Présentation | Histoire du Tangut : 1 ; 2 ; 3 ; 4 ; Appendice | Territoires du Tangut actuel | Cartes
La tâche qui attend le nouvel Etat est immense et la grande force de la maison de Cumbrie est de l’avoir compris immédiatement. L’empire résultant de traité de Valon ne représente guère que le quart du territoire sous-continent tangutien. Il est une virtualité plutôt qu’une réalité.
La réalité, ce sont des territoires séparés par des centaines de kilomètres, sauvages ou peuplés de monstres, d’humanoïdes, de barbares, d’indépendants qui ne veulent rien savoir ni devoir à personne ; ce sont des mers contrôlées par Avros ou le Vizan et où les pirates s’activent impunément ; la réalité, ce sont des moeurs et cultures séparées, disparates, sans aucun appareil central, mais qui pourraient former des légions d’ennemis, tels les redoutables et irréductibles barbares Altaniens. La réalité ce sont encore des villes dispersées qui n’offrent que peu d’appui entre celles à reconstruire comme Tulla, à développer comme T’lan ou Rallu, ou à contrôler comme Viris ou Normoot.
Le nouvel état a certes la faveur des Dzîrmeshs et les nains de Thunderhold et Kosthianz en font officiellement partie. Mais les elfes l’ignorent et le Vizan comme Avros considèrent toujours le Tangut comme leur jardin. L’empire de Tangut commence dans la peine : aucun allié, aucune administration, pas de coutumes ou lois communes, des religions, mœurs, sociétés hétéroclites, aucune armée, guère de routes ni d’infrastructure. Tout est à faire, à inventer, à construire.
Pendant quatre siècles, l’empire de Tangut sera la longue et patiente histoire d’une conquête intérieure. Il n’aura pour ainsi dire pas de politique étrangère. Son seul effort vise à l’agrandissement et l’unification de son territoire (d’où la devise Via Unita, présente sur les armoiries impériales). L’armée et la marine de l’Etat n’auront de tâche que défensive, de police, de sécurité intérieure.
L’une des pires difficultés vient des distances : aucun pays ne présente alors des centres provinciaux aussi éloignés les uns des autres. Très pragmatique, l’œuvre des empereurs Cumbriens va consister à miser sur le commerce maritime, puisque le pays est très découpé et que les trois quarts du territoire sont à moins de quatre jours d’une côte. L’Etat encourage et subventionne une marine marchande destinée au cabotage, basée sur un type de navire relativement simples à construire : les cogues, relayés par des barges capables de remonter les grands fleuves et par des jonques pour les grandes cargaisons.
Ce pragmatisme va surtout apparaître par la pratique constante d’une décentralisation qui fait reposer un maximum de charges politiques sur l’échelon local. Quasiment tout ce qui ressort des prérogatives d’un Etat est décidé localement à l’exception des impôts, des affaires militaires et navales, des grandes lois de police et de la maison du monarque.
Le principal atout de la monarchie est aussi son creuset : Valon. Choisie pour capitale et coeur de la culture étatique du Tangut, la ville est géographiquement au centre d’un pays qu’elle personnifie pour ses amis comme ses ennemis. Elle tire sa richesse d’un beau blé abondamment cultivé dans les vastes plaines environnantes, qu’elle vend dans tout le pays. Très nettement alignée good, splendide architecturalement, elle est placée sous les égides des cultes de Tyr, Balder, Râ, Oghma et Frigga. La Cour impériale réside dans un palais fort modeste : un simple hôtel carré au coeur de la ville, appelé la Régie. Le centre adminstratif de l’empire se situe au Palais Marcoman, où travaille le monarque entouré de son cabinet et où logent les principaux chefs militaires et civils. Au Black Keep, citadelle historique de Valon, se trouvent le palais de justice et les archives. Le White Keep lui fait face : de construction (alors) récente, il sert de lieu de savoir et d’échanges et deviendra l’équivalent d’une université. L’appellation et le choix de ce bâtiment réfèrent à la figure centrale du blason du Ghinor. L’importance de cette institution va croître au point de générer à Valonne toute une industrie consacrée à l’écrit : papetiers, copistes, encreurs, enlumineurs et relieurs.
