience, la cohésion, l’entraînement des légionnaires vont réussir à compenser l’infériorité tactique ou numérique. C’est à dire les qualités intrinsèques typiques de l’armée impériale depuis des siècles.

La cavalerie d’Irluinn accompagnée de l’état major de la légion menée par Dan’Arvida a vu les géants sortir du fleuve : elle charge les gnolls avant qu’ils ne les renforcent. La moitié des cavaliers est mise hors de combat avant d’atteindre l’ennemi par les archers kobolds qui font preuve d’une belle efficacité bien que tirant au maximum de leur portée.
Mais cette charge galvanise le moral du 2e bataillon d’infanterie qui avance contre les gnolls malgré de lourdes pertes et, avec l’appui des cavaliers survivants, réussit finalement à les mettre en déroute après une mêlée où tous s’entremêlent, de nombreux humains, gnolls, chevaux tombant dans le fleuve.
Solxvak Grossepogne voit le danger d’un encerclement par les cavaliers et mène la retraite, plutôt maladroitement. Les gnolls fuyardes refluent en effet vers les géants dont ils empêchent la progression, déjà gênée auparavant par les trolls en déroute. Du coup, les géants hésitent à refaire un pont afin que les fuyards puissent repasser sur la rive nord.

Les piquiers de la VIe légion ont décidé d’avancer derrière leurs boucliers contre les kobolds (infanterie et archers) quitte à leur marcher littéralement dessus. Cette tactique est un succès. Outre leurs larges boucliers, l’armure lourde des piquiers les rend supérieurs aux kobolds qui ne disposent pas d’une protection équivalente et, individuellement, les épéistes impériaux sont de meilleurs combattants ; en outre, le régiment est plus nombreux que l’infanterie qui lui est opposée. Après vingt minutes de résistance l’nfanterie kobold perd plus de la moitié de son effectif ; après une demi-heure, elle cède.

A sa droite Jonath Oakfen Maramoor et ses hommes touchent les dividendes des exercices qui font leur ordinaire au quotidien. Certes les gnolls sont quasi aussi nombreuses qu’eux, et plus fortes et plus grandes individuellement. Mais les gnolls, comme la plupart des envahisseurs meganarkiens et des humanoïdes arkanders, n’ont pas l’habitude d’une opposition de cette qualité. Elles ont coutume de faire face soit à des combattants expérimentés, typiquement une escouade de chevaliers de la Marche, en étant alors en large supériorité numérique, soit à un ennemi nombreux mais peu entraîné, telle une milice de paysans, qu’il est facile de démoraliser. Mais ces légionnaires sont des soldats professionnels. Ils vivent pour ces moments-là. Ceux du 1er bataillon sont plus de 300 encore debout et les gnolls ne sont pas plus nombreuses. A un contre un face aux monstres, les légionnaires infligent des pertes de trois contre un derrière leur chef qui s’est placé en pointe de la mêlée. Après une demi-heure de tueries, les gnolls finissent par rompre. Le 1er bataillon des Steelfist a fait honneur à la meilleure armée du monde.

A l’ouest, le choix de Dochquez s’avère gagnant. Les salves de son 1er bataillon d’archers déciment et mettent finalement en déroute les archers kobolds qui se retrouvent de leur côté à court de flèches. Plus loin, les trolls achèvent de s’enfuir vers l’est.

Mais sur le dernier front, celui du 2e régiment, les choses se passent mal. Bermuth Salios a perdu la moitié de son effectif. Il s’accroche pourtant, au risque d’un anéantissement de son unité par les géants. Les archers du 2e bataillon ont beau tirer leurs flèches, leurs camarades tombent les uns après les autres. Chaque coup de chaque géant moissonne au moins un homme.
Salios a décidé de ne pas reculer, choisissant le sacrifice. Car, depuis les hauteurs des collines, il a vu les unités ennemies réussir à franchir le fleuve pour venir peser sur le centre impérial. La XIIe Légion n’est donc plus en position de force ; mais tant qu’il peut garder « ses » géants en face de lui, il donne au reste de l’armée une chance supplémentaire de vaincre.

Situation à 11h

Auriskhold – 11h

C’est l’heure du décantement et de la promesse de victoire.

Les unités gnolls et kobolds vaincues décrochent et fuient en direction de l’est sur la rive sud de la Rauschvine. La cavalerie et le 2e bataillon, très éprouvés, se regroupent sur leurs arrières. Hal Sanzo, cinq blessures et couvert de sang, rallie ses hommes. Televranni vient lui prêter main-forte.
Grossepogne s’est mis en sécurité derrière les géants ; il se rend compte qu’il a eu tort d’avoir peur des cavaliers mais il est trop tard : les gnolls ont vu leur chef reculer, elles ne se rallieront pas.

Cependant les géants, désormais débarrassés de fuyards trolls, gnolls ou kobolds, ont enfin réussi à avancer sur la rive sud. Ils se retrouvent en face des piquiers de la VIe légion qui se sont portés au devant d’eux. Ces derniers sont appuyés par les archers de Dochquez qui surveillait lui aussi les géants et a pris position directement derrière la VIe légion, selon le schéma tactique idéal préconisé par l’Etat-Major impérial. La première ligne oppose défensivement ses longues piques aux géants, les empêchant d’atteindre les hommes au sol. Les épéistes attaquent précisément au sol les jambes des géants. Les archers les visent à tir tendu au torse et à la tête.

Dans le même temps, le 1er bataillon, mené par un Oakfen Maramoor aussi imperturbable que s’il s’occupait de cirer ses bottes, continue d’avancer méthodiquement sur un premier groupe d’archers kobolds qu’il engage en mêlée. Voyant cela, le deuxième groupe de ces archers, qui jouxte le premier, interrompt son tir et s’apprête à fuir.

Tout à droite du dispositif, le tir enfin précis et coordonné des archers du 1er bataillon oblige les géants à se mettre à couvert, offrant un répit à l’infanterie légère de plus en plus décimée.

Situation à 11h15

Auriskhold – 11h15

Un quart d’heure a suffi au 1er bataillon pour éliminer ou disperser le premier groupe d’archers kobolds. Le second n’en poursuit que davantage sa retraite. Plus loin au nord, leurs copains censés garder les fortins en font opportunément autant en passant par les collines pour ne pas être repérés.

Piquiers et géants continuent leur bataille alors que Sanzo, à peine ses hommes ralliés et malgré des pertes de plus de la moitié, les fait repartir au combat. Le 2e bataillon se porte ainsi à hauteur des géants et cherche à se placer entre le fleuve et eux afin de leur couper la route d’une éventuelle retraite.

Mais à droite, le 2e régiment, qui affronte depuis près de deux heures ses géants, finit par céder. Les hommes se débandent et s’enfuient dans les collines. Courageusement, Valdray Samarkad ordonne à son 2e bataillon d’archers de rester en position, l’offrant comme prochaine cible à la fureur des géants. Il va reprendre le flambeau que les troupes de Salios viennent de lâcher: gagner du temps sur l’aile en empêchant les géants de venir peser sur le coeur de la bataille.

Grossepogne a vu cette situation et fonce demander aux géants d’accourir au centre du combat. Mais il n’arrive pas à leur imposer son autorité : les géants ils préfèrent s’en donner à coeur joie en massacrant ces énervants archers qui les ont harcelés de flèches depuis près d’une heure.

Situation à 11h30

Auriskhold 11h30

Il ne reste plus que les deux groupes de géants dans deux situations inverses l’une de l’autre.

Au centre, le 1er bataillon d’infanterie lourde, devenu libre de tout ennemi, a pu avancer sur les arrières du groupe de géants venu de la rive nord, bloquant leur retraite en coordination avec le 2e bataillon. La cavalerie, bien que décimée, est retournée au combat afin de compléter l’encerclement des géants, exactement ainsi que le craignait Grossepogne qui continue de tenter de convaincre les géants de l’aile gauche de faire mouvement vers le centre. Il n’est donc pas là pour prévenir leur homologues du centre qui, occupés par les piquiers, réalisent trop tard leur encerclement. C’est le sauve-qui-peut et leur groupe perd toute cohésion.

Pendant que le 2e régiment s’enfuit par les collines, les archers du 2e bataillon se font trucider par l’autre groupe de géants. Mais le sacrifice de ces deux unités aura été essentiel dans la victoire en empêchant l’ennemi d’amener une force décisive au coeur du combat.

Grossepogne comprend que la bataille est perdue mais au moins peut-il tenir l’insubordination des géants pour responsable. Il décide de s’enfuir à son tour.

Situation à 12h

Auriskhold – 12h

Au centre, la plupart des géants encerclés n’échappent pas à un massacre en règle, bien que plusieurs réussissent à se sauver en se jetant dans la Rauschvine. Les impériaux croient pouvoir fêter la victoire, mais il est encore un peu tôt.

Les archers du 2e bataillon en fuite ont en effet libéré le dernier groupe de géants que leur long combat victorieux à l’aile gauche a rendus comme ivres, enragés, « berserk ». Ce groupe arrive enfin au coeur de la bataille et engage aussitôt le 1er bataillon d’infanterie.. Oakfen Maramoor a à peine le temps de disposer ses hommes pour recevoir le choc de cette attaque. Les autres troupes, pour la plupart épuisées, ne réagissent pas assez vite pour lui apporter un soutien rapide.

Certes il ne reste plus de l’ennemi qu’un groupe de géants qui ne peut espérer guère plus qu’un baroud d’honneur ; mais ce groupe vient d’éliminer un régiment et un bataillon à lui tout seul et il compte bien en faire autant avec les troupes du 1er bataillon.

Situation à 12h15

Auriskhold – 12h15

Comme ses prédécesseurs, le 1er bataillon d’infanterie se fait hacher sur place par les géants berserks durant le temps nécessaire à la venue des piquiers de la VIe légion, toujours suivis comme leur ombre par le 1er bataillon d’archers de Dochquez. Piquiers et archers reprennent la même routine de combat avec le soutient d’un 1er bataillon qui, malgré ses pertes, ne désempare pas.
Les géants, déjà éprouvés par leurs précédents combats, commencent à perdre beaucoup de monde. Dans quelques minutes, le 2e bataillon d’infanterie rejoindra le 1er, reconstituant le 1er régiment de la XIIe légion. Cinq minutes plus tard, face à l’évidence de leur infériorité numérique, les derniers géants détaleront.

A 12h30, le général Holoam Televranni constate la victoire et donne l’ordre de cesser les combats. La route vers Keln’s Gate est libérée. La XIIe légion renforcée a réussi sa mission.

