Les Enfers – II : les neuf cercles

9 décembre 2021 par Kazz → Cultes

Vu l’importance prise par ce matériau, il s’est avéré nécessaire de scinder la 2e partie (initialement : description et histoire des Enfers) de cette série en deux articles séparés. Celui-ci est ainsi consacré à la description de Baator une fois devenu les Enfers, avec une partie des histoires propres à chaque cercle.
Pour des raisons tenant à la cohérence du récit, les neuf cercles : Avernus, Dis, Minauros, Phlegetos, Stygia, Malbolge, Maladomini, Cania et Nessus ne seront pas abordés dans cet ordre mais dans celui correspondant à la logique narrative qu’implique l’historique des Enfers.

Il convient de garder à l’esprit que souffrance et torture sont partout aux Enfers : il est donc inutile et deviendrait vite redondant de le décrire dans chaque description. On s’est donc plutôt attaché aux spécificités de chaque cercle. Or quelques-unes de ces spécificités locales peuvent inclure des atténuations du principe commun de souffrance post-mortem et d’oppression diabolique. On rappellera donc que ce principe reste une généralité constante et que ses atténuations demeurent très exceptionnelles.


Aux portes des enfers
habitent les soucis et les regrets amers 

et des remords rongeurs l’escorte vengeresse…
Virgile, Eneide VI – trad. Delille

Structure des Enfers

Les Enfers sont divisés en neuf strates, appelées cercles. Celles-ci sont organisées à l’image sethiste d’une pyramide ou d’une ziggourat : une superposition allant du plus étendu (Avernus) au plus restreint (Nessus) entourée d’une couverture (appelée « coque ») qui structure, protège et isole l’ensemble. Par convention le point le plus « bas »  est le neuvième cercle et le plus haut le premier (les notions de haut et bas n’y ont toutefois pas de véritable sens matériel : celles de proche et éloigné seraient plus appropriées).
Il n’existe qu’un seul accès d’un cercle à l’autre aussi bien physiquement que magiquement, dont la localisation est généralement tenue secrète. Le Styx traverse d’autre part certaines strates mais le voyage sur ce dernier est sous l’égide et la volonté de Charon.

L’arrivée aux Enfers s’effectue donc presque toujours par Avernus. Hormis Phlegetos, il est impossible d’entrer dans un cercle autrement que par l’unique accès à un cercle adjacent, sauf un miracle divin ou un sort de wish ou de très rares artifacts. Sauf par ce dernier moyen, une créature chaotique ne peut jamais franchir la coque. Seuls certains princes et archiducs savent comment se téléporter d’un cercle à n’importe quel autre en en utilisant les accès comme s’ils étaient en enfilade.

Ce modèle reflète la conception générale des Enfers qui est celle d’une prison. Le cloisonnement de chaque cercle inférieur au premier constitue autant une protection contre des menaces extérieures qu’un enfermement de ceux qui s’y trouvent. Pour cette raison, tout créature qui meurt aux Enfers y demeure post-mortem corps et âme.
Cependant les Enfers partagent une structure commune : leur « coque », protectrice contre l’extérieur et également conductrice de principes magiques atteignant l’intégralité du plan de Baator. Cette conductivité est déterminante dans l’unification de processus rituels ou magiques particuliers aux Enfers et qui fonctionnent à l’identique dans les neuf cercles.

Les Enfers sont parcourus par trois fleuves primordiaux : le Styx, le Phlegeton, et le Cocyte. Le Styx a un rôle universel qui échappe aux seuls Enfers. En revanche les deux autres leurs sont particuliers. Le Cocyte est le fleuve des larmes qui commence en Malbolge et aboutit en Nessus. Le Phlegeton est composé de deux parties : dans sa section d’amont, en Avernus, il est appelé proto-Phlegeton et c’est alors le fleuve du sang des morts ; il devient en aval, dans le cercle de Phlegetos, le pyro-Phlegeton, fleuve où ce sang produit un feu inextinguible qui brûle sans consumer ceux qui y sont plongés. Enfin, le Léthé ne passe aux Enfers que dans le seul cercle de Nessus.

En général et sauf indication contraire, les Enfers ne sont pas éclairés autrement que par une clarté lunaire permanente.

Les Terrasses du Désespoir, G.Doré, Hall d’Ariacandre, Ariacandre.

Les Enfers au commencement 

Le Pacte Primeval entraîna la désuétude de nom de Baator, plan depuis lors communément appelé les Enfers afin de souligner l’infériorité morale qui y est attachée.
La concession faite par les dieux à Asmodeus déclencha la décision par Isis de déplacer immédiatement la Balance d’Anubis dans l’Acheronode et de la modifier pour la rendre universelle afin d’ôter aux infernaux toute possibilité de trier les âmes. Ptah et étrangement Hecate aussi appuyèrent cette idée que Set accepta donc sans demander quoi que ce soit en échange.

Asmodeus fut célébré par les archons déchus comme le chef incontesté qui avait obtenu l’émancipation de ceux qu’on appellerait bientôt les diables, du mot olympien « diaballô », qui signifie accusateur, initialement employé par Hecate pour les désigner après leur transformation. Il promit de les établir tous dans le plan de Baator dont il avait obtenu la concession par les dieux en échange d’un serment d’allégeance préalable que tous lui prêtèrent. Alors ils les mena à l’endroit d’Avernus où les attendait Hecate.

Dans un laboratoire-atelier spécialement aménagé par elle, la déesse transforma l’un après l’autre les ex-archons puis les Nephilims en grands diables, créatures capables de détruire des âmes pour en extraire et utiliser magie et pouvoir. Il est communément admis qu’elle en choisit cinq ou six pour son service personnel mais seule la haute prêtresse Charvodelle a révélé en faire partie.
On ignore le nombre exact de ces diables « initiaux » mais ils étaient peu nombreux, certainement moins de mille, sans doute autour de neuf cents. C’est bien faible pour défendre les Enfers mais Hecate et Set leur procurèrent le surpuissant renfort de Tiamat, mère des dragons.

A la demande de Set, Hecate imposa Tiamat et Geryon pour défendre les Enfers et accessoirement surveiller le très habile Asmodeus. Ce dernier ne s’en offusqua pas, du moins pas en apparence, d’autant qu’il n’avait pas les moyens d’une offuscation ; il accepta au contraire avec reconnaissance les alliés que le généreux Set et la puissante Hecate lui offraient. Tiamat, Geryon, Astaroth et bien évidemment Hecate étaient assurément les bienvenus dans les Enfers et choisiraient quels cercles ils entendaient s’attribuer. Il lui suffisait des six autres dont le neuvième, qu’il entendait se réserver personnellement.

Les trois cercles distribués par Set et Hecate

I – AVERNUS

Avernus, le premier et le plus étendu des cercles des Enfers ainsi que leur porte d’entrée et par conséquent leur clef, devint le royaume de Tiamat, fille de Set. Pendant longtemps Hecate et Cerbère veillèrent sur elle et sa descendance autant qu’à la protection des Enfers. Tiamat y prépara les plans d’une révolution confiée à sa lignée qui, avec l’aide des elfes noirs, bouleverseraient l’Ellgebir sous le nom du Dragonlore.

