Le plus célèbre fleuve de Derenworld prend sa source dans les monts Conwade, partie centrale de la chaîne des Kennevia, non loin de leur plus haut sommet, l’Orto Lossoïala (le mont de la neige éternelle), qui culmine à plus de 5000 mètres.
Le cours de l’Undine descend presque verticalement du nord au sud, délimitant tiers occidental du reste de Derenworld. Ses quelques 4000 kilomètres en font le deuxième plus long fleuve du continent après l’Ennros, qui est d’ailleurs son affluent. D’autre part il est navigable sur neuf dixièmes de son étendue, de Lendore jusqu’à son embouchure. Sa largeur est en moyenne de 200 mètres jusqu’à Isablis et sa vitesse plutôt lente. A partir d’Isablis, où il est rejoint par l’Ennros, son débit double et sa largeur moyenne passe à 300 mètres.
L’Undine est un fleuve sacré à plusieurs titres.
D’une part du fait de la frontière qu’il délimite, laquelle est accompagnée de plusieurs prophéties annonçant le malheur des monarques qui oseraient le franchir avec leur armée pour porter la guerre au-delà de ses rives.
D’autre part de la présence de plusieurs dieux. Il est attesté qu’Isis, Nephtys, Anubis, Osiris, Straasha, Gond, Freyya, Yondalla, Silvanus, Ukko, Corellon Larethian, vinrent par le passé visiter le fleuve aux temps des humains.
Enfin parce que le fleuve baigne, notamment dans la vallée protégée d’Arlve, certaines des plus anciennes contrées de civilisation du monde : Kelngurth, Evlin et Vynar, Convadia. Il traverse ensuite l’imprenable citadelle de Dürfalls où veille le Paladin Glade puis la ville sainte d’Isablis et se termine par la perle culturelle qu’incarne la cité de Zevajpuhr, non sans avoir relié sur sa rive orientale l’Empire Naëmbolt au Grand-Royaume de Vizan.
Fleuve de Paix, Grand-père des eaux, Veine du monde, l’Undine est un fleuve dont les crues sont rares sauf au sud d’Isablis. Il rend particulièrement fertiles les terres de sa rive orientale. Il représente depuis des millénaires la principale voie du commerce et des échanges du nord au sud du continent.
Au nord du Convadia, le massif montagneux de l’Orto Lossoïala délimite l’extrémité septentrionale de la Vallée d’Arlve. La source de l’Undine voisine ainsi avec le pays des dragons de Kelngurth à l’ouest, le royaume nain de Convadia (Kal-Thran Convahâd) à l’est, et le royaume elfe d’Evlin au sud.
Depuis longtemps il n’est plus possible de remonter le fleuve jusqu’à cette source sans des moyens magiques de puissance quasi-divine qui ne sont pas documentés ou sans une intervention divine.
Le fleuve naissant passe par une grotte au pied de l’Orto Lossoïala, où se trouve le mystérieux Trône des Dieux.
Selon la légende, ce trône aurait été laissé par les dieux après leur départ de l’Ellgebir à la garde des dragons, nains et elfes, aux fins de pouvoir s’entretenir avec eux ou avec d’autres créatures intelligentes du monde de la meilleure manière d’organiser leurs sociétés et de les protéger le cas échéant de dangers imprévus. Ce serait là que Damidrandil de Vynar aurait reçu l’idée et les moyens d’appeler les elfes Sindar sur ce monde afin de mettre un terme aux guerres du Dragonlore. C’est là également que le hobbit Ohar aurait reçu mission et moyens lui permettant d’établir son célèbre Scroll, traité consacrant la fin de ces guerres.