C’est une victoire décisive par la manière dont elle a été acquise et par ses conséquences stratégiques et surtout morales. Jusqu’alors l’armée impériale, assistée de forces arkanders et eriendelles, avait progressé sans livrer de bataille majeure. Les légions avaient aisément repoussé un ennemi parfois en bon ordre, parfois disparate et désordonné, qui n’avait cessé de reculer jusqu’au delà même de Freas.
Mais Bergmale n’était pas dupe de la retraite des armées du Trollwarkhan Gh’ Niardèchôssn : celle-ci visiat à l’attirer vers l’intérieur des terres, allongeant ses lignes de ravitaillement et le forçant à multiplier les garnisons intermédiaires, en attendant de livrer une grande bataille rangée au plus près de ses propres réserves contre des forces fatiguées et en bout de course. C’est bien pourquoi le général impérial s’était opposé à poursuivre l’effort au nord de Freas à la fin de l’automne précédent. Et c’est aussi pourquoi Auriskhold n’a opposé en réalité qu’une fraction de chacune des deux armées : côté Empire il s’agissait de préserver la surprise, côté Trollwarkhan il n’a pas eu le temps de regrouper ses forces.

Ainsi la bataille d’Auriskhold paraît-elle entraîner des conséquences disproportionnées avec les forces qui s’y sont affrontées.
Si l’armée de Grossepogne y a perdu plus la moitié de ses effectifs, ces pertes n’apparaissent au final pas décisives dès lors qu’on les rapporte à un ensemble composé de monstres et humanoïdes arkanders, de leurs féodaux barbares, de bandes ou d’armées meganarkiennes, Mais c’est l’audace du plan, réalisé par une seule légion, certes renforcée d’un fameux régiment de piquiers mais aussi dépourvue de ses engins et de sa cavalerie, qui a frappé les esprits. Les forces en présence étaient équivalentes et qui plus est, l’ennemi détenait une excellente position défensive et l’avantage d’un terrain connu : attaquer dans ces conditions était fort audacieux. La chance a certes souri aux impériaux avec la brume matinale dissimulant leur approche, mais encore fallait-il saisir cette chance. Surtout, l’excellence du moral, de la coordination et de la compétence militaire démontrée par la XIIe légion, qui n’est pas l’une des plus célèbres, a impressionné le monde bien au delà des meganarkiens. Le sacrifice stoïque de l’infanterie légère puis des archers, l’abnégation et la persévérance de l’infanterie lourde, l’efficience des piquiers face aux grands monstres ont démontré que la fameuse supériorité de l’armée impériale demeure d’une entière actualité.

Le résultat est le désencerclement d’un Kelnetur enfin relié au reste de l’Arkandahr. A mesure que se répandait la nouvelle que les impériaux avaient forcé le passage de la Raushvine, orcs, demi-orcs et barbares abandonnèrent leurs positions afin d’éviter l’affrontement contre les redoutables vainqueurs d’Auriskhold. On peut y voir une considérable perte de prestige du Trollwarkhan qui avive les dissensions entre meganarkiens et aussi avec leurs alliés renégats arkanders. Il n’est pas sûr que Gh’ Niardèchôssn y survive.
Ainsi l’isolement du nord-ouest du pays cesse-t-il pour la première fois depuis un demi-siècle. Beaucoup comparent cet exploit à la libération de Ganarbe en Wejlar d’il y a quelques années. Le résultat est en effet assez semblable, bien que le Kelnetur ait réussi à demeurer libre et à résister à la Great Anarchy.

D’autre part, cette victoire ponctue une campagne purement militaire, sans intervention de mages ou d’aventuriers, où un allié traditionnel s’est porté au secours d’un pays ami sans escompter de gain pour lui-même et en supportant la quasi-totalité des charges et risques de l’opération. Celle-ci a été décidée par le nouvel empereur Jalx et par lui seul choisissant une politique inverse de celle de son prédécesseur ; le monde entier aurait moqué son échec, il est donc juste qu’il reçoive tout le mérite de ce succès politique.

Ainsi, de retour d’un récent voyage, le nouvel empereur a reçu un accueil triomphal à la Cour d’Ilnaëmb des nobles et de la ville. Le Parlement, pas encore élu, n’y a toutefois pas participé, mais les gouvernorats de l’est du pays ont fait part de la fierté et de la réjouissance des populations, notamment celles urbaines.

On dit aussi que le plan ayant conduit à cette victoire aurait été inspiré par le maréchal de Montaygue via le chevalier Holoam Televranni ayant été son banneret et servi à l’armée sous ses ordres. Ce plan aurait ensuite été présenté à Bergmale et ses adjoints puis par ce dernier à l’empereur Jalx en personne, en présence d’Erwindal de Colstone et de Morag d’Arkandahr. La prétendue controverse aboutissant à un apparent immobilisme de l’armée impériale aurait été une désinformation faisant partie de ce plan dont elle aurait constitué l’aspect le plus secret, connu seulement de l’empereur, de Bergmale, et très rares autres personnes.

La Xe légion va demeurer autour de Freas, constituant le coeur du dispositif impérial en Arlandahr. La XIIe légion, très éprouvée par la perte de 30% de ses effectifs, va être renvoyée au sud de Freas pour être recomplétée. Elle sera relevée par l’armée combinée de Colstone, d’Arkandahr et des chevaliers de la Marche dans la mission d’assurer la liaison Freas – Kelns’Gate
Le roi Morag s’emploie à lever ses forces armées qui seront entraînées par les cadres de la XIIe légion avec pour objectif d’être en ordre de combat d’ici la fin de l’année. Les forces du Kelnetur ont montré depuis des décennies leur capacité à résister aux invasions : elles ne nécessitent pas de renfort immédiat.

Ce dispositif devrait permettre de pérenniser à moyen terme la reconquête de l’Arkandahr brillamment opérée par son roi Morag et surtout par S.M.I. Jalx.
Il va aussi permettre de libérer une VIe légion qui sera rapatriée au centre de l’Empire afin de relever la VIIe. Cette VIIe légion fait déjà route vers l’ouest, très vraisemblablement pour occuper avec le concours de régiments de réserve les frontières nord-ouest de l’Empire afin d’en décharger les IIe et IVe légions elles-mêmes envoyées vers le sud. Ce sont donc au total six légions, les I à Ve et la XIVe, qui pourraient bientôt stationner en Sablern, entre Isenheim et Vizan et face à Zevjapuhr.

Lignages d’Arkandahr

Nota : La page Sur l’Arkandahr et ses origines » s’est enrichie d’un appendice précisant l’actuelle généalogie de la maison royale d’Arkandahr qui est reproduit ici.
La carte ci-dessus relative à l’emplacement d’Auriskhold montre également l’Arkandahr.

Ce n’est pas tant le couronnement que le succès du jeune roi Morag Ier qui font ressouvenir à certains qu’il a supplanté son cousin le jeune Astaemir d’Arcande.

Ce dernier, fils de feu Jubal VI, descend certes de son royal père mais aussi de sa femme de chambre, ex-gouvernante, une certaine dame Grimnez, qui a toutefois fait reconnaître sa filiation et par le clergé de Nephtys et par la puissante maison de Chalkenmoon. Cet appui a permis aux bâtards selon certains et aux légitimes héritiers selon d’autres de recevoir le titre de ducs d’Arcande, c’est à dire de la capitale du royaume, qui est traditionnellement porté par le premier héritier de la Couronne. Toutefois, Jubal VI n’a jamais été officiellement époux de quiconque et notamment pas de dame Grimnez qui lui servait de maîtresse et avec qui il découvrit les choses du sexe.

Mais en amont de ces lignées on trouve celle des comtes de Iolaynne, branche aînée de la descendance d’Astremo XI par sa fille Wanfredde d’Arkandahr, unique survivante des enfants du pénultième souverain du pays. Par sa mère Clavinia, Wanfredde appartient à la maison d’Orandreth-Colstone, qui constitue un puissant soutien.
Les Iolaynne inclinent donc à considérer que la couronne devrait leur revenir par droit d’aînesse car la maison (récemment) régnante de Variogue dont est issu le roi Morag leur est incontestablement cadette.

La baronnie de Variogue est un petit fief dépendant du domaine royal d’Arcandom, lequel est actuellement détenu par les ducs d’Arcande, descendants direct du roi Jubal VI. Que la maison d’Arcande, de sang royal, possède la titulature d’Arcandom, domaine royal, peut donc apparaître somme toute logique.
Toutefois, cette titulature irrite au plus haut point la mère du roi Morag : Dame Bernisse de Variogue, née de Rougerie (la plus prospère province de Farath) et nièce par alliance d’Astremo XI, qu’elle a connu. Elle peine à accepter d’être à la fois la mère du roi et vassale d’une maison rivale du même sang. C’est sans doute pourquoi Arcande, capitale théorique du royaume, est aujourd’hui revendiquée par la maison de Variogue pour être remise à l’héritier de l’actuel monarque, actuellement son frère cadet.

La maison d’Arcande a renoncé à la couronne d’Akandahr par impuissance : la coutume exige que le roi soit en mesure de diriger son armée et même y combatte en personne. Cette coutume dissuade de prétendre au trône, qu’elle réserve aux forts et aux capables. Mais elle est particulièrement dangereuse : aucun autre Etat n’a vu autant de ses souverains tués au combat. Dame Grimnez n’a aucune envie d’y sacrifier ses enfants. Et c’est aussi pourquoi le roi Morag a préféré voir son royaume libéré par l’armée de l’Empire Naëmbolt, ainsi que le préconisait la maison de Colstone depuis longtemps, avant de se faire couronner roi. Des fiançailles seraient d’ailleurs prévues entre Valendivia de Colstone, petite-fille de l’amiral Adorn et cousine d’Erwindal, et le roi Morag.

Mais encore fallait-il cueillir le fruit de cette libération de l’Arkandahr en couronnant le libérateur Morag, bien qu’il n’ait guère livré personnellement bataille.
On sait que ce fut chose faite par le Grand-Maître de l’ordre de la Marche Donnar Palsandre (voir news précédentes) en présence du roi Buliphar d’Eriendel, du comte Mecklë d’Irluinn, des légats des rois Einaril d’Ariandor et Toroïn II de Norhazâd ainsi que deux grands nobles de l’Empire­ : le prince Erwindal de Colstone et le comte Jhaen Karnosz-EagleHunt. Cet aréopage vaut assurément reconnaissance internationale du nouveau roi : mais le problème vient de ce qu’il ne vaut pas reconnaissance nationale. Seuls des nobles arkanders, le comte d’Irluinn et le Grand-Maître de l’ordre de la Marche étaient présents en personne, outre les rois d’Ariandor et de Norhazâd qui étaient représentés.

