Voici longtemps qu’une explication est due au sujet de certaines curiosités de Derenworld concernant les divinités des elfes, lesquels ont une importance fondamentale dans son histoire. Par exemple : pourquoi deux dieux majeurs des elfes : Frey et Corellon ? Et pourquoi, alors que Corellon est le créateur des elfes, Frey lui apparaît-il supérieur ? Et aussi, que s’est-il vraiment passé avec Gruumsh, ou encore Lolth ? Et encore, tant qu’on y est, pourquoi des elfes immortels et d’autres non, pourquoi les Sindars et pourquoi sont-ils venus si facilement à la rescousse lors du Dragonlore ?
Les choses n’ont de surcroît pas été simplifiées lorsque les développements ou vicissitudes des aventuriers ont conduit à découvrir qu’en plus il y avait Manwë, apparemment supérieur à Frey et Corellon.
Le fond des explications correspondantes réside dans ce que j’appelle depuis longtemps la Geste de Frey et de Corellon (ou Freyhauses Saga), une des pierres angulaires de l’histoire de Derenworld. Il me fallait depuis un certain temps – et même plutôt un temps certain – la fournir aux joueurs, à quoi je n’ai pas toujours eu la disponibilité nécessaire. Mais finalement, fin 2018, ça m’a pris.
J’ai alors tenté d’abord de la résumer avant d’être entraîné vers une narration sans cesse plus complète, reliant plusieurs histoires interdépendantes, qui est ainsi devenue le plus long article d’un seul tenant de ce site, approchant la taille d’une nouvelle. Voici donc ce récit. J’ai choisi d’y laisser certaines ruptures de temps ou de ton, comme témoins de l’ancienneté de certaines étapes de cette histoire. Il n’est pas forcément répondu avec précision à toutes les questions ci-dessus indiquées mais toutes y trouvent explication, ainsi que quelques autres.
Symboles : ∼ union ; → descendance ; † dieu mort ; en gras les chefs de maison.
Seules sont ci-après précisées les unions et les descendances mentionnées dans ce récit.
TITANS
An’Ahr ∼ Nout → Frigga
MAIARS
Bor ∼ Fyörgynne → Odin†, Vili, Vé
Auor ∼ Rinda → Sif
Njord ∼ Skadi → Uller
∼ Idunn→ Frey, Freyya
Fyorgn ∼ Gunnlod → Frigga (adoptée), Oghma, Goibhnie
Jumo ∼ Ved-Ava od Morvins → Ukko, Straasha
VANIRS
Ukko ∼ Akka → Mielikki
Silvanus ∼ Mielikki → Diancecht, Pan, Tapio, Faenya
Freyr ∼ Gerda → Corellon, Fyölnir
Corellon ∼ Faenya → { Elfes Aldanonar } → Rilfaÿn
Corellon ∼ Arauschnée → Vhaeraun, Elistraée, Vandia
ASIRS
Odin† ∼ Frigga → Tyr, Thor, Loki, Vidar†, Balder, Sagà
Thor ∼ Sif → Heimdall
Loki ∼ Angerboda → Hel, Spleipnir
HUMAINS, HOBBITS
Fyölnir ∼ Gersamée → Uder, Lanorel
Yondalla ∼ Silvanus + Balder + Goibhnie + Hadès + Bes +Heimdall → { Hobbits }
L’origine des Titans est exposée dans la Genèse. Les Titans du Chaos sont les premiers êtres de l’univers ayant pris conscience d’eux-mêmes. Beaucoup disparurent en fusionnant avec l’univers afin de le solidifier ou au cours de conflits avec les Grands Anciens qui contestaient l’univers régulé par Ptah. Ceux qui restèrent furent les Titans Libres qui demeurèrent indépendants ou rejoignirent les Grands Anciens ou se rallièrent à Ptah. Plusieurs firent souche et les êtres qui en sont issus sont appelés simplement titans.
Les Maïars sont l’équivalent des Titans en Arda , créés ou transformés par la musique d’Eru Ilùvatar. Parmi ceux cités ici, Njord, Ved-Ava od Morvins, Fyorgn et Fyörgynne sont des Titans passés en Arda 1 aux temps de cette musique et ainsi devenus Maïars.
Les Maïars engendrèrent des descendances parmi lesquelles les Vanirs, qui sont ceux qui répondirent à l’appel de Ptah et firent venir ensuite les Asirs, qui sont la maison d’Odin. Silvanus est un Maïar non descendant d’un autre mais, étant également un Vanir, il est le seul des Maïars qui ne soit pas demeuré en Arda.
Par métonymie, le terme Asgard désigne à la fois le plan d’Asgard, qui est également appelé Gladsheim, et le premier monde de celui-ci. L’emplacement de Gladsheim / Asgard figure dans la représentation de l’univers planaire proposée en appendice.
Freyhauses Saga
Freyr (comme s’appelait alors Frey) était des Vanirs, envoyés par Eru Ilùvatar pour combattre aux côtés de Ptah ; c’est lui qui alla chercher les Maïars de la maison d’Odin, les Asirs, pour qu’ils viennent à la rescousse contre les Grands Anciens. Freyr était le meilleur ami d’Odin, qui lui avait offert de régner sur les forêts d’Asgard. Il fut aussi affligé par sa disparition que s’il avait été l’un de ses fils. Après la victoire contre les maléfiques Anciens, il passa la plupart de son temps fort éloigné des affaires du monde, prostré à côté du trône d’Odin devenu Wotan, ou errant dans les forêts créées par Silvanus. Il demeura ainsi jusqu’à ce que Freyya, sa sœur, décide de l’extirper de sa mélancolie en lui faisant miroiter, dans une vision nocturne, la beauté de Gerda.
Gerda était une titane d’une extrême beauté vivant en harmonie avec son père Gymir et sa mère Aurbôa en Jötunheim. Comme bien des titans ayant réussi à survivre aux premiers temps, Gymir et Aurbôa avaient dû accepter la Régulation de l’Univers par Ptah et par conséquent prendre une forme finie pour la conserver à jamais dans un temps s’écoulant de manière désormais fixe. Cette acceptation de la Régulation de Ptah constituait la limite de ce que pouvaient tolérer Gymir et Aubôa, anciennement libres créatures jouissant de l’Univers sans y être assujettis par l’espace et le temps. Ils acceptaient de subir Ptah mais non de l’aider, ni lui ni ses alliés.
A l’instar de bon nombre de Titans ainsi réticents envers Ptah, Gymir avait saisi l’occasion de la création d’Asgard pour s’y réfugier dans les contrées de Jötunheim qu’Odin leur avait ouvertes ainsi qu’aux géants. Ils s’y trouvaient libres d’y mener leurs existences quoique reclus dans ses frontières. Il fut difficile à des êtres qui avaient pu parcourir à leur guise l’univers entier d’accepter pareil confinement ; cela entraîna de grands changements dans leurs esprits, parmi lesquels l’aversion de tous ceux qui n’étaient ni géants ni titans. Ainsi Gymir et Aubôa établirent-ils leur maison en renonçant à tout autre espace que leurs terres et à toute autre pensée que leur famille.
Freyr tomba aussitôt amoureux mais, toujours dolent de l’accablement du deuil d’Odin, il chargea son écuyer, Skirnir, de conquérir pour lui le coeur de Gerda. Afin de se protéger, Skirnir exigea d’être muni de la propre épée de Freyr, Macilnar, l’arme de soleil qui trouait toute ombre de sa lumière, capable de combattre et occire seule et d’elle-même les ennemis de son maître.
Skirnir s’enveloppa de pénombre pour mieux se prémunir pendant son voyage vers le Jotunheim jusque chez Gymir et cela réussit car il ne fut guère inquiété que par quelques loups qu’il put aisément chasser.
En Jötunheim , Gymir demeurait au centre d’une haute vallée encerclée de montagnes. Descendant l’une de ces montagnes, Skirnir rencontre un pâtre au service de la maison de Gymir qui lui confirme que la grande demeure de pierre et de rondins près d’une rivière qu’on aperçoit au loin est bien le Gymirhall qui abrite en effet la belle Gerda. Mais le pâtre explique aussi à Skirnir qu’il ne parviendra jamais à rencontrer Gerda car elle refusera de lui ouvrir et de lui parler, d’autant que Gymir et Aubôa sont partis à la chasse en lui confiant leur demeure.
Skirnir a alors l’idée de déclencher une avalanche dont le bruit résonne si fort dans la vallée que Gerda, alarmée, fait ouvrir la porte du Gymirhall par une servante en lui ordonnant d’aller voir ce qui se passe tout en restant elle-même, par curiosité, derrière l’ouverture qu’elle ne referme pas. Skirnir, toujours enveloppé de pénombre, en profite alors pour entrer dans le hall puis apparaît et s’agenouille devant Gerda. Celle-ci, contrainte par l’hospitalité, accepte d’écouter Skirnir mais l’avertit qu’elle ne pourra jamais aimer un Vanir.
Skirnir ne désempare pas et tâche de convaincre la belle pour le compte de son maître. Il célèbre les vertus de Frey, fidèle et vaillant guerrier, meilleur ami d’Odin qui a ouvert Jötunheim à la maison de Gymir. Gerda reste impavide.
Alors Skirnir offre des présents plus fabuleux les uns que les autres : onze pommes d’éternité, l’anneau Draupnir, puis en désespoir de cause l’épée Macilnar elle-même. Chaque fois, Gerda refuse.
Fatigué par son long voyage, Skirnir finit par s’échauffer et change de ton ; il explique que son refus outragera Frey et les fils d’Odin : Tyr, Thor, Loki, Balder, et que la maison de Gymir sera déclarée leur ennemie. Les dieux laisseront cette maison devenir la proie d’Hrimgrimnir, l’infernal géant fomorien surgi des mondes d’en-dessous, qui vaincra ses parents et fera de Gerda sa chose, ou celle des trois trolls géant qui la garderont ; elle sera tatouée des runes de l’obscénité, de la folie et de l’insatisfaction qui la consumeront chaque jour ; elle ne pourra s’alimenter qu’en buvant de l’urine de chèvre et seulement une fois par jour.
Gerda reste imperturbable bien que pâlissante : elle l’invite à boire son hydromel et à s’en aller. Mais comme elle-même en fait autant dans sa coupe de cristal, Freyya fait apparaître à la surface du breuvage le visage de Freyr dont la douceur et la mélancolie paraissent à Gerda bien éloignées des menaces exaspérées de son serviteur. Alors Gerda accepte de rencontrer Frey.
Les deux se trouvèrent neuf jours plus tard dans un forêt en lisière de Freyrhinn 2 et aussitôt leurs coeurs fondirent l’un pour l’autre. Loin dans les forêts, Freyya souriait.
Ils forment depuis l’un des couples les plus unis parmi toutes les divinités. Freyr, tout à sa joie, décida de remercier Skirnir en lui offrant Macilnar, qu’il conserve depuis. Sorti de sa torpeur mélancolique, il règne depuis sur les forêts d’Asgard.
Gerda vit dans ces forêts en compagnie de son mari qui passe le plus clair de son temps auprès d’elle. Elle n’est pas une divinité mais l’épouse d’une divinité. De leurs épousailles sont issus deux enfants, l’un de nature titano-humaine, destiné à régner sur les vivants mortels : Fyölnir, et l’autre de nature vanir, destiné à régner sur les vivants immortels : Corellon.
Freyr se souvint alors de la tâche qui lui avait été confiée de créer des êtres aussi parfaits que l’image de ceux engendrés par la Musique d’Eru Iluvatar. Manwë Sulimo avait dit qu’en échange de l’aide des Vanir à Ptah, ces êtres règneraient ensuite sur des terres créées par les dieux. Ptah avait accepté cette alliance dans ces termes et l’exécution en avait ainsi été dévolue à Freyr.
Mais celui-ci ne voulait que s’occuper de son épouse, qui refusait elle-même de prendre part à une tâche à laquelle elle se sentait étrangère. Alors Freyr confia cette mission à son fils Corellon et obtint des dieux que lorsqu’ils quitteraient l’Ellgebir, celui-ci serait confié aux créatures qu’il engendrerait.
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Corellon vivait dans les forêts comme ses parents. Un jour, par une grande tempête, il découvrit une clairière dans une futaie de chênes. Au centre, allongée et nue dans l’herbe, une Vanir semblait endormie et sans défense sous la tempête, bien qu’en réalité l’Ent nommé Treoshauvas la protégeât. Treoshauvas, qui était l’un des serviteurs personnel de Silvanus, demanda à Corellon de laisser sa protégée achever son rêve : Corellon, intrigué, accepta. Il la contempla ainsi pendant trois jours et trois nuits avant qu’elle ne s’éveille.
Lorsqu’elle ouvrit ses yeux de couleur pervenche, Faenya vit un bel elfe blond aux yeux verts et à la peau dorée qui la regardait fixement. Elle se redressa sur un bras, l’air interrogateur mais sans gêne ni offuscation malgré sa nudité. Très mince au point de sembler presque menue malgré sa grande taille, elle n’était couverte que d’une longue chevelure brune sans tresse ni apprêt, telle une crinière, qui encadrait son visage aux traits d’une finesse surnaturelle. Corellon sut alors qu’elle deviendrait son épouse. Loin dans les forêts, Freyya souriait.
C’est ainsi que Corellon connut Faenya, de la maison de Silvanus, dont elle était la cadette. Elle était née aux temps où Straasha, son grand-oncle, fut appelé à quitter Asgard pour régner sur le plan des Eaux. Aussi Ukko demanda-t-il à son frère de consacrer auparavant sa petite-fille et Silvanus appuya cette demande. Faenya fut ainsi la dernière née d’Asgard à avoir été bénie par Straasha avant son départ.
A la fois impulsive et rêveuse, aimant autant la pluie que la méditation, éprise des arbres et des créatures de la forêt, elle fascinait Corellon par sa liberté de nature animale. Il disait qu’elle était aussi claire qu’un cours d’eau pure. Il la prit pour épouse avec le consentement de Silvanus et de Freyr.