Ce qui est en revanche certain, c’est que le Haut Roi Orothin de Dere s’y rendit vers la fin du Ier millénaire pour exposer aux puissances divines que les elfes d’Evlin, les dragons de Kelngurth et les nains Convads avaient tous été tellement réduits voire détruits par le Dragonlore qu’ils ne pouvaient plus accomplir la mission de garde et protection du trône qui leur avait été dévolue. Orothin expliqua que les Sindars avaient réussi à protéger le monde des désastres causés par la folie des dragons mais que leurs créatures et serviteurs, désormais en grand nombre, représentaient une menace qui allait rester permanente. Lui-même avait comme tous les Sindars été durement éprouvé par la mort au combat de son père le Haut-Roi Maglor et de nombreux elfes de son peuple. Il demanda alors aux dieux de lui donner les moyens de protéger son royaume afin que ce dernier protège le monde.
Douze dieux : Ukko, Râ, Silvanus, Hadès, Freyya, Straasha, Goibhnie, Heimdall, Corellon Larethian, Nephtys, Yondalla et Berronar l’entendirent. Il décidèrent qu’ils répondraient au nom de tous les dieux du monde et que Freyya parlerait en leur nom.
Freyya répondit ainsi.
« Orothin, fils de Maglor et roi de Dere, avant que tu ne viennes sur ce monde, les dieux en avaient confié la conduite aux dragons et aux elfes, non à certains d’eux. Un terrible malheur y a mis un terme. Les tiens ont puni ceux qui ont perpétré cela. Nous avons inspiré la venue des Sindars et nous sommes réjouis des succès et du bien qu’ils ont apporté. Mais nous ne te confierons pas les pouvoirs anciens qui n’ont pas empêché le mal et la folie des dragons. Cette folie a changé ce monde. Ce serait stupide et malencontreux de l’ignorer pour revenir à des temps révolus. Nous avons donc inspiré le sieur Ohar afin qu’il exprime que les peuples devraient dorénavant vivre en égaux, non éducateurs et en élèves. Et c’est pourquoi roi Orothin, si tu fus et demeures le fils de notre appelé et notre élu, tu ne seras pas notre représentant.
Cependant, afin de marquer ton élection, de protéger ta lignée, de témoigner notre reconnaissance envers la grandeur et le courage de ton peuple, nous allons te remettre trois emblèmes. Trois parce que tu es elfe. Emblèmes car tu peux mourir comme ton père et que nul pouvoir ne survit à son détenteur sans témoignage permanent de sa propre existence.
Voici ta couronne, que tu conserveras toujours pour toi seul. Voici ton sceptre, que tu confieras à ton épouse ou à ton ministre en ton absence. Voici ton anneau, que tu confieras à ton fils ou l’héritier que tu désignes lorsqu’il te conviendra de le faire.
La réunion de ces trois emblèmes te consacre à nos yeux. Tu es le premier mais non le dernier. Ce lieu servira désormais à ceux qui viendront se faire élire comme tu l’es aujourd’hui et à nos élus. Aux autres, il restera inaccessible. »
Ainsi le trône des dieux changea de fonction pour devenir lieu de consécration de familles ou états souverains. La réunion des trois emblèmes, plus généralement appelés Attributs, symbolise aujourd’hui la légitimité de source divine du souverain des Etats qui ont reçu cette consécration ; il n’en a toutefois pas toujours été ainsi.
Le rôle des Attributs évolua en effet considérablement. Il s’avéra d’abord que les suivants de Dere reçurent eux aussi trois objets : la Couronne et le Sceptre comme pour Orothin, mais le troisième changeant à chaque consécration. Ce troisième emblème fait que chaque trio est particulier à qui le reçoit.
Ce phénomène passionna les premiers savants en politique, en particulier à Helion en Kelnore, à Zevjapuhr, et à Nehrpuhr en Vizan. Peu de sujets furent aussi profondément étudiés et débattus du XXIVe au XXIXe siècles. Ces débats ont fortement contribué à poser les conceptions fondamentales de l’État et de la souveraineté qui sibt aujourd’hui effectives dans toutes les contrées des peuples de l’Ohar’s Scroll.
Le premier à s’y intéresser fut le philosophe kelnoréen Clatos de Pindakir qui cherchait à savoir pourquoi certains rois elfes ou nains tenaient tant à se voir attribuer ces emblèmes (c’est ainsi que ceux-ci prirent le nom usuel d’Attributs). A cette fin, Clatos s’en alla en Ariandor, dont les elfes étaient notoirement proches des humains. Il y fut reçu en audience par le roi Eïnaril qui lui expliqua que la réponse à ses interrogations se trouvait dans un discours que la déesse Freyya avait tenu au Haut-Roi Orothin.