Or le Grand Conseil d’Arkandahr, qui réunit tous les grands nobles directement vassaux du roi, les rois « associés » d’Ariandor et de Norhazâd et le roi lui-même, comporte actuellement quatorze membres : Hyartas Colstone de Break’s, Ostiara Eaglehunt d’Indremarois, Mecklë d’Irluinn, Palsandre de la Marche, Toroïn de Norhazad, Einaril d’Ariandor, Gondar de Iolayne, K’Cheloth de Gornuth, Waldarine de Saltentia, Adalbert de Rauschnar, Byol d’Uiroth, Phandros de Kelnetur, Astaemir d’Arcande, et Morag Ier de Variogue d’Arlandahr. Le roi peut en outre appeler à ce conseil les maires de Kelnetur, d’Indremar, de Hillbreak et de Iolbec à condition de les appeler tous les quatre ensemble. C’est ce Grand Conseil qui reconnaît le roi et qui, selon les cas, lui prête allégeance ou renouvelle son alliance.

A cela s’ajoute l’étrangeté de l’arrivée de Donnar Palsandre à la tête de l’Ordre de la Marche, inopinément survenue quelques semaines avant de couronner Morag, au motif d’avoir réussi l’exploit du voyage vers Caiande. Ce voyage qualifie certes traditionnellement les maîtres de l’Ordre, mais personne n’avait osé le tenter depuis des décennies. Le choix du nouveau Grand Maître Palsandre par Morag pour se faire couronner roi sans avoir préalablement été approuvé par la majorité du Grand Conseil suscite une certaine perplexité chez plusieurs de ses membres qui ne sont pas loin de le qualifier de hâtif.

Toutefois le roi Morag peut compter des soutiens solides : outre Mecklë d’Irluinn, Palsandre de la Marche, Toroïn de Norhazad et Einaril d’Ariandor présents au couronnement, Hyartas de Break’s et Ostiara d’Indremarois ont officiellement déclaré le reconnaître pour légitime souverain de l’Akandahr. Avec le roi lui-même, cela fait sept membres.
Surtout, Morag bénéficie de la légitimité inhérente aux vainqueurs : Gondar de Iolayne ou Jubal d’Arcande peuvent bien faire valoir leurs arguments dynastiques, ont les voit mal remettre en cause le règne de celui qui vient de conduire la libération du pays et qui apparaît comme l’un des principaux bénéficiaires de la victoire d’Auriskhold.

Néanmoins, une fois éloignée la gloire de la reconquête viendra le temps du gouvernement ordinaire : celui de l’administration, du commerce, des lois, et de la reconnaissance de légitimité. Alors il faudra bien en passer par ce Grand Conseil que Morag n’a toujours pas réuni, car aucune politique ne peut réussir sans unifier son royaume.

Les nuages s’amoncellent sur Avros 

On peut s’aider de ces cartes du monde et du Tangut pour se repérer.

La situation de la prospère république maritime d’Avros semble s’assombrir de jour en jour. Cela peut sembler paradoxal lorsque l’on sait qu’elle dispose de la première flotte marchande du monde et de la deuxième de combat, qu’elle jouit d’une prospérité garantie par une suprématie incontestée sur les mers orientales et par une prédominance économique sur près de la moitié du sous-continent tangutien, qu’elle est depuis des décennies sinon des siècles indemne des famines et autres calamités, invasions, guerres du continent, que son influence diplomatique et économique s’exerce dans tous les pays du monde, qu’elle bénéficie d’un prestige politique et culturel qui a peu d’équivalents.

Le coeur du problème que doit affronter la république s’appelle le Farxel.
Pour la plupart des observateurs, Avros est confrontée aux conséquences sa politique vis-à-vis de ce pays avec lequel elle entretint si longtemps des relations amicales et même plusieurs alliances. Les contempteurs de la politique avrossianne estiment que la république paie les conséquences d’un complexe de supériorité envers le Farxel qu’elle tend à traiter comme un de ses de facto protectorats tangutiens, une sorte gros Starstonian. Ses défenseurs considèrent que la triste condition du Farxel doit avant tout à son incapacité à réussir sa réunification en se dotant d’un pouvoir central fort et efficient. Ils prennent l’exemple du Ritterland pour montrer que lorsqu’un tel pouvoir s’est maintenu, il a évité et pallié les maux dont on préfère rendre responsables les avrossians.

Il est en tout cas certain que la crise du canal d’Osport, qui s’est terminée par la reculade du Farxel a ancré dans ce pays un sentiment d’humiliation avec l’impression d’être devenu une puissance de seconde voire troisième rang, dépourvue d’alliés fiables. A quoi l’inertie et le mutisme complet de l’Empire Naëmbolt, traditionnel soutien, n’a rien arrangé.
Pour couronner le tout, Avros a soutenu prioritairement le Thûzzland et le Tangut face à la crise alimentaire des dernières années au détriment du Farxel, alors même que la situation de celui-ci était l’une des pires de tout le continent. Que la carence avrossiane à secourir le Farxel résulte d’une mauvaise compréhension de la situation et non d’une volonté d’affamer ce pays ne change rien au ressentiment qui s’y est développé.

La république est elle-même consciente de cette situation comme en témoignent les vifs débats ayant agité le Sénat, dont on a ici rendu compte. La politique de fermeté envers le Farxel émane du parti du Premier Lord-Conseiller Clowjones, au pouvoir depuis plus de dix ans. Celui-ci demeure inflexible à ce sujet malgré la recrudescence de contestations tant intérieures qu’extérieures. Indépendamment du bien-fondé de cette politique, force est de constater qu’elle entraîne des conséquences devenues inquiétantes.

Les marchands avrossians perdent en effet systématiquement des marchés en Farxel au profit de leurs concurrents vizaners, thûzz ou tangutiens.
C’est en particulier le cas sur les denrées usuelles : alimentaires, tissus, laine, bois, à l’achat comme à la vente. Mais le phénomène a fini par atteindre même les denrées rares comme le sucre, le café, les épices, les teintures, les métaux semi-précieux. Dans ces secteurs, le commerçant avrossian n’obtient la transaction qu’à défaut de concurrence. Avros se retrouve ainsi écartée du redémarrage du Farxel qui se profile à l’horizon de l’an prochain. Cette situation pourrait conduire à une crise financière car nombre de maisons de négoce ou de transport confrontées à l’amoindrissement de leurs affaires ne peuvent déjà plus faire face à leurs échéances.

Cette situation s’aggrave d’une perte de compétitivité sur les marchés de Thûzzland. En effet, l’agriculture farxlane exporte en Thûzzland à prix inférieurs à ceux d’Avros.
Cette situation peut apparaître absurde car le Farxel a urgemment besoin de denrées alimentaires, à commencer donc par les siennes. Mais cela s’explique par l’activation de droits de douane très préférentiels ayant été consentis par le Thûzzland au Farxel dès le début de la famine, voici trois ans.

Le Thûzzland, qui craignait alors pour ses approvisionnements alimentaires, comptait ainsi inciter le Farxel, traditionnellement excédentaire, à exporter ses surplus agricoles en priorité chez lui. Ces rabais n’ont cependant servi à rien face à la faiblesse des récoltes qu’ils.étaient censés capter. D’autant que la crise alimentaire a frappé le Farxel plus durement que tout autre pays.
Le Thûzzland se tourna alors vers Avros qui assura effectivement sa subsistance, mais à des prix élevés. Ces prix reflétaient d’un part des cours devenus stratosphériques, d’autre part des coûts de transports particulièrement lourds  : il fallait en effet garantir une livraison acheminée par mer vers un pays dépourvu de façade maritime, puis protéger le convoi fluvial ou terrestre consécutif contre les vols ou détournements, avec donc les coûts correspondants.
Avec la fin de la famine, le quintal de riz ou de maïs avrossian devient désormais plus cher que son équivalent impérial ou vizaner et surtout que le nouveau blé farxlan dont la compétitivité est dopée par des droits de douane inchangés. Les négociants farxlans gagnent donc beaucoup d’argent en exportant en Thûzzland, quitte à racheter en Vizan de quoi ravitailler le Farxel.

La République n’aura certes pas de difficulté à écouler ses surplus agricoles sur son marché intérieur ou en Tangut, mais avec des marges bien inférieures à celles qu’elle obtenait en Thûzzland, voire à perte, car les stocks ont été constitués et évalués en fonction des cours atteints lors de la famine. D’où un risque de défaillance qui menace un bon nombre d’établissements de commerce avrossians et préoccupe jusqu’à l’International Trade Guild.

Cette crise maintient le Premier Clowjones dans un jusqu’au boutisme qui hérisse en Farxel, où les Ritters apparaissent désormais la seule entité politique solide et signifiante. La République d’Avros a ainsi réaffirmé que toute nouvelle tentative de creusement du canal d’Osport constituerait une violation des engagements du Farxel et un casus belli. Elle a entamé une diplomatie intense en Tangut même temps qu’elle commençait de préparer son armée à la formation d’un corps expéditionnaire.
De leur côté les Ritters sont traditionnellement peu favorables aux avrossians. Ils bénéficient d’un appui nouveau mais résolu du Roi des rois de Vizan qui comble leur principal handicap face à Avros : l’absence d’une marine de guerre comparable. La survenance d’une guerre entre Farxel et Avros est donc une hypothèse que la plupart des diplomates tiennent pour envisageable.

Tout porte à croire qu’en pareil cas le Thûzzland, l’Empire et le Vizan demeureraient neutres par crainte d’un conflit à l’échelle continentale qu’aucun n’a envie de voir survenir. Le Vizan se bornerait alors à protéger les côtes farxlanes avec sa marine, ce qui ne devrait pas déclencher de réaction des autres grandes puissances. Il pourrait même aller jusqu’à fournir des soutiens économiques substantiels ou des mercenaires. Mais il ne pourra sans doute pas intervenir en Farxel, Tangut ou Avros avec ses propres forces terrestres sans susciter des représailles démesurées par rapport à l’intérêt qu’il peut trouver à ce conflit.

Dans cette hypothèse, l’équilibrage des forces dépendrait au final de la position du Tangut, c’est à dire de ses grands composants. On peut réduire le rôle de l’ex-empire à quatre puissances efficientes : Csio, Viris, Tarantis et Inghelis.
Valonne pencherait sans doute pour Avros mais n’est pas belliqueuse et n’a pas les moyens d’un conflit. Tulla et Starstone sont des puissances moyennes, d’importance plutôt locale : ralliées d’avance à Avros, elle ne lui apporteront pas d’avantage décisif. Il en va de même pour Blest qui suivra certainement la position du souverain de Viris, l’Empereur Vert. Sauf surprise, le Farath est trop décentralisé, comme l’est aussi le Dahraun, pour jouer un rôle substantiel.
Enfin, Csio est focalisée sur la domination territoriale en Tangut même : son roi Lucius II ne serait aucunement intéressé à prendre part à un éventuel conflit farxlo-avrossian sauf à y trouver une opportunité personnelle lui permettant d’étendre son territoire. Cette politique bloque par contrecoup ses voisins comme le Modroner qui n’oseront pas prendre part à une guerre dont Csio tirerait les marrons du feu.
Restent donc Tarantis, Viris, et Inghelis.

