Du miel de Lendore : un conte d’Urf Dürfalls.

8 décembre 2013 par Kazz → Atlas, Non classé

Arkennan ayant un avenir qui s’appelle Paladin Glade, ce qui implique le gouvernorat de Durfalls’ March, cette petite histoire pourra servir d’approche très indirecte de son futur emploi.

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 Il y a très longtemps un hobbit du nom de Nephraim Koolpepper imagina d’envoyer ses abeilles recueillir les pollens des champs et forêts d’Evlinne. Les Koolpepper étaient paysans et surtout apiculteurs de père en fils depuis des temps immémoriaux, appartenant aux plus anciennes communautés de hobbits implantées depuis les premiers ducs de Lendore en Arlve. Les parents de Nephraim Koolpepper avaient remarqué que les abeilles des ruches les plus proches de l’Evlin Woods s’avéraient particulièrement résistantes, durant considérablement plus longtemps et produisant une cire d’une exceptionnelle qualité. Nephraim s’endetta afin d’acquérir le plus grand nombre possible de terres jouxtant l’Evlinne et développa, avec l’accord des clergés de Yondalla et de Silvanus, une race d’abeilles particulièrement endurantes et aptes a de longs trajets de façon qu’elles puissent s’aventurer loin en Evlinne et néanmoins revenir à la ruche. Il avait pour projet d’exporter ensuite sa production via Lendore jusqu’à Urf Dürfalls en Empire.L’affaire marcha très bien mais malgré des profits de plus en plus importants, les successeurs de Nephraim ne surent pas toujours honorer les échéances de leurs dettes et l’affaire passa sous le contrôle d’un syndicat mêlant banques, famille Koolpepper, et le duché de Lendore. Puis d’autres hobbits et humains imaginèrent de faire la même chose en Vynar et Evlinne et finalement constituèrent une guilde appelée the Lendorean Wax & Honey Trust qui obtint la concession exclusive de ce commerce dans la Vallée d’Arlve.

 

En l’an 4830, alors que ce commerce était encore le monopole de fait des Koolpepper, ceux-ci avaient pour employé un certain Orkney « Porridge » Skodbolar, que tout le monde appelait Porridge, qui conduisait leurs chariots sur la route d’Endore à Urf-Dürfalls. Comme bon nombre d’Endoréens, le sieur Orkney Porridge était un sang-mêlé, en l’occurrence un quart-orc ( Endore étant géographiquement au carrefour de contrées elfes, humaines, orcs et même gobelines, entre autres). Sixième rejeton d’une famille de pêcheurs sur le lac d’Allethion, et pas le plus musclé ni le plus fringant, Orkney représentait pour les siens une bouche en trop à nourrir, d’autant qu’une maladie d’enfance lui avait laissé un visage blanchâtre et grêlé particulièrement laid, qui ressemblait à du porridge, d’où son surnom. Plutôt mince comme un demi-elfe qu’épais comme un demi-orc, Orkney gagnait de quoi subsister en s’employant à des tâches de garçon de cuisine, palefrenier, pâtre, avant de finir par trouver un emploi de conducteur chez les Koolpepper.

Urf Dürfalls, capitale de Dürfalls’ March, était alors encore circonscrite à l’île d’Urf mais déjà entièrement fortifiée par ses hautes murailles de dix-sept mètres masquant pratiquement tous les bâtiments la ville. Dès à l’époque l’ile-citadelle imprenable – et jamais prise – avait reçu son surnom de vaisseau de pierre. On n’y accédait que par trois ponts : deux étaient fortifiés Legio à l’est et Vünder à l’ouest, chacun protégé par un châtelet sur la rive, le troisième étant une simple passerelle de bois doublant le premier. Autour des deux châtelets, Vünder’s Keep et Daïkoor’s Keep, se formaient des caravanserais puis des faubourgs dont l’extension vers le sud donnera plus tard l’Urf Dürfalls dans son étendue actuelle. Mais à l’époque, ces faubourgs n’étaient que de simples campements ou petites maisons dénuées de toute protection.