Clatos se rendit donc à Dere où le Haut-Roi refusa de lui révéler un discours dont il n’était pas l’auteur ni le propriétaire mais ajouta qu’à son avis rien ne s’opposait à ce que des humains ou toute autre race en prenne connaissance.
Clatos décida de quitter Dere en direction du sud afin de prendre l’avis d’Al Jawanid de Nehrpuhr, l’un des plus célèbres penseurs politiques de son temps. Al Jawanid et Clatos tombèrent d’accord sur la nécessité de savoir précisément et exactement ce qui avait été annoncé à Orothin par les dieux via Freyya. Al Jawanid fit alors appel à son ami le théologue Pirio Marco de Zevjapuhr afin qu’il obtienne du clergé de Freyya la transcription des paroles de la déesse.
Pirio Marco se passionna à son tour pour la question. Il entreprit de grandes recherches et finit par retrouver en Donmeral, au sud-ouest de l’actuel grand-duché d’Evriand, une certaine Bhiortega vaguement servante de Freyya et surtout descendante de la maison de Fyölnir, bénie de cette déesse. Résistant à Al Jawanid qui recommandait de sacrifier la donzelle à Shiva, Pirio Marco parvint à la persuader d’intercéder en faveur de la révélation des paroles divines qu’elle avait adressées à Orothin.
Freyya, déesse d’amour mais aussi de liberté, comprit qu’une bande de penseurs et philosophes humains ne cesserait pas de sitôt d’enquiquiner son clergé avec cette histoire. Or, après tout, elle n’avait accepté que par pure bonne volonté et par amour des êtres terrestres de servir de porte-parole des dieux auprès du roi de Dere ; elle n’avait aucun titre ni vocation à demeurer la gardienne de leur énoncé. Elle décida donc de se débarrasser de cette affaire et révéla à Bhiortega mot pour mot le discours qu’elle avait tenu à Orothin. Pirio Marco était alors à son côté et rédigea la transcription qui fut présentée au Haut-Roi, lequel confirma que telles étaient bien les paroles qu’il avait entendues.
La disponibilité ainsi obtenue des Paroles de Freyya lança les débats et controverses dès la génération suivante.
La première question fut de savoir si la légitimité divine ainsi conférée emportait une supériorité sur les autres. L’opinion négative kelnoréenne fit rapidement l’unanimité. Puisque les peuples devraient vivre en égaux et qu’Orothin n’était pas le représentant des dieux, les trois Attributs représentaient une faveur divine mais non le fondement d’une légitimité. Par conséquent, d’autres légitimités, quelque soit leur source ou nature : républicaine, autocrate, anarchique, magique etc… étaient tout aussi valide qu’un royaume consacré par l’allocation d’Attributs certes consécrateurs mais non fondateurs.
La deuxième question consistait à savoir si le message divin avait une portée supérieure à celle des Attributs. L’opinion positive vizaner, appuyée par les zevjans, prévalut. Selon les théoriciens de Nehrpuhr, la phrase « Emblèmes car tu peux mourir alors que nul pouvoir ne survit à son détenteur sans témoignage permanent de sa propre existence » signifie l’importance du lien entre royauté et mort. C’est parce qu’Orothin, pourtant elfe immortel, peut fortuitement mourir qu’il reçoit les Attributs. Par conséquent, la souveraineté implique l’acceptation de la mort, donc l’impossibilité de la résurrection du monarque. En d’autres termes, la première contrepartie du pouvoir souverain réside dans sa temporalité.
Les kelnoréens refusèrent longtemps ce qu’ils tenaient pour une extrapolation exagérée de la parole divine ; ils finirent néanmoins par se rallier à l’opinion vizano – zevjane pour des raisons pratiques, approuvant des conclusions dont il regrettaient la méthode.
