L’alignement des joueurs

9 mars 2017 par Kazz → Non classé

Sean K. Reynolds n’est sans doute pas un inconnu des vieux et même des moins vieux donjonneurs. Designer historique chez TSR-WotC où il se spécialisa notamment sur les mondes, en particulier Greyhawk et Forgotten Realms, il fut ensuite recruté par Paizo pour devenir un élément essentiel dans le développement de Pathfinder. Il a longtemps publié un blog plaisamment intitulé « very opinionated d20 gaming » où il lui arrive un peu plus souvent qu’à d’autres auto entrepreneurs du JdR de parler d’autres choses que d’une énième édition ou addition de règles en vente par correspondance ou qu’on tente promouvoir par kickstarter.

Dans un article « Breakdown of RPG Players » paru sur ce blog en 2003, Sean Reynolds relate un sondage effectué en 1999 par WotC aux fins d’étude du marché des rôlistes qui lui a permis de définir deux axes fondamentaux à la base d’une sorte de classement des joueurs selon leur alignement sur ces axes.

L’axe Stratégie / Tactique discerne selon que l’intérêt du joueur se focalise sur les perspectives proches, voire immédiates, en temps comme en espace, ou l’inverse. Le plan d’invasion du 6 juin 1944 est stratégique, la prise du bunker dont les mitrailleuses arrosent les assaillants est tactique.

L’axe Combat / Histoire distingue selon que l’intérêt du joueur concerne davantage les systèmes de résolution de conflits ou davantage les interactions entre personnages et environnement spatiaux comme narratifs. « J’écoute à la porte, je l’ouvre, je charge » est centré sur le combat, « Cette porte arbore le signe de Malvena, nous devrions être en sécurité derrière » est centré sur l’histoire.

En établissant ensuite un graphique à l’aide de ces deux axes, Reynolds définit cinq profils de joueurs, dont on pourrait dire qu’ils définissent leur alignement un peu comme les déterminants éthiques et comportementaux des personnages définissent un même type de notion dans D&D et ses dérivés.

Grahique des quadrants de Reynolds

Le Penseur (Stratégie + Combat). Typiquement, un minimaxeur qui prend des heures à peaufiner un personnage qui délivrera un maximum de dommage avec un maximum de protection. Même si, poussée vers l’extrême, cette recherche d’efficacité aboutit à des résultats absurdes. Le penseur apprécie aussi la résolution d’énigmes et passe beaucoup de temps à noter scrupuleusement les faits et indices de l’aventure.

Le Bagarreur (Tactique + Combat). Le personnage lui est surtout un outil, parfois une simple extension du joueur lui-même, pour appréhender des expériences qu’il préfère intenses et pas trop prolongées. La disparition éventuelle de ce personnage n’est pas forcément un traumatisme car ce qui importe d’abord est de participer à un jeu où il s’agit de vaincre, fusse indépendamment d’une histoire qui n’en est que le support.

Le Comédien (Tactique + Histoire). Il aime jouer, au sens théâtral : moduler sa voix, ses attitudes, ses expressions pour mieux incarner les actes et dialogues de son personnage. Au contraire du bagarreur, il place le personnage au centre d’un jeu qui est d’abord l’expression d’un rôle. L’optimisation de ce personnage en termes d’efficacité passe après la cohérence de ses motivations et ses connaissances, et plus globalement après sa définition psychique.

Le Conteur (Stratégie + Histoire). Son truc, c’est le développement et la progression du scénario. Il lui faut un début, un milieu et une fin, amenant le développement du personnage en fonction des expériences ainsi proposées. Les règles du jeu sont relativement secondaires et peuvent au besoin être provisoirement annulées ou remaniées si elles amènent des incohérences ou anachronismes.

Le Complet (les 4 axes). Tout joueur qui ne privilégie pas substantiellement l’un ou l’autre des quatre directions des axes. Ce joueur réussit à trouver son intérêt ou son plaisir comme à être efficace dans à peu près toutes les situations ou propositions du jeu qu’elles soient tactiques ou stratégiques, narratives ou conflictuelles.

Reynolds affirme que selon le sondage de WotC, seul 12% des joueurs sont de type complet, les 88% restant se répartissant à peu près équitablement dans les quatre autres catégories. Admettons, même si l’estimation des complets me paraît un peu pessimiste. Reynolds précise toutefois bien que la population de chaque catégorie apprécie aussi les éléments du jeu préférés des autres.
Mais ce qui est plus intéressant, c’est que le même sondage tend à montrer que le jeu n’influe pas sur la typologie des joueurs : quelles que soient les règles, le mécanisme, le contexte, on retrouve à peu près les mêmes répartitions. Il y a autant de Conteurs à Star Wars qu’à AD&D, Call of Cthulhu ou Pathfinder, par exemple.
Voilà qui met à mal bien des théories sur la détermination des joueurs par l’effet des règles. Cela signifie, par exemple, qu’il y a aussi des bagarreurs dans CoC, que PF a intérêt à trouver de quoi séduire les conteurs et que AD&D est bien mal d’avoir trop négligé les penseurs. Les jeux de rôles passent, l’humain reste, et c’est finalement tant mieux car c’est bien la diversité des participants qui fait la richesse de ce jeu.

Je me suis amusé, juste amusé et rien de plus, à imaginer où situer sur le graphique de Reynolds quelques-uns des joueurs historiques m’ayant fait l’honneur de participer à des parties de D&D sur Derenworld, y compris votre très humble serviteur ; voici le résultat proposé.

 Alignement des joueurs de Derewnworld

En espérant n’avoir vexé personne 😉

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