Faenya fut aux premiers temps, ceux des elfes d’Alfheim et des Premiers-Nés de l’Ellgebir, la déesse du vent, de la pluie, des ents, des licornes et des créatures ailées. Par sa mère Mielikki elle appartenait à la maison d’Ukko et chérissait les oiseaux et ceux qui s’élèvent vers le ciel. Elle aimait faire l’amour au dessus des nuages, sous la pluie, dans la tempête. Elle vécut heureuse avec Corellon jusqu’à ce que celui-ci lui demande d’engendrer les elfes. Non pas un enfant, mais tous les elfes. Faenya en fut profondément troublée. Elle pensait jusqu’alors qu’elle deviendrait mère d’un ou plusieurs enfants de Corellon, mais rien ne la disposait à devenir la créatrice d’une espèce entière. Elle ne savait ni quoi ni comment faire, ni quelle réponse donner à Corellon qu’elle redoutait de perdre si elle lui disait non.
Frigga, veuve d’Odin avec qui elle avait engendré Tyr, Thor, Loki, Vidar, Balder et Sagà, régnait alors sur Asgard. Faenya, estimant que personne ne serait plus sage qu’elle, lui demanda son conseil. Frigga entendit la bru de Freyr. Elle fut émue de son désarroi et promit de lui répondre, sans savoir quoi lui dire.
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En des époques considérablement plus anciennes la Libre Titane Nout de la Nuit, qui connaissait beaucoup du Temps, savait qu’elle deviendrait à l’avenir promise à Râ. Cependant elle folâtrait alors avec le titan An’Arh, son amant préféré. Pour cacher leurs amours, ils s’étaient rendus en Arda, que Zeus venait de découvrir.
Nout y engendra une fille qui fut nommée Frigga par son père An’Arh. Devant revenir dans le cosmos de Ptah pour épouser Râ, Nout laissa sa fille en Arda qui fut adoptée et élevée par le Maïar Fjörghn dont la soeur jumelle, Fyörgynne, portait un fils qui s’appellerait Odin.
Frigga révérait sa mère qu’elle appelait Nott, ayant compris que celle-ci l’avait non point abandonnée mais au contraire amenée vers un destin d’épouse d’Odin et de Reine des Asirs. Frigga aimait aussi Freyr, le fidèle ami de son défunt époux. Lors de la venue d’Odin, elle avait brièvement retrouvé son père géniteur, An’Arh, qui se joignit aux Asirs avant de périr lui aussi face à Hastur 3. Et pourtant, pendant que tous se lamentaient bruyamment alors qu’elle seule avait perdu à la fois époux et père, elle avait conservé assez de force d’âme pour gouverner Asgard en l’absence de son souverain créateur et pour demeurer capable de s’attendrir du désarroi de Faenya.
Alors elle s’enquit de ce qu’il fallait répondre à Faenya auprès de Nout, qui le lui dit, après avoir contemplé le Temps. Et ainsi Frigga, mère de dieux d’Asgard, dit à son tour à Faenya ce que Nout, mère de dieux d’Egypte, lui avait narré.
Faenya annonça à son époux que l’accomplissement de la tâche dévolue à Freyr impliquerait un sacrifice car tous deux n’étaient pas de même puissance que les Maïars ou les Vanirs ou que les compagnons ou enfants initiaux de Ptah. Corellon répondit qu’il ne pourrait prendre ou conserver d’épouse qui ne serait la génitrice des elfes car lui-même avait été engendré pour cela. Alors Faenya accepta de concevoir les elfes à condition que son époux suive ses instructions. Corellon promit de lui obéir. Il avertit son père afin qu’il prépare ses forêts pour la nuit nuptiale ; Silvanus, Balder, Gerda, Freyya et Frigga y vinrent en procession pour envoûter et bénir les arbres.
Cette nuit-là, Faenya appela les vents et la pluie qui formèrent une tornade enlevant vers les cieux Corellon et elle qui faisaient l’amour. Toute la pluie qui traversa leur amour cette nuit-là féconda maints arbres qui devinrent enchantés. Au matin, chacun de ces arbres portait un fruit et Faenya un enfant.
Dix-neuf mille six cent quatre-vingt trois arbres furent ainsi fécondés. Il y en avait de toutes sortes d’essences ; aussi chacun d’eux portait-il un fruit différend, issu de la pluie de l’amour de Corellon et Faenya. Ce fruit était devenu le seul de chaque arbre et il contenait l’âme d’un elfe à venir.
Il fallait encore leur donner vie et forme, par le sang et les mains de Corellon, par le souffle et les larmes de Faenya. Or leur nombre était considérable, entraînant le risque que beaucoup viennent à mûrir sans avoir été ainsi façonnés. Alors Faenya fit venir son oncle Ukko, qui régnait sur le ciel et avait vaincu Hastur dans le règne des Airs. Elle lui demanda d’étendre un immense hiver de dix-neuf mil six cent quatre vingt trois jours et nuits sur Freyrhinn. Ce qu’il fit après avoir recueilli l’assentiment de Freyr et de Frigga.
Chaque nuit du Long Hiver de Freyrhinn, Corellon et Faenya façonnèrent un elfe dans le fruit d’un arbre. Chaque nuit Corellon s’ouvrit la main pour recouvrir ce fruit de son sang afin de le rendre malléable avant de le sculpter à son effigie. Chaque nuit, après avoir regardé Corellon achever son ouvrage, Faenya souffla sur le fruit ainsi façonné pour lui donner vie et pleura. Car chaque souffle apportait au fruit la vie qu’elle portait en elle et l’amoindrissait d’autant. Chaque matin suivant, le doux Diancecht guérissait la main de Corellon, mais il ne pouvait rendre au sein et au ventre de Faenya le souffle qu’elle avait donné et perdu. Au matin suivant la dix-neuf mille six cent quatre-vingt troisième nuit, l’hiver s’en alla et l’enfant porté par Faenya avec lui. Le ventre de Faenya était devenu vide et stérile à jamais.
Freyr commanda au soleil d’illuminer les cieux. Les forêts se réchauffèrent. Les arbres verdirent. Les premiers elfes s’éveillèrent. Freyr les contempla et en fut profondément joyeux. Il leur donna le Freyrhinn, depuis lors leur monde, appelé Alfheim.
Mais Faenya n’était plus heureuse. Elle n’en avait plus le goût. Bien qu’avertie par Frigga, elle n’avait pas mesuré avant de l’accomplir tout le prix de son sacrifice. La seule conscience de l’existence des elfes lui rappelait qu’elle leur avait immolé sa fécondité. Elle se détourna d’eux et de Corellon et des forêts et de la plupart des êtres et des dieux, ne vivant plus que dans les nuages et les cieux, éloignée de la terre et des enfants de ses larmes.
Corellon fut d’abord tout à sa joie d’avoir accompli sa mission de créateur des elfes. Ceux-ci le reconnurent pour père mais ne voyant point leur mère, chacun d’eux crut qu’elle était l’arbre dont il était issu. Corellon ne pouvait les détromper car bien qu’étant apparus en des corps presque adultes, les esprits des elfes étaient encore ceux de nouveaux-nés impuissants à comprendre ses explications. Or Faenya demeurait absente et sourde à ses appels. Corellon en éprouva une grande tristesse cependant qu’il était épuisé par les dix-neuf mille six cent quatre-vingt trois nuits d’effort accompli, à quoi s’ajoutait le devoir d’accueillir et préserver ses milliers d’enfants. Il résista encore vingt et un jours afin des les accueillir et de s’assurer de leurs abris et besoins ; puis il s’endormit.
Les Aldanonar, ceux nés des arbres, furent ainsi les premiers elfes ; ils peuplèrent Alfheim que Freyr travailla longtemps à agrandir afin de faire large place à tous. Ils apprirent à y vivre et à y oeuvrer en vénérant les arbres et leur père et protecteur Corellon dont ils attendaient le réveil. Pendant que dormait Corellon, Freyr et Gerda expliquèrent aux elfes comment ils avaient été conçus et qui était leur mère qui prenait un long repos dont elle finirait par revenir. Alors les Aldanonars adoptèrent pour emblème le losange, fusion de deux triangles superposés, l’un pointant vers le haut représentant la trinité unissant Faenya, Corellon et le ciel où ils firent l’amour, l’autre pointant vers le bas représentant la trinité unissant Faenya, Corellon et les forêts fécondées par la pluie de leur amour.
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Alfheim parut aux yeux de tous une splendeur, le plus bel exemple qu’il y ait des divines capacités créatrices de vie. Beaucoup vinrent le découvrir et s’en émerveiller.
Parmi les premiers visiteurs il y eut une titane du nom d’Araushnée qui admira si fortement Alfheim qu’elle choisit de s’y installer afin d’en aider les habitants dont elle adopta l’apparence. Elle leur prôna l’utilité de la vie plutôt que d’en réduire la finalité à la seule continuation d’une bienheureuse immortalité. Elle incita ainsi les elfes à explorer, découvrir et employer leurs facultés. Sous son égide, plusieurs d’entre eux s’employèrent à travailler, construire, fabriquer ; ils furent désignés sous le nom de Caraylië, ceux qui travaillent. Leur nombre crut et Araushnée acquit un prestige considérable.
Lorsque Freyr eut achevé d’agrandir Alfheim, il vint avec Gerda auprès de son fils afin de le réveiller et de le complimenter.
Freyr et Corellon, heureux et fiers d’avoir accompli la tâche qui leur avait été dévolue, burent à la célébration de leur oeuvre commune. Mais Gerda restait réservée. Elle demanda à Corellon ; « où est ton épouse ? » à quoi il ne sut répondre. Gerda lui dit alors : « Diancecht a guéri ta main, qui a guéri le ventre de ton épouse ? » à quoi il ne sut répondre. Gerda lui demanda enfin : « Pourquoi restes-tu ici plutôt que de rechercher ton épouse ? » à quoi il ne sut répondre. Alors Gerda hocha la tête et s’en alla.
La tristesse de l’absence de Faenya que l’amour de ses enfants elfes ne pouvait réparer, conjuguée à son propre épuisement, avaient plongé Corellon dans une sorte de langueur qu’il ne parvenait pas à surmonter et qui l’empêchait de réagir autrement qu’en se rendormant. Mais cette fois, réalisant qu’il ne savait quoi répondre à sa mère, il décida qu’il lui fallait redevenir capable de rechercher Faenya et demeura éveillé.
Or le lendemain, Corellon reçut la visite d’Araushnée, qui avait appris son réveil. Elle le trouva fort affligé des paroles de Gerda et s’éleva avec force contre elles. Elle affirma que Corellon avait agi avec responsabilité et courage en accomplissant une mission qui lui avait été confiée sans qu’il l’ait sollicitée. Elle soutint avec ardeur que les dieux ni leurs descendance ne pouvaient seulement jouir de leurs domaines et puissances sans être tenus à des contreparties pour les mériter. Elle reprocha à Faenya et Gerda d’avoir mésestimé l’œuvre de leur fils et ne pas comprendre ni honorer la valeur d’un devoir divin.
Ces paroles versèrent un miel guérisseur sur la langueur de Corellon. Il se sentit soutenu et apprécié et se laissa séduire par Araushnée. Elle devint son amante, aussi notoire et reconnue que si elle avait été sa deuxième épouse.
De ses amours avec Corellon elle eut trois enfants : un fils, Vhaeraun, puis deux filles, Elistraée et Vandria. Les Caraylië construisirent des demeures, fabriquèrent des meubles, ciselèrent des bijoux, tissèrent des robes et confectionnèrent nombre de merveilles plus magnifiques les uns que les autres pour célébrer le couple royal.
Corellon et Araushnée tinrent une cour superbe où ils élevèrent leurs enfants parmi les splendeurs des premiers ouvrages des premiers elfes. Nombreux furent ceux qui se félicitaient de la joie retrouvée de leur père Corellon dont la magnificence impressionnait au point qu’on le surnomma Larethian, celui de riche apparence. Goibhnie, le dieu forgeron, fit l’éloge des merveilles de la Cour de Corellon et Araushnée. Et Frigga elle-même, qui avait Faenya dans son coeur, ne put y trouver à redire, car Araushnée avait apporté à Corellon une famille comme elle-même en avait donné une à Odin et comme Nout le lui avait annoncé au terme son récit.
Mais nombre d’Aldanonars se méfiaient des industrieux Caraylië ; ils considéraient avec une répugnance mêlée d’inquiétude leur façon de vivre qu’ils jugeaient dénuée de liberté et fort éloignée des rêveries, des joies naturelles et des arts auxquels eux-mêmes se sentaient destinés. Ces réprobateurs se désignèrent sous le nom de Lertalië : ceux de la liberté, lorsqu’ils décidèrent d’alerter les dieux à propos de leurs préoccupations.
Or Corellon ne les écouta pas, ni Freyr tout à sa joie d’être grand-père, ni Frigga qui avait bien d’autres soucis, tandis que Faenya demeurait introuvable et loin d’eux. Mais Gerda, elle, les entendit et leur donna raison. Mais Ukko, qui désapprouvait depuis longtemps le sort de sa nièce Faenya, évincée du lit de Corellon, partagea l’émoi des Lertalië et leur fournit son appui. Mais Tyr et Balder apprirent des Lertalië ce qui se passait en Alfheim et se rendirent auprès de Freyr pour lui représenter que sa maison était en grand désordre, en quoi ils furent fortement appuyés par Gerda.
Pendant ce temps, d’autres Lertalië voyageaient à la recherche de leur mère Faenya en se passant d’en avoir averti Corellon. Ukko les aida en leur envoyant des aigles géants et c’est grâce à l’un d’eux que Rilfaÿn (qui sera plus tard appelé Rillifane Larathil) découvrit en Niflheim un épais nuage vers lequel sa monture s’éleva. Au centre de la nuée grise, telle une statue, se trouvait Faenya, enveloppée de pluie. Elle ne s’enfuit pas mais resta immobile et silencieuse. Depuis des milliers de jours et de nuits elle n’avait prononcé une parole, ne vivant que par la bénédiction reçue à sa naissance de Straasha, qui la nourrissait de pluie.
Rilfaÿn lui dit qu’il était son fils et que ses enfants l’attendaient mais Faenya ne lui répondit pas. Il lui dit que sa couche était usurpée et que les Aldanonars avaient besoin de leur mère mais Faenya ne lui répondit pas. Il lui dit enfin que les Caraylië menaient une existence dévoyée par l’absence de leur mère et Faenya cette fois répondit sans le regarder : » J’ai perdu mon enfant pour vous donner vie à tous : je ne suis pas votre mère».