La troisième question portait sur l’existence éventuelle d’une symbolique particulière à chaque Attribut. A la suite de Pirio Marco, les savants zevjans en théologie politique répondirent positivement en déduisant ces particularités de l’énoncé des Paroles de Freyya.
La Couronne incarne la personne du souverain, qu’il doit garder avec lui. Le Sceptre symbolise le pouvoir de l’État, que le souverain peut déléguer. Et le troisième Attribut, spécifique à chaque peuple, représente la particularité de cet Etat ou de la contrée ou de ce peuple auquel il est donné, de façon qu’il ne puisse être confondu avec aucun autre. L’école politique kelnoréenne approuva en résumant ce trio par le Roi, l’État, la Nation, expression née sous la plume du philosophe Baxas Rofan et amplement répandue depuis.
L’école de Nehrpuhr complète cette théorie en reliant ces symboles au trithéisme : la couronne représente la conservation, liée à la temporalité de la vie du souverain ; le sceptre la destruction, par le pouvoir du souverain ; et le troisième la création, diverse et particulière à chaque lieu.
La quatrième question portait sur la propriété des Attributs : est-elle personnelle au souverain, ou à sa dynastie, ou au régime politique du pays ? L’unanimité se fit sur le constat que la seule existence des Attributs consacre la survivance de l’État ou du pays à la disparition de son souverain. Ensuite, de profondes divergences se manifestèrent.
Les kelnoréens estimèrent que puisque rien ne liait les Attributs à un système politique particulier, nulle personne, famille, dynastie, ou même système politique ne pouvait revendiquer de droit de propriété sur ces objets, d’autant plus qu’ils sont d’origine divine.
Les kelnoréens s’appuyèrent sur la lettre des paroles de l’énoncé de Freyya qui déclare que ces objets ont été seulement remis à Orothin. Ils ne lui ont donc pas été donnés. Par conséquent, nul n’a de propriété sur eux, mais seulement une détention.
Faisant elle aussi l’exégèse des propos de Freyya, l’école zevjane conclut que la Couronne est la propriété du monarque, l’anneau celle de son héritier, mais que le Sceptre n’est la propriété de personne. Or le sceptre, commun à tous les trios, représente l’État, qui survit à la mort du souverain ou même à la fin d’une dynastie ou d’un régime politique. Par conséquent, les Attributs dont la propriété de l’État. C’est l’origine de l’expression populaire : « la Couronne appartient au Sceptre » qui signifie que plus haut se place un individu plus s’accroissent les devoirs dont il a charge.
L’école de Nehrpuhr en disconvient encore à ce jour. Dans son célèbre essai « Imperiae et Personae » l’éminent théoricien Jowan Ko Jawanaasta fait valoir que c’est au Haut Roi et à nul autre que furent remis les premiers Attributs. Freyya énonce que cette remise est faite afin de protéger la lignée du roi. L’anneau lui confère la prérogative spécifique de choisir son successeur. Orothin est lui-même le successeur de son père Maglor qui fut tué par Gordulok. Par conséquent, il existe bien un droit particulier, dont peu importe qu’il s’appelle propriété ou détention, qu’exerce le monarque, ou à défaut sa famille ou dynastie, ou à défaut le système politique considéré, sur ces objets. Cette controverse demeure à ce jour l’une des plus anciennes et l’une des plus célèbres du monde.
La dernière question n’appartenait ni aux savants politiques ni aux siècles où ils débattirent. Elle porte sur l’aspect pratique des objets. Comment se les procurer. Quels sont leurs pouvoirs particuliers s’il en existe. Quelle protection divine permettent-ils de recevoir. L’histoire seule permet d’y répondre. Ce sont aussi les plus mystérieuses et celles auxquelles on a le moins de réponses.
La Vallée d’Arlve fut fermée et protégée des dieux notamment pour conserver mystère et secret sur ce sujet. Au sein de cette vallée, le chemin qui mène à la source de l’Undine fait même l’objet d’une d’une protection renforcée. Le voyageur qui réussirait à remonter le fleuve jusqu’à son commencement n’aboutit jamais qu’à une fausse source, celle d’un ruisseau qui jaillit entre deux rochers recouverts des graffitis d’innombrables éconduits qui se sont aventurés jusque là pour rien.
