Lorsque j’interprète des NPC sur Derenworld, ceux-ci ne désignent jamais les divinités autrement que par leur nom. C’est une pratique qui n’est pas forcément spécifique à Derenworld (on la trouve aussi bien chez Tolkien que chez Gygax ou Greenwood) mais qui peut toutefois différencier ce monde de certains autres (par exemple chez Jaworski, Leiber ou Martin). Cet petit article explique pourquoi cette coutume.
Extrait des Tabulae Divinitus Conclavis Zevjam, anno MMMCXI
(L’exception a été ajoutée postérieurement par des commentateurs anonymes)
Prescription
On doit désigner les divinités par leur nom, ou à défaut par une métonymie qui référant à une particularité unique et exclusive, par exemple : le gardien de Bifrost pour Heimdall, la déesse aux yeux pers pour Athéna, le dieu manchot pour Tyr. L’épiclèse (épithète au sujet d’une divinité) est évidemment admise : la sage Athéna, Bes le Chanceux, Uller le Chasseur, la Très-Adorable Freyya, la Très-Secrète Bast etc… mais à condition de toujours être accompagnée du nom du dieu.
En effet, les épiclèses demeurent des qualificatifs : elles ne doivent pas devenir un substantif.
Il est donc malencontreux de parler d’une divinité autrement que par son nom, sauf si celle ci l’a souhaité ou ordonné de manière générale, notoire et expresse ; une exemple typique est le Seigneur des Epées s’agissant d’Arioch. Autrement, désigner une divinité par sa seule épiclèse ou par un surnom, par exemple Seker seulement par « le Scintillant » ou Balder par « le Beau Dieu » ou Set par « le Maitre des Serpents » est non seulement erroné mais encore prohibé. Cette prohibition repose notamment sur les raisons qui suivent.
Justifications
En premier lieu, le nom d’une divinité est un choix divin quand le surnom ou l’épiclèse ne l’est pas certainement. Ce nom, rarement le véritable, est celui sous lequel la divinité a choisi d’être connue. Ce nom peut varier selon les lieux, les époques, les contextes ; une même divinité peut en avoir plusieurs, le cas n’est pas rare ; le nom constitue donc le seul moyen de la désigner conformément à sa volonté et coup sûr, y compris par les clergés des autres divinités. Utiliser le nom d’une divinité respecte aussi bien sa volonté que celle des autres. Dès lors, substituer un choix ou une coutume différente revient à substituer une décision de mortels à une volonté divine, ce qui constitue une impiété offensante.
En deuxième lieu parce qu’une qualification, aussi élogieuse ou symbolique soit-elle, est toujours réductrice de la divinité qu’elle concerne. Le mot peut être divin, il n’est pas la divinité. Enoncer que Seker scintille n’est pas énoncer Seker. Désigner Set en (ne) l’appelant (que) le Maître des Serpents le résume outrageusement car il est aussi le Maître des Ombres et de bien d’autres choses auxquelles il prétend. Par conséquent, à moins la divinité n’ait universellement ordonné à ses serviteurs de le désigner par une appellation particulière, tout substitut à son nom est forcément réducteur de sa réalité et ainsi trompeur.
On pourrait être tenté de se livrer à cette pratique au sujet d’une divinité qu’on désire précisément outrager mais ce n’est pas très malin. D’une part, il est peu intelligent pour un mortel d’entreprendre de vexer un dieu. D’autre part, cela incite autrui à en faire autant au sujet d’autres divinités. Cette incitation propage un phénomène qui, à le supposer généralisé, équivaudrait à une impiété massive, irritant tous les dieux et les conduisant à détourner leur regard du sort de ce monde, voire à le maudire.