Le White Keep va pendant des décennies puis des siècles inlassablement former les baillis, représentants délégués par l’empereur dans le cadre d’un bail fixe où ils sont payés par les recettes du territoire qui leur est confié après déductions d’un paiement fixe et d’une fraction revenant à l’État. Leur intérêt va donc avec le développement de ce territoire ; mais ce sont aussi et surtout des officiers de la couronne qui ont été formés pour son service et beaucoup deviendront des missionnaires civils ou militaires cimenteront dans tout le Tangut le concept de l’Etat impérial. Ils vont matériellement fabriquer cet Etat : harmoniser les justices, coordonner les taxes et changes, structurer les administrations, appuyer le commerce, armer les villes pour repousser pillards et les pirates; mais aussi créer ou développer les infrastructures : routes, ports, entrepôts, ouvrages d’art ou de défense, défricher des forêts, canaliser des fleuves, assainir des marais, implanter des mines… Leur chance est de pouvoir s’appuyer sur une population qui, par endroits, a atteint des niveaux de connaissance et de développement élevés : notamment grâce à l’immigration, le Tangut dispose de savants, de sages, d’artisans compétents, de commerçants avisés, de marins efficaces : il suffit souvent aux baillis d’inciter, de convaincre, parfois d’épouser, rarement de forcer. Pendant des siècles, ils recruteront toujours plus volontiers des agents que des guerriers.
La manière douce est ainsi systématiquement privilégiée ; elle va pendant des siècles désamorcer les conflits et apaiser les tensions. Elle évitera les elfes isolationnistes, elle se pliera aux coutumes des nains, elle séduira les barbares par de grandes foires où il sont les bienvenus. Qui veut créer un temple le créera, à lui de convaincre le peuple. Telle ville élit son maire, telle autre est gouvernée par un conseil héréditaire ? Si les gens sont contents ainsi, pourquoi changer ? Ce nobliau accepte l’allégeance à l’empereur mais entend que sa bonne volonté se paye ? On lui trouvera une riche jeune femme et quoi de plus beau qu’un mariage pour célébrer l’union ?
Cette manière de faire permet aux baillis de surmonter l’un des principaux obstacles à l’unité du pays qui vient de la multiplicité de ses langues : selon les lieux on parle Farxelois, Common, Ol’ghinorian, Zahire, Maztii oriental, Altanien, Karzun et même Kelnoréen, sans compter les patois et les langues raciales. Le White Keep de Valon va inciter les baillis à implanter plutôt qu’imposer l’usage du Common sans prohiber les us et coutumes locaux ; l’intérêt du Common va se révéler de lui-même, par son utilité dans les échanges commerciaux ou les actes administratifs et par le fait qu’il conditionne un accès au savoir écrit qui est généralement rédigé dans cette langue.
Sur le plan extérieur, Avros et Vizan comprennent qu’il y aurait plus à perdre qu’à gagner dans un conflit avec le nouvel empereur. L’intérieur des terres est et restera sous son contrôle. Lui déclarer la guerre lui offrirait l’opportunité d’unifier son Etat alors même qu’aucune puissance n’a les moyens de débarquer une expédition suffisamment nombreuse pour contrôler un territoire aussi immense que le Tangut. Mieux vaut s’attirer les bonnes grâces de ce nouvel empire d’autant la couronne de Valonne ne demande que cela.
La Cour de Valonne sait en effet que ses principaux voisins sont particulièrement sensibles aux arguments sonnants et trébuchants. Le Tangut dispose de terres immenses dont les ressources naturelles apparaissent extraordinairement vastes et diverses ; les convoitises qu’elles suscitent ont des fondements plus économiques que politiques. La solution passe donc par la négociation plutôt que le conflit. Ainsi, à coups de concessions, de licences, de traités douaniers et de privilèges commerciaux, le Tangut va acheter sa paix extérieure. Avros et Vizan auront leurs comptoirs sur les côtes et le Farxel imprégnera les marches occidentales. Ensuite, leurs intérêts commerciaux coïncideront forcément avec la protection du Tangut contre les pirates, les raiders, les bandits et les monstres.
Quant à la paix intérieure, là encore, les monarques Cumbriens font preuve de pragmatisme. Ce qu’il y a de plus puissant est un mage bien entouré : donc, achetons des mages, et laissons-les s’établir où bon leur semblera. Il y a des zélotes tout disposés à combattre les méchants monstres : appuyons les clergés qui nous soutiennent, et donnons leur ce qu’ils demandent en échange. Car il vaudra toujours mieux traiter ensuite avec un haut prêtre de Thor ou un puissant sorcier elfe qu’avec un dragon de mauvais poil ou un belliqueux roi minotaure.