Il fait peu de doute que le roi de Tarantis se rallierait à une alliance Vizan-Farxel car tout affaiblissement avrossian lui profite directement. En outre, son pays est peu concerné par les effets prévisibles de la construction du canal.
Ce schéma s’inverse pour l’empereur Hautulin, souverain d’un Viridistan éminemment concerné par le canal et qu’inquiéterait une surpuissance vizaner. Toutefois l’Empereur Vert s’appuie traditionnellement sur le Vizan et aussi sur Tarantis : il apparaît difficile qu’il prenne position contre eux.
Le véritable pivot d’un éventuel conflit s’avère donc l’Inghelis.

Si l’Inghelis se rallie au Farxel, le Viridistan sera de facto contraint de rester neutre sans pouvoir s’allier à Avros ; sinon, il se retrouverait à la fois trop isolé et en première ligne des combats terrestres. Une coalition Farxel – Inghelis – Tarantis pourrait révolutionner le Tangut en donnant le signal d’un grand affaiblissement de la puissance avrossiane qui prédomine à l’est du monde.
Mais si l’Inghelis rejoint Avros, c’est alors le Farxel qui se retrouve en grand péril car ce ralliement pourrait déboucher sur celui de Viris et permettre ainsi la constitution d’une armée terrestre capable d’envahir le Farxel. Cela faciliterait en tout cas un débarquement avrossian en Inghelis, soit la frontière du Farxel.

Le choix de l’Inghelis se manifestera par la nomination de son Maréchal à la Diète de Clingshall qui se réunirait pour l’occasion. Cette Diète dépend à parts équivalentes des marchands et des seigneurs.
A la différence de leurs homologues viristanais, les marchands inghels ne croient pas que la mise en place du canal d’Osport leur serait sérieusement préjudiciable ; ils espèrent au contraire que les gains issus de cet ouvrage compenseronnt les pertes qu’il entraînerait. D’autre part, le commerce terrestre inghel apparaît bien davantage lié au Farxel qu’à Avros. Il est donc probable que plupart des marchands non concernés par les affaires maritimes se montrent favorables au Farxel.
Certains seigneurs feront probablement valoir que si l’Inghelis se déclarait pour Avros et contre le Farxel, plusieurs nobles de Farath choisiraient aussitôt, par réflexe anti-inghel, le parti farxlan. On peut toutefois considérer que ce renfort ne suffirait pas à compenser la puissance d’une armée réunissant celles de Viridistan, Inghelis et Avros, qui apparaît fort redoutable.
La plupart des seigneurs devrait donc pencher en faveur d’Avros. En effet, l’Inghelis se considère volontiers comme la source légitime et inspiratrice de l’ex-empire de Tangut et comme l’héritier de ses traditions. Cette vision passe par un Tangut et un Farxel capables de résister à des pressions étrangères. Elle implique donc d’éviter que le Tangut ne dépende d’une alliance entre Vizan, Tarantis et Viris. La diplomatie avrossiane ne s’y est pas trompée en présentant l’opportunité d’un rapprochement entre l’Inghelis et l’empereur Hautulin Szeiheitt comme un intéressant moyen de détacher ce dernier de l’influence vizaner.

D’inattendues nouvelles du Bervikelt

Le Bervikelt est une singulière contrée au nord-est du continent qui fait peu parler d’elle. Il a la forme d’une grosse péninsule s’avançant vers l’est et entourée par la mer au nord, à l’est et au sud. Il subit un climat nordique qui serait arctique s’il n’était relativement tempéré par la présence de l’océan.

Sa position excentrée l’éloigne d’autant plus des autres pays que son accès est barré par une étendue peuplée de monstres, elle-même bornée par deux marais à la réputation épouvantable.
Le pays est très contrasté : au nord-est la grande masse montagneuse des Almath occupe le tiers de sa superficie, tandis que vers le sud et l’ouest s’étendent de vastes plaines jusqu’à la grande forêt de Caiande, la neuvième ou dixième du monde par sa superficie, qui délimite traditionnellement la frontière du pays.

Le Bervikelt est souvent tenu pour un conglomérat de clans de barbares dont certains collaborent avec les bandes humanoïdes du Kaclandùch, l’immense partie orientale de la Great Anarchy. La réalité est plus complexe.

Un gros tiers de la population est constituée de clans généralement nomades qui parcourent les plaines ; un sixième sont des montagnards sédentarisés dans les vallées. Le reste des humains, environ la moitié de ceux-ci, habite dans des villages ou hameaux de pêcheurs sur les rives de la Falathmoon.
Irquewihr, la capitale et seule ville importante du pays, est un port. C’est aussi son principal centre de commerce qui, pour l’international, s’effectue à 80% par voie maritime.

Dès les plus anciens temps, les berviks ont été des marins ; aucune ethnie humaine du monde n’a plus ancienne et plus prégnante vocation à la mer. Les premiers marins berviks étaient d’une audace sans équivalent, suivant partout les navires falinorë, ne renonçant que face à la Barrière des Brumes. Ils allèrent jusqu’en Tangut et même jusqu’en Farxel en faisant le tour du continent. Leurs descendants sont encore aujourd’hui les seuls à oser s’aventurer sur la glaciale mer de Ghelek.

Il était donc assez logique que le Bervikelt devienne un état grâce à Avros qui en fit l’une de ses Républiques-Soeurs pendant sept siècles, de 4126 à 4868. Elle lui apporta techniques, institutions, civilisation et un véritable sentiment national, l’idée d’appartenance à un Etat. Après la fin de la République, le pays explosa en une multitude de clans mais conserva un appareil d’Etat et une civilisation ordonnée dans et autour d’Irquewihr.
Cet appareil est l’héritier des archives et traditions de l’ex-république. Il élit le bervikang : le roi de Bervikelt, dont les fonctions sont uniquement terrestres et principalement militaires et juridiques : le bervikang peut appeler le pays à s’unir contre une invasion et rend la justice en dernier ressort.

Ce n’est pourtant pas l’actuel bervikang Troggar Tarakulsen que l’empereur Jalx est en réalité allé voir cet hiver, alors qu’il paraissait avoir mystérieusement disparu. Cependant l’empereur n’a pas manqué de se présenter au palais du Kyrhall en qualité de monarque rendant visite à un autre. Il est en cela le premier empereur Naëmbolt et même le premier souverain d’une grande puissance qui se rende en visite officielle à Irquewihr depuis des siècles. Sur place le retentissement a été considérable, portant au plus haut la réputation du débonnaire Troggar, honoré comme aucun de ses prédécesseurs par un empereur chargé de présents.

Le roi Troggar, notoirement plus porté sur la justice que sur l’épée (ses ennemis disent sur la pine et chopine), a obligeamment mis à son service l’administration bervik et notamment ses registres d’armateurs. Il autorisa ainsi l’empereur à rencontrer le Council of Eversea, qui rassemble par cooptation les plus fameux capitaines de navires du pays.

S.M.I Jalx s’était installé dans la plus riche des maisons de commerce d’Irquewihr où il commença aussitôt des consultations avec tout ce que le Bervikelt compte de grands navigateurs, ébahis de voir l’empereur Naëmbolt en personne les inviter à déjeuner ou à dîner. Il s’agit d’un exemple de diplomatie directe, l’empereur ne s’étant fait accompagner que de l’amiral Adorn de Colstone, de son Secrétaire le Comte Elmë Nerenski et de son Hérault le Chevalier Eberic Chalkenmoon. Toutefois, la venue de S.M.I. Jalx et la rencontre avec le bervikang ont bien évidemment été préparées dans le plus grand secret, semble-t-il par l’ambassadeur extraordinaire impérial Sergueï Gunnafor et l’amiral Adorn de Colstone.
On remarqua aussi la présence du nouveau sous-secrétaire Banzer Cowfrat, neveu du premier Haut Juge d’Empire et mage de l’I.U.M., qui assiste l’empereur pour ses déplacements rapides avec le titre d’aide de camp. Celui qu’on dit être un prodige intellectuel a étudié à l’Université Impériale d’Orandreth, à l’Université de Melrose et au King’s College d’Eriendel avant d’opter pour la carrière de mage. Pareil parcours confine à l’ahurissant, la plupart des étudiants n’étant admis que dans une seule université.
L’empereur séjourna fort longuement à Irquewihr et n’en revint qu’au moment où se déroulait la bataille d’Auriskhold, pile pour en recueillir les bénéfices.

Quelques semaines plus tard, les navires avrossians, en particulier ceux qui reviennent d’une traversée de la Barrière des Brumes, commencèrent de se trouver régulièrement assaillis par des skeids de guerre armés par des corsaires berviks opérant en meute de trois à cinq navires. Les skeids sont plus rapides en vitesse de pointe que les grosses caraques de long cours, robustes vaisseaux conçus d’abord pour tenir longtemps en haute mer en étant chargées d’une importante cargaison. Face au skeid, la caraque ne peut pas échapper en remontant au vent car le skeid utilise alors ses rameurs qui le rendent plus rapide qu’elle aux allures près du vent.

Ls corsaires berviks montent ensuite à l’abordage. Plus nombreux que l’équipage avrossian, ils le font rapidement prisonnier et prennent possession de la caraque. Les combats sont rares et généralement brefs, l’équipage n’ayant pas de perspective de victoire et guère envie de mourir pour la cargaison de leur armateur. Les vainqueurs ramènent ensuite ce butin jusqu’à leur base : une flotte de ravitaillement en vivres et eau qui les attend à l’ancre sur un haut fonds. La cargaison de la caraque est alors transportée dans un vaisseau-relais, généralement un gros cogue ou une grande jonque, qui part ensuite pour Irquewihr ou Orfajaz pendant que les skeids sont réparés.

Plusieurs cas de figure peuvent ensuite se produire selon que la caraque (ou éventuellement la caravelle) s’est défendue ou non, selon que les berviks ont ou non perdu des hommes ou un ou plusieurs navires, généralement par l’effet du magicien embarqué sur la caraque. Si la caraque ne s’est pas défendue ou qu’il n’y a pas de pertes humaines côté bervik, elle est rétrocédée à son équipage qui est libéré en pleine mer. En cas de pertes humaines chez les berviks, une partie de l’équipage est envoyée en esclavage en Bervikelt pour être vendu aux meganarkiens et le reste, limité à ce qui est strictement nécessaire à la manoeuvre de la caraque, remis en liberté. En cas de perte d’un skeid, la caraque est arraisonnée et transférée à Irquewihr pour y être revendue, et tout son équipage envoyé en esclavage en Bervikelt.