Aussi, afin de sécuriser leur précieuse cargaison, les Koolpeppers louaient depuis longtemps dans les écuries de la très convoitée Halle d’Urf Dürfalls un droit d’emplacement qu’ils payaient fort cher car la Halle de cette époque était trop exigüe par rapport au commerce qu’elle alimentait. Orkney était ainsi obligé de coucher au moins une nuit dans l’île, ce qui n’arrangeait pas ses maigres finances, Dürfalls étant une ville particulièrement close où les prix étaient particulièrement élevés. Zarnolph Koolpepper, son employeur d’alors, obtint qu’il couche gratuitement dans les écuries où reposaient les deux chevaux d’attelage du chariot qu’il conduisait et lui fournit même un petit pot de miel pour agrémenter son dîner.

La nuit mensuelle à Durfalls représentait la principale distraction d’Orkney et il n’entendait pas la passer uniquement en compagnie d’animaux qu’il fréquentait suffisamment le reste du temps. Il prit donc coutume de se balader dans les rues et de fréquenter les tavernes où il rencontra une fille de cuisine nommée Jomelia Ashrey qui servait chez les Manzelstone, famille de négociants en grains et céréales. Jomelia passait alors pour une accorte bougresse aux grand cœur et grand cul, aimant les hommes et pas trop regardante sur ses fréquentations. Orkney s’éprit d’elle et bientôt, il eut l’habitude d’attendre la fin de son service chez les Manzelstone avant de l’emmener danser et batifoler. Puis il prit celle d’arriver un peu en avance, surtout l’hiver, quand il fait froid et sombre, pour se réchauffer dans l’arrière cuisine des Manzelstone et dîner en compagnie de Jomelia avec les restes. Puis, finalement, de rester, par économie, chez les Manzelstone, où il se rendait utile en réparant ou entretenant la maison ou les dépendances tout en donnant des nouvelles ou racontant les potins du Lendorean. Alfaric Mandelstone, le maître de maison, se montrait rarement chez lui, étant occupé par ses affaires ; Gionnarune Manzelstone, la maîtresse de maison, avait fort à faire avec la nombreuse marmaille qu’elle devait à sa solide fertilité dûment honorée des assiduités de son époux.

Or les affaires d’Alfaric n’allaient pas toujours au mieux et il advint une année où elles allèrent mal. Cette année-là, les Manzelstone réduisirent leur domesticité à trois personnes, dont Jomelia ; c’est qu’il fallait nourrir vêtir loger et penser à l’avenir de huit et bientôt neuf petits Manzelstone. Il arriva un soir où Jomelia, surchargée, dut requérir Orkney, de passage, pour l’aider aux cuisines. Orkney ne demandait pas mieux. Comprenant que les Manzelstone avaient des difficultés, et voulant témoigner de sa reconnaissance en partageant lui aussi ce qu’il possédait, il eut l’idée d’improviser un gâteau dans lequel il mit tout son pot de miel Koolpepper. Il obtint un résultat d’une apparence consternante : sorte d’épaisse galette molle et jaunâtre, un peu grumeleuse, évoquant la bouse d’une vache malade. Seule Jomelia osa y goûter. Ses yeux s’écarquillèrent et elle demanda à Orkney ce qu’il avait mis là dedans. Le pauvre Orkney se ratatina en bafouillant des excuses, sa bonne intention, son inexpérience…

– Tu ne comprends pas, dit Jomelia. C’est… incroyable. J’ai jamais goûté d’chose comme ça. Orkney : c’t’extraordinaire, ce que c’est bon ! C’est le meilleur gâteau que j’aie mangé. Qu’est-ce t’as mis dedans ? Dis moi exactement ce que t’as fait.