Seule une invitation divine ou une magie de puissance quasi-divine permet de découvrir la véritable source.
Les visites de la vraie source de l’Undine sont donc aussi mystérieuses que cette source elle-même. Il semble qu’un monarque auparavant revêtu des trois Attributs puisse obtenir une invitation, en pratique rarement demandée et plus rarement encore octroyée. Il est aussi arrivé que l’on s’y rende par la magie d’un archi-mage mais là encore très rarement car le coût de cette magie est très élevé.
Les cas les plus significatifs sont évidemment les visites par des monarques obtenant la consécration des Attributs. Il y en eut douze. Si l’on connaît aujourd’hui les douze trios, on ne sait en revanche pas quand ni à qui ils furent remis.
En effet la question n’intéressait que les monarques eux-mêmes et les quelques savants qui s’interrogeaient sur la portée de ces objets. Le reste de la population quelle qu’elle soit : roturiers, nobles, mages, prêtres, bardes, bourgeois éclairés, administration d’Etat n’y voyait qu’un simple decorum sans autre signification.
Or les monarques ayant reçu les Attributs ne voyaient aucune raison particulière de s’afficher avec eux en public. Cela non par volonté de dissimulation mais par simple habitude ou tradition suivant celle de Dere. A Dere, le souverain ne portait en général qu’un seul des Attributs : la couronne, conformément aux paroles de Freyya. Parfois il portait aussi ou séparément le sceptre mais très rarement les trois. Enfin, sur un plan psychologique, les monarques consacrés adhèrent forcément à la conception nehrpuhrienne de la propriété des Attributs puisqu’ils sont allés les chercher par eux-mêmes et qu’ils leur ont été remis personnellement : ils tendent donc à les considérer comme une affaire personnelle ou de famille plutôt que d’Etat. Les nains considèrent même que peu importe à qui furent remis les Attributs car ils ont en réalité été conférés à titre de protection personnelle à la dynastie régnante.
Cela rend très difficile de savoir précisément quel monarque de tel royaume fut celui qui alla les obtenir puisque cette obtention était pour lui une chose privée et que ce monarque a fort bien pu ne jamais porter publiquement le trio. Les seuls consacrés dont on soit certain hormis Orothin de Dere sont Eïnaril d’Ariandor, puisqu’il le reconnut devant Clatos Pindakirê, et Zandoar de Tangut, qui le déclara publiquement. En Empire, où la question a fait l’objet d’une curiosité ayant conduit à des recherches spécifiques, il s’agit probablement d’Irwin II car on connaît un portrait le représentant avec les trois Attributs.
Pendant des siècles, les Attributs n’eurent donc aucune fonction politique. En particulier, ils n’étaient pas considérés ni par le peuple ni les monarques ni les penseurs comme représentant quelque onction divine conditionnant la légitimité du souverain. Hormis à Dere, ils demeuraient ensemble en possession du seul monarque et étaient transmis ensemble à son descendant ou héritier. L’usage et l’utilité d’un trio restait donc l’affaire personnelle de qui le possédait.
La plupart des monarques ne s’y intéressaient d’ailleurs guère puisque leur légitimité n’en dépendait pas et qu’elle était déjà bien ancrée par ailleurs. Plusieurs considéraient même que recevoir ce trio affaiblissait cette légitimité en paraissant la rendre dépendante d’un facteur externe à leur personne ; ce sera notamment le cas en Okhpuhr, Farxel, Eriendel et longtemps en Marn. Par ailleurs les républiques humaines (Kelnore, Zevjapuhr, Avros) se méfiaient – et se méfient encore aujourd’hui – d’une tradition qu’elles considéraient par essence monarchique.