Avernus est le plus vaste des neuf cercles. Les abishais, natifs du lieu, ainsi que les amnizus le long du Styx et encore les armées d’orthons et buerozas y abondent, formant la « milice » ou la première ligne de défense. Il comporte plusieurs emplacements particuliers : les Terrasses du Désespoir, qui sont l’un des deux seuls territoires de tous les Enfers échappant à l’emprise infernale, la Couronne de Tiamat, et les ruines de Darkspine. Le reste est concrètement un champ de bataille et d’entraînement militaire plongé dans une pénombre que déchirent d’incessantes boules de feu venues du ciel noir.
Le terrain est émaillé de collines et monticules où sont creusés des cavernes qui abritent troupes officielles, habitants locaux, et aussi que les Réprouvés (Outcasts), diables déchus de leurs titres et pouvoirs mais qui sont condamnés à demeurer aux enfers et dont la seule utilité est de servir de tampon en cas d’invasion démoniaque.

Quasiment au centre d’Avernus se trouve la Couronne de Tiamat, chaîne de montagnes acérées au-dessus de laquelle toute chose volante ou tombante entre dans le contrôle de la reine des dragons. Celle-ci y demeure au coeur de son palais-forteresse d’Azharul hérissé de cinq tours en têtes de dragon, entourée de nuées d’abishais. Le palais apparent sur Avernus n’est que la partie visible depuis l’extérieur d’une immense poche extra-dimensionnelle où la mère des dragons a enfoui ses trésors jalousement gardés par ses serviteurs favoris.

L’entrée terrestre du palais d’Azharul, pratiquée au niveau du sol dans le flanc de la montagne, est bloquée par le Maggot Pit (Trou aux Asticots), vaste cavité emplies de vers qui digèrent les âmes et dont les sécrétions produisent les lemures. C’est là qu’est dirigé le tout-venant des âmes, généralement celles d’êtres et créatures ordinaires ayant échoué dans la Balance d’Anubis, afin d’être détruites pour produire les bases de l’effectif diabolique. Cette sinistre bauge est ce qui reste, ou qu’est devenu, l’atelier-laboratoire où Hecate transforma les ex-archons et les Nephilims en diables. Il se situait initialement à une dizaine de lieues de son endroit actuel.
L’emplacement du Maggot Pit signifie l’inaccessibilité du palais de Tiamat aux créatures non volantes et sans déplacements magiques. C’est une conséquence de la défection des linnorms infernaux 1.

Ces linnorms sont les premiers dragons issus de Tiamat et de Set (ou, selon d’autres versions, de l’un de ses fils Geryon ou Astaroth). Ces créatures serpentines ont la particularité d’être dépourvues d’ailes et généralement monocéphales.
Tiamat fut fort déçue de l’apparence de ces premiers rejetons qui, en plus, se revendiquaient d’une ascendance paternelle divine à l’égal d’elle-même. Lors des premières attaques de démons réussissant à entrer en Avernus au cours de la Blood War, deux mariliths sentirent une dissension entre Tiamat et ses enfants qui n’obéissaient que très imparfaitement à ses commandements. Ils la rapportèrent à Graz’zt qui leur ordonna de creuser l’affaire afin d’affaiblir l’ennemi. Les deux agentes démoniaques réussirent ensuite à s’infiltrer en Avernus où elles firent miroiter à plusieurs linnorms les libertés offertes par l’univers en général et les Abysses en particulier. La plupart des linnorms quittèrent alors les enfers et furent reniés par Set comme par Tiamat et réciproquement. Pour marquer sa fureur et celle de Set, Tiamat obtint d’Hecate qu’elle transfère le Maggot Pit devant l’entrée de son palais afin de symboliser que seuls les dragons ailés y sont les bienvenus.
On peut cependant noter que des millénaires ont passé et qu’aujourd’hui la plupart des linnorms infernaux se sont en fin de compte réconciliés avec Tiamat.

Sous terre et à proximité de la Couronne de Tiamat s’étend le royaume divin de Draukari, le paradis des kobolds.
Tiamat ne s’est jamais déprise d’une tenace tendresse pour ces créatures draconiques, quelque soient leurs errements, à l’instar de son père Set envers les yuan-tis. Par un acte de véritable générosité, elle a tenu à aménager pour Kurtulmak un territoire refuge où lui et les kobolds seraient à l’abri, un peu comme Set le fit en Acheron. Tiamat s’y employa sans compter, requérant Hecate qui, par amitié et sachant qu’elle ferait ainsi de Tiamat et des kobolds ses débiteurs, accepta de l’aider.
Draukari est un complexe souterrain où le sang sourd en permanence des murs, alimentant les kobolds qui y sont donc au paradis. A cette fin, le vaste champ de bataille qu’est Avernus sert à aspirer et purifier le sang qui y coule vers Draukari avec au besoin le complément du proto-Phlegeton. Les études d’Iliokè qui transformèrent Minas Sercë en Blood Tower en servant de l’Iauwish auraient été inspirées de ce travail réalisé par Hecate sur Avernus à la demande de Tiamat.

Reine des Dragons, Archiduchesse infernale, Seigneur d’Avernus et Gardienne de la Porte des Enfers, Tiamat fut capitale dans la défense des Enfers des temps initiaux, lorsque leur faible population diabolique les rendaient dangereusement vulnérables. Avec les premiers dragons et les premiers diables combattants et aussi le soutien initial d’Hecate, elle maintint la sécurité d’Avernus malgré d’innombrables raids démoniaques en payant de sa personne. Pour cette raison, elle incarne une célébrité des Enfers où son prestige est inaltérable et ne se compare qu’à celui d’Asmodeus.
Elle resta très longtemps très proche de Set. Ce n’est qu’avec la multiplication des dragons chromatiques dont le culte l’érigea en  déesse de fait qu’elle s’en différencia, plutôt par mégalomanie que par volonté d’éloignement, mais leurs relations sont restées excellentes. Ce qui changea profondément Tiamat fut la Dévolution par les dieux de l’Ellgebir aux elfes et aux dragons métalliques : elle en conçut une jalousie dévorante qui allait la conduire à accepter des accointances avec des puissances démoniaques comme Lolth et finalement au Dragonlore.
Son rôle factuel de déesse draconique l’a ensuite de plus en plus occupée et intéressée, affaiblissant par contrecoup son intérêt pour une Blood War à laquelle son intervention personnelle s’avérait de moins en moins nécessaire à mesure que les légions infernales se renforçaient. Cela conduisit Asmodeus, qui la détestait secrètement depuis toujours, à craindre qu’elle ne finisse par concevoir Avernus comme son propre domaine plutôt que comme la porte d’arrivée et le premier rempart des Enfers. Au final il réussit à trouver le prétexte nécessaire à lui retirer la titularité de la seigneurie d’Avernus où elle fut remplacée par son favori, le duc Zariel, co-concepteur des boules de feu d’Avernus, auquel succéda récemment le duc Bel.