— Nous savons ce que tu as sacrifié, dit doucement Rilfaÿn, et je n’ai pas le savoir suffisant à te convaincre ni le pouvoir de te guérir. Mais les grands Ukko et Silvanus, tes aïeux, eux, le peuvent peut-être. Ils m’ont dépêché auprès de toi : consens à tout le moins à les visiter.
Alors Faenya regarda Rilfaÿn et l’aigle qu’il chevauchait. Elle vit qu’il venait d’Ukko qui inspirait les paroles qu’elle venait d’entendre. Elle consentit à suivre Rilfaÿn, qui se rendit avec elle en Vanaheim 5.
De nombreux dieux avaient décidé de s’y réunir sous l’égide d’Ukko afin de débattre de l’étrangeté de ce qui se passait en Alfheim depuis qu’Arauschnée s’était substituée à Faenya. Celle-ci y fut accueillie par sa mère, Mielikki, qui l’avait engendrée de Silvanus. Ce dernier était mécontent que les Caraylië construisent pour Corellon et Araushnée le Palais de Tùriondor qui exigeait de nombreux arbres, ce qui causait de grandes cicatrices dans les forêts d’Alfheim. Ses fils Pan et Tapio ainsi qu’Uller, le propre frère de Freyr, ajoutaient que la belle nature des forêts d’Alfheim en étaient devenue si dégradée qu’ils les avaient quittées. Mielikki regrettait ce que sa fille Faenya ait été comme dépossédée de la maternité des elfes, quand bien même par son propre consentement. Ukko déplorait que l’épouse de Corellon ait été remplacée par une intrigante qui n’avait reçu l’assentiment d’aucune des puissances d’Asgard. Tyr réprouvait que l’augmentation croissante du nombre de Caraylië parmi les Aldanonar transférât de facto leur gouvernement à Arauschnée.
Mais Loki se leva pour dire aux autres dieux que tous ces mécontentements étaient de leur propre faute car les désordres dont gémissaient les participants à cette noble assemblée ne provenaient que du libre cours d’événements qu’aucun d’eux n’avait empêchés. Que personne n’avait averti Frigga, qui siégeait sur le trône d’Odin, d’y mettre bon ordre. Que personne non plus n’était allé représenter à Freyr la détérioration des forêts dont il avait la charge, ni quelque insulte qui aurait été faite aux maisons d’Ukko ou de Silvanus. Que personne n’était soucié de déconseiller aux elfes Caraylië de commercer avec les nains 6 ou les géants ou d’engendrer leur propre descendance ou d’estimer Arauschnée. Que personne n’avait demandé que cette dernière fut expulsée de terres où elle n’avait commis aucun méfait.
Le sage Oghma s’accorda à ces paroles en affirmant que cette assemblée, plutôt que la maison de Freyr ou l’autorité de Frigga, lui semblait porter la division en Asgard. Et il ajouta que Faenya elle-même était demeurée silencieuse, ce qui était vrai.
Il convient de rappeler que ces événements se passaient en des temps qui étaient encore de la Genèse. Il s’agissait d’une des premières fois où les dieux durent affronter des conséquences provenant de créatures qu’ils avaient créées et non de leurs propres actes. Ils n’en avaient pas coutume.
Les paroles d’Oghma appuyant celles de Loki firent forte impression. Les courroux disparurent et Tyr et Ukko reconnurent qu’ils s’étaient à tort emportés. Il fut décidé que Loki et Mielikki iraient en Alfheim simplement causer avec Freyr.
Ils le trouvèrent occupé comme de coutume à honorer Gerda. Mielikki expliqua que Faenya était meurtrie mais de retour et qu’elle devait reprendre sa légitime place auprès de Corellon quitte à évincer Araushnée. Elle estimait aussi qu’il fallait réprouver les industrieux Caraylië : ceux qui refuseraient pourraient suivre Araushnée dans quelque contrée adaptée à leur étrange mode de vie mais en dehors des forêts d’Alfheim afin que celles-ci redeviennent pures et naturelles.
Or les paroles de Mielikki furent fermement appuyées par Gerda de sorte qu’elles produisirent le plus profond effet sur le père de Corellon. Loki comprit qu’il ne gagnerait rien à s’y opposer frontalement et proposa de s’en remettre à l’arbitrage de Frigga ; mais Mielikki, qui se méfiait de la veuve d’Odin, s’y opposa. Loki expliqua alors qu’il ne fallait pas mésestimer la révérence que les Caraylië nourrissaient envers Araushnée. La rejeter pourrait entraîner de profondes dissensions, surtout après l’avoir accueillie sans lui reprocher aucun grief pendant si longtemps. D’ailleurs, cette hospitalité n’avait-elle pas produit des fruits que certains réprouvaient mais que d’autres approuvaient ? Ainsi fallait-il par exemple éviter de paraître rejeter Araushnée au motif qu’elle était fille de Shloroloth, titan rebelle à Ptah qui redevint Enfant du Chaos au contact des Grands Anciens, plutôt que d’origine asgardienne. Sinon, prédit-il, le risque existait que des Caraylië la suivent jusqu’à échapper au contrôle des puissances légitimement tutélaires d’Alfheim. Se priver de l’assentiment de Frigga, reine d’Asgard, était donc peu sage.
Ces mots suscitèrent du ressentiment en Freyr. Le Maître d’Alfheim ne pouvait admettre que son autorité puisse y être questionnée, voire bafouée, plus encore par un rejeton de Titan du Chaos auquel il avait accordé une hospitalité bienveillante au point de la laisser coucher avec son propre fils. Pareille situation pouvait à la rigueur se tolérer en l’absence de Faenya mais celle-ci revenue, elle devait désormais reprendre sa place légitime au centre des Aldanonar.
Des millénaires plus tard, des théologiens débattront longuement sur le point de savoir si Loki avait ou non intentionnellement piqué Freyr en lui révélant l’ascendance d’Arauschnée qu’il ne connaissait sans doute pas. Freyr ayant combattu les titans ennemis de Ptah, apprendre qu’il hébergeait leur descendance à son insu ne pouvait en effet que l’agacer. Les lokistes affirment à l’inverse, non sans raison, que Loki s’est borné à fournir Freyr une information qu’il aurait dû connaître et qu’il lui a exactement et sincèrement prédit ce qui allait s’ensuivre.
Freyr et Gerda se rendirent chez leur fils dans son palais de Tùriondor où tous pouvaient entrer comme ils le voulaient. De ses fondations de pierre blanche s’élançaient des murs en bois d’essences variées, largement ajourés et percés de nombreux vitraux. Des troncs assemblés formaient des tours légères et graciles où nichaient des oiseaux. Des coupoles revêtues d’or ou de mithril reflétaient les lumières des cieux. A l’intérieur, une vaste cour en arcades autour d’un frêne blanc était semée de fleurs, de bassins et de buissons ; c’est là que Corellon aimait résider le plus souvent avec ses enfants et sa maîtresse. Tout autour, galeries et pièces succédaient aux patios et jardins. Les intérieurs étaient décorés d’émaux, de mosaïques, de tapisseries délicates, de lambris en marqueterie, de panneaux de pierres multicolores. On travaillait désormais au mobilier ainsi qu’à édifier des demeures avoisinantes en s’inspirant du palais.
Freyr et Gerda visitèrent ces somptuosités d’autant plus librement que personne ne les reconnut. Ils déambulèrent ainsi jusqu’à trouver Corellon en compagnie d’Arauschnée dans un des ateliers attenants à l’arrière du palais où ils contemplaient le travail de deux artisans elfes oeuvrant à un énorme cristal en forme d’octaèdre : le Toldäuril.
Corellon et Arauschnée se montrèrent fort réjouis de la visite du Maître d’Alfheim et de son épouse, malgré son caractère inopiné. Freyr leur dit qu’ils n’avaient été remarqués par personne. Arauschnée sourit en expliquant que Tùriondor hébergeait des Caraylië eux-mêmes enfants d’Aldanonar et que cette deuxième génération n’avait jamais vu Freyr ni Gerda qui n’étaient pas venus depuis fort longtemps.
Freyr demanda qu’était donc ce cristal qui semblant tant les intéresser. Arauschnée répondit avec enthousiasme qu’il s’agissait d’une gemme d’un seul bloc extrêmement pur qui serait bientôt apte à recevoir d’extraordinaires enchantements. Il pourrait ainsi recevoir la lumière, la force, la résistance, l’inspiration… Par exemple, ajouta-t-elle étourdiment, le Toldäuril pourrait prendre la lumière du soleil pour la restituer dans la pénombre ou la nuit et lui conférer le pouvoir de raffermir le coeur, le corps ou l’esprit de ceux qui la percevraient. C’était fort maladroit car Freyr commandait au soleil en Alfheim et même en Asgard : il conçut que le Toldäuril pourrait bien servir à le déposséder d’une parcelle de ce commandement et s’en trouva vexé.
Gerda sentit que son époux fulminait en son for intérieur et annonça elle-même que Faenya était de retour. Arauschnée en parut contente et dit que Faenya avait trop longtemps délaissé ceux qu’elle avait engendrés. « Elle doit reprendre sa place » précisa Gerda. « Assurément : elle a sa place parmi les dieux » opina Arauschnée qui commençait toutefois à sentir que la conversation se gâtait. Gerda se tourna alors vers Freyr d’un air interrogateur.
— La place de Faenya est près de mon fils, énonça-t-il lentement.
Arauschnée pâlit.
— Vous voulez dire : ici ? articula-t-elle.
— Où que ce soit, dit froidement Freyr. Ce palais m’indiffère.
— Il vous indiffère ? Mais ce palais a été édifié par Corellon et moi et les meilleurs de vos elfes, qui vous révèrent, seigneur Freyr ! Il abrite leurs familles, leurs enfants, nos enfants. Vos petits-enfants. Il montre l’étendue de ce que les Aldanonars, votre propre descendance, peuvent accomplir ! Cela ne vous rend-il pas content ?
La voix d’Arauschnée était montée si haut qu’elle avait alerté sa fille Eilistrae qui se trouvait dans une chambre voisine et se hâta d’aller voir ce qui se passait. Gerda prit la parole.
— Ces elfes d’ici ne vivent pas comme les autres Aldanonars. Ils ne vivent pas comme nous, comme moi. Nous les avons voulus libres, comme je suis moi-même libre et heureuse. Et avec vous, ils travaillent, reprocha-t-elle sèchement.
— Que vous chaut ? s’écria Arauschnée. Personne ne les y contraint, personne ne les y a forcés !
Elle s’adressa aux deux Caraylië qui avaient cessé de ciseler le Toldäuril en regardant avec une certaine épouvante ce qui paraissait être une dispute entre des dieux.
— Vous ! Vous ai-je jamais obligés à quoi que ce soit ? Etions-nous malheureux à réfléchir longtemps à la meilleure taille possible de ce caillou ? N’êtes-vous pas fiers de ce que vous avez accompli ? N’êtes vous pas libres d’oeuvrer, partir ou revenir dès que vous le voulez, comme et quand vous le voulez ?
Mais terrorisés et tétanisés par la scène à laquelle ils assistaient, les deux elfes n’osaient piper mot. Freyr laissa alors tomber ces paroles comme on prononce une condamnation.
— Arauschnée, fille de Shloroloth, d’ici sept jours tu auras quitté le lit et la compagnie de mon fils Corellon, soit qu’il s’en aille, soit que tu t’en ailles. Tu renonceras à sa présence à moins d’en avoir toi-même recueilli l’agrément de son épouse Faenya. Tes enfants suivront l’un ou l’autre de leurs parents, à leur gré. S’il en est ainsi, tu pourras rester en Alfheim. Sinon, tu seras chassée d’Alfheim. Quant à toi, Corellon, qui ne dit mot, tu iras proclamer à tous les Aldanonars que Faenya est ton épouse, ta seule épouse et la mère de tous les elfes.
Corellon bondit et allait répondre bien trop vivement à son père lorsqu’une voix narquoise le devança.
— Ah ouais ? Je suis elfe et ma mère est Arauschnée et personne d’autre. Et vous le savez d’autant mieux que vous êtes mes chers grands-parents, que je regrette de retrouver dans d’aussi mauvaises dispositions.
Freyr toisa sa petite-fille Elistraée restée sur le pas de la porte. Le seigneur d’Alfheim, l’ami d’Odin, l’inspirateur d’Asgard, l’élu de Manwë, le messager de Ptah, le destructeur de titans, l’ouvrier du Sceau de Ry’Leh supportait assez mal ces querelles de femmes. Il n’y voyait qu’affaires de coucheries et de filiation ayant dégénéré en une sorte d’énorme malséance indigne de lui et qu’il fallait terminer au plus vite avant qu’elle n’achève de l’exaspérer. Il parvint à se contenir et répondit, la voix vibrante de colère.
— Tu es elfe, en effet. Ton frère, ta sœur et toi sont les trois seuls elfes qui ne sont pas de Faenya. D’un côté trois, de l’autre des milliers. J’ai dit.
— Vous avez mal dit, ô grand-père. Car à vous entendre, une mère qui ne l’a jamais été et qui ne veut pas l’être devrait prendre la place de la vraie mère de vos propres petits-enfants. Quant à vous, ô ma grand-mère, puisque les elfes sont destinés à vivre libres en harmonie avec le monde, ne sont-ils donc pas ainsi libres d’agir sur ce monde où ils vivent ?
La blonde moustache de Freyr frémissait. Il réussit à conserver son calme mais sa fureur était si forte que le soleil en devint ardent au point d’enflammer le toit du Tùriondor. Il se tourna vers Corellon.
— Mon fils, je pars. L’insolence de ta fille et de ta maîtresse disent assez combien tu t’es fourvoyé. Si tu ne m’as pas rejoint demain à l’aube, alors la honte de tout cela portera sur toi une ombre éternelle.