Ainsi les six premières remises d’attributs sont faites à des lignées elfes ou naniques. Il faut attendre la septième pour que se produise la première remise à un humain : un roi de Wejlar qui suivit le conseil du roi nain de Krynnlan et reçut une invitation divine qu’il n’avait au demeurant pas sollicitée avec beaucoup d’empressement.
Cette remise entraîna la démarche d’un Kaliph de Vizan soucieux de se mettre sur un pied d’égalité avec le roi wejlan ; on apprit plus tard qu’il parvint à se rendre au trône par voie magique et non par invitation divine et qu’il obtint néanmoins un succès. Le Vizan demeure particulièrement discret au sujet de celui de ses souverains qui effectua un choix assez délicat compte tenu des particularités du pays. En effet le trithéisme ne reconnaît pas de rang particulier aux divinités classiques, assimilées à de simples agents immortels au même titre qu’un seigneur diable. Le fait de solliciter les Attributs pouvait donc paraître non impie mais peut-être futile voire un peu ridicule aux yeux d’une population en majorité trithéiste. Toutefois le trithéisme demeure minoritaire dans certains endroits du Vizan, notamment à l’ouest du pays, ce qui a sans doute permis le choix politique de se rendre à la source de l’Undine sans invitation divine.
Le Lowenland fut ensuite le premier et à ce jour le seul régime politique électif à obtenir les Attributs.
La remise suivante, faite à l’empereur Zandoar de Tangut, changea la perception et le rôle des Attributs dans le monde entier. Zandoar fut en effet le premier souverain à concevoir les Attributs non plus seulement comme une faveur divine mais encore comme déterminant la validité de la monarchie. Il choisit ainsi de faire délibérément dépendre la légitimité du pouvoir de la preuve de la détention des trois Attributs. Ce choix eut des répercussions dans le monde entier.
A la stupéfaction des savants, cette nouvelle conception emporta et balaya toute autre chez les humains. C’est en vain que les commentateurs zevjans appelèrent dédaigneusement ce phénomène la « chosification de la royauté ». Il s’agit en effet d’une inversion de la nature des Attributs selon les Paroles de Freyya : ils constituent une récompense, au mieux une protection, au pire une décoration, mais ils n’ont jamais été conçus pour incarner une condition de l’exercice du pouvoir.
En dépit de la réprobation intellectuelle, le fait est qu’à la suite de l’empereur de Tangut, un roi de Marn puis l’empereur Naëmbolt se décidèrent à réclamer et obtenir à leur tour leur trio. Les suppliques du roi marner aux fins de recevoir la précieuse invitation divine échouèrent mais il réussit par des moyens magiques à se présenter devant le trône et à convaincre les dieux à l’instar de son homologue vizaner .
L’empereur Naëmbolt reçut, lui, une invitation. On sait que son passage aux sources de l’Undine fut assez particulier puisque l’Empire détenait déjà matériellement la garde de la porte d’Urf Durfalls, par laquelle on accède ordinairement à la Vallée d’Arlve, et à cet effet une petite portion de celle-ci sur sa frange méridionale. L’empereur fut informé (par Heimdall ou par Hermès : les opinions divergent sur ce point) qu’il était le douzième et dernier monarque à recevoir les Attributs. De même qu’il y avait eu douze dieux pour accueillir Orothin, il y aurait douze trios d’emblèmes de par le monde : trois remis aux nains, trois aux elfes, et six aux royaumes humains ou mélangés.
Depuis lors, et sans doute aussi auparavant, d’autres rois ou des seigneurs parvinrent à se rendre devant le trône sans y recevoir des Attributs ou sans les demander mais sans en revenir pour autant l’esprit ou les mains vides.
La All Wizards’ War allait finalement démontrer l’utilité de la conception tangutienne des Attributs en ce qu’ils servirent à opposer une légitimité purement politique aux tenants de la seule puissance magique. Depuis cette démonstration et jusqu’à aujourd’hui, dans tous les Etats possesseurs des Attributs, leur réunion équivaut à un sacre du nouveau monarque et est pratiquement exigée pour l’avènement de ce dernier au point de remettre sinon en cause la transmission ordinaire du pouvoir exécutif.
