La Loi en tant que principe est un absolu advenu par le Lien de Kronos fixant le cours uniforme du temps (cf. Genèse). Ce principe est un absolu universel (le temps régit tout), aussi bien matériel (par exemple : le principe d’Archimède), qu’abstrait (par exemple arithmétique : 2+2 =4).
Le Chaos est lui aussi un absolu en ce qu’il se définit par rapport à la Loi. C’est un absolu à la fois anté-Loi (provenant d’un l’état de l’univers antérieur au lien de Kronos) et anti-Loi en ce qu’il s’oppose à elle (il existe des déterminants qui résistent irréductiblement à une définition et une explication par la seule Loi, tel le désir).
Dans les temps de la Genèse, l’opposition Loi / Chaos était simple et totale : elle se bornait à l’acceptation ou au rejet du Lien de Kronos. Pour schématiser, elle opposait les Grands Anciens au reste de l’Univers. Dès lors qu’on acceptait ce Lien, on faisait partie de la Loi, quelque soit son comportement par ailleurs. C’est ce qui a par exemple permis la conservation des Abysses créées par Xiombarg, elle-même entièrement chaotique à la seule exception de son acceptation du Lien de Kronos.
Le caractère absolu et suprême de cette opposition rendait alors inutile tout besoin d’une définition du mal ou du bien. Un tel besoin n’est apparu qu’au cours et ensuite des victoires successives du principe de la Loi organisatrice de l’univers par Ptah, notamment après le scellement de Ry’Leh, et notamment par l’émergence des Enfers dont les caractéristiques, bien que participant du principe de la Loi, s’avérèrent vite inacceptables par la plupart des dieux.
Il est alors apparu que la Loi pouvait s’avérer à la fois insuffisante et dangereuse.
Insuffisante parce que si l’absolu de la Loi est nécessaire et efficient s’agissant du temps, de la matérialité ou de la mathématique, il ne peut que devenir relatif s’agissant de régir les êtres vivants, ou sinon absurde.
Dangereuse parce qu’elle ne peut représenter qu’un moyen et non une finalité dès lors qu’elle s’applique au-delà des principes fondamentaux régulant de l’Univers. La loi peut donc s’avérer injuste, par exemple en profitant à quelques-uns au détriment du plus grand nombre, ou stupide, par exemple en créant plus de dommage qu’elle n’apporte de bénéfice.
Ce type de constat fit graduellement émerger la nécessité d’une opposition différente à celle de la Loi au Chaos : l’opposition d’un Bien au Mal, apparue d’abord chez Râ et Thoth, puis chez Isis, Osiris, Balder, Freyya et Tyr. Cette opposition est à la source de la notion d’éthique.
La définition raïque du Bien en tant qu’opposition au Mal comporte trois critères :
– la fin ne peut justifier les moyens ;
– il est nécessaire d’éviter de causer du dommage à autrui ou au monde ;
– il est répréhensible de ne pas s’y conformer en conscience ou en s’abstrayant d’en avoir conscience.
Cela signifie qu’on est responsable de ses actions et que leur finalité doit donc être examinée au regard de leurs déterminants et de leurs conséquences sur autrui et sur le contexte. Ces conséquences doivent être justifiées par d’autres considérations que le seul intérêt personnel ou ce dernier doit sinon être proportionné ou compensé. Faute de quoi, on peut reprocher à quelqu’un de commettre un mal ainsi défini de façon volontaire ou d’une manière telle qu’il ne peut l’ignorer.
A la différence de l’absolu Loi / Chaos, l’opposition Bien / Mal est relative. Elle dépend des sociétés et des normes morales particulières qu’elles adoptent. Ainsi ce que Freyya va définir comme bon, bien, ou juste ne recoupe pas nécessairement ce qu’en définit Osiris. Cependant, la plupart de ces ensembles de normes, appelées éthiques, tendent à déborder de leur relativité pour essayer de devenir universelles. Cette tendance les conduit à enfler en se confrontant à des situations sans cesse plus variées et donc complexes, ce qui entraîne une démultiplication des sujets de divergences. Une éthique peut donc être combattue au nom d’une autre, d’où la relativité de cette notion.