Corellon était déchiré. Cette scène avait transformé son amour pour Arauschnée en une blessure béante et saignante. Quitter sa maîtresse, ses enfants, sa demeure, sa vie entière ? Renoncer au bonheur d’Arauschnée ? Pour la première fois, il éprouva une détestation envers ses parents. Car il ne pouvait éluder que la dispute survenue entre eux et Arauschnée, comme si lui-même n’était qu’un enjeu, révélait sa propre faiblesse. En quelques instants, le créateur des elfes avait réalisé que l’ascendant pris par Arauschnée ne portait pas seulement sur les Caraylië mais aussi sur lui-même. Ni elle ni sa fille n’avaient eu besoin de son avis pour expliquer à Freyr et Gerda leur façon de penser. Ainsi cette dispute, combinée à l’espérance nouvelle qu’il venait d’éprouver, avait-elle commencé de dissoudre le charme qu’exerçait en lui Arauschnée. Car il n’avait jamais cessé d’aimer Faenya et l’annonce de la possibilité d’enfin la retrouver l’avait saisi d’une joie qu’il avait voulu cacher à sa maîtresse.
Mais entre cette joie et la conscience attristée de l’ampleur du conflit auquel il venait d’assister se situait une intelligence qui donnait raison à Araushnée et Elistraée. Car il aimait aussi Araushnée, qui l’avait rendu heureux. Elle lui avait donné des enfants. Elle avait accompli des merveilles pour lui et avec lui. Elle avait mené les elfes dans une direction certes indépendante des habitudes des dieux mais non contraire à ceux-ci et qu’il estimait profondément juste. Les elfes n’étaient pas des dieux, ni des géants, ni des titans ; ils n’avaient pas été créés pour vivre à la manière d’autres êtres mais pour accomplir leurs propres destinées. C’est précisément cela qu’Arauschnée avait permis, en quoi les Caraylië l’avaient suivie.
Il finit par admettre qu’il n’y avait pas d’issue. Quelque soit sa décision, il en porterait la honte. Il restait seulement à choisir la moins pire. Or désobéir à Freyr et s’opposer à lui revenait à prendre le risque d’un conflit susceptible d’anéantir Alfsheim, dont son père demeurait le seul maître légitime qui n’accepterait jamais d’en être privé. C’eût été entraîner les elfes dans la scission, voire dans la guerre, et peut-être dans la fin. La mission confiée par Manwë ne pouvait se terminer ainsi. De même que Faenya lui avait sacrifié sa fertilité, de même Arauschnée allait lui sacrifier son amour. Et lui, Corellon, à chaque fois avec l’une et l’autre son bonheur.
Il aida les elfes à éteindre l’incendie du Tùriondor. Puis, alors que déclinait le jour, il annonça à Araushnée qu’il partirait à la nuit.
Le désespoir remplit Araushnée. Après l’affront du père, la trahison du fils ? Devant leurs enfants effrayés, elle reprocha amèrement à Corellon sa lâcheté dans un flot croissant d’insultes et de larmes. A un moment, devenue folle de rage, elle le renia et avec elle Vhaeraun renia son père. Elistraée et la petite Vandria pleuraient, la première tentant de réconforter la seconde. Corellon dit seulement que leur séparation préservait le destin des elfes et qu’il attendrait ses enfants. Puis il s’en alla, mais avant qu’il ne fusse parti la petite Vandria échappa aux bras d’Eilistraée et rejoignit son père, qui l’emmena avec lui dans la nuit.
Araushnée sombra dans la détresse pendant une semaine. Lorsqu’elle en émergea, une étrange lueur brillait dans son regard et sa voix avait changé, comme baissée d’un octave et bien plus coupante qu’elle ne l’avait jamais été. Elle était désormais habitée par Xiombarg 7, la Noire Duchesse créatrice des Abysses, vers laquelle la folie au fond de ses souffrances et de son désespoir l’avaient conduite. Elle la supplia de l’aider à se venger d’Alfsheim et de Corellon en conquérant l’un et l’autre. Elle promit de vastes portions de territoires à qui viendrait à ses côtés.
Xiombarg, ravie, accepta.
Quelques semaines plus tard, Thrym 8 et les géants glacés, Gruumsh et les orcs, Kurtulmak et les kobolds envahirent Alfsheim, aux côtés de plusieurs créatures démoniaques : dretchs, bebiliths, hezrous et autres succubes. L’Arauschnée que tous avaient connu avait à jamais disparu. La plupart des elfes se détournèrent d’elle mais beaucoup des Caraylië la suivirent, ulcérés par ce qu’ils tenaient pour un honteux abandon par Corellon et un injuste reniement par les Vanirs.
Seuls Goibhnie et Loki vinrent lui rendre visite afin de manifester leur sympathie. Goibhnie lui proposa de l’héberger avec sa famille si elle le souhaitait, ce qu’elle refusa. Loki lui recommanda de chercher la paix au plus vite, ce qu’elle refusa aussi. Il l’adjura de ne pas opposer les elfes aux elfes ; Arauschnée resta silencieuse, mais parut ébranlée. Cependant sa résolution persista. Alors Loki lui conseilla de viser Freyr en particulier, parce qu’il ne possédait plus l’épée Macilnar et qu’il incarnait la tête de ses ennemis. Sa meilleure chance de l’emporter consistait à détruire Freyr et chercher aussitôt la paix avec un Alfheim ainsi décapité. On lui saurait certainement gré d’avoir évité de nombreux morts en réduisant l’affaire à un conflit personnel. Elle répondit qu’elle entendait gagner la guerre, toute la guerre. Alors Loki prit congé en lui donnant rendez-vous aux Abysses.
Loki continua néanmoins de s’employer pour Arauschnée, qu’il aimait beaucoup. Il convainquit de rejoindre ses armées plusieurs clans de nains qui, ayant tiré avantage du commerce avec les Caraylië impulsé par Arauschnée, se trouvaient ainsi favorablement disposés envers elle. De retour en Asgard, il subtilisa à Thor le marteau Mjolnir qu’il remit à Thrym. Ainsi deux des meilleurs combattants, Thor et Freyr, seraient-ils privés de leur arme au cours de la guerre. Mais l’imbécile Thrym, au lieu d’exploiter la surprise de cette situation, crut pouvoir en tirer un avantage personnel en réclamant d’épouser Freyya en échange de la restitution du marteau. Il donna ainsi l’occasion à tous les Asirs, avec Tyr à leur tête et Freyr et Freyya à leur côté, de se réunir pour fondre sur les géants à la lisière du Jotunheim où Hel et Uller les encerclèrent. Thrym dut restituer le marteau en échange de sa survie.
En Aflheim, Ukko souffla un à un les démons alliés d’Arauschnée pour les renvoyer aux Abysses pendant que les créatures des forêts, ents, animaux et licornes sous la conduite de Pan et de Tapio, traquaient nains et kobolds qui ne résistèrent pas bien longtemps. Mais les orcs faisaient de terribles et endurants guerriers qui continuaient d’avancer malgré des hécatombes infligées par les Aldanonars. Arauschnée et Vhaeraun combattaient aux côtés de Gruumsh et de Baghtru et rien ne semblait pouvoir les arrêter.
Toutefois, Corellon et Faenya se trouvaient désormais à nouveau réunis. Car Freyr avait envoyé son meilleur écuyer, le messager auquel il devait sa maison : Skirnir, convaincre Faenya de pardonner à son époux et de l’aimer de nouveau. Et pour cela, Skirnir avait été béni par Freyya, avec qui il avait longtemps causé en compagnie d’Oghma des meilleures manières de révéler et expliquer à Faenya tout ce qui s’était passé. Puis Skirnir s’était rendu en Vanaheim où il avait parlé avec Faenya pendant douze jours et douze nuits. Et le matin suivant, il l’avait emmenée avec lui en Alfheim rejoindre Corellon qui l’attendait au milieu des elfes dans une clairière où elle fut longuement acclamée.
Cette réunion galvanisa les Aldanonars et une grande embuscade contre les orcs fut tendue à la faveur d’une épais brouillard dont Faenya enveloppa les forêts durant une nuit entière.
Au matin, les orcs furent tôt avertis de la présence d’une avant-garde ennemie. Ils s’avancèrent vers elle à dix contre un. Quatre cent elfes résistèrent à quatre mille orcs car les elfes combattaient autour de Diancecht le Guérisseur qui, tel un étincelant feu follet, allait à toute allure de l’un à l’autre fermer les blessures, soigner les coups, dissiper les fatigues. Finalement, Gruumsh et Baghtru décidèrent de se rendre eux-mêmes sur les lieux de la bataille afin d’en finir. C’est ce qu’attendait le reste des elfes perchés dans les arbres dont le feuillage les dissimulaient. Une pluie de flèches s’abattit sur les dieux orcs, décimant leur escorte pendant que Skirnir à la tête d’une cinquantaine d’Aldanonars descendait des arbres pour se ruer à leur encontre. Baghtru sourit, pensant qu’avec la soixantaine d’orcs restants autour de lui, il écraserait cette prétentieuse vermine. Mais Gruumsh, conscient que le tir soutenu d’archers toujours dissimulés représentait une menace sérieuse, souffla dans son cor afin d’appeler ses loups géants et leurs cavaliers à la rescousse. A la seconde où il cessa de souffler et reposa son cor, Corellon lâcha la flèche qu’il pointait sur lui. La flèche entra dans l’oeil gauche de Gruumsh qui hurla de douleur et tomba en se roulant par terre car il avait perdu toute vue. Cette chute le sauva pourtant car elle le masqua à Corellon qui ne pouvait plus l’ajuster avec son arc. Il se jeta donc au sol et courut, l’épée haute, achever son ennemi. Mais Baghtru avait entendu les hurlements de son père et s’était retourné ; il aperçut Corellon et se précipita à sa rencontre, lui barrant le chemin de son père. Le fils de Freyr affronta le fils de Gruumsh en s’efforçant d’éviter son énorme masse d’armes maniée avec une force amplement suffisante à l’occire d’un seul coup pendant que les archers elfes le lardaient de flèches. Corellon porta quelques touches qui firent saigner Baghtru mais à force de se fendre se trouva réduit à parer une violente frappe assenée sur le côté qui l’envoya valdinguer à dix mètres. Ralenti par les flèches et par ses blessures, Baghtru ne put arriver sur lui à temps pour l’empêcher de se relever et le duel continua. Peu après, Skirnir et son escouade mirent en déroute leurs adversaires et accoururent pour en finir avec Gruumsh. Mais au même moment surgirent des orcs cavaliers-loups, arrivant juste à temps pour s’emparer de Gruumsh et Baghtru avant de s’enfuir sous les flèches elfes. Corellon et Skirnir s’élancèrent inutilement à leur poursuite.
De loin, dans la forêt, leur parvint l’écho d’un chant. Elle chantait sans interruption, comme si, après s’être tue tant d’années, elle ne voulait plus s’arrêter de chanter.
« Je suis Faenya, des maisons d’Ukko et de Silvanus, fille du vent et des forêts. Et toi où es tu, sombre et violente Arauschnée ? Tu es dans les forêts et dans les vents. Tu es chez moi. Chez moi, dans le vent qui passe dans les arbres, chez moi. A la fin de tes rêves, au commencement de tes cauchemars. »
Et Arauschnée, infectée d’une haine qui lui donnait la force d’un géant, lui jetait des armes et des pierres et même des arbres en vain, des sortilèges de feu et de glace en vain, car Faenya évitait tout en dansant, en chantant, comme par jeu. Puis soudain, elle fondit sur Arauschnée tel un milan sur sa proie, tournoya sur elle-même pour éviter un éclair incendiaire, et cloua son ennemie au sol d’un coup d’épieu assené avec toute la force de son élan. Transpercée, Araushnée ne pouvait plus bouger. Vhaeraun se précipita alors sur Faenya pour protéger et venger sa mère mais au moment où il levait son épée sa cible disparut, en un coup de vent. Il sentit son parfum, se retourna et la trouva derrière lui. Elle lui prit le visage entre ses deux mains et le temps sembla s’arrêter tandis qu’elle lui murmurait : « petit Vhaeraun je ne te veux aucun mal, tu es le fils de mon aimé et tu es honorable en protégeant ta maman. Mais ose un geste contre moi et tous tes efforts seront détruits car c’est mon épieu qui transperce ta maman et je laisserai alors ta maman mourir. »
Vhaeraun entendit au dessus d’eux le vol des aigles d’Ukko tournoyant dans le ciel, si grands et si nombreux que leurs ombres obscurcissaient le jour dans la clairière où gisait Araushnée clouée parmi les cadavres des orcs qui l’avaient escortée. Il se souvint de leur surprise, quelques minutes plus tôt, lorsqu’aux premières notes chantées par Faenya les arbres s’étaient animés pour attraper les orcs et les écraser ou bien les soulever vers les serres des aigles qui les éventraient. Alors qu’il se ruait contre les ents, l’un d’eux avait traîtreusement opposé une énorme branche basse, lui assenant un coup en pleine poitrine d’une violence qui l’avait laissé sur les fesses, étourdi, le souffle coupé.
Il regarda sa mère, hoquetante, ensanglantée, embrochée par l’épieu enfoncé jusqu’à mi-manche dans le sol. Il entendit le bruissement de l’aigle qui descendait vers elle et le grincement de l’ent qui s’approchait. Il lâcha son épée.
Dans toutes les forêts les orcs, démoralisés par la mise hors de combat de leurs chefs, se débandaient. Alors s’abattirent sur eux les Valkyries envoyées par Freyya et Frigga qui en exterminèrent un nombre considérable. En quelques journées, Alfheim tout entier fut libéré. Les derniers orcs en déroute, suant la frayeur et la haine, furent faits prisonniers et emmenés.
⬦
Beaucoup d’elfes se réjouirent de la victoire mais plus encore furent affligés devant les terribles dégâts de la première guerre de leur histoire. Parmi ces derniers se trouvait Rilfaÿn, prostré devant une souche noircie. C’était le reste de l’arbre dont il était issu, qui avait été coupé et brûlé par les alliés d’Arauschnée. Partout les forêts portaient les stigmates des envahisseurs ayant abattu les troncs pour en faire des feux, des outils, des défenses, des abris ou des armes, parfois par seul amusement. En maints lieux, les doux et frais parfums des fleurs et des plantes avaient disparu sous les souillures des orcs et des kobolds. Le silence pesait sur d’innombrables ossements parfois éparpillés parfois entassés d’animaux et d’oiseaux massacrés. Des fumées sombres s’élevaient des bûchers où l’on avait commencé de brûler les cadavres des orcs et des kobolds et des nains ennemis. Ailleurs, pour la première fois, la terre d’Alfheim recevait des elfes morts.