Les dragons, justement, ne sont réellement menaçants que pour autant qu’ils quittent leurs repaires pour attaquer des terres ou des villages ; or les extirper de leurs tanières est bien plus dangereux que d’attendre qu’ils en sortent pour les combattre. Le roi de Csio, lui-même draconique et néanmoins excellent vassal de l’empereur, ne pourrait-il expliquer à ses demi-congénères que tout le monde s’en trouvera mieux si chacun sait rester chez soi ?
Les mers du Tangut sont si vastes que toutes les marines de guerre du monde réunies ne suffiraient pas à les contrôler : le piratage est donc endémique et inévitable ; par conséquent, plutôt que de s’épuiser en combats navals sans fin possible, l’empire va laisser les pirates se développer jusqu’à se battre entre eux, n’intervenant que pour éviter de trop larges réconciliations ou unions.
Ainsi, face aux périls traditionnels représentés par les raiders uiro-berviks, les pirates ou les dragons, couronne et baillis vont user d’habileté et de pragmatisme plutôt que de recourir à des affrontements coûteux aux résultats incertains. A ce magicien, qui prédit les pires sévices si on ne lui concède point gens, terres ou or, le bailli va offrir quelques domaines guère éloignés de la tanière de ce dragon qui menace la population. Quant à la dernière vague de de nouveaux venus sur leurs drakkars, on va les laisser s’expliquer avec les pirates déjà installés dont ils concurrencent les zones de chasse maritime tout en rappelant aux avrossians et vizaners que tout cela n’est décidément pas très bon pour leur commerce.
On voit ainsi des groupes de mages qui se mettent au service de l’Etat contre monnaie et deviennent gardiens de la sécurité du territoire, dont les fameux « Ice Mages » de Valonne, appelés ainsi par les hautes tours qu’ils édifient en Ghinorea, Valoner et Ostianne, qui sont recouvertes de neige et de glace l’hiver. Le bailli du Modroner aura même l’idée de « nationaliser » des groupes de pirates afin qu’ils combattent d’autres pirates, concept qui se développera jusqu’aux fameux corsaires de Warwik, devenus en quelque sorte des pirates d’Etat. Les baillis et l’Etat s’appuient aussi sur des chevaliers, dans un premier temps presque tous farathiens, hommes d’armes à cheval qui parcourent le pays en général par groupe de quatre en formant une escouade d’un total d’une douzaine de personnes, afin de maintenir l’ordre et de pacifier et protéger les terres. Avec eux et quelques « Ice Mages », l’empereur Arik Ier va conduire de grandes expéditions en Ghinorea et Ostianne, occupées par de vastes hordes d’humanoïdes et de géants depuis la chute du Ghinor, afin d’éradiquer la menace qu’ils faisaient peser.
En un siècle et demi, beaucoup a été accompli. Le contrôle de l’Etat s’étend sur plus de la moitié des terres du sous-continent. Les nains sont bien disposés, les elfes admettent l’empereur, les monstres sont intimidés. La fiscalité étatique est légère et provient essentiellement des taxes portuaires et fluviales et des rendements des concessions exportatrices. Les marchands et les armateurs sont contents, les villes, clergés et nobles locaux se sentent à l’aise dans leurs libertés, et comme le peuple dépend de ces gens-là… Les vizaners et les avrossians, soucieux d’acheminer les denrées qui leurs sont concédées, se chargent de facto de la sécurité navale. Le Tangut est sur la bonne voie. Il reste le problème des irréductibles dragons d’Oricha ou de Sotur qui seront traités par la force, par l’usure et par le temps.
Mais le principal souci des derniers empereurs cumbriens reste ces barbares Altaniens qui demeurent insoumis et dont les raids menacent depuis toujours les Tharbriens du Qwerthilion et du Caelia. L’empereur Admar III conduira quatre guerres défensives, les deux premières avec l’aide de Csio et de son roi Akenothezam, repoussant à chaque fois les altaniens. Mais mener une guerre offensive exigerait une invasion coûteuse et lente des deux péninsules altaniennes, impliquant une levée en masse que l’Etat ne peut et ne veut pas payer, aussi bien par conviction que compte tenu des pertes auxquelles on peut s’attendre.