Néanmoins l’éthique est conçue pour incarner la pierre angulaire d’une organisation sociale, à commencer par celles des dieux. En effet, elle est basée sur l’analyse des conséquences sur autrui des actions d’un sujet. Elle implique donc la conscience d’autrui et par la-même la société. Elle représente d’autre part une sorte de loi minimale dans sa définition raïque, qui est considérée par les chaotiques qui l’admettent, en d’autres termes : les « bons », comme le maxima normatif que l’on peut accepter de subir d’une société.
L’apparition de la norme éthique définie par Râ, parfois appelée éthique minimale, est à l’origine de grands bouleversements dans les rapports inter-divinités car elle va être employée par une grand nombre de dieux pour critiquer ou récuser le comportement d’autres dieux.
Ainsi, les dieux d’essence directement chaotique, tels Arioch et Xiombarg, ou d’ascendance titanide, tels Thrym ou Tlaloc, vont s’estimer naturellement en dehors de l’éthique minimale de Râ ou à tout le moins exonérés d’elle. Ces dieux restent radicalement indifférents et imperméables à cette éthique qui leur apparaît au mieux comme un ensemble de grotesques fadaises, au pire comme un instrument oppressif.
Cependant certains dieux qui ne récusaient pas l’éthique en tant que telle vont néanmoins se découvrir exclus car caractérisés par comme mauvais par cette norme : c’est notamment le cas de Hadès, Set, Hecate, Hel, Loki, Arès, comme aussi de Kurtulmak, Gruumsh ou Sekolah 1, entre autres. Ces dieux ne se considèrent pourtant pas eux-mêmes maléfiques et tiennent que ce sont les autres dieux « du Bien » qui choisissent de les désigner comme tels. Ils ne considèrent pas que leurs doctrines ou actes soient répréhensibles, ils n’estiment pas « frauder » une quelconque interdiction ; tout au contraire, ils considèrent qu’ils agissent légitimement et souvent plus intelligemment ou justement que ceux qui leur font des reproches.
Pourtant, si cette stigmatisation laissa de marbre Hel ou Arès, d’autres en souffrirent intimement, en particulier Set et Hecate. Cette dernière a toujours récusé la qualification de maléfique et, comme Hadès et Loki, rejette amèrement sur le camp du « Bien » la cause des comportements qu’on lui reproche. Loki pointa le paradoxe d’une éthique qui, en procédant par stigmatisation et catégorisation, aboutit de fait à enraciner et finalement favoriser les comportements qu’elle réprouve. Quant à Hadès, qui incarne à ses propres yeux le plus important dieu de l’univers, c’est par une sorte de provocation qu’il emploie à dessein les moyens du mal, tant il s’estime naturellement au dessus de ces contingences.
Les dieux dits « neutres » admettent l’importance d’une éthique mais lui dénient toute valeur absolue. Bes, Hermès ou Oghma professent que la différence n’est pas forcément l’opposition qui n’est pas forcément l’antagonisme qui n’est pas forcément le bellicisme. Selon eux, l’éthique consiste essentiellement dans ce qu’on en fait et interprète. Hormis la question du Lien de Kronos, tout s’apprécie de façon relative ; l’éthique n’est donc pas un système suffisant par lui-même mais on peut admettre qu’il est nécessaire à la constitution d’une société.
Enfin les dieux dits « bons » respectent et observent une éthique qui peut différer de celles d’autres dieux sur des aspects secondaires mais qui partage le socle défini par Râ.
Les bouleversements issus de l’apparition de l’éthique ont conduit à des détestations inter-divines et des luttes souvent intenses, dont les fondements demeurent intacts. Les inimitiés et belligérances qui en résultent supplantent toutes autres. Le conflit entre Bien et Mal est ainsi devenu une donnée primordiale, permanente et conflictuelle de l’univers aussi bien divin que matériel.
A l’inverse, l’opposition entre Loi et Chaos s’avère bien davantage intellectuelle et pacifique parce que considérée comme structurante de l’univers. Pratiquement tout chaotique admet la nécessité d’un minimum de loi, ne serait-ce que celle du Lien de Kronos, et réciproquement. Seuls les maléfiques des deux camps considèrent cette opposition nécessairement conflictuelle et c’est précisément ce qui les caractérise comme maléfiques.
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1 — Divinités respectivement tutélaires des kobolds, orcs, sahuagins. ↑