Rilfaÿn songea qu’en redécouvrant Faenya, il avait contribué à enclencher le mécanisme ayant conduit à cette désolation et s’en sentit plein de honte. Alors il entreprit de réparer : d’enterrer les ossements et les souillures, de replanter les fleurs, de soigner et semer les arbres. Il appela Faenya pour lui demander d’intercéder auprès de Silvanus afin qu’il lui confère la force et le talent nécessaire à son entreprise. Faenya accepta et Silvanus le lui accorda.
De retour en Alfsheim, Freyr constata les ravages de la guerre mais en vétéran plus accoutumé que n’y étaient les elfes, s’en désola moins car ils payaient une victoire. Il retrouva Corellon et Faenya qui lui dit combien Rilfaÿn se considérait coupable des événements et s’employait sans relâche à en réparer les conséquences avec l’onction de Silvanus. Freyr en fut ému et résolut de converser avec Silvanus afin de rendre définitifs les pouvoirs qu’il avait conféré à Rilfaÿn.
Il restait cependant tous les Caraylië ralliés à Arauschnée, dont pas un n’avait combattu. Suivant le sage conseil de Loki, elle n’avait pas voulu que des elfes affrontassent d’autres elfes, moins encore aux côtés d’orcs ou de kobolds. Elle avait donc fait d’eux sa garde personnelle, son ultime défense, retranchée autour du Tùriondor où gouvernait Eilistraée en l’absence de sa mère et qu’ils entreprenaient aussi de réparer.
Devant le Tùriondor arrivèrent en premier Corellon, Faenya, Diancecht et Skirnir. Tenant Arauschnée et Vhaeraun prisonniers, ils s’avancèrent parmi les Caraylië dont les magnifiques armes et armures étincelaient sans avoir jamais servi. Ukko était trop fatigué pour rester ce jour parmi eux ; il quitterait bientôt Vanaheim et le plan d’Asgard pour demeurer dans le doux Paradis de Shurrock.
Eilistraée avait donné l’ordre de ne point tirer l’épée ni l’arc. Elle sortit du Tùriondor, regarda tristement sa mère, son frère puis son père, et déclara qu’elle considérait la guerre terminée.
Soit, répondit Diancecht : tirons en les conséquences et réparons les dégâts.
Vinrent ensuite Frigga, Freyr, Tyr, Uller, Mielikki et Loki pour délibérer du sort des vaincus. S’agissant d’Arauschnée, de Vhaeraun, et des orcs, certains penchaient pour le bannissement, d’autres pour l’exécution. S’agissant des Caraylië, on hésistait entre le bannissement et le pardon. Afin d’écourter les discussions, Frigga édicta que seuls Uller, Diancecht, Tyr et elle-même décideraient. A cet effet, elle convoqua une audience dans la grande cour du palais, où seule Eilistraée fut invitée à parler pour les accusés.
« Je ne vous demande que la vie et la liberté de ma mère et de mon frère, dit Eilistraée. O vous mon père, vous avez aimé Arauschnée, qui fut près de vous lorsque votre épouse ne pouvait point l’être. Vous avez connu ici des jours heureux, vous m’avez vue grandir parmi ces herbes et ces fleurs que voici sous la botte de gens armés. Dans ce palais qu’on édifia en votre honneur, vous et ma mère m’avez conté des histoires et chanté des berceuses. Qui, alors, y pensait à mal ? Ne pouvez-vous, ne serait-ce qu’au souvenir de ces beautés et de ces bontés, nous donner votre clémence ?
Haute Dame Faenya, point ne vous ai-je voulu de mal. Vous n’avez pas voulu le mal, moi non plus. Considérez que si vous aviez été en mesure de rester près de votre époux, comme vous voilà en ce jour à son côté, rien de tout cela ne serait arrivé et je ne serais pas même ici à vous supplier. Pour que naissent les elfes vous vous êtes sacrifiée deux fois, perdant votre fécondité, puis vos épousailles. Cette seconde perte réparée, faut-il en ajouter une troisième ? Croyez-vous que vos malheurs se répareront par le mien ? Je vous demande votre pitié.
Seigneur Freyr, vous êtes mon grand-père et mon roi et je fus pourtant irrespectueuse et insolente envers vous : je le déclare et je m’en repens, devant les dieux assemblés, devant votre maison réunie, devant les elfes qui vous doivent leur existence. Puissiez-vous un jour effacer de votre coeur les marques de ma sottise et mon indignité.
Vous tous, très hautes puissances, qui tenez entre vos mains le sort de ce monde qui importe bien plus que le mien, je vous supplie de pardonner à Arauschnée, à mon frère, et aux orcs. Il faut bien toute votre grandeur pour un tel pardon. Mais sans lui, vous ajouteriez de la profondeur et du temps au mal qui a déjà causé tant de peines. En arrivant ici le très sage Guérisseur Diancecht, qui me fait l’honneur de m’entendre, affirma que l’heure de la réparation avait sonné. Oui, noble Guérisseur : il nous faut à tous désormais guérir et réparer. On ne le peut sans pitié, ni sans clémence. Je vous supplie d’écouter la première et de choisir la seconde. »
Après ce discours, peu voulurent prendre le parti de l’accusation. Frigga constata que Diancecht avait ouvertement opiné, que Tyr semblait perplexe, que Corellon avait les larmes aux yeux. Elle dit doucement à Eilistrae : « nous sommes nombreux, ici, qui ont causé du tort ». Puis elle se retira avec Tyr, Uller et Diancecht, malgré les protestations de Mielikki et Freyr qui voulaient continuer à débattre.
Le lendemain, les dieux et tous les elfes s’assemblèrent devant et autour du Tùriondor avant que Tyr, monté au sommet de sa plus haute tour, prononce la sentence d’une voix grave que la brise d’Ukko porta sur Alfheim toute entière.
« Au nom d’Odin, de sa veuve notre mère Frigga régnante sur Asgard, moi, Tyr, leur fils aîné, déclare ce qu’avec Uller le Chasseur et Diancecht le Guérisseur nous avons résolu.
Pour avoir porté la guerre, la rébellion, et l’invasion en Alfsheim, Araushnée en sera éternellement bannie et avec elle ceux de son parti : Vhaeraun et Eilistraée. Ayant à cet effet employé des abominations démoniaques, elle sera rejetée aux Abysses, avec les orcs qui l’ont accompagnée.
Ceux des elfes dits Caraylië qui accepteront cette sentence resteront en Alfheim pour continuer à y vivre comme bon leur semblera dans le respect de ses lois et coutumes. Ceux qui la refuseront ou resteraient dans l’allégeance d’Araushnée s’en iront en dessous jusqu’à la contrée qui sera désormais nommée Svartalfheim ; car ceux-là qui se détourneront de Freyr ne seront plus jamais éclairés par lui.
Corellon ayant montré trop de faiblesses, il ne régnera plus sur les elfes d’Alfheim mais seulement sur ceux qui n’y sont point. Dorénavant et à jamais, Alfheim ainsi que ses elfes sont régis par Freyr.
Ainsi est dit et sera accompli. »
Aux derniers mots de la sentence les prisonniers, entravés faces aux portes du Tùriondor, virent qu’on en refermait les vantaux. Autour d’eux les dieux d’Asgard : Frigga, Ukko, Freyr, Freyya, Balder, Diancecht, Uller, Oghma, Pan, Corellon, Faenya, Loki et Mielikki s’apprêtaient à les emmener aux Abysses.
Alors Arauschnée se leva, demandant qu’on l’entende pour la dernière fois. Le silence se fit. Personne ne lui dénia la parole ; alors elle se tourna vers Freyr.
« Seigneur Freyr vous m’avez un jour jeté au visage le nom de Shloroloth qui m’a engendrée. Vrai, je suis fille du Chaos, fille d’ennemis que vous avez vaincus. Mais justement. Je suis pourtant venue à vous sans haine ni rancoeur. Car je pensais que vous, dieux d’Asgard, aviez raison ; que vous étiez le bien, le droit, le bon chemin. Et pour moi ce chemin était bien difficile à gravir car je ne viens pas du bon côté du cosmos, le vôtre, celui de Ptah, le côté des vainqueurs. Pourtant je suis venue vers vous, je vous ai admirés et aimés. Vos elfes je les ai aimés jusqu’à devenir l’une d’eux : qui donc peut en dire autant ? J’ai recueilli votre fils, que vous aviez laissé dans l’affliction sans son épouse stérile et négligente face à la tâche immense qui vous avait été confiée par Manwë lui-même et que vous aviez néanmoins refilée à votre enfant. Cette tâche, je l’ai accomplie à votre place, pas comme vous l’auriez fait, mais cela, justement, parce que vous ne l’avez pas fait. Votre Gerda bien fate, qui me méprise de toute son arrogance, n’est-elle pas elle aussi une réfugiée ici ? Or qu’a t-elle fait à part vous séduire, seigneur Freyr ? Elle vous a donné deux enfants ? je vous en ai donné trois. Et pour le reste elle s’est contentée de vaticiner dans les feuillages de vos jolies forêts quand j’apprenais à vos elfes à vivre avec leurs mains, à sculpter le monde en prévision de celui qu’ils devront un jour régenter comme Manwë vous en a donné l’instruction et comme Ptah s’y est engagé. Je n’ai volé votre Corellon à personne, pareil pour vos elfes. Corellon m’a aimée non pas parce que Freyya avait lancé sur lui quelque pichenette ensorceleuse mais par tout ce que j’ai fait pour lui, et pareil pour vos elfes. Mais rien n’y fait, n’est-ce pas. Aurais-je bâti dix palais, mis au monde cent de vos petits-enfants, aurais-je inspiré les plus grands artistes, instruit les plus géniaux savants, je resterais encore la titane intruse, l’étrangère malvenue, la salope jetable à la première occasion. Allons, je ne serai certainement pas la dernière à découvrir que la cruauté est le premier attribut des dieux. Mais l’ingratitude, O dieux d’Asgard… »
— Par mon divin foutre en voilà assez ! gueula Freyr. Assez, oui ! Vile Araushnée ! Quelle impudence ! Nous ne serions pas en train de rendre justice devant mes enfants et les tiens, je t’aurais déjà décapitée ! En tout cas, je ne te permets pas de parler de mon épouse devant moi. Ni des comptes que j’aurais à rendre au Seigneur Manwë – mais pour quoi te prends tu, en vérité ? Ni à me donner ton avis sur l’avenir des elfes, même pour sourire de ton ridicule. Les elfes sont de mon fils, à son image et à la mienne. Ils sont mes enfants. Tu as été parmi eux accueillie en mon royaume, où tu as pris leur apparence, ce que j’ai laissé faire car je n’ai pas voulu te penser sournoise. Mais personne ne t’a demandé d’apprendre à mes enfants le travail ou à bâtir des palais et tu l’as fait sans solliciter nulle permission. Tu as certes trouvé Corellon dans un moment de grande faiblesse, que tu savais causé par les nuits que Faenya et lui avaient passées à créer les elfes. Tu l’as réconforté, soit. Mais pas par abnégation ni par bonté, non : pour prendre la place de son épouse et te faire bien vite engrosser, tirant parti que celle-ci ne le pouvait plus. Tu n’as respecté ni le sacrifice de Faenya ni la faiblesse passagère de mon fils : tu en as profité. Aucun de nous n’aurait agi de la sorte et tu viens nous reprocher de voir en toi une intruse ? Quant aux achèvements dont tu te targues avec une prétention effarante, n’as-tu donc rien appris de tout ton temps passé en Alfheim ? Bientôt, les elfes d’ici partiront vers les terres qui les attendent. Et alors, en effet, ils devront connaître le travail et l’ouvrage. Ils devront bâtir des cités, construire des défenses, s’inquiéter et s’employer à œuvrer dans des mondes qui ne sont pas conçus pour eux. Mais pas ici. Alfheim est et restera le monde des elfes, fait pour les elfes, qu’il leur suffit d’accepter pour y être simplement heureux. Elle est l’exception leur offrant de vivre libres, sans contrainte d’aucune sorte hors le devoir de respecter ses essences et ses créatures. Elle doit rester ce qui les inspirera dans leurs mondes et vies futures, et non quelque répétition de ce qu’ils y deviendront. Vrai, pauvre Arauschnée, tu n’as rien compris. J’ai dit et tu ne diras ni ne seras désormais plus rien ici. »
Puis il regarda Ukko. Et Faenya, Mielikki et Frigga en firent autant. Uller se pencha sur l’épaule d’Oghma pour lui murmurer : « Vois-tu ami, si j’avais encore nourri quelque doute sur le châtiment à infliger à cette vilaine femelle, elle l’aura bien vite dissipé. »
Oghma ne lui répondit pas ; il regardait les dieux. Certains paraissaient offusqués, la plupart impassibles. Seul Loki affichait un léger sourire sans joie dans une expression à la fois triste et énigmatique.
Frigga adressa un léger signe de tête à Ukko. Celui-ci leva les mains, s’éleva dans les airs et de son souffle naquit un puissant tourbillon vers Arauschnée, Vhaeraun et Eilistraée, puis vers les orcs enchaînés avant de tous les emporter dans un grand bruissement de vent. Peut-être poussèrent-ils des cris de peur ou de stupeur qu’on n’entendit point dans le mugissement de la tempête qui recouvrait tout. Le tourbillon rejoignit le ciel devenu couvert de nuages gris fonçant à toute allure, où disparurent les silhouettes des condamnés. La tempête traversa les espaces, les plans et les mondes jusqu’au bord des Abysses, au dessus de l’Océan qui les traverse où elle abandonna ses captifs avant de se disperser.
⬦
Il y eut un banquet en Valaskjálf, le Palais d’Odin devenu celui de tous les Asirs, pour y fêter la victoire contre Arauschnée, Thrym, Gruumsh et leurs alliés, ainsi que le rétablissement d’Alfsheim sous la férule de Frey et les retrouvailles de Corellon et Faenya.