Elle passe le plus clair de son temps au centre d’Azharul en s’adonnant généralement à la magie et au sexe. Son appétit tant sexuel qu’alimentaire est légendaire. Mais elle est également passionnée par la magie et a une sincère révérence pour Hecate. Et bien sûr, elle se considère déesse des dragons.

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C’est en Avernus que le Styx pénètre dans les enfers depuis Acheron, émergeant de la bouche sombre d’un tunnel dans une colline pelée. La célèbre inscription « Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate » (« Laissez toute espérance, vous qui entrez ») n’y figure pas. Elle est inscrite à titre d’avertissement sur les portes qui mènent en Avernus. Une fois qu’on y est, cet avertissement n’a plus de pertinence.

Le Styx ne traverse pas Avernus : il n’y fait qu’une boucle au mitan de laquelle s’étendent les Rives ou Terrasses du Désespoir (Shelves of Despond) aménagées sur la rive externe de la courbe du fleuve. En ce lieu sinistre les âmes destinées aux Enfers sont débarquées sous l’autorité d’amnizus avant d’être disposées sur des sortes de grandes terrasses en étages dont la juxtaposition ressdemble à un vaste amphithéâtre ouvert. Chaque terrasse, entourée de grilles, correspond à un contingent ayant une destination particulière. Les âmes sont triées selon un processus complexe selon qu’elles sont errantes, maudites ou damnées, la teneur et l’intensité des péchés, le degré de volonté et la durée de l’intention malveillante, les règles d’attribution propres aux Enfers et le stock dévolu à chaque cercle (au moins 5% des âmes). La majorité d’entre elles est ensuite emmenée sa destination particulière, les autres sont réacheminées vers Dité ; elles réembarquent donc sur le Styx qui ressort ensuite d’Avernus et réapparaît dans le cercle de Stygia, qu’il traverse jusqu’à Dité.

Les Terrasses sont un lieu d’échange placé sous la protection d’Hecate, Anubis, Hel, Hadès et Charon, qui est seulement administré par les infernaux. Chacune de ces divinités y possède un temple situé sur la rive interne du fleuve, face aux Terrasses. Le plus célèbre et aussi le plus élégant est le temple rond de Cerbère où Hecate et son animal favori viennent parfois en visite et surviennent toujours en cas de menace sur les Terrasses, qui sont ainsi épargnées par la Blood War. Les plus fréquentés sont le temple du Sphinx d’Anubis (Templum Sphinxae Anubissi ) dirigé par le Vicaire Filipidis et la Cabalistique Cabane de Charon, où se reposent ses bateliers. Les grandes dimensions du Hall de Hel, qui n’abrite plus guère aujourd’hui que sa statue, rappellent qu’Avernus fut sa demeure. Le temple de Hadès héberge quelques daemons et des voyageurs placés sous la protection du dieu. Le contraste est fort entre la rive interne qui apparaît paisible voire désertée par rapport à la rive des Terrasses qui grouille de l’activité de diables affairés au milieu des âmes éplorées.

Seuls deux types d’erreurs peuvent extraire une âme des Terrasses. D’une part celles titulaires d’un pacte infernal qui contiendrait une erreur ou n’aurait pas été exécuté peuvent se voir admises à contester leur sort devant le Tribunal des Terrasses, présidé alternativement par les Juges Rhadamante et Eaque, qui décidera de leur requête. Rhadamante et Eaque sont des Olympiens descendants de Zeus que Hecate a imposé aux temps où elle régnait de fait sur Avernus.
Pour les autres, le sphinx Fidipilis dit le Providentiel, Vicaire d’Anubis aux Terrasses d’Avernus, incarne le dernier espoir des celles qui n’auraient pas fait l’objet d’une malédiction par leur divinité. Fidipilis est en effet chargé de détecter d’éventuelles erreurs commises par la Balance et de récupérer leurs victimes. A cet effet, il est capable d’entendre et discerner parmi les plaintes, protestations et suppliques des réprouvés, celles qui contiennent une vérité suffisamment forte pour remettre en question leur dépôt aux Enfers. Il peut alors en appeler à Thoth pour enquêter sur cette vérité et connaître son étendue. S’il estime qu’une erreur a été commise, il a alors le pouvoir de requérir Rhadamante ou Eaque afin de remettre l’âme à Charon et de la faire conduire par lui jusqu’à Hadès.

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L’énorme majorité du reste d’Avernus n’est qu’un vaste champ de bataille, frappé d’incessantes boules de feu, où se dessèchent les restes des diables et démons qui y ont combattu. Sur la plupart de sa surface il est devenu impossible de discerner si tel caillou provient d’un rocher ou du bris de la corne d’un diable ou démon. Le cercle est entouré de montagnes déchiquetées qui forment une sorte de première enceinte. Le reste est ondulant et accidenté, composé de collines hérissées de pointes rocheuses, d’étroits vallons servant de bunkers, d’habitats souterrains aux accès dissimulés.

La fonction principale d’Avernus étant de servir de première défense des Enfers, ce cercle héberge les huit Légions Infernales (une par cercle sauf celui de Nessus) dont le premier noyau fut formé par les Déchus de l’ex-archon Samyaza. Le chef des Dark Eight, comme on les surnomme, est le Vicomte-Maréchal Baalzephon, aujourd’hui seul survivant des huit premiers commandants et seul à porter ce titre, qui commande la Légion de Stygia.
La redoute des Dark Eight est une forteresse aux trois-quarts souterraine surmontée d’un simple mais immense dôme métallique de couleur anthracite aux propriétés antimagiques. Ce dôme recouvre une vaste halle où s’assemblent les troupes et un temple à la façade austère qui est dédié à Arès. Elle sert de caserne et de poste de commandement. Il est généralement admis que ses huit commandants sont les véritables maîtres d’Avernus.

La citadelle de Bronze est la capitale d’Avernus et la résidence de son Seigneur, aujourd’hui le duc Bel. Elle est composée de quatorze remparts concentriques hérissés d’engins d’artillerie magique. La cour centrale est protégée par un dôme du même métal la redoute des Dark Eight. Elle contient le centre névralgique des opérations de la Blood War, l’état-major des armées infernales, l’administration militaire et civile d’Avernus. Outre le duc Bel, chaque commandant des Dark Eight y a ses quartiers personnels.

On trouve aussi en Avernus l’étrange Cité Chue de Darskpine, aspirée par la porte infernale permanente qui y avait été ouverte du temps où elle se situait dans le plan de Concordant Opposition. Ce portail magique avait été créé par Hecate afin de faciliter ses travaux aux Enfers et donnait à cet effet sur plusieurs autres portails vers divers plan matériels qu’elle avait également construits aux fins d’obtenir plus aisément composants et matérieaux. Cette activité donna lieu à l’apparition d’une petite ville apparue autour des portails, placée sous l’égide de la déesse et initialement peuplée de serviteurs, d’agents ou de prestataires. Mais avec le temps, ses habitants prirent graduellement coutume de privilégier leur propre commerce des facultés extraordinaires offertes par les portails, allant jusqu’à proposer aux voyageurs, marchands ou aventuriers, une connexion directe vers les Enfers. Ce glissement impie finit par mécontenter le clergé hecatien local qui signala la chose à la déesse avant de déserter Darkspine en toute hâte. Le lendemain, Hecate polarisait et surchargeait d’énergie son portail, ce qui eut pour effet d’aspirer toute la ville en Avernus où ses ruines gisent depuis lors.