Orkney reconstitua ses gestes et ingrédients : la meilleure farine, beaucoup de beurre, une cuisson brève, une face de pommes et de cannelle, et son miel. Jomelia était devenue une cuisinière d’expérience : elle comprit que le miel des Koolpepper faisait l’extraordinaire de la recette. Le reste, le décor, l’apparence, n’était que broutilles faciles à réparer. Le mois suivant, au retour d’Orkney, elle prit son miel et refit le même gâteau dans un moule approprié, badigeonna la surface de jaune d’œuf, changea la température de cuisson…  Mais ça n’avait pas le même goût. Il fallut qu’Orkney refasse le moi suivant son gâteau lui-même en appliquant son tour de main, un mode et un temps de pétrissage particulier, très rapide, avec une quantité d’eau très précise, que lui seul savait réaliser.

Deux mois plus tard, Jomelia et Orkney, après avoir rassemblé toutes leurs économies, ayant acheté à crédit leur farine aux Manzelstone et leur miel aux Koolpepper, ouvraient une minuscule pâtisserie composée d’un simple étal sur tréteaux devant la Halle d’Urf Dürfalls, avec vingt gâteaux, tous vendus dans la journée. Le lendemain ils en vendirent le double. Une semaine plus tard, ils en vendaient cent par jour. Orkney demanda alors Jomelia en mariage et baptisa son gâteau de son prénom. Six mois plus tard, leur pâtisserie ouvrait à l’enseigne du Sieur Porridge en la rue des Cigognes d’Urf Dürfalls où l’on s’arrachait le célèbre Jomelia aux pommes, aux myrtilles, aux cerises, au blanc-cannelle. Un an plus tard, ils devenaient les premiers acheteurs des Koolpepper et des Manzelstone. Cinq ans plus tard, Jomelia mourut d’une crise cardiaque après avoir donné deux enfants à son mari Ornkey et vu ses pâtisseries servies à la table du Maire d’Urf Dürfalls, du Paladin Glade et de tous les nobles et riches marchands, propriétaires et artisans des environs. Dix ans plus tard, l’Empereur Irwin VI en visite à Urf Dürfalls goûtait son premier Jomelia. De retour à Ilnaëmb, il ordonna à son cuisinier de faire la même chose, à quoi ce dernier échoua systématiquement pendant les semaines suivantes.

Le Jomelia ne se conservant que trois jours au plus, l’Empereur dut financer sur sa cassette l’édification d’un portail magique secret entre son Palais et Castle Glade près de Dürfalls afin de s’approvisionner. Ce portail est toujours actif.

 

Orkney Porridge ne s’est jamais remarié. Il refusa toujours d’ouvrir un établissement ailleurs qu’à Urf Dürfalls et de transmettre à quiconque d’autre que ses deux fils son tour de main et ses recettes. Ses volontés testamentaires expresses ont été remises au clergé de Heimdall, auquel est notamment vouée Urf Dürfalls, et n’ont jamais été trahies. Il s’associa avec les  Manzelstone dont il fit la fortune et, malgré le Lendorean Wax & Honey Trust, n’acheta jamais que d’autre miel que celui produit par les ruches des Koolpepper.

Son arrière-arrière petite fille et unique descendante Tilda Porridge épousa en 5073 Bryanloui Koolpepper dans un improbable mariage entre hobbit et humaine de sang orc, qui fut pourtant tellement heureux et fécond que leurs descendants officient encore aujourd’hui dans les trois pâtisseries d’Urf Dürfalls où ils confectionnent les seize variantes officielles du Jomelia. La compagnie propriétaire exploitant ces établissements est encore à ce jour détenue par les seules familles Porridge, Manzelstone & Koolpepper. Depuis Tilda Porridge, elle a toujours compté au moins un demi-orc et un hobbit parmi ses employés. Son chef actuel est le maître pâtissier Hazerkish Porridge-Koolpepper.

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