Mais malgré les réjouissances, les victuailles et les danses, Ukko conservait un air sombre. S’en apercevant, le gentil Balder vint lui demander si quelque chose le contrariait. Ukko marmonna quelque chose dans sa barbe grise et blanche. Voyant cela, Thor, quelque peu éméché, l’apostropha à très haute voix : « qu’as-tu donc, vieil ami, qui te fait ainsi bougonner dans ta barbe ? Parle donc ! Tu ne comptes ici que des amis. »
Alors le vieil Ukko se redressa pour dire fortement que les choses ne pouvaient demeurer ainsi, sur quoi tous les autres s’arrêtèrent de parler et la musique cessa. Ukko poursuivit d’une voix plus calme. Il déclara qu’il y avait eu trop de désordres dans la maison de Freyr et par contrecoup dans l’Asgard entier, ainsi qui l’avait montrée l’audacieuse tentative de Thrym et des géants. Frigga pouvait certes s’asseoir sur le trône d’Odin, ou Tyr ou Thor, mais Asgard avait été créée pour être placée sous la double conduite d’un dieu et d’une déesse. Or la Reine Frigga, aveuglée par ses tendresses maternelles, n’avait pas su éviter des désordres ayant entraîné de graves afflictions. Il fallait s’assurer qu’il n’en irait plus de même à l’avenir et pour cela rétablir le duumvirat originellement voulu par Odin. Il suggérait donc de conserver Asgard sous l’autorité de Frigga mais qu’aucune décision d’importance ne puisse être prise sans l’aval d’une autre puissance majeure.
— Telle Ukko ou Freyr ? compléta aussitôt Loki avec un mince sourire.
— Freyr a suffisamment à faire et suffisamment merdé avec Alfheim. Et ce ne sera certainement pas moi, car je ne serai bientôt plus en Vanaheim. Non, j’aurais plutôt pensé à Silvanus. Mais certainement pas à toi, Loki Odinson, dont je n’apprécie pas le sourire.
Frigga tenta d’esquiver en affirmant que tel n’était pas le sujet de leur réunion mais elle savait qu’Ukko n’avait pas tort : elle aurait dû mettre Freyr en garde lorsque l’étrange conduite d’Arauschnée était allée jusqu’à s’approprier le lit de son fils.
Ukko sentit la pensée de Frigga, qu’il respectait et ne voulait pas accabler : il se tut, mais Balder prit pour lui la parole.
— Loki, mon frère, n’as-tu pas l’impression d’avoir été dupé par Arauschnée dont tu as pourtant pris la défense ? Tu as entendu avec quelle outrecuidance elle s’est adressée à notre ami Freyr. N’a-t-elle donc pas mérité son châtiment ?
Avec un grand sourire, Loki leva les mains en signe de reddition.
— J’en conviens sans aucune réserve, dit-il. Arauschnée s’est montrée très impertinente envers le Maître d’Alfheim et sa famille. Elle a certainement mérité son sort.
— Et… eh bien voilà qui est bien dit, répondit Balder, tout étonné de trouver Loki si affable.
Thor vint assener quelques claques affectueuses sur les épaules de ses frères, les conversations reprirent, la musique réapparut.
Un peu plus tard, Ukko se leva, baisa la main de Frigga, et prit congé sous les saluts de l’assemblée. Près de la porte se trouvait Loki, assis, qui le vit arriver et lui sourit ; au moment où le Seigneur des Airs passait près de lui, il s’excusa en manière de plaisanterie de n’avoir point d’autre grimace que ce sourire qu’il n’appréciait pas. Ukko se tourna vers lui et d’un geste les enveloppa tous deux d’un nuage de fumée qui les dissimulait à la vue et à l’ouie. Puis il gronda : « Arrête donc tes saillies et grimaces, Odinson. Ca ne marche pas avec moi. Ne me prends pas pour tes frères. »
Le sourire de Loki disparut et il resta silencieux. Ukko reprit.
— La tirade d’Arauschnée après la sentence n’était pas destinée à Freyr. Je sais que tu le sais.
Le sourire de Loki répparut.
— Evidemment. Grand Ukko, c’est un plaisir que de converser avec une intelligence comme la vôtre.
— Je t’ai déjà dit que ça ne prend pas avec moi. Qui Arauschnée visait-elle ? Les Caraylië ?
— Bien sûr. Qui d’autre ? Elle n’allait pas en plus laisser ses vainqueurs écrire tranquillement leur histoire. Mais j’étais sincère, vous savez. La plupart des Asirs ne sont pas portés vers l’intellectualisme.
— Quelle est ta part là-dedans ? C’est toi qui l’a faite agir ainsi ?
Loki soupira.
— Nous y voilà. Le vilain Loki, encore et toujours. Tellement utile, ne trouvez-vous pas ? C’est en prêtant les plus noirs desseins à quelqu’un qui n’en nourrit pas qu’on fabrique les méchants. Croyez que j’en sais quelque chose.
— Tu n’as pas répondu à ma question.
— Rien ne m’y oblige, Grand Ukko. Mais je vais néanmoins le faire, car je vous crois de bonne foi. Si je comprends bien, vous me soupçonnez d’avoir été l’instigateur des méfaits d’Arauschnée tout en me prêtant assez de vanité pour vous le révéler sur simple demande. Vrai, je fus incliné vers Arauschnée et même ému par elle. Je crois en l’émancipation des êtres, fusse au détriment d’un joug divin. Arauschnée le croyait elle aussi, je l’ai donc soutenue. Mais, au risque de vous décevoir, mon rôle s’arrête là. Arauschnée n’a pas suivi mon conseil de ne point se rebeller. Et je ne suis bien sûr pour rien dans sa tirade d’adieu, d’où le vrai problème, comme vous l’avez compris.
— Elle nourrira haine et vengeance le temps qu’il faudra pour…
— Le temps qu’il faudra a été fixé par la propre sentence des dieux : éternellement. Eternellement Freyr se détournera de Svartalfheim. Il serait hypocrite de s’offusquer des conséquences de ce qu’on a soi-même proclamé. Pourtant, je vous avais prévenus. N’ai-je pas prêché la modération à l’assemblée de râleurs que vous aviez réunis chez vous ? N’ai-je pas mis en garde Freyr contre les dangers de l’exclusion et de la violence ? Autant pisser dans une viole. La Maison de Freyr a rendu Arauschnée ivre de rage contre elle après quoi l’ensemble des dieux d’Asgard a trouvé le moyen d’étendre cette rage à l’éternité et contre un plan tout entier. Enfin, pour faire bonne mesure, vous-même, Grand Ukko, avez envoyé Arauschnée exactement là où quelqu’un voulait qu’elle aille et où abondent par surcroît les ressources de la haine et de la vengeance. Hélas pour vous, ce quelqu’un n’est pas votre serviteur : navré de vous l’apprendre. Même moi, je n’aurais pas réussi à inventer de quoi parvenir à si beau résultat.
— La clémence t’est étrangère, Loki. Mais elle fut accordée à Eilistraée qui l’avait demandée.
Cette réponse effaca toute trace de sourire sur le visage de Loki.
— Belle clémence, en vérité ! Au fait, Eilistraée, ce n’est pas la petite-fille de Freyr ? Oh, merci Grand-Papa d’accepter de ne pas occire Maman ! Et tout ça pourquoi ? A cause d’un palais, dix bâtisses, mille ouvriers elfes ? Mais qu’a donc fait Arauschnée que vous n’auriez point fait vous-même ? Odin n’a-t-il pas édifié ici, en Asgard, douze temples et fabriqué des outils et des armes ? Regardez donc autour : la plaine d’Idavoll 4 n’est-elle point constellée de demeures, de forges, d’ateliers ?
— Elle a volé Corellon à…
— A Faenya, votre petite-fille, Grand Ukko. Vous en étiez d’ailleurs assez furax, dans mon souvenir. Et pour cela, il eût en effet été normal de la tuer, de préférence avant qu’elle ne contribue à la descendance de Freyr. Mais vous ne l’avez pas fait, ni avant ni après ses gosses, ni même après la guerre. Alors, en bon Vanir indemne de la niaiserie congénitale des Asirs, vous avez senti qu’il y avait là comme une boulette et vous avez espéré que ce soit ma faute, comme d’habitude. Vous deviez quand même être un peu désespéré pour venir m’entreprendre sur un tel sujet. Le Grand Ukko qui s’entretient avec le serpent Loki, le père de Fenrir, le rusé malfaisant… ah là là, vous n’en êtes pas tellement fier, n’est-ce pas ? Vite une petite fumée pour qu’on ne vous aperçoive pas en ma si mauvaise compagnie.
— Soit. Tu n’as rien à voir dans tout cela, je l’admets. En échange, épargne-moi la complainte du pauvre Loki.
Un inquiétant feu s’alluma dans les prunelles du fils d’Odin.
— Avez-vous des nouvelles du Seigneur Jumo, votre cher papa ? J’espère qu’il se porte bien dans ses tranquilles jardins d’Arda. Mon père est mort devant moi, alors que je combattais avec lui, alors que je le défendais face aux pires abominations qui existèrent ou existeront ; mais personne ne s’est réjoui que je ne tombe pas à son côté, que j’aie survécu en prenant la fuite. C’est pourtant ce qui m’a permis de revenir prendre puis rapporter sa dépouille afin qu’elle soit honorée. Et qu’a t’on pensé alors, malgré ma peine, pas moindre que celle de mes frères ? Comment se fait-il que tu aies survécu ? Ah, tu as pris la fuite : étais-tu donc blessé ? Par les couilles d’Arioch, c’était l’horreur Azathoth en face, elle avait pris possession de Fenrir, Odin lui-même n’a pas résisté ! Pourtant j’ai dû m’expliquer comme si j’avais frappé mon propre père dans le dos. Il a fallu que Thoth, lui-même, qui n’a rien à voir avec les Asirs, vienne affirmer que j’étais un héros et non un traître, un sage et non un lâche, pour qu’on me laisse en paix.
— Je ne t’ai jamais accusé de cela ni ne l’ai jamais pensé. Je sais ce que c’est qu’un Ancien, je l’ai vu moi-même.
— Oui. Et vous en avez vaincu. Vous êtes le plus respecté des Vanirs et aucun n’en est plus digne. Et c’est pourquoi je vous parle en franchise. Et pourquoi aussi, j’étais tout à l’heure sincère en suggérant que vous pourriez fort bien encadrer ma nigaude de mère dans les affaires d’Asgard.
— Ce n’est ni mon souhait, ni mon devoir. Mais tu ne crois quand même pas que je vais te recommander pour cela ?
Loki éclata de rire.
— A mon tour de vous répondre que je ne l’ai jamais pensé. Prenez moi pour un méchant si vous le voulez, mais non pour un benêt. Cela vous abaisserait plus que moi-même.
Ukko lui sourit.
— J’ai dit que je partirai bientôt.
— Grand bien vous fasse, Grand Ukko. Vous manquerez à Asgard.
– Le contraire me vexerait, répondit Ukko, tout en dispersant le nuage autour d’eux.
Quelque temps plus tard, Thor et Tyr prirent au côté de leur mère la conduite effective des destinées de l’Asgard.
Araushnée, avec les deux aînés de ses enfants et les orcs survivants, furent bannis aux Abysses. Elle y fut aussitôt récupérée par Xiombarg, l’insane Duchesse des Epées Noires, qui n’était pas alors établie avec Arioch dans le Pandesmos du Pandemonium mais s’amusait encore, au sens où une si terrible chose peut s’amuser, dans ces Abysses qu’elle avait créées. Xiombarg accorda que par une hideuse transformation, Araushnée disparaisse de corps comme d’esprit pour devenir l’arachnoïde qui prit le nom de Lolth. Eilistraée, qui espérait encore un pardon divin de l’Asgard sans avoir réalisé combien sa mère était déjà devenue la proie de la Noire Duchesse, en fut épouvantée et la quitta aussitôt.
Près de la moitié des Caraylië qui avaient formé l’ultime garde d’Araushnée demeura fidèle à leur reine-déesse. Ils choisirent l’exil dans le pays de Svartalfheim, où ils reçurent plusieurs de ses apparitions. Presque tous ceux qui firent ce choix n’étaient pas Aldanonars mais de générations ultérieures ayant grandi sous l’égide d’Arauschnée. Or Lolth sut ne révéler que lentement sa nouvelle forme arachnoïde, comme elle sut patiemment instiller ses poisons dans la société des elfes noirs privés de lumière. Petit à petit, année après année, la haine, la vengeance, la domination, la jalousie pénétrèrent leurs coeurs et leurs âmes abandonnés de leurs créateurs.
Kurtulmak réfléchit longtemps à ses erreurs et conclut que l’invasion des plans extérieurs n’était pas une bonne idée, en tout cas pas de cette manière. N’osant diriger son ressentiment vers des puissances aussi considérables que Lloth ou Xiombarg, il préféra conclure qu’il avait été dupé par d’hypocrites géants et qu’on ne l’y reprendrait plus. En outre, des terres vierges et matérielles seraient certainement mieux appropriées à l’expression du génie qui mènerait le peuple koboldique vers les suprématies grandioses auxquelles il était évidemment destiné 9.
Gruumsh devint le dieu borgne et modela son visage pour sembler n’avoir jamais eu qu’un seul œil. Baghtru et lui mirent longtemps à guérir de leurs blessures et vouèrent aux elfes une inextinguible haine ; mais ils apprirent aussi beaucoup de la guerre d’Alfheim. Gruumsh remit à Ilneval son domaine de Nishrek en Achéron et partit conquérir la strate de Krangath en Géhenne, qu’il confia ensuite à Baghtru. Plus tard, avec l’aide de Vhaeraun et de Grolantor, ex-géant du Jötunheim, il se taillera le royaume de Strovond dans la strate de Cathrys en Carceri, où il séjourne le plus souvent et où Grolantor a aussi son domaine. Personne n’a plus que lui conquis de terres dans les plans extérieurs, ce qu’il a pu accomplir en profitant des premiers temps de l’organisation décidée par Ptah (cf. Genèse II,13).