V – STYGIA

Geryon prit quant à lui le cinquième cercle : Stygia, pivot des Enfers par sa position centrale, où il régna jusqu’à sa récente destruction par le trio composé de la mage Melkria, du guerrier Shtah et du paladin Klysandral. Il fut remplacé, à l’étonnement général, par l’insipide Levistus, imposé par Asmodeus.
La nomination de Geryon découlait de la volonté de Set de contrôler Asmodeus via deux de ses fils : Geryon occupant le cinquième cercle et Astaroth restant auprès d’Asmodeus avec le titre et la fonction de Sénéchal des Enfers.

Stygia tire son nom du Styx qui la traverse de part en part, dont le lit y est en certains endroits plus vaste que partout ailleurs. Ce cercle est sans doute celui dont les paysages sont les plus variés et comprend plusieurs parties bien différentes.

La première, par où pénètre le Styx, consiste en une grande zone montagneuse, rocheuse et glaciaire, où s’abattent d’étranges boules de feu glacé. C’est dans ces montagnes que se trouve la prison glacée de Levistus et, à environ 2000 km de celle-ci, le glacier de l’Elgarz qui abrite le Pilier de Geryon. Cette représentation minérale du défunt archidiable serait dotée de mystérieuses propriétés magiques.
Une part considérable de la périphérie de Stygia est ainsi composée de hauts plateaux et de montagnes où pratiquement personne ne se rend car y sévissent d’étranges tempêtes électriques, des ouragans glacés et d’innombrables avalanches. De ce fait, la Haute-Stygie demeure une région mystérieuse dont seul Geryon avait vraiment connaissance, et peut-être Levistus.

Aux pieds de ces hauteurs, le Styx s’élargit considérablement jusqu’à former des plaines marécageuses aux confluents avec les diverses rivières provenant de la chaîne montagneuse. Dans ces rivières demeurent de nombreux batraciens qui ont développé une capacité à ingérer les plantes poussant les long des rives et qui forment la base d’une chaîne alimentaire composée notamment de loups, d’ours et de remorhaz. Cours d’eau et marécages s’illuminent souvent de feux follets bleuâtres qu’il est difficile de ne pas confondre avec les will’o’wisps qui hantent eux aussi les lieux. Dans les hauteurs, des feux glacés, également bleuâtres, apparaissent et disparaissent subitement ; leur spectacle, vu de loin, peut ressembler à d’éphémères étoiles.

Sur une île des marais se situe la fabuleuse cité de Tantlin, fondée par Geryon et bâtie par Astaroth, dont les bâtiments mêlent roc, glace, et trésors ramenés de l’univers entier. L’architecture d’Astaroth à Tantlin et Mephistar aurait servi de modèle à Hornst pour bâtir Icehall. Le plan concentrique de la ville est conçu pour symboliser la hiérarchie diabolique, avec les diables secondaires à l’extérieur et les plus puissants au centre, où se trouve le palais qu’on appelle encore celui de Geryon.
Tantlin est le coeur de Stygia et le centre de production et copies de contrats et actes infernaux. Une véritable industrie du papier et des encres diaboliques s’y est développée qui a été répliquée en Dis, Maladomini, et Nessus ; mais les scribes de Tantlin demeurent à la fois les plus nombreux et les meilleurs. C’est à Tantlin que se trouvait le grand diable Herodias, le meilleur sage historien des Enfers, qui fut évincé pendant les conflits ayant suivi la mort de Geryon.
La capitale et surtout son palais ont beaucoup souffert des luttes d’influence survenus après cette disparition. La favorite Cozbi, le surintendant Gorson y périrent et ce furent les ralliés à Levistus : Agarès et Machalas, qui l’emportèrent. Il s’agissait pourtant des deux ducs les plus faibles et les moins considérés par le défunt seigneur de Stygia. Aujourd’hui ils se partagent le territoire : Machalas gouverne Tantlin, Agarès le reste et notamment les redoutables armées de barbazus, gelugons et osyluths qui fournissent le général Baalzephon sur Avernus. Machalas apparaît ainsi le moins puissant des deux mais il aurait l’appui personnel d’Asmodeus quand Agarès n’aurait que celui de Levistus. La haine réciproque des deux ducs est en tout cas déjà légendaire.

De l’autre côté du cercle un grand océan, le Sheyruushk, constitue le domaine de Sekolah, dieu des Sahuagins. Le Sheyruushk fut proposé par Set à Sekolah dès avant que Baator ne devienne les Enfers. Le dieu sahuagin fut d’ailleurs fort ennuyé de cette transformation car il escomptait initialement faire de toute la cinquième strate son royaume. Cette immense étendue marine représente néanmoins près du quart de Stygia et forme une barre séparant Ankhwugaht, le sombre domaine de Set et Astaroth, du reste du cercle.
Ankhwugaht commence en marécage et se finit en désert. Il est peuplé d’enfants de Set, sortes de gnolls à tête de chacal, de yuan-tis, de quelques sphinxes et manticores et bien sûr de serpents et de najas. De sombres pyramides y abritent des momies et de rares liches. D’innombrables esclaves morts-vivants travaillent à embellir et entretenir les  pyramides, obélisques et autres monuments recouverts de hiéroglyphes qui constellent ce domaine, au premier rang desquels le Sombre Palais de Set, conçu par Astaroth et où il réside et parfois aussi son père. Ces esclaves cultivent aussi une grande bande de terre fertile en lisière du désert afin d’alimenter les autres résidents.

Au bord du Styx, en lisière du sixième cercle, s’étendent les remparts de Dité, la cité du Jugement. Elle est centrée sur une ziggourat de sept étages surmontée d’une tour en forme de serpent hélicoïdalement dressé, dont le sommet porte une flamme perpétuelle qui éclaire toute la ville. De la tour on peut apercevoir les silhouettes de Mégère, Alecto et Tisiphon, les trois arch-Erynies et co-duchesses de Dité, qui surveillent. Protégée par son rôle essentiel à l’ensemble des Enfers et par la prudence de ses co-duchesses, Dité fut épargnée par les dissensions consécutives à la mort de Geryon.
A Dité s’opère le deuxième et dernier triage des âmes maudites sous l’autorité du paeliryon vicomte Rodias, dit le Sélectionneur. Il sépare des autres les âmes celles des pécheurs volontaires, ceux qui ont délibérément voulu et commis le mal en toute connaissance de cause, souvent condamnés par leurs propres dieux. Celles-là continuent leur voyage vers les cercles inférieurs. Les autres ou celles de peu d’intérêt sont redirigées vers les cercles supérieurs pour y être stockées ou torturées ou utilisées, ou vers Malbolge où elles deviennent des lemures.