Ce sont de très importants moyens qui sont mis en oeuvre dans cette opération contre Avros : au total plus de 50 skeids sont appuyés par une trentaine de navires d’assistance. Une autre flotille corsaire opérerait depuis peu à partir de Haghorn’s Hold, en Tangut oriental (Ostianne), dotée d’une vingtaine de skeids et d’une douzaine de navires auxiliaires.

Orc Farmer
Les avrossians ont été totalement pris par surprise et s’en trouvent profondément amers, vexés, furieux. Amers parce qu’ils ont toujours considérés les berviks comme des amis. Vexés d’être piégés sur leur point fort : le combat naval. Furieux parce que les succès corsaires avoisinent la vingtaine avec déjà six caraques arraisonnées.
La république a donc mobilisé d’importantes forces navales afin de contrecarrer cette offensive. Six des quatorze super-caraques de sa flotte de guerre en haute mer ont été consacrées à l’escorte, ce qui a permis d’arrêter les pertes, ces hauts vaisseaux largement dotées en infanterie de marine s’avérant trop difficiles à combattre pour les équipages des skeids. Deux autres super-caraques, jointes par douze caraques de guerre et 6 caravelles d’exploration forment deux escadres parties à la recherche des flottilles ennemies.

Cependant, il apparaît douteux que la république puisse maintenir ces mesures sur le long terme, pour deux raisons principales.
Elles sont d’abord extrêmement coûteuses : faire escorter une nef de commerce au long cours par une super-caraque aboutit au triplement du coût réel du transport. Or ce surcoût ne peut pas être assumé par l’Etat à moyen terme sans augmenter les impôts, ce que le Parlement refusera. Il reste la solution de le faire payer par l’armateur qui devra alors le répercuter sur le marché ; en pareil cas, les prix deviendraient déraisonnables et le commerce s’effondrerait.
Ces mesures mobilisent d’autre part quasiment la moitié de la flotte de haute mer, la rendant indisponible pour d’autres opérations. Cette situation fragilise la défense des intérêts avrossians, notamment en Tangut. Si l’opération de recherche-destruction des flottilles corsaires n’est pas rapidement couronnée de succès, le risque apparaît qu’une puissance tierce décide de tabler sur l’incapacité de la flotte avrossiane à se concentrer pour mener des opérations préjudiciables aux intérêts de la République ou de ses alliés.

Cette position de faiblesse se manifeste par la protestation émise l’ambassade d’Avros auprès de la Cour d’Ilnaëmb.
L’ambassadeur avrossian Sir Jackson Clarencil, dépêché pour l’occasion, fut reçu par son homologue le Vicomte Darius Oakfen avant de devoir insister pour l’être par Sa Majesté Impériale en personne. Or en d’autres temps, la forme comme le fond de l’attitude impériale auraient abouti à un ultimatum de la République. Mais celle-ci se borna à dénoncer le comportement inexplicable et inamical de l’Empire consistant à armer ou soutenir des corsaires s’attaquant au commerce avrossian.

De même, les prédécesseurs de l’empereur Jalx auraient sans doute réagi autrement que lui à la protestation déposée par l’ambassadeur d’Avros. Que ce soit par courtoisie, hypocrisie ou prudence ils auraient par exemple pris un air soucieux avant de s’efforcer à quelque amabilité et tenté d’arrondir les angles, ne serait-ce qu’afin de paraître ménager une puissance aussi considérable que la République Maritime. Mais ce n’est pas le genre du nouveau souverain Naëmbolt.

L’empereur Jalx ne cacha pas l’ennui que lui inspirait le discours de Sir Clarencil tout au long de sa déclamation en audience publique. Puis il répondit brutalement : « Monsieur l’Ambassadeur, je conçois vos désagréments mais ils ne me touchent pas. J’entends qu’il convient à votre république que je demeure les bras croisés afin que vous profitiez pleinement de votre commerce au long cours. Mais votre Etat a déjà sur les bras le Vizan, Tarantis, le Viridistan et maintenant le Farxel. Il ne tient qu’à moi que l’Empire s’y ajoute. Vous ne faites rien pour l’éviter. Or aucun traité ne nous lie. Je ne vous dois ni secours ni aide ni amitié. Je ne vois pas dans ces conditions que mon Etat doive renoncer à sa part des profits que vous engrangez. Vous avez vos forces, l’Empire a les siennes : souffrez qu’il n’hésite plus à les utiliser pour exploiter vos faiblesses. Rien ne saurait m’interdire le soutien à de valeureux marins berviks fort dépourvus de tout ce qu’achète l’or de votre république. Mais je ne veux pas vous être hostile. Je vous propose donc d’entamer avec mon ambassadeur, d’égal à égal, des pourparlers au sujet de cette situation. Telle est ma proposition dont je vous prie de rendre compte à votre gouvernement. Nous aviserons ensuite au vu de sa réponse et de la suite, à supposer que la république agrée ma proposition. Monsieur l’Ambassadeur, je vous autorise à vous retirer. Soyez assuré de mon estime envers votre personne. »

Sir Jackson Clarencil est reparti le soir même pour Avros.

Les humanoïdes des champs

 

Orc Farmer
Fermier orc, Ko Fi (coll. part. Cryge-Haven)

Depuis des décennies se développe en Loskelnai (Great Anarchy) une expérience de sédentarisation rurale des races dites humanoïdes. Elle vise à constituer une agriculture résiliente, permettant à une contrée, par exemple orc, de ne pas dépendre exclusivement de la chasse ou des pillages et rapines pour sa subsistance. Ces expériences ont intéressé plusieurs observateurs étrangers.

Les races humanoïdes ne sont pas monolithiques. L’imagerie populaire pousse généralement à croire le contraire parce que leurs sociétés sont généralement structurées pour permettre aux plus violents d’être les plus forts et de dominer sans partage ni mesure le reste de la société. Il existe pourtant des structures ( clans, familles, groupes…) qui ne tiennent pas nécessairement la guerre pour à la fois un moyen et une fin. Ainsi les panthéons orc et goblinoïdes incluent-ils chacun au moins une divinité correspondant à ce type de conception de la société : Bargrivyek pour les gobelins, Luthic chez les orcs.

Ces structures sociales cherchent d’abord à croître et multiplier plutôt qu’à vaincre pour détruire. Elles se fondent sur la temporalité plutôt que l’espace, par exemple en estimant que la brièveté naturelle de la vie orc rend stupide de l’abréger davantage en s’exposant systématiquement à des risques et dangers évitables (Eglise de Luthic). Elles tentent d’assurer en premier la survie de l’espèce ou de la tribu ou du clan dans le temps, avant de de rêver à des guerres et des conquêtes d’espaces. Pour elles, la collectivité consiste d’abord en une structure de défense de tous ceux qui la composent plutôt qu’en l’instrument au service de la puissance conquérante de quelques uns (Eglise de Bargrivyek).

Le Naokart’l du Loskelnai s’est appuyé sur les cultes de Bargrivyek et de Luthic pour encourager gobloinïdes et orcs à des former une caste d’agriculteurs ou de fournisseurs (bois, minerai, artisanat) complétant leurs équivalents humains, afin de s’affranchir d’une dépendance à ces derniers. Leurs incitations ont pu conduire les prêtres locaux vers une forme de déviance par rapport à l’orthodoxie dont ils dépendent, car Luthic ou Bargrivyek ne sont acceptés dans leurs panthéons respectifs que pour autant qu’ils contribuent à la main d’oeuvre nécessaire aux glorieuses guerres auxquelles sont destinés leurs peuples.
Ces expériences ont été d’autant plus réussies que l’individu gobelin ou orc se prête beaucoup mieux que l’humain à une exploitation de type servage. Elles ont donc démontré leur principal intérêt : une parcelle ainsi cultivée, ne serait-ce qu’en pâturages, s’avère bien au final à la fois moins coûteuse et plus rentable et productrice qu’une vaste étendue de terre de chasse ou de pillage.

La capacité des orcs et gobelins à se muer en ordinaires paysans ou bûcherons, qui s’est même étendue à certains kobolds en Loskelnai, a donné des idées en Wejlar, Mulgorge et Isenheim,
En Mulgorge le pouvoir central a directement favorisé la paysannerie orc en exemptant du devoir militaire trois individus par feu rural : le maître paysan, son épouse, un enfant ou ascendant, cela en contrepartie d’un cinquième des récoltes. Cette politique a connu un indéniable succès en limitant fortement la famine dans ce pays.
En Wejlar, le duc Fafnyr de Ganarbe, vigoureusement appuyé par le baron de Clev, a pu encourager le développement d’exploitations mêlant orcs et demi-orcs en s’inspirant avec pragmatisme des pratiques mises en place en Great Anarchy. Grâce à quoi il peut désormais viser l’objectif d’une autarcie alimentaire des Ganarbean Reaches. On rapporte également l’existence de semblables initiatives locales dans des régions frontalières, par exemple en Harwinder où une paysannerie gobline s’est développée.
En Isenheim, l’exemple du Naokart’l a fortement influencé la politique des dyarques Ghedon et Ecker. Même les Gruumshites sont désormais enclins à accepter localement la férule de Mère Luthic car le pays a été terriblement éprouvé et par la famine et par l’insécurité intérieure, au point de perdre les deux tiers de sa paysannerie. Compte tenu de la remarquable fertilité des terres, l’importance de la demande alimentaire a de facto rendu évidente, voire indispensable, la conversion d’orcs à la pratique d’une agriculture intensive.

Ainsi apparaît désormais dans ces contrées une classe paysanne humanoïde sédentarisée qui coexiste parallèlement aux structures tribales usuelles qui vivent de la chasse et des pillages sur de vastes territoires. Alors qu’au sein d’une structure sociale orc ou gobeline classique la guerre sert aussi à éliminer les bouches qu’on ne pourrait nourrir passé un seuil critique de population dans l’aire qu’elles contrôlent, l’émergence d’une paysannerie vise au contraire à produire de quoi nourrir ces bouches et à repousser ainsi ce seuil critique.
Cette coexistence ne repose cependant que sur des choix politiques locaux ou centraux. Mais si ces choix devaient se maintenir voire s’étendre, ils pourraient conduire à terme à une modification de la géopolitique du monde entier. Les humains, elfes et nains sont accoutumés à combattre des orcs cherchant à vaincre par le fer et le sang ; ils n’ont jamais eu à affronter ceux qui voudraient vaincre par la croissance et la multiplication.

Toutefois, l’existence d’une agriculture humanoïde apparaît d’ores et déjà l’une des meilleures réponses apportées à la crise alimentaire subie par le continent ces dernières années. Elle en amortit les effets en évitant que l’extension de la famine chez les orcs, goblinoïdes et autres koboldiques ne les poussent encore davantage à des raids désespérés. Enfin, elle permet d’amoindrir les différences structurelles entre les races, avec les préjugés qu’ils entraînent, ce qui facilite le quotidien des contrées aux populations mélangées.