Adoptée par Faenya, élevée par elle et Corellon en Alfheim, Vandria est devenue déesse des Caraylië, de la fidélité, de la pierre, des ouvrages. Elle s’exprime peu et rarement, préférant les actes aux paroles. Elle est très appréciée de beaucoup de puissances : Goibhnie, Diancecht, Heimdall, Loki, Frigga, Balder, mais aussi Osiris ou Hadès sont de ses amis. Rilfaÿn est devenu son compagnon et Freyr a fait d’elle la princesse gardienne du Tùriondor. Le palais et ses demeures avoisinantes forment Quendirin, la ville des elfes d’Alfsheim. Tous les elfes peuvent venir, demeurer ou repartir du palais, redevenu magnifique. Des ouvriers y travaillent toujours au mystérieux Toldäuril, qu’on dit voué à un éternel inachèvement.
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Il advint que sonne la conque d’Hermès en Ellgebir, appelant les dieux à quitter cette terre afin de la laisser peupler par les elfes, les dragons, les animaux et autres créatures mortelles. Ce fut le signal que Corellon attendait de longtemps afin de racheter son inconduite. Il rassembla les elfes d’Alfheim et leur exposa la destinée qui les attendait : la responsabilité d’un monde entier. Toutefois, ils pourraient aussi choisir d’y renoncer et de demeurer en Alfheim, mais le nombre de ceux-là ne pourrait dépasser celui de dix-neuf mille six cent quatre-vingt trois.
Il y avait alors près de soixante mille elfes en Alfsheim, dont environ dix-sept mille Aldanonars et dix mille Caraylië originels ou descendants ou ayant adopté leur mode de vie.
Corellon interrogea tous les elfes par ordre d’âge, les plus anciens en premier. Une grande majorité d’Aldanonars choisit de rester en Alfheim tandis que la plupart des Caraylië, y compris les Aldanonars parmi eux, choisirent l’inverse. Le total de ceux voulant rester en Alfheim atteignit rapidement le maxima de dix-neuf mille six cent quatre-vingt trois. Corellon en fut un peu agacé ; il ne s’attendait pas à tant de frilosité chez les elfes et escomptait au contraire qu’ils préféreraient l’aventure offerte par de nouveaux mondes.
Ensuite, Corellon décrivit et proposa aux partants plusieurs destinations ; parmi elles l’Ellgebir, qu’environ quinze mille elfes choisirent. A ceux-là, afin qu’ils puissent accomplir leur destinée de gardiens du monde, Corellon insuffla la capacité de magie.
Mais beaucoup d’elfes objectèrent qu’ils n’avaient pas choisi de partir car la question ne leur avait pas été posée puisque le contingent de ceux restant en Alfsheim était complet. Il se déclarèrent nullement désireux d’accomplir une destinée de gardiens d’un monde, demandant seulement à poursuivre une existence libre, paisible et joyeuse dans les forêts. Ils se désignèrent comme les Umacilmërins, ceux qui n’ont pas choisi, et ils étaient de loin les plus nombreux parmi les partants.
La revendication des Umacilmërins instaura une scission avec d’autres elfes qui n’étaient pas d’accord avec eux, tels l’Aldanonar Meriamerain, connu pour ses talents de navigateur, la sage Alphanëa, disciple de Vandria, ou Dalmidrandil, l’un des tous premiers Caraylië. Pour ceux-là la destinée autant que la nature des elfes les vouait à porter dans un monde nouveau la beauté, l’harmonie et la musique des dieux. Leur voyage vers l’Ellgebir représentait une opportunité unique et extraordinaire dans l’histoire de l’univers, autant qu’une responsabilité confiée par les dieux eux-mêmes. Il leur paraissait non seulement hors de question mais encore lâche et stupide d’y renoncer.
Les esprits s’échauffèrent quelque peu avant que Corellon n’intervienne en s’adressant aux Umacilmërins : « Vrai, la plupart d’entre vous n’ont pas décidé de quitter Alfheim. Mais vous saviez que cela devait advenir car ainsi l’ont voulu ceux qui m’ont donné la tâche et la joie de vous créer. Mon devoir envers vous ne se termine pas avec votre départ, au contraire : il se renouvelle. Vrai, je ne serai plus à vos côtés chaque jour, mais je ne vous abandonnerai jamais, où que vous soyez. Je conçois l’injustice qui vous est faite, Umacilmërins : vous n’avez pas pu choisir votre destin mais seulement l’accepter. Mais ce destin n’est fait que de votre liberté. L’inspiration d’un monde entier vous est proposée, elle ne vous est pas imposée. Je ne vous contraindrai pas. Vous pourrez mener dans la seule ombre des forêts des existences éloignées du reste du monde si telle est votre volonté. Et quoi que vous décidiez de vos vies à venir, je reste votre père, qui vous aime dans la fidélité et l’éternité. »
Puis il les plongea tous dans un profond sommeil dénué de tout rêve et attendit que la force de Ptah l’investisse ; alors les elfes endormis quittèrent l’un après l’autre le monde d’Alfheim pour voguer sous la protection des dieux veillant entre les éthers et les espaces jusqu’à leurs lieux d’éveil.
Ainsi les elfes vinrent-ils en Ellgebir divisés en deux peuples : les Ainëquendis, qui se levèrent pour accomplir le destin voulu par les dieux, et les plus nombreux Umacilmërins qui furent bientôt appelés Aldaquendis, ceux qui ne vivent que parmi les arbres. Tous deux demeurèrent chéris de Corellon et révérents envers lui, mais leur scission fut longue et lente à être réparée et demeure encore vivace aujourd’hui.
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Depuis la naissance de Fyölnir, Gerda veillait tout particulièrement sur lui. Elle l’emmena séjourner en de nombreux endroits, par exemple en Jötunheim dans la maison de son père Gymir, en Idavoll et en divers lieux d’Asgard. Il reçut de longues leçons d’Oghma, d’Uller et surtout de Tyr.
Il apprit ainsi tous les talents nécessaires à devenir un grand roi et fut aussi préparé à devenir mortel au jour de son arrivée dans le plan matériel.
Mais celui qui était destiné à engendrer les hommes n’en avait pas l’exclusivité, loin de là. De mortels humains avaient tout autant que Fyölnir été procréés en Olympe ou en Egypte Céleste et, eux, par tribus entières prêtes à être emmenées en Ellgebir au premier son de la conque d’Hermès. En outre, si nombreux étaient les dieux des humains qu’aucun ne pouvait prétendre devenir envers eux ce que Corellon était aux elfes.
Néanmoins, il relevait alors de l’évidence pour les parents et mentors de Fyölnir que les autres humains le reconnnaîtraient pour guide et seigneur dès son apparition. Cette croyance procédait non d’une quelconque arrogance mais d’une sorte certitude aussi naïve que sincère de leur supériorité qu’ont parfois les êtres de Gladsheim.
Fyölnir voyagea seul et arriva seul sur la terre d’Ellgebir où il découvrit bien vite qu’il était tout sauf seul. Or les autres humains qu’il rencontra n’apparaissaient en rien disposés à le considérer comme un roi ou un fils de dieu, ni même à exercer une révérence particulière envers les Asirs, Vanirs ou autres puissances de Gladsheim. Certains révéraient même des divinités extravagantes, telles un serpent emplumé ou un simple chat. D’autres, encore plus bizarres, semblaient avoir tout oublié de leurs créateurs en ne vénérant qu’une étrange et austère triade où la destruction tenait le même rang que la création.
Toutefois, bien avant toute autre considération, la préoccupation essentielle de tous les humains consistait à assurer leur subsistance et leur survie. Ils se montraient craintifs et méfiants tant envers les elfes, qu’ils n’avaient jamais vus, qu’envers les dragons, dont l’apparence les effrayait.
Tout cela n’était pas du tout ce qui était prévu et Fyölnir ne sut que faire. Certes, il savait se débrouiller : chasser, pêcher, faire du feu, cueillir des fruits. Mais les autres humains, sans se montrer hostiles, ne s’avéraient guère accueillants et bien différents de ce qu’il en pensait. De certains il ne comprenait pas le langage et de la plupart il ne comprenait pas les réactions. Ainsi restait-il désespérément seul.
Il finit par se résoudre à appeler ses parents et ses dieux, qui demeurèrent sourds. Car tous les dieux d’Asgard avaient fait vœu que Fyölnir devenu mortel demeurerait libre et responsable de sa destinée. Ce voeu impliquait de ne point intervenir, afin de préserver la pureté de cette destinée, donc de ne point entendre ses appels.
Fyölnir avait un caractère calme pouvant aller jusqu’à l’inébranlable. Cela ne l’empêchait pas de se montrer joyeux et même farceur, aini que grand buveur quand les circonstances le permettaient. Mais malgré ses voyages avec Gerda, malgré la tendresse et l’attention de sa mère, malgré sa filiation avec le puissant Freyr, personne n’avait eu plus d’influence sur lui que le Juste et Sage Tyr.
Il ne pleura pas ni ne s’affligea, mais réfléchit. Ce qu’il constatait n’était que la manifestation de son destin en train de s’accomplir. Il ne devait pas s’y opposer ni fuir mais le maîtriser et vite, car désormais son existence avait un terme et le temps comptait.
Cessant d’appeler ses divins parents, il se mit à prier, comme le faisaient les humains qu’il avait observés. Il ne pouvait accomplir son destin sans épouse. Il ne pouvait engendrer sans femme. Or il ne voulait pas en voler ni violenter une. Il pria que lui vienne l’amour d’une femme. Alors Freyya entendit non point son appel mais sa prière et put ainsi venir à son secours.
La survenance de l’ineffable beauté qu’il avait pour tante réjouit Fjölnir. Il lui conta aussitôt ses étonnements et sa solitude. Freyya l’invita alors à marcher vers l’ouest où il trouverait femme parmi deux peuples humains entre lesquels il devait choisir. Le premier peuple était déjà allié de la maison de Freyr car ami des elfes grâce à l’entregent d’Alphanëa qui avait établi près d’eux sa résidence : on l’y accueillerait à bras ouverts. Le second peuple révérait déjà les dieux d’Asgard mais se méfiait profondément des elfes, qu’ils tenaient pour certes semblables mais injustement privilégiés par leur immortalité et leur dons magiques ; ce peuple leur préférait les nains ou même les dragons et serait sans doute moins enclin à honorer le frère du dieu des elfes.
Fyölnir ne réfléchit que pendant quelques minutes. Il déclara qu’il choisissait le second peuple. Freyya ne parut pas surprise mais lui demanda néanmoins pourquoi, car ce choix le contraindrait soit à s’éloigner de la maison de Freyr soit à en devenir le prêcheur afin de convaincre ses semblables. Fyölnir lui répondit qu’il était déjà fort éloigné de la maison de Freyr. Il était désormais un humain, qui devait penser et se comporter comme tel et non plus comme le fils ou frère d’un dieu des elfes. D’autre part, Tyr lui avait un jour expliqué que s’il hésitait entre deux options, mieux valait en général choisir la plus difficile. Alors Freyya lui sourit, le bénit, et lui montra la route qui l’amènerait chez les Variks.
Il y prit pour épouse Gersamée, libre damoiselle qui le voulut au premier regard. Elle n’avait aucune extraction de noblesse et vivait de l’élevage de brebis. Leur amour fut simple, immédiat, et inaltérable.
Les légendes firent plus tard de Fyölnir un roi mais ce n’est pas ce qu’il devint en réalité. Il fut le Vissdommer, le sage, le raisonné, l’avisé qu’on vient consulter. Il interrogeait, raisonnait en silence, parfois réfléchissait longuement, puis répondait toujours avec une grande douceur. Il employait une logique d’apparence simple, faite de pragmatisme, cherchant à équilibrer l’intérêt collectif et la liberté individuelle dans les grandes questions, maniant la justice et le respect dans les moins grandes. Il en alla ainsi tous les jours de toutes les années de sa vie. Sa réputation devint immense car tous les Variks, quelque soit leur rang ou condition, venaient prendre son conseil. Il est l’inspirateur de la tradition Varik d’un gouvernement de soi-même comme des sociétés par le bon sens, le pragmatisme, la justice et la coutume.
Il ne voulut ni palais ni même un manoir mais une simple maison avec de grands communs et caves car il aimait les animaux et les bons vins, hydromels ou bières. Sa femme et lui élevèrent néanmoins leurs enfants dans une certaine frugalité. Grâce à son ascendance divine, il vécut un temps extraordinaire : deux cent quarante trois ans 10, demeurant veuf après la mort de Gersamée. Les recueils d’enseignements ou jurisprudences qui lui sont attribués sont largement apocryphes et datent de plusieurs siècles, voire millénaires, après sa mort. Mais la sagesse du Vissdomer se répandit et inspira de nombreux peuples, notamment les Wejles, Alnoes, Kelnes et Maurims, les guidant dans leur développement initial de grandes civilisations de l’humanité.
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Au cours de ses venues en Ellgebir où, déesse de l’amour, elle se trouvait fort sollicitée, Freyya s’inquiéta de la profusion de créatures vouées à devenir rivales, s’éprouvant déjà maîtresses ou rebelles, qui lui paraissaient disposées à toutes formes d’agressivités les unes envers les autres. Elle apprit que Nephtys et Silvanus nourrissaient eux aussi des préoccupations semblables et entreprit d’en causer avec eux. Nephtys s’en était d’ailleurs ouverte auprès de sa nièce Bast, laquelle avait hérité de sa grand-mère Nout une partie de sa connaissance du temps. Or l’énigmatique déesse-chat lui avait fait pressentir que ses craintes étaient justifiées.
Au cours de cette conversation vint à Freyya l’idée de demander à la Valar Yavanna Kementari, qui avait en Arda créé les hobbits, la permission d’ajouter aux créatures d’Ellgebir ces doux et pacifiques demi-humains voués à une existence sage et heureuse. Freyya espérait que leur présence puisse adoucir les mœurs des uns et des autres afin de pallier ou amoindrir les risques que Nephtys avait entrevus dans l’avenir. Silvanus approuva cette idée en suggérant que Freyya demande à sa mère Idunn d’intercéder pour elle auprès de l’épouse de Manwë.