L’impératrice Stanastasia résoud la situation en transformant un problème en solution : elle n’a que des filles qu’elle choisit en 4199 de déshériter pour offrir le trône au chef des barbares Altaniens, un certain Zando de la puissante tribu des Kahula, sous condition qu’il épouse l’aînée.
Est ainsi inaugurée la longue suite des empereurs Altaniens qui vont se comporter de façon diamétralement opposée à ce que craignait alors l’entourage de l’impératrice. La plupart des empereurs de la nouvelle dynastie vont en effet administrer le pays avec une sagesse et une simplicité qui feront l’admiration de leurs compatriotes, se coulant parfaitement dans l’esprit comme la pratique des monarques cumbriens. C’est un peu l’âge d’or du Tangut qui commence.
L’origine altanienne des nouveaux monarques implique de respecter la tradition de payer de leur personne au combat. Les empereurs Zeraphin et Zarkas périssent ainsi les armes à la main, le premier dans une opération de pacification contre des géants, le second en tentant d’imposer l’autorité de Valonne à ces propres tribus altaniennes dont il est lui-même issu. Ces morts glorieuses font beaucoup pour la popularité de la nouvelle dynastie, qui montre qu’elle est prête à verser son sang pour l’État.
D’autre part, au contraire de ce qu’on pouvait redouter, les premiers empereurs kahuléens ont soif d’apprendre, de se cultiver, de bien faire. Les empereurs Zando II et surtout Zandoar étudient énormément au White Keep dont ils améliorent les collections, ce qui va les conduire à s’inspirer du féodalisme wejlan pour administrer leur Etat.
Zandoar désigne les trois Attributs de la nouvelle monarchie : Couronne, Sceptre, Epée 1, qu’il ira personnellement faire consacrer et sanctifier par les dieux, ancrant ainsi définitivement la légitimité de la lignée des monarques de Tangut. Ainsi, lorsque l’empereur Zaâr meurt comme son aïeul à la guerre en volant au secours des elfes d’Uthryn confrontés à une invasion de gobelinoïdes, il a pris soin auparavant de laisser la Couronne à Valon et remettre à son lointain cousin Araman d’Araphia l’attribut du Sceptre, le désignant ainsi comme son héritier en cas de malheur. L’Epée Galadbolg est récupérée par les elfes et remise en nouveau monarque qui est ainsi couronné sans nulle contestation en 4323. A cette occasion les Uthrynquendis, honorant la mémoire et le sacrifice de Zaâr, se rallient d’eux-mêmes à l’empire.
Araman Ier institutionnalise les baillis en créant les Comtes-Baillis, ayant le rang de grands nobles, chargés à vie du gouvernement de l’une des grandes divisions territoriales du pays. A la différence de la noblesse de terre, cette charge n’est pas transmissible et elle est même révocable en cas d’empêchement, de démission ou de trahison. Les Comtes-Baillis sont donc, pratiquement, des « super-baillis à vie ». Pour être nommés, ils doivent avoir exercé au moins sept ans dans des fonctions où ils ont fait leurs preuves de serviteurs efficients et expérimentés de l’État. Ils doivent aussi avoir reçu l’éloge de leurs pairs, de leurs supérieurs, de leurs administrés.
Ils se superposent à la hiérarchie sociale et nobiliaire de la province qu’ils administrent dont ils sont l’instance suprême : à la fois voix de l’empereur, promulgateur des lois, trésorier et collecteur d’impôt, chef de la police, intendant des infrastructures et des marines, ou encore juge d’appel, toutes fonctions que chaque Comte peut déléguer aux baillis qu’on lui alloue ou aux instances locales. La longueur de leur affectation leur permet de prendre toute la mesure des particularités du territoire qui leur est confié et de former et guider leurs successeurs. Cette institution permet le développement d’une tradition administrative à la fois souple et solide qui constitue le véritable ciment du pays.