La question zevjane

L’histoire de Zevjapuhr est à l’image de cette ville : vaste et compliquée. La ville est une puissance économique, culturelle et même technologique sans équivalent. C’est le premier port du monde en valeur des échanges. Mais ce n’est pas une puissance politique.

Zevjapuhr s’appuie sur un hinterland très riche mais d’étendue limitée. Ni la ville ni la cité-Etat avec son territoire ne se sont jamais envisagés en puissance politique terrestre. Zevjapuhr est tournée vers la mer et vers elle-même. La perle du monde ne considère ce dernier que comme sa coquille.

Elle est née sous un état, le Wejlar, qui l’a fondée avant de disparaître de la région. Elle a ensuite été revendiquée comme faisant partie de la civilisation de ses deux voisins, le Vizan et l’Okhpuhr, avant de l’être comme achèvement méridional de l’Empire Naëmbolt. Elle a connu plus de vingt changements de régime, étant tour à tour ville royale de Wejlar puis ville libre puis royaume souverain, province de Vizan, république maritime indépendante, royaume, fief okhpuhran, royaume, république, province impériale… Chaque a apporté sa contribution en même temps qu’il façonnait la spécificité d’une population consciente de ses particularismes et de son exceptionnelle culture. Pour le zevjan, au fond, peu importe le régime du moment que les arts, le commerce et les libertés fondamentales demeurent.

Au plan militaire, l’actuel état indépendant n’a qu’une faible armée qui le rend pratiquement incapable de défendre son territoire. Mais il en va tout autrement de la cité.
Celle-ci est protégée par une triple enceinte, un guet et une garde aux effectifs conséquents et bien équipés, ainsi que par une flotte imposante. Le zevjan est certes dénué d’esprit de conquête mais il est à l’inverse particulièrement soucieux de défendre sa ville qui est l’une des plus peuplées du monde. Or peu d’armées peuvent s’imposer à 250.000 habitants opérant chez eux dans une cité dense où abondent manoirs fortifiés et réseaux souterrains. D’autant que la mobilisation de la deuxième flotte marchande du monde aux fins de guerre dissuade de passer par la mer.
La riche Zevjapuhr n’aurait par ailleurs aucune difficulté à mobiliser et enrôler toutes les nombreuses compagnies de mercenaires expérimentés et efficaces qui y sont à ordinairement à vendre.
Ce n’est donc plus seulement une petite armée mais le guet et la garde municipale, des marins chevronnés, une population massivement prête à prendre les armes pour se défendre, complétés par des milliers de mercenaires professionnels du combat, qu’un éventuel conquérant devrait affronter. Un formidable obstacle.

Dans l’histoire récente, l’actuelle cité-état Zevjapuhr, avec son territoire, devint indépendante de l’empire Naëmbolt par la révolte de 5167, localement appelée guerre de Libération.
Le héros zevjan en est l’ancien vice-roi Sleimani Confior dal Dostoro, qui régnera ensuite avec le titre de Bey en étant élu à ses fonctions. Dostoro choisit habilement de rétablir une république afin d’éviter de froisser davantage l’Empire et surtout d’attirer les convoitises des nombreuses maisons nobles du monde entier qui pourraient se trouver légitimes à occuper un trône zevjan.

L’humilité de Dostoro se mesure à son choix de conserver le titre de Bey qui paraît indigne de son véritable statut puisqu’il signifie seigneur de la ville et, en Zevjapuhr, généralement pour le compte d’un souverain, tel un gouverneur ; or depuis la guerre de Libération, le bey de Zevjapuhr est un souverain indépendant qui gouverne tout un pays et non la seule cité. Mais Dostoro estimait que le véritable souverain est le peuple qu’il l’a élu et que le nom de Bey réfère en Zevjapuhr à une fonction et non à un titre nobiliaire.

L’essentiel des pouvoirs du Bey concernent le territoire de l’État plutôt que la ville. Il décide dans les domaines de la de défense et des infrastructures, des protections religieuses et raciales, et surtout de la diplomatie ; le Bey représente ainsi l’interlocuteur de Zevjapuhr pour le reste du monde.

Dostoro quitte le pouvoir en 5194. Lui succède Ilfons Noradero Clamardens puis Vilar Convano Al’Pitti élu en 5206 et enfin l’actuel bey Oznimo Asbarro Buttarigi, élu en 5218.
La politique de Dostoro consista à tenter un rapprochement avec l’Empire dont ce dernier ne voulut pas. Le bey Clamardens en prit acte et allia secrètement Zevjapuhr avec le Lowenland et Dere afin de s’opposer aux Lich-Kings. Al’Pitti poursuivit d’abord la politique de Clamardens tout en se rapprochant économiquement de l’Empire et politiquement du Soshan, province sécessionniste de l’ouest du Vizan. Buttarigi abandonna le soutien au Soshan afin d’apaiser le Vizan.

Depuis le second mandat de Dostoro, la diplomatie zevjane procède par équilibrage entre les puissances qui l’entourent. Elle vise à ce que les convoitises des uns compensent celles des autres afin de conserver son indépendance, en faisant en sorte que toute puissance qui attaquerait Zevjapuhr voie aussitôt les autres lui tomber sur le râble. Comme l’a résumé le Bey Clarmadens, quiconque peut aboyer ou montrer les dents mais le premier qui avance une patte est mort.
Zevjapuhr est ainsi membre ou partenaire d’alliances et ligues commerciales avec tous les pays l’avoisinant ainsi que nombre d’états plus lointains. Clamardens professait que toutes les grandes puissances du monde et la plupart des autres ont intérêt à Zevjapuhr.

Cette diplomatie traditionnelle et longtemps couronnée de succès a été mise en échec par plusieurs événements survenus au cours de ces dernières années.
Ce fut d’abord le retour du Lowenland à l’isolationnisme qui a privé Zevjapuhr d’une pièce importante de son système d’équilibrage. Le Lowenland apportait localement tout le poids de la puissante alliance qu’il forme avec l’Evriand et le Wejlar. Or cette alliance est devenue strictement défensive pour le Lowenland et de surcroît conditionnée à une agression « evil » (in concreto : Mulgorge, Great Anarchy, Isenheim) ou qui mettrait en péril la survie ou la capitale d’un des états membres. Du coup, cette alliance n’a plus vocation à intervenir à Zevjapuhr, cela bien que le Wejlar pour des raisons historiques, l’Evriand pour des raisons économiques, et le Lowenland pour des raisons géopolitiques, y aient des liens importants.

Le deuxième obstacle rencontré par la diplomatie zevjane vient de la réussite de celle du Vizan. La revendication du Vizan sur Zevjapuhr est une constante multiséculaire de la géopolitique de la région. Le Vizan réussira à trois reprises l’annexion ou la vassalisation de la ville et du pays, sans jamais parvenir à un maintient durable.
Or le rétablissement d’un Isenheim devenant allié du Trône de Jade réalise un début d’encerclement qu’il suffirait à l’Okhpuhr de compléter pour que Zevjapuhr se retrouve coupée de tous liens terrestres avec le reste du monde sauf avec l’Empire. L’Okhpuhr se retrouve ainsi factuellement en position de détenir les clefs de la sécurité de Zevjapuhr. S’il basculait dans une alliance avec le Vizan, le pays zevjan deviendrait militairement indéfendable.

L’Empire est le troisième et dernier sujet de préoccupations de la diplomatie zevjane.
A la défiance impériale prévalant au cours du règne de Nirag III a succédé une collaboration économique de plus en plus étroite sous le règne de Dandria, en particulier après l’effondrement des Lich-Kings, au point que Zevjapuhr redevienne le premier port de l’Empire.
La famine qui a frappé Derenworld au cours de ces dernières années a changé le regard impérial sur cette relation. En effet, Zevjapuhr a peu souffert de cette famine certes grâce à son agriculture résiliente et sa puissance financière mais aussi grâce à sa capacité de se procurer des denrées agricoles par son importante flotte qui est l’un des cinq seules au monde capables du commerce au long cours. La même résilience a été observée en Avros et en Vizan ; cet événement a ainsi démontré l’importance d’une puissance maritime face aux calamités terrestres.
Or la marine zevjane de commerce est la deuxième du monde après celle d’Avros. Comme la reine Melkria d’Evriand l’avait elle-même compris dès avant cette famine et comme le clamait depuis des décennies la maison de Colstone, le Naëmbolt a fini par réaliser que l’avenir de la puissance impériale se jouait aussi sur mer. C’est en tout cas la conviction forte et répandue au sein du gouvernement du nouvel empereur Jalx qui le presse de faire de la présence maritime un enjeu capital de son règne. A cet égard, le plus simple et évident moyen d’obtenir rapidement une telle présence ne consisterait-il pas dans la ré-annexion de cette Zevjapuhr qui était encore terre impériale au siècle dernier ?
L’Empire a envoyé trois légions, qui seraient en réalité même cinq voire plus encore, camper dans le Sablern, apparemment afin de protéger cette province, et l’accès à Zevjapuhr qu’elle commande, contre la menace d’une tenaille Vizan-Isenheim rendue implicite par l’alliance de ces deux pays. Mais, au vu de l’ambiance à la cour d’Ilnaëmb, on s’inquiète à Zevjapuhr d’une concentration qui serait en réalité destinée à une offensive visant à accaparer la perle du monde et surtout sa flotte.

Cette tension s’est accrue des récents détournements massifs de denrées alimentaires attribués à la puissante pègre locale. L’ampleur prise par ces méfaits a ému nombre de marchands qui ont fait connaître leur mécontentement à la Légacie, ce qui a fragilisé le gouvernement et même le bey Buttarigi.
Il s’est avéré que ces détournements, en renchérissant subitement les cours, ont beaucoup préjudicié aux acheteurs impériaux sur les marchés de gros. S’est alors propagée une rumeur y voyant la main d’agents vizaners ou isenheimers qui chercheraient à la fois à affaiblir l’état zevjan et à nuire aux intérêts impériaux. Le succès de cette rumeur dit combien la résurgence d’une tension entre Vizan et Empire paraît désormais tenue pour acquise et combien Zejapuhr redoute de se trouver au centre de celle-ci.