Enfin, c’est dans Stygia que l’on rencontre le plus grand nombre de Xerfilstyx, ces redoutables diables du Styx qui sont considérés comme une plaie même par les autres diables.

III – MINAUROS

Hecate régna un temps sur Minauros, le troisième cercle. Mais les complications de ce ce règne combinées aux obligations de son important domaine divin, de son clergé, de sa lutte contre Isis et de la protection d’Avernus finirent par lui devenir pesantes. Elle fut d’autre part déçue par le glissement des Enfers vers la désolation et le sadisme, par l’évolution de Tiamat, par les faiblesses d’Astaroth. Il vint ainsi un temps où il lui parut impossible de poursuivre ses tâches sans aller jusqu’à un conflit avec Asmodeus : elle choisit alors de se défaire de ses obligations infernales et de se cantonner à son domaine d’Aeaea et à l’éventuelle défense en urgence des Terrasses du Désespoir.

Elle remplacée en Minauros par l’ex-paeliryon Mammon, habile financier et en réalité affidé de la déesse Loviatar qui inspire l’infernale cité de Janging Hiter dont il avait réussi à devenir le chef. Grâce à cette position où il se montra un efficace gestionnaire, il sut charmer et impressionner Asmodeus qui le transforma en diable unique et l’imposa après la retraite d’Hecate. Il tente depuis de supplanter Dispater dans la puissance financière comme dans l’esprit de son maître. Le fait que la forteresse des Vérités, qui contient les archives infernales, se situe sur Minauros, suivant un ancien accord entre Geryon et Hecate, constitue à cet égard un atout inestimable.
Hecate laissa faire, devinant que la passion compulsive de Mammon pour l’intrigue finirait par causer de sérieux ennuis dont il fut le principal ouvrier.

Minauros est réputé pour ses pluies quasi-continuelles qui le conduisent à être principalement composé de marécages autour d’un immense volcan généralement inactif, l’Aratna. Cette combinaison produit un terrain particulièrement fertile où des spinagons, lemures et nupperibos, surveillés par des erinyes et des barbazus, collectent le crippi, sorte de riz qui s’avère très nutritif et pousse naturellement à foison. Le crippi est également utilisé pour base d’une sorte de bière dont Mammon a le monopole et qu’il vend dans tous les Enfers.

Les choses étaient fort différentes du temps d’Hecate, qui n’aurait apprécié ni la pluviosité ni la désolation de l’actuel paysage de Minauros. Ce dernier était alors constellé de jardins et forêts aux fleurs et fruits souvent empoisonnés, où la déesse aimait se promener ou récolter des composants alchimiques. Des moutons paissaient librement dans de grandes prairies, des centaures cultivaient les terres ou chassaient dans les bois. Hecate tenait aussi un tribunal dérogatoire où les âmes qui la faisaient rire ou la charmaient ou encore avaient été à des guerriers courageux et vainqueurs étaient graciées par elle. Elle y recevait souvent des visites notamment d’Arès ou d’Astaroth, parfois aussi de Thoth ou d’Hermès.

Elle avait à son service le vice-roi Minos qui vivait entouré de sa cohorte de minotaures sur les pentes de l’Aratna. Minos était un Nephilim d’une certaine beauté qui avait un temps séduit la déesse. Il était initialement destiné à devenir juge au Tribunal des Terrasses mais Hecate s’intéressant peu à l’administration en général, y compris celle de son troisième cercle des Enfers, elle avait finalement décidé de faire de Minos son gouverneur de fait.
Cependant Minos nourrissait un irrépressible penchant pour les tous jeunes minotaures mâles et ne tolérait pas qu’aucun puisse atteindre sa dixième année sans avoir reçu au moins une intime connaissance de son roi. La chose se passait généralement au centre d’un labyrinthe érotique (dans l’acception minotaurique de ce mot) réservé au seul usage de Minos qui y amenait pour ses jeunes sujets pour jouer avec lui. Hecate n’approuvait pas ce comportement et les minotaures encore moins puisqu’ils finirent par déposer leur maître au cours d’une révolte consécutive à un mouvement de dénonciation porté par un collectif de minotaures femelles. Hecate, que le comportement exagérément fougueux de son gouverneur avait quelque peu lassé, ne se formalisa pas de cette révolte, à l’inverse du nouveau gouverneur de Janging Hiter qui y vit un déplorable et dangereux exemple de sédition dont il alla faire part à Asmodeus lui-même. Ce dernier l’autorisa à rétablir l’ordre diabolique sur Minauros puisque Hecate paraissait fort peu encline à s’en préoccuper. Mammon obtint ainsi autorité sur le duc infernal Caarcrinolas et ses 36 compagnies de Barbazus (bearded), principale force militaire de Minauros. Un millier de Barbazus exterminèrent en quelques semaines ces minotaures dont le nom avait inspiré celui de ce cercle infernal. Minos n’eut pas la chance de mourir et fut envoyé à Mentiri, la prison de Dispater, et on peut supposer qu’il y est encore.

Il advint ensuite que la pluie se mette à tomber de plus en plus fréquemment dès que Hecate s’absentait. Cette pluie était la volonté et le fait d’Asmodeus qui réprouvait viscéralement l’intolérable charme du Minauros hécatien ; il avait pour cela passé discrètement un accord avec le dieu Tlaloc, alors accueilli par Set dans le plan voisin d’Avernus. Or les minotaures pratiquaient aussi une agriculture primaire qui, après leur élimination, tomba en friche puis en déshérence, permettant aux pluies de transformer en marécage la plus grande part des terrains, ce qui chassa les troupeaux et les centaures. Hecate se retrouva face à un dilemme : restaurer Minauros impliquait d’en reprendre les rênes, donc désormais d’affronter Mammon et derrière lui Asmodeus, dont elle devinait que malgré ses dénégations et protestations de déférence il essayait de la dégoûter de régner sur Minauros. Cela impliquait le risque d’une guerre qu’elle gagnerait certainement mais pour se retrouver alors avec les Enfers sur les bras. Mais l’alternative impliquait l’humiliation de céder au minable sous-fifre de Nessus. Elle choisit néanmoins la seconde option car il était encore temps que son renoncement apparaisse provenir d’un choix délibéré de sa part plutôt que la conséquence d’une victoire asmodéenne. Asmodeus eut d’ailleurs l’hypocrite sagesse de déplorer ce départ et de supplier la déesse de revenir sur une décision dont il savait et se félicitait qu’elle soit définitive.

Mammon put ainsi devenir le seigneur de Minauros. Il interdit tout bâtiment ou construction en pierre hormis dans sa cité-forteresse personnelle qui est bizarrement entourée de brasseries de bière de crippi. Mammonos, surnommée Fangia, est bâtie sur des pilotis dans un marécage près de l’Aratna. Elle a pour faubourg la Forteresse des Vérités, bâtie au sec sur le volcan. Mammon a fait forer des conduits permettant de récupérer une partie de la lave du volcan pour chauffer sa cité. Les âmes y sont torturées par ébouillantage ou encore par immersion dans des puits de pierre où des maladies les rongent. Les barbazus du surintendant Focalor sont réputés pour apprécier la chasse aux diverses créatures des marécages ou à d’éventuels imprudents habitants de Janging Hiter qui s’aventureraient étourdiment sur le reste de Minauros.