Idunn n’eut aucune peine à convaincre Yavanna. Celle-ci connaissait une Maïar appelée Yondalla qui avait été de ses servantes et ainsi veillé sur les premiers hobbits d’Arda et s’ennuyait quelque peu depuis lors. Yavanna la fit venir devant Idunn et elle pour lui faire part de la proposition de Freyya en lui offrant de la mettre en oeuvre. La perspective de devenir une déesse d’Ellgebir remplit Yondalla de joie. Alors Yavanna lui conféra le pouvoir de procréer les hobbits d’Ellgebir et de choisir son époux si elle le désirait.
Ainsi Yondalla vint dans le cosmos d’Ellgebir où elle choisit d’être fécondée de Silvanus, de Balder, de Goibhnie, de Hadès, de Bes et de Heimdall. Elle s’établit dans le troisième des Sept Paradis où elle engendra les hobbits qui demeurèrent plongés dans un sommeil préparatoire à leur grand voyage vers le Plan Matériel. Sept cent vingt-neuf hobbits traversèrent ensuite le cosmos sous la garde de leurs pères aidés de Freyya, Ukko, Nephtys et Isis avant de s’éveiller en Ellgebir comme auparavant les elfes et les humains.
Après quoi, sur le conseil de Freyya, Yondalla s’en alla visiter Fyölnir, qui était alors âgé et devenu veuf. Elle lui expliqua qui étaient ses enfant et lui dit qu’elle souhaitait que les humains les protègent, ce dont ils en recevraient en retour beaucoup de bienfaits. Elle était ainsi venue vers lui car de toutes les maisons des hommes, nulle n’était à cela plus qualifiée que celle issue de Freyr, qui avait déjà accompagnée les venues des elfes et des humains ici-bas. Elle ne formulait cependant qu’une demande au nom des enfants de Yavanna Kementari mais rien ne contraignait ni ne devait contraindre Fyölnir à l’accepter, bien au contraire : la tâche d’accompagner les hobbits ne pourrait profiter au monde que si elle était librement consentie et menée avec entrain.
Fyölnir réfléchit et pria Tyr, Freyya et Frigga durant une nuit entière. Puis il fit venir devant lui ses fils et fille Uder et Lanorel 11 pour leur exposer les propos de Yondalla. Il leur déclara que son père lui avait confié la tâche de conduire les humains, qu’il espérait avoir remplie de bonne manière, mais qu’il était désormais trop vieux pour mener à bien une autre mission. Comme Frey l’avait fait envers lui, il allait donc confier ce devoir à ses propres enfants : il incomberait à Uder et Lanorel de protéger et aider les hobbits avec la bénédiction de leur Mère-Matriarche Yondalla et celles de Silvanus, Balder, Goibhnie, Hadès, Bes et Heimdall, auxquelles il ne doutait pas que s’ajoutaient celles de Freyya, Frigga et Tyr. L’accumulation de si puissants patronages ne laissait guère de place à l’hésitation : Uder et Lanorel acceptèrent et s’ils purent alors éprouver quelque réticence intérieure, ils surent rapidement qu’ils ne regretteraient jamais leur choix.
L’élection par Yondalla de la maison de Fyölnir afin d’accompagner les hobbits dans le monde a grandement étonné et donné lieu à maints débats : pourquoi avoir confié les hobbits à la protection des humains alors qu’elfes et les dragons exerçaient déjà, par volonté divine, une telle mission pour le monde entier ? Cependant, les hobbits ont été conçus mortels : ce ne sont pas des elfes 12 ni des dragons ; ils n’ont pas vocation à vivre sous terre au contraire des nains ; ils réprouvent la violence au contraire des orcs : de toutes les races de la création, aucune n’est plus proche d’eux que les humains, auxquels ils ressemblent beaucoup en miniature. Et sans doute Bes et Yavalla avaient-ils deviné ou peut-être même vu dans l’avenir que la prédominance des elfes ou dragons ne serait pas éternelle et qu’un jour viendrait où le bas-monde serait principalement celui des hommes.
Uder et Lanorel protégèrent les hobbits. Ils les aidèrent à s’établir, à se défendre contre les dangers, à former de nouveaux peuplements. Chaque village hobbit vit le fils ou la fille de Fyölnir bâtir sa chaumière à proximité avant de s’en aller expliquer aux humains des alentours ce qu’ils avaient à apprendre et gagner de la proximité des petites gens. En effet, ces derniers se montraient des agriculteurs de grand talent. Ils surent apprivoiser les animaux, aménager et nourrir les sols, planter des arbres fruitiers, semer et moissonner les céréales, entretenir des fleurs, brasser la bière, confectionner des fromages, récolter du miel et surtout, surtout tailler soigneusement des gazons d’un vert irréprochable ; bien des humains apprirent ou s’améliorèrent de leurs exemples. Grâce à quoi les terres qui ne s’appelaient pas encore Derenworld se couvrirent de champs et de vergers, de pâtures et de potagers.
Uder et Lanorel vécurent toute leur vie près des hobbits, à leur manière paisible et fructueuse. Bénis de nombreux dieux, il ne leur arriva nul malheur. Ils passaient quelques saisons, parfois une année à tel village ou canton avant s’en aller visiter un autre. Ils parcoururent ainsi le monde entier. Ils furent les derniers descendants de Freyr à y accomplir la volonté des dieux d’Arda.
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1 — On rappellera qu’Arda est un parallèle (plan ou univers : la question est débattue) doté d’une cosmogonie et d’une théogonie différentes de celles du cosmos auquel appartient l’Ellgebir qui font l’objet de ce récit. ←
2 — Freyrhinn, « le cercle de Freyr », est le nom originel des forêts d’Asgard (ou Gladsheim) données à Freyr par Odin ; elles devinrent un monde qui fut appelé Alfheim à l’apparition des elfes.←
3 — Hastur est le plus brutal et le plus agressif des Grands Anciens. Abomination qui peut mesurer plus de 800 mètres de haut, il ambitionnait de régner sur les airs et la verticalité. Il est le meurtrier de plusieurs dieux dont Zeus. Si forte est son empreinte dans l’univers que le seul prononcé de son nom peut suffire à faire venir son avatar.←
4 — Idavoll est la plaine centrale du monde (non du plan) d’Asgard où Odin installa sa demeure, le Valaskjálf. Particulièrement fertile, elle est dite éternellement verte. ←
5 — Vanaheim est le monde des Vanirs au sein du plan d’Asgard. Il ne s’agit en général pas de la résidence d’où ces dieux exercent leurs pouvoirs ou régissent leurs domaines d’action (aujourd’hui, seuls parmi eux Oghma et Tapio, fils de Silvanus, y demeurent en permanence) mais du lieu où ils établirent leurs foyers lorsqu’ils arrivèrent dans l’univers depuis Arda. Ils le quittèrent ensuite au fur et à mesure de l’organisation de cet univers (ainsi que ce récit l’évoque au sujet de Straasha ou d’Ukko). Vanaheim sert à la plupart des Vanirs ou leurs descendances à se réunir ou se retrouver ensemble, un peu comme une villégiature. ←
6 — La mention si tôt dans la Geste de la Maison de Freyr de nains apparaissant suffisamment développés pour commercer d’emblée avec les elfes et leur fournir une assistance, a conduit à conjecturer que l’apparition de cette race serait en réalité antérieure à celle des elfes. Elle est plus probablement postérieures d’assez peu à la naissance des premiers Aldanonars. D’autre part, on estime que plusieurs siècles se sont écoulés entre cette naissance et les effets des incitations d’Arauschnée, ce qui a laissé aux nains le temps de développer leurs talents et métiers avant de collaborer avec ceux des elfes qui voulaient en faire autant. ←
7 — Arioch et Xiombarg sont deux des tous premiers êtres ayant existé, dits Enfants du Chaos. Il est généralement admis qu’ils seraient issus de la partition d’une entité inommée car dépourvue de conscience et en quelque sorte ainsi frère et sœur jumeaux.
Avec Kronos, Ptah, Bes et Nout ils sont les seuls survivants actifs des plus anciens temps de l’Univers. Bien qu’imprégnés du chaos originel, ils se rallièrent à Ptah et acceptèrent l’univers dépendant de l’écoulement linéaire du temps qu’il l’avait organisé.
La prégnance en eux du chaos originel en font les créatures intrinsèquement les plus puissantes de l’univers après Ptah. La création des Abysses par Xiombarg en est d’ailleurs l’illustration.
Tous deux sont aussi destructeurs que créateurs ; ils voudraient répandre dans l’univers un chaos dont ils seraient le sommet mais seul Arioch y travaille quelque peu, par épisodes. L’un et l’autre incarnant le pur chaos, ils sont extrêmement imprévisibles et leur comportement échappe souvent à l’entendement humain qui répute d’ailleurs Xiombarg à demi-folle. Arioch est davantage séducteur et vaniteux que sa sœur, mais aussi plus mesuré qu’elle. Leurs surnoms de Seigneur des Epées pour Arioch et de Noire Duchesse pour Xiombarg sont tardifs et proviennent de leurs cultes.
Après l’apparition des êtres mortels et du cycle des âmes, il a paru à Arioch et surtout à Xiombarg fort appréciable de se repaître d’âmes et de corps sacrifiés, y trouvant des mets alimentant leurs pouvoirs. Xiombarg s’est alors établie en Pandesmos, première strate du Pandemonium, où coule le Styx. Son appétit déplaît fortement aux gardiens du cycle des âmes, qu’il s’agisse d’Anubis, Hadès ou Charon chargé de veiller sur le Styx. ←
8 — Le géant Thrym s’impose par la force roi des géants (Jötunkonung) quasiment dès la création du Jötunheim ; il évolue d’une manière de plus en plus maléfique au fur et à mesure que ce monde s’emplit de nouveaux venus qu’il perçoit comme autant de rivaux. Il deviendra ainsi le dieu des seuls géants des glaces. ←
9 — Impressionnés par l’émergence de Gruumsh et des orcs, Dher’Hiisi et Dalk’Hiisi, frère et sœur descendants de titans, s’unirent pour engendrer les premiers gobelins.
Selon la théogonie koboldique, Kurtulmak fut le plus fort et le plus astucieux de ces premiers goblinoides et, convaincu de sa destinée supérieure, s’éloigna rapidement de ses congénères et géniteurs. Ses qualités envoûtèrent Tiamat qui lui envoya une dragonne verte afin qu’il s’accouple avec elle pour engendrer les kobolds. Il demeurerai depuis dans le Premier Cercle des Enfers.
Selon la théogonie gobeline, le plus fort et astucieux des premiers goblinoïdes était Maglubiyet qui mena une révolte contre les Seigneurs Diables Hiisis qui voulaient les réduire en esclavage perpétuel. Il tua Dher’Hiisi et Dalk’Hiisi avant de les dévorer avec ses compagnons pour devenir des dieux. Après quoi, pour éviter la vengeance des enfers et accomplir leur immense destinée, ils investirent les plans matériaux sauf le vil Kulturmak qui les trahit pour mener sa barque koboldique avec Tiamat.
L’intervention de Kurtulmak et des kobolds dans l’invasion d’Alfsheim constitue leur première apparition notable en tant que race agissante. Elle doit autant aux promesses et charmes de Xiombarg et Arauschnée qu’à la volonté qu’avait alors Kurtulmak d’inscrire les kobolds aux côtés de Gruumsh et Thrym dans une alliance multiraciale incluant toutes les tailles d’humanoïdes. Cette volonté s’avéra largement illusoire ; entamée par maints témoignages de mépris infligés aux kobolds par les orcs et géants, elle disparut dans la défaite.
Par la suite, comme beaucoup de créatures issues de divinités ou plans de la Loi (orcs, yuantis, gobelins…) nombre de kobolds furent séduits par le caractère apparemment libre et illimité des ressources de puissance offertes par les Abysses et se convertirent aux forces chaotiques.←
10 — Après la mort de Fyölnir, le dieu protecteur Anubis conduisit personnellement son âme en Niflheim, où passe le Styx, puis de là jusqu’en Midgard, le monde des hommes de Gladsheim, dont le fils de Freyr devint le premier seigneur. Depuis, les âmes des défunts choisies par les Valkyries vont en Valhalla, les autres en Midgard. Le geste d’Anubis acheva d’éteindre le souvenir des anciennes tensions entre les êtres de Gladsheim et les descendants de Ptah apparues au sujet des Norns et de la place de Gladsheim dans l’univers. ←
11 — Fyölnir et Gersamée eurent neuf enfants connus : Fjörd, Yngling, Gersande, Uder, Lanorel, Harik, Frodi, Roanna, Menya. De nombreuses maisons prétendent ou prétendaient en être issus. Par exemple, les rois variks se réclament encore aujourd’hui descendants d’Yngling, les rois wejles olaniques se réclamaient descendants de Roanna. ←
12 — Les elfes ne savaient pas – et sans doute Corellon non plus – qu’en arrivant en Ellgebir, leurs enfants qui y naîtraient ne seraient plus immortels. Leur vie se mesurerait certes en milliers d’années, mais les corps des êtres conçus dans ce monde relevaient désormais du grand cycle gouvernant tous êtres et choses, ordonné par Ptah et dont Hadès est le gardien. Cette ignorance et le désarroi qu’elle engendra, notamment chez les ex-Umacilmërins, explique selon les théologiens classiques le développement chez les humains de l’hérésie trithéiste, qui est basée sur ce cycle intégrant la mort.
Le constat de la perte de l’immortalité chez leurs enfants amena beaucoup d’Aldaquendis à privilégier Corellon en considérant le culte de Frey réservé aux immortels engendrés en Alfheim. A l’inverse, les Ainëquendis, qui avaient choisi ou accepté les conditions du Plan Matériel, continuèrent de tenir Frey pour leur dieu primal et le représentant de Manwë. C’est ce qui les conduisit à rechercher les Sindars pendant le Dragonlore et à accepter par la suite leur suprématie. ←
N.B. Cet article est mis en ligne dans les jours suivant l’incendie de Notre-Dame de Paris. Celui qui y figure a été rédigé antérieurement à ce drame.
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Merci pour cette nouvelle qui complète bien la genèse. J’ai enfin compris la différence entre les différents elfes et l’origine des Drows, le rôle de Loki et de Xionbarg dans tout ça.
Reste quelques mystères sur les nains et surout les gnomes.
Dès que j’ai de nouveau six mois de libres, je te promets de m’y atteler.
Merci !