Une audience très solennelle à Vizinov

Le roi Rhunring commence doucement à se faire vieux. Après Karl-Maria de Marn, il est le plus âgé des grands souverains humains régnants au monde. Sa succession est assurée par ses quatre enfants, deux fils et deux filles. Il a associé depuis l’été dernier son aîné, le prince Raynar de Wejlar, au gouvernement et nommé le cadet, Neyring, comte à brevet d’Arthus. L’une de ses filles est mariée au duc Mishal d’Arwen et l’autre au banquier Bjen Sbarro de la maison Sbarro. Les réussites de son règnes sont grandioses, incontestables et incontestées : l’indomptable résistance face à la fois aux Lich-Kings et à la Great Anarchy, la solidité de l’union nationale avec les elfes, gnomes, hobbits et bien sûr les nains, le repeuplement du pays et son redressement économique, la reconquête et réintégration au royaume de Ganarbe et des marches orientales, la fructueuse alliance avec l’Evriand.
Cette alliance paraît aujourd’hui poser au Wejlar un problème inattendu.

Le Grand Duché d’Evriand incarnait traditionnellement et depuis des siècles le fils aîné du Wejlar dont il était le vassal et le protégé. L’Evriand fut d’abord un fief confié au fils du roi, avant de prendre son indépendance avec le règne de la famille Bryn. Il est de tradition que le fils aîné du roi de Wejlar étudie à la Ducale après quoi le duc l’accueille ensuite sous sa protection personnelle et lui octroie la qualité de ministre de grand-duché pendant deux à quatre ans afin de le former au gouvernement.
Mais l’actuel prince Raynar n’a plus de rang supérieur au grand-duc d’Evriand devenu la reine d’un royaume deux fois plus peuplé et riche que le sien et presque aussi étendu. Or il étudie actuellement à la Ducale et n’a toujours pas reçu d’invitation à devenir ministre d’un Evriand où sont évoqués les questions et enjeux d’une grande puissance indépendante, qui revêtent une importance sans commune mesure avec ce qu’il en était aux temps anciens. La question de savoir si l’invitation au prince sera transmise et la forme de celle-ci est très attendue en Wejlar car il va de soi que le prince Raynar ne saurait solliciter le bénéfice de ce qui lui est dû par tradition, et par tradition seulement.

Cette question de protocole somme toute vénielle serait passée plus ou moins inaperçue si elle n’avait pas été soulevée à Vizinov devant le roi pendant l’audience plénière des grands nobles. Elle y servit de déclencheur à un débat inattendu au sujet de politique étrangère du Wejlar.

Le prince Shemyr Meindes, pour une fois présent, chose rare car il est souverain en Southend quand bien même sous allégeance au Wejlar, a pris la parole pour rappeler que le Wejar a naturellement vocation à une puissance maritime car c’est le seul moyen de protéger ses alliés et vassaux éloignés comme le Southend et le Bas Kohrland. Situé à l’extrémité de la péninsule désertique d’Ohr, contrôlée par l’Okhpuhr, les relations du Southend avec le reste du monde dépendent essentiellement de communications maritimes.

Le prince exposa alors que la liaison maritime directe Southend-Wejlar, cruciale pour la sécurité de son Etat, est assurée aux quatre cinquièmes par des navires de Powtown, le restant se répartissant entre vaisseaux lowenlanders et zevjans. Cela signifie que les liaisons maritimes garantissant la protection du Southend dépendent en réalité de l’Evriand auquel Portown est liée. Certes, Portown est théoriquement indépendante et autonome. Certes encore l’Evriand est l’allié fidèle et efficace du Wejlar. Mais qui peut prédire ce qui se passera lorsque les intérêts divergeront ?

Le prince souligna ensuite qu’il est à craindre que ces intérêts ne divergent déjà. En effet, la politique de l’Evriand cherche à tirer profit d’une suprématie maritime sur les mers occidentales où elle est sans rivale, le Lowenland étant son allié. Ce profit comporte le commerce avec le Beliand, avec la côte ouest du continent de Genakohr à Blackhaven, et avec le très long cours. Mais l’Evriand ne doit rien au Southend. Or un péril, qu’il soit d’origine politique ou monstrueuse ou encore surnaturelle, n’est jamais à exclure s’agissant d’un pays qui a par le passé vu sa population humaine exterminée au tristement bien nommé cap des Martyrs. L’Evriand garantirait-il la mise à disposition de sa flotte pour porter secours aux southenders ? Et Portown l’accepterait-elle ? N’y verrait-elle pas au contraire l’occasion de monnayer chèrement son adhésion à une cause étrangère et quelque occasion de mettre des bâtons dans les roues de la politique de l’Evriand ? Et encore cette flotte serait-elle matériellement disponible plutôt qu’engagée dans quelque mission aventureuse l’éloignant de la sécurité des fiefs sous allégeance wejlane ?

Le prince ne doute pas de la solidité et la fidélité de l’alliance entre Wejlar et Evriand , ainsi que la reine Melkria l’a illustré plus que tout autre souverain depuis des siècles. Mais selon lui, cette solidité repose sur la personnalité des liens entre cette reine et le roi Rhunring, forgée au gré des luttes communes contre les Lich-Kings. Cette confiance réciproque a conduit la couronne de Wejlar à laisser le sort des mers occidentales à l’Evriand plutôt que de réactiver ses liens avec Portown. Pareille cette décision est lourde d’effets à l’avenir car il adviendra un jour où la reine Melkria ou le roi Rhunring ne règneront plus. Ce jour-là, si rien ne change, les mers seront sous contrôle evriander et la survie du Southend aussi. Ne serait-il pas de bonne politique que de s’en préoccuper ?

Tout prince souverain que soit le duc Meindes, il aurait été bien audacieux d’oser attaquer le roi Rhunring au sujet de son âge sans s’être muni de soutiens. Ce fut le jeune duc Glendoran de Barandor qui l’appuya en premier, en rappelant l’intérêt traditionnel de sa maison pour le Bas-Kohrland et ses liens ancestraux avec le duc de Miribar. Il fut immédiatement relayé par le baron Devern de Swanmere, qui est toujours très écouté.

Swanmere commença par rappeler que le Bas-Kohrland est un fief érigé en marche de la couronne de Wejlar : le roi Rhunring a donc parmi ses titres celui de Margrave de Kohrpalar, nom officiel du Bas-Korhland. Par son emplacement, ce fief est factuellement dépendant du Miribar et du port de Mirba pour ses liens directs avec le Wejlar. Or la revendication de Miribar contre Portown est soutenue par les autres puissances de la région : Marn et Mulgorge. On retrouve une même convergence d’intérêts de ces deux pays au sujet du Haut-Kohrland qui leur procure un accès maritime par le port de Genakohr. Marn et Mulgorge sont aussi deux riverains du même bord occidental de l’Undine et y règlent avec l’empire Naëmbolt le commerce et la navigation fluviale. Un ultimatum de Miribar à Portown, le premier soutenu par Marn et Mulgorge, la seconde par l’Evriand, n’est donc pas à exclure. Que fera en pareil cas le roi du Wejlar ? Se ranger du côté de l’Evriand revient à abandonner à son sort son propre fief de Kohrpalar entouré d’ennemis et pratiquement indéfendable. Mais se ranger du côté marner revient à trahir son alliance à la fois historique et éminemment profitable avec l’Evriand. Et rester neutre mécontente tout le monde.

Clamorgan de Ravenspur prit ensuite la parole pour exposer un autre problème. L’Evriand, via Portown, a repris le commerce avec le Beliand, spécialité portownianne, et l’a considérablement développé. Il existe même une base evriander sur l’île du Ponant, soit de facto en Beliand. Tout indique que le Beliand pourrait être attiré par l’influence politique de l’Evriand alors que le lien entre l’île et Portown n’a jamais été que de nature commerciale. Or la maison de Ravenspur a une revendication sur le trône du Beliand, que n’a aucunement ni l’ancienne maison Bryn qui régnait sur l’Evriand ni l’actuelle reine Melkria. Un protectorat evriander sur le Beliand représenterait alors un casus belli pour Ravenspur qui en appellerait au roi.

Il se produisit alors un grand tumulte dans la salle du trône. Plusieurs nobles, les ducs de Ganarbe et de Reedence à leur tête, rappelèrent le rôle fondamental tenu par la reine d’Evriand dans le redressement du Wejlar, combien son alliance avait profité au pays, ainsi que l’héroïsme et la générosité de ses actes. Le baron de Clev évoqua la prospérité de l’Evriand rayonnante jusqu’en sa propre lointaine baronnie, le canal construit aux frais de ce pays qui profitait autant au Wejlar et aux Krynn, l’amour justifié que la reine Melkria inspire à ses sujets d’Evriand. Le margrave de Kalderland souligna qu’un grand et puissant Evriand est la meilleure chose qui soit arrivée au Wejlar depuis des siècles et qu’il n’est pas précisément intelligent de vexer l’une des plus puissantes mages du monde. Le baron Clodris de Chemnarg alla jusqu’à qualifier d’infamie tout soupçon qu’oserait émettre un wejlan à l’encontre de la Reine Melkria Geryonslayer. Face à quoi Swanmere et Meindes répondirent qu’ils se bornaient à poser des questions conformes à leur devoir de seigneurs. Barandor s’attira même un début d’hostilité en déclarant que la virulence des réactions ne faisait que souligner la pertinence des propos de Swanmere au lieu de les contredire.

Le roi imposa finalement le silence au profit de Jiri Remshel de Dariolan, qui s’était levé et attendait le calme pour parler. Celui qui aime à se faire appeler Très Riche et Puissant Comte rappela de sa voix fluette que personne ne songeait à remettre en cause ni la personne ni les hauts faits de la reine d’Evriand et surtout pas lui-même qui en avait considérablement profité. Il ajouta que la reine était entièrement légitime par droit de conquête au trône d’Evriand et à l’ériger en royaume indépendant et même à ne plus prêter une allégeance multiséculaire au Wejlar, désormais remplacée par une alliance que l’expérience a démontrée solide et fructueuse.
Mais, ajouta-t-il, l’Evriand dont je parle n’est pas l’Evriand que nous connaissons aujourd’hui. Cet Evriand n’est pas une puissance maritime et il ne l’a même jamais été. Cet Evriand n’est pas l’Ithylian, le Beraïc, le Portownian, qui furent fiefs vassaux de cette couronne-ci et non d’une autre. Cette couronne-ci a renoncé à ces fiefs pour leur conférer indépendance, non pour y être substituée. Il y a parmi nous la très ancienne reine de Danth, plus âgée et plus sage que quiconque en ce royaume, qui a vu ces événements : qu’elle me démente si je me trompe. Les maux dont mes nobles amis Meindes et Swanmere nous font le récit n’ont pas d’autre cause que l’expansion démesurée de l’Evriand. Nous avons profité des hauts faits de sa reine comme nous profitons aujourd’hui de sa prospérité, de son excellente administration, de sa faveur économique. Nous lui devons notre reconnaissance. Mais rien de tout cela ne dépend d’une extension jusqu’à Portown ou jusqu’à Ley de ce royaume. Ni l’histoire ni la coutume ni la nécessité ne justifient cette extension : seulement l’ambition personnelle de la couronne d’Evriand. Or c’est cette extension qui cause les désordres et crains dont on parlé mes pairs.