Au plan économique, l’action de Zando Ier, premier monarque d’origine kahuléenne, fera la fortune du sud-ouest du Tangut. Zando Ier vient d’une tribu ayant coutume de cueillir et sécher le café, boisson dont il raffole. Ayant désormais un état à sa disposition, l’empereur kahuléen mène à la sédentarisation une part majoritaire de sa tribu en Grande Altanie en créant des plantations de caféier dans la plaine de Carnelian dont les produits sont exportés via le port de Renth. Le succès est au rendez-vous : les plantations se développent, de nouvelles variétés à meilleurs rendements sont introduites dans les hauteurs des contreforts des monts Castellan et une route est même tracée pour acheminer le café par voie terrestre.
Quelques décennies plus tard, l’empereur Zando II constate qu’il existe une forte demande de cette boisson dans le monde entier qui n’est alors commercialisée qu’en Vizan et généralement hors de prix. Zando II décide d’encourager l’exportation du café tangutien avec un succès quasi-immédiat. Bisgen, en Altanie, devient une ville prospère centrée sur cette culture et notamment le séchage des graines tandis que de nouvelles plantations sont créées au sud du Qwerthilion, dans la région d’Actun, pour répondre à la demande. Des exploitations à grande échelle de caféiers implantées dans le nord de la région d’Eba Aba vont faire la fortune du Viridistan et l’ancrer définitivement dans l’empire.
Zando II trouve aussi que le café se marie à merveille avec le sucre produit dans cette même Altanie notamment à Ludgates, Onhir et Zothay, où il a été introduit par des marchands vizaners. Il décide de doubler les exploitations concédées à ces marchands par de nouvelles plantations destinées à accompagner la demande de café ; ces exploitations vont également produire des alcools de sucre ou des liqueurs de sucre et café dont le fameux kahula nommé ainsi en honneur de la maison impériale. L’exploitation sucrière et de ses dérivés va ainsi devenir une ressource majeure des deux Altanies et de plusieurs îles du Tangut, assurant au sud du pays une prospérité durable.
Compte tenu de la géographie du Tangut, l’énorme majorité de ses exportations de sucre, café, alcools et autres s’effectuait par voie maritime. Or il advint que Ziaphar, sixième monarque de la nouvelle dynastie, se demanda un beau jour en contemplant la baie de Ninuflan où croisaient des navires en direction de Valonne comment, avec tant de côtes, son Etat pourrait continuer de se passer d’une marine militaire digne de ce nom ? Il décida de faire armer les cogues et de construire des navires de guerre. Avros proposa alors d’assurer la sécurité navale en haute mer en échange du renoncement à construire des vaisseaux de haut bord, capable de s’affranchir des côtes. Ziaphar, qui voulait assurer l’indépendance de son pays, refusa. La République Maritime s’estima offensée et menacée ; en 4296 elle déclara la guerre au Tangut, dont ce fut le premier conflit.
Sur terre, les nombreuses tentatives de débarquement avrossians se soldèrent toutes par des échecs retentissants, notamment devant Modron et Starstone. Mais sur mer, ce fut l’inverse. Pas une bataille navale ne fut gagnée par le Tangut. Avros défit à trois reprises les flottes incomplètes et mal préparées du Tangut, notamment lors d’un affrontement décisif au large de l’estuaire de la Roglaroon (bataille de Blessensister). La République put alors instaurer un blocus maritime qui devint insoutenable pour son ennemi dont les revenus dépendaient étroitement du commerce maritime. Ziaphar dut céder. Le traité d’Avros conclut le conflit dès 4297 ; il satisfait les demandes avrossianes, le Tangut renonçant à toute ambition maritime de haute mer. Certaines contrées du Tangut, notamment Tarantis et Viris, n’oublieront jamais cette défaite.
Cependant, Avros eut l’intelligence de ne pas humilier son adversaire et même de l’indemniser pour la destruction de ses chantiers navals. En fait, l’issue de cette guerre s’avérera même positive dès le règne de Zenos qui succède à Ziaphar, les ennemis d’hier se redoutant mutuellement et cherchant les moyens de se concilier plutôt que de s’endommager. En outre, le commerce avrossian s’avérait alors étroitement dépendant du Tangut qui représentait une source primordiale de matières premières et de denrées. Une synergie va se réinstaurer entre les deux puissances : au Tangut, les terres et mers intérieures, à Avros le commerce au long cours et international.