Janging Hiter est une cité verticale, perchée sur une colline éloignée du centre du cercle, formée de tours culminant à plus de cent mètres, qui comportent de nombreux étages, certains reliés par des ponts. Sa population est particulièrement diverse et les diables y sont en minorité bien qu’un grand nombre d’imps y demeurent. C’est notamment la cité des tieflings infernaux, des descendants de minotaures et centaures, des hags, des rakshasas, githyankis et de diverses autres créatures mortelles qui subsistent  principalement grâce au crippi. On y trouve encore des hobgoblins, généralement utilisés comme esclaves, quelques beholders, et même un dragon vert, Shlolozofur, universellement soupçonné d’être agent de Tiamat.
La ville est tiraillée entre les cultes de Set, de Loviatar, d’Hecate, plutôt que ceux des grands diables. Elle tire ses ressources du commerce de toutes sortes et de toutes choses, étant dotée de portails hécatiens qui permettent la téléportation de choses inertes et de créatures uniquement infernales. Elle constitue avec Dis-de-Fer et Grenpoli l’un des trois principaux centres d’affaires des Enfers et sans doute le plus polyvalent.
Jangin Hiter était initialement l’approximation infernale d’une ville libre au sens où elle élisait son maire qui était ensuite ratifié par Asmodeus. Celui-ci appréciait peu de telles libertés civiques, pas davantage la déplaisante hétérogénéité de la population, et moins encore la passoire que représentent selon lui des portails magiques. Mammon le comprit et s’en servit pour ses propres intérêts, lui qui fut le dernier de ces maires. Depuis, la ville est dirigée par un gouverneur qu’il nomme, actuellement le duc Melchon. Elle conserve cependant d’importantes marges de liberté aux fins d’exercer ses activités de commerce. Mammon a en effet compris tout l’intérêt des taxes que lui rapportent Jangin Hiter et le gant de fer qu’il feint de faire subir à la ville afin de satisfaire Asmodeus cache une main d’une velours particulièrement souple.

Quoique souvent plongée dans une pénombre percée de lueurs lunaires, la vaste enclave d’Aeaea, qui forme le royaume réservé d’Hécate, peut encore donner une idée de ce que fut le troisième cercle à l’époque de l’égide de la déesse. Elle y a en effet reproduit le Minauros des temps initiaux avec des terres de chasses, un tribunal particulier, un théâtre ouvert magnifiquement décoré, un superbe temple qui lui est consacré. Aeaea possède également des vignes d’excellente qualité et produit un vin puissant dont une grande partie est exportée dans le reste des Enfers. La population y est principalement féminine car Hecate a exigé et obtenu un privilège sur les âmes des femmes enceintes.
Une fois accoutumé à la clarté lunaire, le voyageur aura peine à croire qu’il est aux Enfers devant les les collines verdoyantes, les diverses essences d’arbres, les fleurs des jardins et des herbages, les animaux en liberté. Nulle part ailleurs aux Enfers n’entend-on le chant des oiseaux. Après Grenpoli, Aeaea est certainement le lieu des Enfers qui apparaît le moins déplaisant.
Mais la déesse Hecate, aussi avenante et simple puisse-t-elle se montrer, riant parmi d’autres jeunes filles, récompensant tel séduisant acteur, apparaissant en hôtesse affable et prévenante, est réputée d’humeur aussi changeante que Poséido : bizarrement susceptible, coléreuse pour un rien, pouvant d’un instant à l’autre devenir dépressive, hautaine, autoritaire ou sadique. Mais sous les chênaies et les oliveraies il y a de sombres cavernes où l’on conserve des stocks d’âmes en peine. Mais le beau temple abrite aussi quelques laboratoires où Hecate et Astaroth oeuvrent à des merveilles tout autant qu’à de bizarres expériences. Mais le monstrueux Cerbère demeure tapi dans les ombres et peut à tout moment surgir au milieu des jolis paysages. Aeaea ressemble à ses abondantes fleurs variées, délicates, colorées, parfumées, et pour certaines violemment vénéneuses.

Les six cercles distribués par Asmodeus

Il resta donc six autres cercles à répartir au choix d’Asmodeus.

IX – NESSUS

Celui-ci se réserva d’emblée le plus sûr : Nessus, le neuvième, qu’il n’est possible d’atteindre qu’en ayant traversé les huit autres. Il y fit bâtir son palais-forteresse également nommé Nessus, ainsi que la ville-citadelle de Maalsheem, destinée à son armée personnelle. Dans certaines des nombreuses failles zébrant l’immense plaine plate et désolée qui compose l’essentiel de ce cercle, il dissimule ses plus précieux secrets et ressources.

Nessus est arrosé du Styx, du Léthé qui y forme le lac de l’Oubli et du Cocyte qui y forme le lac Cocyteus dont la surface est perpétuellement gelée. Le Cocyte est alimenté des larmes dont le Moloch ne s’est pas repu en Malbolge. Entre le Cocyte et le Léthé s’étend une forêt d’arbres dont les branches brûlent d’un feu inextinguible sans pourtant se consumer ; ce feu, le bois et la sève de ces arbres sont parmi les plus précieux composants magiques qu’on puisse trouver. Des cours d’eau de Nessus s’échappent de grandes nappes de brouillard qui ne se dispersent qu’en laissant l’impression d’une atmosphère perpétuellement brumeuse, où la vue ne porte pas.

Nessus est mal connu et pour cause : c’est le tréfonds des Enfers, l’endroit le plus caché où se trouvent les secrets d’Asmodeus. Ce dernier n’a laissé à personne d’autre que lui le soin de l’aménager. Bien que rien ne l’ait jamais confirmé, il est aujourd’hui généralement admis que s’y trouverait quelque part un temple, ou à tout le moins une puissante chapelle, dédié à Loviatar.
Ultime noyau des Enfers, c’est le seul cercle dispensé de servir à la Blood War. Peu y pénètrent et bien moins en ressortent. On dit que dans ce sanctuaire minéral de l’asmodéisme, le sol gémit ou fume sous les pas de toute créature qui ne serait pas de l’alignement approprié. C’est le lieu de destination des âmes très particulières, les pires ou plus intéressants malfaiteurs, ceux qui peuvent susciter l’attention personnelle de l’archiprince. C’est encore à Nessus que sont intronisés les Pit Fiends et les Grands Diables uniques ou titrés.

Asmodeus est entouré d’un très important personnel, de loin le plus nombreux de tous les autres cercles : le Chancelier Adramalech, l’inquisiteur Phongor, le Surintendant-Commandant Bune, les généraux Buer, Morax, Rimmon, et Zagum, le Grand Bourreau Alastor, l’archi-majordome Baalberith, l’intendant-policier Martinet, les agents spéciaux Aradia, Géhomoguavain, Cimeyès, Naphula, et bien sûr sa soumise et dévoués compagne Bensozia, mère de sa fille Glasya. L’appareil administratif de ces puissants personnages est autant celui de Nessus que celui des Enfers tout entiers.