Le roi Rhunring se tourna vers la reine Alphanëa de Danth, devant qui, comme tous les rois de Wejlar avant lui, il avait prêté serment d’honorer l’alliance entre les deux royaumes. Elfe immortelle, sa présence extrêmement rare à la Cour, conjuguée à celles tout aussi rares du roi Sathrin Krynn Thaërin et du duc Shemyr Meindes prince de Southend et celle encore plus rare du baron Clodris de Chemnarg donnait à l’audience une solennité exceptionnelle.
Rhunring savait qu’Alphanëa n’apprécie guère Jiri Remshel de Dariolan. Elle est en outre, comme Melkria d’Evriand, une elfe. Par conséquent, que Dariolan l’ait mise au défi de le contredire était lourd de signification.

Alphanëa de Danth soupira longuement. Elle prit la parole en restant assise devant le roi sans lui en demander la permission, seule de toute l’assemblée à détenir ce privilège.

« La reine d’Evriand est une excellente personne, héroïne par les armes et par son dieu, Straasha. C’est l’une des plus puissantes magiciennes du monde. Non seulement le Wejlar, l’Evriand, mais encore le monde entier lui doivent beaucoup. Cette dette est si considérable qu’elle ne peut être honorée. Dame Melkria a affronté Arioch, les Enfers, les Lich-Kings. Elle mérite la reconnaissance de tous les vivants de ce monde. Au cours des millénaires de ma vie, je n’ai connu que très peu de héros de cette envergure. »

Une ombre se fit sur le visage d’Alphanëa qui soupira de nouveau longuement.

« Mais elle est devenue reine et c’est un autre métier. Ce qui amène le questionnement de cette cour par les rapports qu’elle entretient avec notre roi. Ce questionnement est légitime. Oui, duc Jiri, vous avez malheureusement raison : l’Evriand ne fut jamais une puissance maritime. Or sa reine n’en a cure. Elle ne s’arrête pas où elle le pourrait et peut-être le devrait. Vous le savez aussi, au fond, duc Fafnyr qui la connaissez mieux que quiconque ici : beaucoup pensent que vous lui devez votre duché mais vous-même savez bien ce qu’elle vous doit. La reine Melkria est, oui, Geryonslayer, comme le cher Clodris nous l’a rappelé tout à l’heure. Elle est grand archimage, à la tête d’une école de magie. Elle est souveraine d’un des grands pays du monde. Elle a des amis puissants : le dieu dont elle est héroïne. Le Haut-Roi de Dere. L’impératrice Naëmbolt, depuis peu douairière. D’autres encore. Je n’en fais pas partie. Elle est votre amie, roi Rhunring, non la mienne. Car je ne suis pas archimage. Je n’ai guère de soldats. Mon royaume fait peu de commerce, ce n’est qu’une forêt du Wejlar avec lequel il se confond. Et je ne suis pas de ces sindars qui libérèrent ce monde mais plutôt une sorte d’antiquité qui confectionne des tapisseries. La reine Melkria se comporte à l’image de ce qu’elle a fait d’elle-même : une puissance des humains, ainsi qu’elle l’apprit en étant duchesse en Empire. La noblesse impériale n’a pas fait la magicienne mais elle a façonné la reine, telle une humaine dans un corps d’elfe. Dame Melkria bouscule les événements et au besoin les fabrique. Evriand lui doit la liberté comme nous lui devons Ganarbe. Mais voici qu’elle met dans sa besace Dol Bera et tant pis si Marn s’énerve, Ithyl car notre Wejlar approuve même si Holderin, Miribar et Havener s’étranglent, mais encore Portown et les mers ? Les grands mouvements qui animent en profondeur les peuples, sont beaucoup plus lourds et longs, complexes et imbriqués, que ne le pensent généralement les conquérants et Melkria est une conquérante, quand bien même libératrice. Elle a conquis sur les Lich-Kings les terres qui forment aujourd’hui son royaume et qui formèrent auparavant la Confédération et plus auparavant le grand Wejlar. Ce grand Wejlar a duré plus de deux mille ans. Je les ai vécus. Des dizaines de rois sont venus renouveler notre serment réciproque et prendre mon conseil jusqu’à vous, Sire Rhunring. J’ai avisé ces rois qui régnaient de Zevjapuhr à Ganarbe sur ce qui est aujourd’hui Portown, Miribar, Evriand ou Tangrune. Mais que je connaisse depuis leur origine les terres qu’elle gouverne aujourd’hui n’intéresse pas la reine Melkria ni grand monde d’ailleurs. Je ne saurais le lui reprocher et ne ne lui dois d’ailleurs pas mon conseil. Mais il est vrai qu’elle le ne demande pas non plus celui de son voisin, mon ami Dalmidril de Vynar. De même que ce n’est pas Corellon, Freyr ou Vandria qu’elle révère. Elle voit un ennemi en Karl-Maria de Marn et un ami en votre majesté mais comment lui expliquer que le peuple de Fyölnir refusera toujours de céder en quoi que ce soit à celui d’Olan ? La reine d’Evriand est une elfe bien moins vieille que ceux qui ont appris voici des millénaires de Poséido qu’il tolérerait les seuls falinorë en son immense domaine de plus de cent fois celui de nos terres. Elle n’est pas censée comprendre les raisons et les implications de ce qui s’en est ensuivi. Tout cela est tellement difficile, prendrait tellement de temps à l’échelle des humains, et ne changerait peut-être rien en fin de compte… »

Alphanëa soupira encore en considérant les visages interrogateurs tournés vers elle.

« Allons, je n’aide guère cette noble assemblée par mes considérations d’ancêtre. Il n’est pas aisé à une elfe âgée de plus de sept mille ans de trouver les mots attendus par des mortels ayant le siècle pour horizon. Abrégeons. Dame Melkria n’a pas conquis Portown. Elle s’en sert habilement pour des projets ultramarins. Elle donne ainsi l’impression de l’avoir soumise, ce que ses détracteurs assimilent à une conquête. Nous autres du vieux royaume de Wejlar n’avons pas les mêmes ambitions. Nous voulons seulement conserver nos liens traditionnels avec le Beliand, le Southend et le Kohrpalar, qui nécessitent une flotte de commerce et de guerre. Nous n’avons pour cela nul besoin de Portown ni de l’Evriand. Construisez, achetez, améliorez vos navires, encouragez le commerce et les armateurs, que sais-je… Mais employez-vous donc au lieu de gémir auprès de votre roi ou à l’encontre de la reine d’Evriand. »
Le duc de Reedence interrompit la reine elfe d’un « Yeah » vigoureusement approbateur.
« En outre, cher Meindes de Southend, il y a lieu d’espérer que la marine du Lowenland nous suppléerait en cas de difficulté sérieuse. D’autre part, cher Ravenspur, les revendications de votre maison sur le Beliand, discutables et discutées depuis des siècles, vous sont personnelles et n’engagent pas la couronne. Mais il reste la question du Kohrpalar et notre féal de Swanmere a raison : l’affaire peut sembler inextricable. Elle ne l’est pourtant pas. Nous pouvons peut-être estimer que la témérité de la reine d’Evriand a une part dans la guerre qui s’annonce. Mais il est hors de question de ne pas scrupuleusement honorer notre alliance avec la libératrice de Ganarbe. Ce n’est pas d’intérêt qu’il s’agit mais d’honneur. Nous perdrons le bas-Kohrland comme nous l’avons déjà perdu par le passé et nous le retrouverons peut-être à nouveau à l’avenir. J’ai dit. »

Le roi de Krynnlan, les ducs de Reedence, Ganarbe, les comtes de Swanria et d’Arthus, les barons de Chemnarg, Todd, de Clev se levèrent pour applaudir. Le prince Shemyr Meindes lui adressa une profonde révérence, imité par Swanmere puis, avec plus de retenue par Jiri Remshel de Dariolan. Le roi Rhunring échangea un regard avec son fils Neyring d’Arthus et leva la séance.

Tout en regagnant son bureau le roi consentit à éclairer son fils, qui venait d’assister à sa première audience solennelle de haute noblesse au complet.
— J’ai prié Sathrin et Alphanëa de venir cette fois-ci pour t’honorer en tant que nouveau comte, bien sûr, mais aussi parce que je soupçonnais Meindes d’être rongé par quelque inquiétude à la suite du renoncement du Lowenland. Il voulait des garanties de son suzerain de Southend mais il a employé pour ce faire son titre de duc en Wejlar. C’est une regrettable tendance de nos sujets que d’en appeler à leur roi devant quelque inquiétude ou mécontentement et se tenir pour excellent maître chez soi quand tout va pour le mieux.
— Vous avez cependant laissé la reine de Danth parler à votre place.
— Ce pays a la chance d’héberger d’admirables elfes. Nous autres humains avons l’énergie, eux ont le savoir. Nous avons la volonté, ils ont la mesure. Nous n’avons pas le temps, eux l’ont. N’oublie jamais, fils, que le Wejlar repose sur l’antique alliance des elfes, des nains et des humains. Personne ne l’incarne comme Alphanëa et Sathrin. Regarde-moi : je ne suis pas né dans ce pays et pourtant ces deux rois, illustres chacun à leur manière, m’ont reconnu pour souverain et me soutiennent. Un roi doit savoir se servir de toutes les ressources à sa disposition, à commencer par les meilleures.
— Mais, père, et Lady Melkria ? Que pensez-vous donc à propos de l’Evriand ?
— Ne vois-tu pas qu’elle n’est qu’un prétexte ? Comme l’histoire de ton frère à la Ducale : imagines-tu Melkria m’infliger l’affront de négliger mon fils ? Il ne s’agissait en réalité que d’éprouver mon autorité. Les nobles ou même les parlementaires ne se font jamais à l’idée qu’un souverain décide seul de la politique de son royaume. Il vient toujours un temps où tel baron, tel ministre, tel tribun s’imagine devenir le marionnettiste des affaires publiques. On reconnait le vrai monarque à ce qu’il sait s’en défendre. Pour le reste, tu as ta réponse dans ma prière à la reine Alphanëa d’honorer cette audience de sa présence. Elle n’a eu tort, et encore, que sur un détail.
— Oserai-je vous demander lequel ?
— Elle a semblé regretter que la reine d’Evriand néglige son conseil ou celui du roi de Vynar, comme si ce n’était pas le même en fin de compte. Or Melkria n’a aucune utilité d’aller lui demander quoi que ce soit puisque je le fais pour elle. Les vieux elfes n’échappent pas plus que nous à la vanité, mon cher fils.

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