Le Credo de Bakor

3 octobre 2016 par Kazz → Société

Les aventuriers se sont souvent étonnés des prix, de la rareté, et de l’inexistence de marché des objets magiques sur Derenworld. Ils l’ont parfois aussi été en constatant l’absence de recours à des moyens magiques qui représenteraient pourtant une solution rapide et efficace à bien des problèmes ou des difficultés. Cette réticence des sociétés humaines envers une magie qui leur a pourtant été offerte par le sacrifice d’Eremothep provient d’une conception partagée à peu près partout, profondément ancrée, qui est le produit de l’histoire du monde. Les principes fondant cette conception sont résumés par un texte appelé Credo de Bakor.


BakorLes préceptes et concepts connus sous le nom de Credo de Bakor sont une constante qu’on retrouve dans pratiquement toutes les sociétés humaines (et souvent non humaines) de Derenworld. Influencé principalement par le Trithéisme vizaner (on ne lui connaît pas d’auteur précis mais il a très probablement été compilé à Gwaliore avant d’être repris à Bakor) mais aussi par les religions vanyo-asgardiennes, en particulier Silvanus, Heimdall, Frigga, ce court texte synthétise une vision sociale de la magie qui s’est quasi-universellement imposée, via l’institution bakorane, après la conclusion de la All Wizards War en 4662.

Ce succès provient des souvenirs profondément ancrés dans toutes les populations, y compris non-humaines, des ravages causés par le Dragonlore, par Hornst puis par ses premiers puis ses seconds Héritiers, et plus généralement par les nombreux conflits et guerres dont les conséquences furent intensifiées par l’usage de la magie antérieurement à la Convention de Bakor. Il convient ici de se rappeler que bien avant les fléaux d’un Hornst ou d’un Keraptis, les premières écoles de magie humaine, dès la fondation d’Emer, ne sont pas assujetties à une éthique comme l’étaient Evlinn, la Deran Thil Magith, ou Ariacandre. De rare et réservée aux elfes, dragons, prêtres, l’usage d’une magie libérée par Eremothep s’est répandu plus souvent pour le pire que pour le meilleur, et pour le privilège de quelques-uns qui l’exercèrent souvent au détriment du plus grand nombre.

Le texte du Credo proprement dit, celui qui est reproduit ici, a été érigé en profession de foi par les Mages de la Roue de Bakor. Il y a été lu pour la première fois en public le 7 Cancer 4663 par le futur Bakoran Wizard Klarxen Siôo, alors âgé de 18 ans, l’un des premier jeunes impétrants mages admis à s’inscrire à l’école de Bakor, à qui l’on doit l’idée de procéder à cette déclaration. Il complète sur un plan éthique ce qu’édicte la Convention de Bakor en exprimant une vision plus philosophique et plus humaine aussi de ce qui l’a déterminée.

Ce credo n’est pas en lui-même contraignant. Il ne comporte pas de sanction ni de semonce. Il n’est même pas un « credo » au sens usuel en ce qu’il ne détermine ni n’exige pas de croyance.
Le texte originel s’appelle « Ethique des impétrants mages de l’école de Bakor ». Des bardes l’ont ensuite colporté et vulgarisé dans le monde entier sous le nom abrégé de Credo de Bakor. Il en existe plusieurs formes et dérivés, sa transmission étant bien davantage orale qu’écrite. Mais il demeure au fondement de l’opinion générale des sociétés humaines envers la magie dans pratiquement tout Derenworld, à l’exception notable de Dere. Il explique aussi nombre de comportements sociaux ou économiques étrangers voire opposés aux habitudes ou aux conceptions des aventuriers concernant la magie.


CREDO DE BAKOR

La magie est une contravention à l’ordre naturel du monde et son commerce une hérésie sociale. Ce commerce induit l’accroissement surnaturel de l’avantage de ceux qui peuvent se procurer l’usage de la magie au détriment des autres. Le recours à l’achat de magie, en biens ou en services, implique une volonté de tricher avec la réalité, avec l’ordre naturel des choses ordinaires, avec ce qui procède des cycles de vie et de mort, des lois physiques et matérielles qui s’appliquent à tous et sont le lot commun de tout ce qui est. La puissance qui l’achète, qu’elle soit politique, sociale, financière, morale, que ce soit par argent ou par faveur, ne peut que devenir intolérable si elle ne témoigne de mesure et de discrétion.