Grâce à cela en 4367, sous l’Empereur Siméon, les comptes du Trésor Impérial repassent au vert. Le pays ayant entretemps été épargné par les grandes secousses du reste de Derenworld, il apparaît comme un nouveau pôle politique et économique à l’échelle mondiale (on rappellera qu’à l’époque ni l’Empire Naëmbolt, ni le Farxel n’existent encore), une sorte de « Grand Wejlar » de l’est.
Pourtant, ce pôle n’en est pas vraiment un car le Tangut, dépourvu d’une véritable armée d’Etat permanente, ne conduit pas de politique étrangère faute d’en avoir les moyens comme la volonté. Il passera ainsi à côté des grandes mutations de ces temps : effondrement du Gaïko, création de l’Empire, du Farxel, reflux deran et wejlan, se contentant d’un placement dans l’orbite avrossiane depuis sa défaite de 4297.
Ainsi, en matière de diplomatie et de militaire, la république d’Avros gouverne de facto à la place de l’empereur de Valon, exerçant une forme de protectorat dont le Vizan finit par s’inquiéter. Comme souvent dans son histoire, Avros est bien renseignée et prend l’initiative avant son adversaire, entraînant le royaume de Farxel et l’empire de Tangut dans la Guerre des Tempêtes, en 4490, à laquelle l’Empereur Araman II n’ose pas s’opposer.
Ce conflit va révéler une éclatante supériorité navale du Vizan, fort de galères contre lesquelles ses ennemis n’ont aucun navire comparable à opposer. La guerre va consister en une série de désastres maritimes aboutissant entre autres à l’extermination du corps expéditionnaire tangutian et à l’anéantissement de ses vaisseaux. Certes une solidarité, voire une amitié, de vaincus, apparaît à cette occasion entre Farxel et Tangut ; mais ce sont surtout l’amertume et le ressentiment contre Avros qui prédominent alors. Farxel et Tangut sont les champs de bataille de cette guerre où la République les a entraînés ; ils en veulent paradoxalement moins à leur vainqueur, le Vizan, qu’à leur allié avrossian.
Le Vizan en profite pour prendre l’ascendant diplomatique en Tangut, étendant son influence aussi bien commerciale que politique notamment en Viridistan, Blest et surtout à Tarantis, dont le territoire est pacifié avec l’aide d’une armée vizaner au grand dam des avrossians et de la proche Starstone demeurée leur soutien. Cette assistance vizaner se double de la mise en place d’une flotte de bataille tarentine, avec le secours des technologies du Vizan et la bénédiction d’Araman II et de son successeur Ataraman.
Face à un Vizan qui continue de s’étendre (annexion de l’Okhpuhr en 4513), la République d’Avros change du tout au tout en décidant subitement de « défendre » ce Tangut qu’elle considère comme sien, ce qui se traduit par l’invasion du Ghinorea au printemps 4514, après un ultimatum adressé à Atamaran et jugé grotesque dès à l’époque comme depuis lors.
C’est une grossière erreur, d’autant que l’empereur Ataraman a compris les faiblesses de son père et n’a aucune intention de les reproduire. Certes, la République a les moyens de soutenir une guerre qu’elle va conduire pendant six ans. Mais elle le fera seule. Ses alliés de l’Avrossian Bond refusent de la suivre dans ce que la plupart tiennent pour une expédition coloniale. De son côté, le Khaliph Nangaesh a habilement tenu son pays à l’écart, évitant de transformer le conflit en guerre Avros – Vizan et affaiblissant intelligemment la légitimité de la république à attaquer un Tangut aussi pacifique que vaste.
Mais les tentatives avrossianes de réitérer un nouveau blocus maritime du Tangut se heurtent cette fois à la volonté farouche de l’empire tout entier et aux harcèlements de marins, de corsaires, de pirates appuyés par le Vizan. Engagée partout et sans cesse par un ennemi qui fuit le combat dès qu’il perd la supériorité numérique, la flotte avrossiane suremployée demeure inefficace dans ce coeur maritime du Tangut qu’est la mer des Cinq Vents.
