Les brevet ranks, ou comment payer ses XPs

28 mars 2019 par Kazz → Règles
Le blog playingattheworld s’est plongé dans une histoire parfois minutieuse de D&D et notamment de celle de ses fiches de personnages. On peut ainsi y lire, à propos de celles parues en 1975 : « As an historical aside, several of these fan sheets mention « brevet ranks. » Brevet ranks were a common convention of the early days of Dungeons & Dragons that allowed a starting character to begin at a higher level, but the character then had to earn enough experience to reach that level before they could progress beyond it. »
Character Sheet 1975
Extrait d’une feuille de personnage parue en 1975

Il s’agit de la pratique bien connue consistant à octroyer à un personnage des niveaux temporaires en sus des siens afin qu’il puisse participer à une aventure qui n’est pas dimensionnée pour son niveau actuel. Un tel cas de figure n’est en effet pas rare, hier comme aujourd’hui.

Ce système s’avère ainsi très ancien dans l’histoire du jeu puisque figurant sur des fiches officielles de personnages de D&D produites à la demande de TSR en 1975. A l’évidence, il réfère aux « brevet ranks » des militaires anglo-saxons et américains qui consistent en un document permettant à un officier d’occuper temporairement un grade supérieur au sien. La reprise de cette dénomination au sein de D&D incite à penser que ce système, qui ne me semble pas avoir été repris par Gygax dans AD&D, provient de la filière Wesely – Arneson, le premier étant un militaire de carrière.

Cependant l’excellent Lewis Pulsipher, rôliste autant qu’historien et wargamer, l’a adapté en 1982 pour AD&D dans un intéressant article du White Dwarf (n°33, p. 26). Afin de pallier la progression non linéaire des paliers de niveaux, il y préconise une formule consistant à diviser les XPs gagnés au niveau temporaire par le plancher d’expérience de ce même niveau temporaire afin d’obtenir un pourcentage qu’on appliquera au plafond du niveau actuel du personnage pour ainsi obtenir les XPs réellement gagnés par lui (relire cette phrase calmement). L’idée de raisonner par pourcentage de niveau d’expérience au lieu d’un total de points s’avère évidemment et parfaitement juste, mais le système qui en résulte apparaît aussi un peu compliqué (même après relecture). Il s’avère par ailleurs typique de la conception britannique (Pulsipher est américain mais le White Dwarf est anglais) du jeu de rôle d’alors, fondée sur la progression lente, le réalisme situationnel, l’interprétation rigoureuse des règles.
En effet, Pulsipher rejette la formule qu’il qualifie de basique et qui consisterait en la division du niveau réel par celui breveté puis la multiplication par le coefficient ainsi obtenu des points d’expérience gagnés. Pas que ça lui paraisse (seulement) simpliste mais il considère qu’un tel calcul favorise exagérément le personnage de niveau inférieur qui ne « mérite » en réalité pas le gain ainsi procuré par les points d’expérience acquis au niveau où on l’a temporairement breveté.
C’est là que je disconviens.

Certes Pulsipher a raison aux plans scientifique et mécanique. Son système est à cet égard d’une irréprochable exactitude. Mais le jeu de rôle n’est pas en premier une affaire arithmétique ou mécanique : c’est d’abord une activité ludique produite par des interactions humaines. Par conséquent, si un groupe de joueurs a envie de jouer avec ses personnages du 9e niveau qu’ils ont montés jusque là, et que Tartempion a envie de les rejoindre mais n’a pas de personnage supérieur au 4e niveau, et que les autres ont eux aussi envie que Tartempion les rejoigne, la seule vraie question n’est pas l’imposition ou l’irrespect d’une Sainte Bible Gygaxienne mais qu’ils puissent jouer au mieux et au plus vite comme ils en ont envie. La légitimité du jeu ne vient en effet pas d’une règle qu’ils ont payé avec leur argent mais d’abord de leur plaisir de jouer ensemble.

Donc, quitte à faire sauter le cher Pulsipher au plafond, je conserve ma règle qu’il trouverait certainement encore plus scandaleuse que celle qu’il écarte et que je rappelle ici.
Tant que le personnage n’a pas « payé ses XPs », c’est à dire atteint un total de points d’expérience égal ou supérieur au seuil du niveau temporaire qui lui a été octroyé, il ne peut progresser au-delà de ce niveau ; il peut aussi revenir au gré de son joueur à son niveau initial.
Payer ses XPs consiste à ajouter à son total de points d’expérience ceux gagnés au cours d’aventures se déroulant à son niveau temporaire qui sont modifiés comme suit :
Différentiel de 1 niveau entre le niveau réel et celui breveté : gain d’XPs x 90 % ; de 2 à 3 niveaux : gain x 50 % ; de 4 à 6 niveaux : gain x 25 % ; de 7+ niveaux : gain x 10 %.
Et si les joueurs veulent tous qu’on aille plus vite, on peut aussi s’arranger.
Cela est certainement moins juste que la mécanique parue dans le White Dwarf ; mais je le crois plus conforme à l’esprit de l’antique D&D où entre bidouillages et inventions on se marrait quand même bien.

Dragon Magazine 17

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