On sait grâce à Zahar d’Ariacandre, l’un des seuls mortels connus à avoir réussi à s’y rendre et en revenir, qu’il existe une partie dissimulée de Nessus servant de grenier agricole des Enfers. Sur de basses collines bizarrement herbeuses, des diables entretiennent d’immenses troupeaux de créatures porcines et caprines décérébrées qui  broutent une végétation comestible seulement par eux. Entre ces collines s’étendent des champs où nupperibos et spinagons moissonnent une céréale grisâtre, le nessioc, qui pousse à toute allure, s’auto-régénère et dont les grains s’émiettent aisément en poudre farineuse. Dans de grands bâtiments à ciel ouvert d’autres nupperibos traitent cette nourriture ensuite emportée et vendue dans le reste des Enfers principalement par des osyluths condamnés à cette dégradante tâche. L’ensemble est placé sous l’autorité du duc Bune qui le délègue généralement à son lieutenant malebranche appelé Charzyslug.

II – DIS

Pour marquer son importance, Asmodeus confia au fidèle, rusé et prudent Dispater le second cercle appelé Dis en son honneur, cas unique dans tous les Enfers.
C’est l’un des rares cercles qui soit dépourvu de pénombre grâce à un ciel empli de nuées gris pâle et verdâtre qui répercute une lumière certes peu intense mais dure et froide. La particularité de Dis consiste en ses grands coups de vents qui vont jusqu’à l’ouragan et rendent extrêmement difficile le vol aérien sauf pour les diables en général et les erynies en particulier, seuls à comprendre et percevoir comment se servir de ces déplacements d’air.
Dis est parfois considéré comme le plus important cercle après Avernus car il porte l’immense ville éponyme, principalement construite en acier inoxydable et qui contient la plus importante concentration de diables des Enfers, ainsi que la prison de Mentiri, importante ressource d’êtres et d’âmes. Pour la différencier du plan, la ville est surnommée Dis-de-Fer (Iron Dis).

Cette ville est la destination préférée des diables car elle est conçue par et pour eux comme une manifestation urbaine de la société diabolique. Dans ses rues se croisent les abishais, imps et toutes les sortes de diables : des spinagons, barbazus, erynies… Vivre à Dis-de-Fer est ce que tout diable souhaiterait après, bien sûr, une promotion de rang.
Certes, comme partout ailleurs aux Enfers, on y craint le sadisme de ses supérieurs et exerce le sien sur ses inférieurs, on est assujetti à ses devoirs et à son rang, on obéit, on souffre, on torture, on exploite, mais aux endroits qui y sont dévolus et une échelle plus individuelle que collective, de sorte qu’il règne dans la ville une sorte de relative tranquillité par rapport aux autres cercles.
En son centre, sur une colline surélevée, se dresse le Dispateros, palais du seigneur Dispater, dont les tours et tourelles s’élancent vers le ciel et qui est réputé pour les arbres métalliques qui ornent ses nombreuses terrasses.
Mentiri traite les âmes particulières, et notamment celles prisonnières, c’est à dire des créatures qui sont arrivées vivantes aux enfers. Elle traite également les âmes des créatures mortes dans les enfers quelque soit leur alignement et origine. S’y trouvent notamment l’âme de Geryon et l’ex-gouverneur Minos. Il arrive que des prisonniers donnent lieu à de sinistres et fructueux commerces.

Dis-de-Fer est au centre du lac des Furies, surveillé par trois arch-erynies qu’on surnomme ainsi et qui s’appellent Scota, Orpha et Cronova. Certains affirment qu’elles sont soeurs des co-duchesses de Dité, d’autres qu’il s’agirait en réalité de titanides descendantes d’Ouranos, Titan du Chaos qui s’est transmuté pour créer et devenir l’élément de l’air. Quelque soit leur origine, on ignore cas comment Dispater a obtenu leur service. Leur nature les immunise contre les vents violents et capricieux qui ne cessent de surgir brutalement dans le ciel verdâtre de Dis.

Cinq rivières stagnantes alimentent paresseusement le lac des Furies. Leurs eaux noirâtres ou vertes ou brunes sont souvent pestilentielles et presque toujours empoisonnées. Disposées en étoile autour du lac central, elles délimitent cinq territoires désolés, constitués de roches nues où les veines de métal affleurent au sol et de buissons de fougères coupantes. Ces terres sont dévolues aux cinq grands vassaux de Dispater : Titivilus, Bitru, Merodach, Alocer et sa propre fille Malachlabra. De nombreuses exploitations minières et sidérurgiques fonctionnent en Bitrus et Malachlabrus tandis que Titivilia s’est davantage spécialisée dans des procédés manufacturiers et alchimiques, notamment ceux nécessaires aux documents diaboliques.

Le cercle de Dis est le foyer des erynies et des hellcats, qui y abondent. Mais ce cercle est aussi est une véritable usine à promotion de diables notamment en orthons, ces troupes destinées à la Blood War. C’est même la principale occupation du duc Alocer qui est spécialisé dans le jugement des promotions mais aussi démotions diaboliques.

Dispater s’appuie sur d’excellents administrateurs : le paeliryon Kiorach et le pit-fiend Biffant, ses surintendant et prévôt, et sur le conseiller-nonce duc Titivilus, dont la sagacité est légendaire. Il témoigne d’une parfaite, constante et multimillénaire loyauté à Asmodeus et détient une puissance matérielle considérable quoique souvent sous-estimée. Chose rare et remarquable, il est fidèle à la vieille archiduchesse Lilis, qui partage sa couche depuis des éons et supervise le meilleur réseau d’espionnage des Enfers. Le duc Ariok, qui révère Votishal, est à la fois un défenseur personnel d’une parfaite loyauté et un efficace et redouté gardien de l’ordre sur Dis. Le duc Merodach commande ses armées depuis les temps où son seigneur et lui furent archons. Il est révélateur que le système féodal en vigueur sur Dis, unique en son genre dans les Enfers, n’ait jamais connu de destitution d’un vassal. Aucun seigneur des Enfers n’est mieux entouré par ses fidèles que Dispater.

IV – PHLEGETOS

A Belial, son autre fidèle lieutenant, Asmodeus offrit le quatrième cercle, Phlegetos, lui aussi vital car doté de liaisons avec les plans de Tarterus, d’Acheron et de Hades : le Phlegeton, fleuve de feu qui maintient les damnés en vie malgré sa brûlure, coule en effet entre ces plans.

Phlegetos est réputé et même visité à cause de ses feux aux propriétés extraordinaires. Le terrain y est principalement constitué de volcans et d’étendues rocheuses sans cesse ravagées d’incendies spontanés sans combustible apparent, de lacs et ruisseaux de lave, de geysers cendreux ou enflammés, de collines de cendres et de grandes fosses remplies d’un fumier de scories. Leur ensemble combiné au Phlegeton éclairent tout le cercle d’une permanente lueur rougeâtre en même temps qu’elles y rendent l’air irrespirable par la plupart des créatures non-diaboliques. D’autre part il y règne une température qui devient rapidement insupportable pour quiconque n’en est pas protégé. Assez logiquement, de nombreuses salamandres peuplent Phlegetos, y étant apparues avant les Enfers ;  certaines survivent avec l’accord des diables, d’autres en se cachant dans les volcans.