Ensuite parce que ces surnoms ont toujours une origine locale et proviennent le plus souvent de mortels dont la diversité est un fait naturel. Il en découle que ce qui apparaît mélioratif ou neutre en un temps et endroit donné est toujours susceptible d’apparaître péjoratif ou ridicule ailleurs ou en un autre temps et inversement. Désigner péjorativement Set en disant seulement « le Maître des Serpents » dans une contrée qui honnit cet animal ne pose pas de problème. Mais dans une contrée qui n’a aucune prévention contre les serpents ou même considère qu’en font partie les précieux vers de terre qui aèrent le sol où pousse le blé nécessaire à la survie de tous, on obtiendra l’effet contraire à celui attendu par l’énonciateur.
Enfin parce que la plupart de ces qualifications empiètent sur une autre divinité. Balder n’est pas le seul à être beau, Hadès ou Arioch le sont par exemple tout autant. Seker n’est pas le seul qui scintille, on pourrait en dire autant d’Apollon ou de Frey ; par conséquent, dire seulement « le Scintillant » en parlant de Seker implique qu’Apollon ou Frey ne le seraient pas, ce qui est outrageant pour eux et leurs clergés. Les serpents sont des animaux et dépendent donc de Silvanus aussi bien que de Set. Enoncer « Set Maître des Serpents » signifie qu’on réfère à Set en tant qu’autorité sur ces reptiles. Mais énoncer seulement « le Maître des Serpents » en voulant signifier Set implique qu’on le tient pour le seigneur de tous les serpents, ce qui est non seulement erroné mais encore irritant pour, par exemple, Silvanus. De même que le désigner par « le Maître des Ombres » serait irritant non seulement pour le clergé de la déesse Bast mais encore pour celui de Set puisque ce dernier est réputé être en bons termes avec cette déesse.
Tolérances
L’emploi du seul surnom pour désigner une divinité peut être toléré au sein d’un rite religieux ou magique ou dans le cercle restreint d’une communauté de prêtres officiants de cette même divinité.
Cet emploi est aussi tolérable s’il s’agit, à titre occasionnel, de prononcer une malédiction ou de référer à un ennemi.
Enfin, si le nom personnel de la divinité a été énoncé immédiatement auparavant par la même personne, de sorte qu’on ne puisse se tromper sur qui elle désigne, alors l’emploi du surnom isolé est tolérable.
Sinon, même au sein d’un cercle restreint de famille, d’amis, de relations, de travail, cet emploi occasionnel constitue alors une impolitesse et sa répétition une imprudence pouvant devenir outrage, qu’il appartient à toute personne pieuse de prévenir.
Sanctions
Hormis la démonstration de mauvaises manières et d’une impolitesse certaine entraînant la réprobation sociale, aucune sanction n’est encourue à moins de répéter volontairement l’offense, c’est à dire de commettre un outrage.
Une personne avertie qui continuerait néanmoins de citer un dieu par son seul surnom risque alors une malédiction. Celle-ci peut provenir de tout clergé ou d’un envoyé d’une divinité quelconque. L’offense sanctionnée concerne en effet l’ensemble des divinités qui sont toutes atteintes par cet irrespect du divin.
Les malédictions sont diverses, graves ou vénielles, temporaires ou durables ; certaines sont irrémédiables.
Exception
La règle s’inverse au sujet des Grands Anciens en général et en particulier de Hastur l’Innommable, qu’il faut ne désigner que par son épiclèse. En effet, la seule énonciation de son nom, même par inadvertance, est suffisante à déclencher la survenance de sa forme matérielle et peut-être même la reconstitution de celle-ci.
Un insondable mystère pèse sur cette étrange divinité qui aurait été le principal rival de Cthulhu parmi les Grands Anciens. Il est ainsi conjecturé qu’il a pu le trahir afin de permettre l’enfermement de Ry’Leh tout en sachant qu’il en serait lui-même victime. L’Innommable en aurait reçu une compensation consistant dans le maintient de l’invocabilité de sa forme matérielle. L’existence prouvée des Byakhees, ses propres créatures, et celle supposée d’un culte du Signe Jaune qui lui ou leur serait consacré, ajoutent encore au mystère de ce dieu.