La protection effective supposément attachée aux Attributs demeure toutefois chose mystérieuse. Force est de constater que les Etats correspondants à onze des douze trios ont survécu aux nombreux siècles écoulés, quand bien même difficilement ou chaotiquement pour certains. Certes Dere ou le Wejlar n’ont guère à voir avec ce qu’ils furent, certes Marn a rétréci de moitié, certes l’empire Naëmbolt a connu bien des vicissitudes, certes les dynasties se sont succédées en Vizan, mais enfin ils sont toujours bel et bien là. Les trois royaumes nains, deux royaumes elfes, et le Lowenland sont quant à eux dans le même état qu’au jour où les Attributs leurs furent conférés. Le seul qui ait échoué est le Tangut ; c’est aussi le seul qui ait changé le symbolisme des Attributs en les chargeant d’une signification qu’ils n’avaient pas à l’origine.
Il est pratiquement certain que les trois Attributs réunis protègent de l’anéantissement le pays, voire la dynastie, mais guère le monarque, qui les possèdent. Néanmoins, occire et plus encore assassiner pour des desseins politiques un souverain légitimement possesseur d’un trio d’Attributs est un grand risque qu’il vaut mieux ne pas courir car toutes les théologies et interprétations s’accordent à affirmer qu’un tel acte peut attirer la colère des dieux.
Les pouvoirs particuliers conférés aux objets ou à leur réunion sont eux aussi l’objet de supputations. Ils semble que chaque Attribut contienne des pouvoirs surnaturels spécifiques et que leur réunion en confère de supplémentaires. Mais la connaissance et l’exercice de ces pouvoirs est réservée au seul monarque, c’est à dire la personne qui portera le trio réuni.
C’est précisément ce qui conduisit le Tangut à en faire une preuve de la légitimité monarchique. En effet, l’intronisation d’un nouvel empereur passait forcément par la remise de la Couronne, du Sceptre et de l’Epée afin qu’il puisse connaître les pouvoirs qu’il en retirait. C’était bien sûr aussi le cas ailleurs, mais les tangutiens systématisèrent cette remise des Attributs dans une cérémonie publique qui devint rapidement un rite. Ce rite fut d’autant mieux accepté que l’immensité du Tangut rendait particulièrement utile l’emploi de symboles uniques et incontestables du pouvoir impérial.
Même si le rite tangutien n’est nulle part officiel, la moitié des souverains de pays dotés d’un trio d’Attributs considèrent désormais nécessaire de porter régulièrement leur ensemble afin de témoigner de leur majesté. En Empire Naëmbolt, Wejlar, Marn, Lowenland, il est de coutume que le souverain l’arbore au moins une fois l’an.
Cette ostentation n’est à l’inverse pas partagée par les descendants des six premiers rois à les avoir reçus, dont aucun n’est humain. Il existe donc un rôle et une pratique bien différente de ces Attributs selon les pays et sans doute aussi les races. Mais elle varie aussi selon le monarque et l’ancienneté de sa lignée. Un Merin de Thûzzland qui règne depuis des décennies n’est pas confronté aux mêmes interrogations que le jeune monarque qui montera sur le trône après lui. La lignée de Vynar, qui comprend trois souverains en cinq millénaires, n’est pas comparable à la multiplicité des dynasties et empereurs Naëmbolt en cinq siècles. Et le légitime descendant d’Orothin qui règne aujourd’hui sur Dere n’a rien en commun avec le prétendu empereur Vert de Tangut dont la légitimité est contestée notamment parce qu’il n’a jamais réussi à réunir les trois Attributs des anciens empereurs.
Liste des pays par ordre chronologique (supposé) de leur réception des Attributs, avec indication du troisième particulier à chacun.
Dere – anneau
Krynn – bracelet
Norhazâd – amulette
Vynar – collier
Ariandor – bouclier
Thûzzland – marteau
Wejlar – ceinture
Vizan – pectoral
Lowenland – manteau
Tangut – épée
Marn – main de justice
Empire Naëmbolt – globe