Sur terre, Avros ne gagnera rien du Ghinorea, champ de bataille pris, perdu, repris et reperdu, dont le territoire déjà exsangue et ruiné ne profite qu’aux monstres et humanoides. Pendant un an elle ne se heurte qu’aux forces de Valonne et de Tarantis appuyées de quelques compagnies que des nobles et villes de Tangut acceptent d’envoyer à leur secours. Mais lorsque Viris et Csio amèneront leurs Vasthrongs de milliers de cavaliers et fantassins, lorsque les hordes altaniennes se seront rassemblées pour répondre à l’appel de leurs chefs, lorsque chevaliers et soldats d’Inghelis et Farath auront rallié et formé leurs batailles, lorsque toutes ces troupes auront traversé le vaste empire pour se réunir au nord de Valonne, alors ce n’est pas moins de cinquante mille hommes commandés par le roi de Csio Chacmol le Conquérant et le général viristan Khemaraï le Glorieux qui vont fondre d’un seul coup sur huit mille avrossians empêtrées dans les marécages du Don Jackal au printemps 4517 et dont pratiquement aucun ne survivra. A la fin du mois de Cancer, il n’y a plus un seul avrossian vivant en Ghinor et guère plus dans le reste du Tangut sauf en Starstone et Ostianne. Il faudra encore trois ans pour que les flottes combinées du Farxel et du Tangut, encadrées par la marine vizaner, gagnent port après port la route de Tula pour s’y rassembler et menacer le territoire avrossian d’un débarquement massif. A cette occasion, les marins d’Ossary et de Warwik ont construit deux des plus grands drakkars qu’on ait jamais observé, la Grey Morgana et le Nevilion, emportant respectivement 112 et 120 guerriers et rameurs, capables de capturer les plus puissantes nefs de la République.
Alors, à l’automne 4520, Avros cède enfin. Elle verse un tribut faramineux et mettra un demi-siècle à s’en remettre, période qui coïncide avec l’apogée de l’empire de Tangut.
Tous ses grands territoires sont pacifiés. Son empereur, Atamaran, entre dans la légende comme vainqueur d’Avros. Il règne sur le plus vaste état qui ait durablement existé dans le monde. C’est l’époque de l’édification de manoirs, palais, tours, châteaux et autres riches demeures, de la construction de routes et de ports, de la fondation de monastères, de temples, de centres de savoir. L’empire est organisé en grands territoires, certains gouvernés par un monarque ayant fait allégeance à l’empereur représenté par son Comte-Bailli, les autres directement par un Comte-Bailli selon les coutumes et mœurs locales.
La prospérité du Tangut sous les règnes de Thoramène et Albéric II, solidement alliés au Farxel et au Thûzzland et équilibrant savamment entre Avros et Vizan, loin des racismes Naëmbolt comme des bellicismes vizaners, provoque l’envie et l’admiration. La cour de Valonne est magnifique, Viris, Tarantis, Modron, Starstone ou Rallu des villes en pleine expansion, devenant riches et puissantes, attirant sages, artistes, commerçants, artisans qui montrent leurs talents que leur envient Byrny, T’lan, Tarsh , Antil, Lenap, Ossary et bien d’autres qui se développent à leur tour.
Certes sous le règne de Duncan III, le pays est ravagé par les seconds Héritiers d’Hornst, en particulier par Iggwilv, qui vise à déposer «le roitelet de Valonne » comme elle l’appelle pour s’installer à sa place dans un pays qu’elle voudrait voir véritablement centralisé. Mais ce n’est qu’un coup de semonce : Iggwilv est bientôt rappelée par ses collègues pour servir ailleurs. Duncan III se vantera d’avoir découragé et effrayé l’Héritière d’Hornst, mais celle-ci sait qu’elle reviendra.
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1 — La couronne est dite de Luk, le roi fondateur légendaire du Ghinor. Ce n’est pas celle de ce roi lui-même, perdue depuis longtemps à supposer qu’elle ait jamais existé. Un bandeau en argent a été trouvé dans le mausolée de Luk, découvert par une expédition commandée par l’empereur Arik Ier ; les divinations ont révélé que ce objet avait effectivement appartenu à Luk de Silval qui l’avait porté. Arik Ier fait alors confectionner une nouvelle couronne d’empereur à partir de ce bandeau et qui l’incorpore, ainsi que le rubis d’Ygerne.
Le sceptre est dit Mycrétien, car il s’agit du propre sceptre de Shah Mycretios Mycretio, donné par son descendant Gnaddeus en gage de ralliement du Viridistan à l’empire.
L’épée Galadbolg, forgée à Thunderhold, fut enchantée et donnée par Morgane à Uther Pentwegern qui la légua à Gorlouis Blanchetouffe, deuxième roi de Valon. ↑