Le bon usage de la magie est à réserver pour se défendre des créatures qui l’ont innée ou pour des tâches ponctuelles, des ouvrages exceptionnels, des nécessités occasionnelles. Mais même alors, il ne faut jamais oublier que tout usage de magie provoque une rupture de l’égalité entre les choses et qu’il est susceptible de mettre en danger l’équilibre naturel du monde. Le recours au surnaturel doit donc toujours se limiter à l’intérêt personnel de celui qui l’utilise et à un dessein particulier. Il peut se justifier par des impératifs éthiques mais à condition que ses conséquences soient circonscrites en espace et en temps et n’entraînent jamais aucune forme de généralisation. En aucun cas et sous aucun prétexte, l’usage de la magie ne saurait entraîner un bouleversement durable ou important de l’ordre naturel ou social ni contrecarrer un tel bouleversement qui serait apparu indépendamment d’elle. La magie ne doit ni provoquer un feu de forêt, ni éteindre celui qui est apparu sans elle. Elle ne doit ni ressusciter le bon prince défunt, ni occire le mauvais prince vivant. Elle ne doit ni pourvoir aux récoltes, aux remèdes, aux enfantements, ni les empêcher.

La magie peut amuser ; elle peut émerveiller ; elle peut fasciner ; elle peut aider. Elle peut contribuer à sauver du danger, à remettre les choses dans le bon ordre et dans le bon chemin, à préserver ou accroître les libertés des gens, à construire la cité, à protéger le monde. Mais elle ne le fera qu’occasionnellement, par individus, et pour un temps, une ampleur et un dessein limités. Le bon mage connaît ces bornes et les respecte en toutes choses et tous temps, avec scrupules et avec discrétion.

 

Bien comprendre ce texte péremptoire implique de le replacer dans son contexte : celui d’un monde qui se remet des désastres produits par des mages conquérants ou désinvoltes, qui ont souvent supplanté les pouvoirs politiques traditionnels. Le but recherché par ce texte consiste à populariser l’idée que les mages eux-mêmes reconnaissent les excès du passé et acceptent de restreindre un usage de magie qui est alors très réprouvé. Il contribuera efficacement à la réinsertion des mages dans l’ordinaire des sociétés, en contrepartie d’une défiance fondamentale qui demeure encore aujourd’hui.

Le credo est celui de Bakor, non des autres écoles. Les mages Xionners s’en moquent ouvertement, les Darkanians le surnomment le Canon des Abjureurs, les Deranthils en acceptent le fond mais n’en supportent pas la lettre, les Emeriens font remarquer qu’il est quand même paradoxal de prendre une profession de foi de mages pour synthétiser la méfiance sociale contre ces mêmes mages.

Toutefois, les cinq siècles écoulés depuis sa composition initiale ont considérablement nuancé les préceptes du credo et leur effet sur les sociétés humaines. Le temps passant l’a replacé dans une perspective pragmatique où l’usage de la magie ne signifie pas forcément destructions sanguinaires. Ainsi, le commerce de la magie n’est ni prohibé ni considéré comme une activité délinquante. Le recours à un magicien n’est pas forcément le fait d’un vilain méchant ni la preuve qu’on cherche à rompre les équilibres de la nature. Il est admis que la magie est elle-même partie du monde où elle opère et non une infraction à celui-ci, suivant la nuance ariacander du credo qui s’est elle aussi largement imposée. Le mage a donc toute sa place, au sommet de l’Etat comme dans le village le plus reculé comme dans sa tour au fin fond d’une contrée sauvage. Toute sa place et rien qu’elle.

Car l’idée fondamentale du credo demeure profondément ancrée : tout usage exagéré de la magie, c’est à dire insuffisamment circonscrit en temps, en lieu, en but, est à proscrire. Employer la magie individuellement, ponctuellement et prudemment : soit. Répandre la magie, en faire un usage notoire et immodéré : ça non. Et le credo est là pour le rappeler. La rareté, la discrétion, et la cherté de la magie sur Derenworld viennent de ce qu’elle est toujours soupçonnée par une convention sociale devenue partie intégrante des moeurs des habitants de ce monde.

2 commentaires sur “Le Credo de Bakor

  1. La Convention est une loi et un outil de répression légitimant une éventuelle intervention coercitive. A cet effet, elle est complétée et mise en place par la Roue de Bakor, ayant elle-même occasionné l’Ecole de Magie éponyme, afin non seulement de mettre un terme à la AWW mais encore de punir toute infraction définie par la convention, qui serait de nature à permettre la réapparition d’un tel conflit.

    Le Credo dit de Bakor (encore une fois, Bakor n’en est pas à l’origine : un étudiant zélé a érigé ce texte, qui préexistait à l’Ecole, en profession de foi publique) est un résumé d’expression morale, non directement contraignante, qui reflète l’opinion générale qu’appuie la Convention et sur laquelle elle-même s’appuie. Si la Convention de Bakor, et sa Roue, avaient rencontré la réprobation générale, elles n’auraient pas tenu 5 siècles. Ce sur quoi elles reposent est aussi un consensus qu’exprime le credo.

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