Phlegetos représente le cercle par excellence des punitions par le feu, sans doute la plus répandue des tortures infligées dans les Enfers. Aucun seigneur infernal n’est plus cruel que Belial le tortionnaire, même Mammon. Une vieille blague locale consiste à dire que sans Asmodeus, il serait disciple de Loviatar. La plupart ignorent le fond de vérité qu’elle contient.
Nulle part ailleurs aux enfers ne souffre-t-on davantage ; la cruauté et le sadisme y sont partout l’ordinaire. Phlegetos contient d’ailleurs le Puits de Feu, colonne prélevée sur le Phlegeton dont le flot enflammé monte vers le ciel, où sont jetés les diables condamnés quelque soit leur origine et statut.
Il faut toutefois remarquer que le cercle du Châtiment exécute la mission originelle, en quelque sorte officielle, dévolue aux Enfers : la punition des âmes des mauvais. Cependant, le pacte asmodéen et son évolution pratique ont conféré à cette mission un caractère inexorable, éternel et sadique, notamment par l’absence de possibilité de rédemption et la profitabilité pour les tortionnaires des processus de souffrance et destruction. Il y fallait donc un exécutant de confiance autant qu’impitoyable et c’est pourquoi Asmodeus choisit Belial pour cette terrible tâche.

L’essentiel de Phlegetos se résume à un vaste spectacle de tortures infligées par toutes sortes de diables sous la férule des spécialistes que sont les Excruciarchs (Pain Devils). Les âmes y brûlent en permanence, que ce soit dans le Phlegetos ou les autres lieux incendiaires. Ce sont celles des maudits ou des damnés, qui ont commis le mal sans la gravité suffisante pour descendre en dessous de Dité mais avec suffisamment d’intensité ou de volonté pour ne pas devenir aussitôt des lemures et devoir payer auparavant le prix d’une souffrance qui peut s’avérer éternelle.
Cette activité absorbe toute autre sur Phlegetos au point qu’il soit dépourvu de ville à l’exception de la seule Abrymoch, creusée dans un volcan, qui héberge le Tribunal des Enfers chargé de régler les conflits entre infernaux, ainsi que la patrouille de Gazra, qui constitue la plus puissante force de police des Enfers et qui répond ultimement à Belial. Il n’y a que des camps à ciel ouvert, soit militaires, soit destinés aux tortureurs et leurs services, qui sont implantés un peu partout. Belial, ses proches et sa garde personnelle n’ont nul besoin de murs ou de toiture car ceux que cela gênerait ou arrêteraient sont les mêmes que le feu et l’air brûlant suffisent à dissuader.

C’est en Phlegetos et avec Belial qu’Asmodeus mit en oeuvre la Faveur Infernale qu’il avait auparavant obtenu de Loviatar en Nessus. Il s’agit d’un don implanté dans la coque des Enfers qui modifie la nature infernale en permettant d’employer l’effet de la souffrance des âmes à la production d’une énergie diabolique servant à alimentant les pouvoirs magiques des diables et même leur subsistance. Phlegetos produit à lui seul plus de la moitié de toute cette énergie.
Il fallut certainement beaucoup de temps à Asmodeus et à Loviatar pour mettre en place pareille modification, unique dans toute l’histoire des Enfers. Sa date demeure incertaine quoique certainement postérieure à la nomination de Mammon ainsi qu’à la chute de Satanael. Le fait que l’implémentation de la Faveur renforça considérablement la puissance infernale y compris militaire, permit l’apparition de nouveaux diables (Dogais, Kytons, Buerozas, Paeliryons…) et l’instauration d’une nouvelle hiérarchie. Toutefois, de crainte d’encourir la colère d’Hecate ou de Set, Asmodeus ne présenta pas cette modification comme provenant du loviatarisme mais comme le produit de savantes recherches conduites par Belial et lui-même.

Le vieil archiduc gouverne en trio avec sa duchesse consort Naomé et surtout sa fille Fierna, qui est son meilleur agent. La garde personnelle de Belial, commandée par le duc Gaziel, pit fiend vétéran, composée principalement diables d’os (osyluths) et de malebranches, est réputée la plus expérimentée et l’une des plus solides des Enfers, legs de ces temps initiaux où le commandant Belial menait lui-même les archons à la bataille. Son légat, administrateur et champion est le duc infernal Chamo, qui a la réputation de connaître Phlegetos mieux que personne et dont Naomé se méfie depuis toujours. Le duc Balan, son cruel chef tortureur, est un redoutable général et est apprécié de la plupart des diables.
Belial reste certes un être cruel mais aussi un batailleur, un conquérant. Il a toujours eu des vues sur Stygia qu’il a vainement tenté de prendre à Geryon et s’est fait consécutivement secouer par Asmodeus ; il escompte désormais que Fierna y supplante Levistus.

VIII – CANIA

La glaciale strate de Cania, huitième cercle, fut dévolue aux Déchus, conduits par Azazel et Samyaza.
Ils découvrirent avec épouvante les étendues de givre, les tempêtes de neige, les glaciers des montagnes aux sommets acérés qui composent cette strate du froid absolu, où allaient bientôt pulluler les gelugons (Ice devils). Nulle part trace de cette douceur de vivre ayant conduit à engendrer ces bienheureux Nephilims qui les avaient suivis jusque dans cet enfer-là. Samyaza, accompagné de la plupart des Nephilims, osa protester vigoureusement en exigeant d’Asmodeus des conditions plus hospitalières. Le maître des Enfers vint alors les voir, secondé d’Astaroth et de son policier personnel, le pit fiend Martinet.
— Je vois que vous n’avez compris ni ce que vous êtes devenus ni ce que nous sommes venus faire ici dit doucement Asmodeus. Mais soit : ceux d’entre vous qui ne voulez point demeurer ici, je vous accorde de retourner en Avernus pour y former la première garde. Vous y serez formé par des sergents de ma brigade, sous l’autorité du capitaine Zielfora. Le Sénéchal Astaroth vous accompagnera et vous y construirez vos quartiers.

Un tiers des Déchus et une bonne moitié des Nephilims partirent ainsi sans Samyaza qu’Asmodeus et Azazel retinrent provisoirement en Cania.
Pendant que s’effectuait ce départ, Asmodeus prit Azazel à part pour lui expliquer qu’il se posait désormais de sérieuses questions sur la loyauté des Déchus et les soupçonnait d’ingratitude. Il ajouta que seule l’exécution par Azazel de son vieil ami et compagnon Samyaza apaiserait ces inquiétudes.
— Je te prête ma propre épée : Punition, dit-il sur un ton amical. Car enfin, comment pourrions-nous être légitimes à exécuter les châtiments des mortels si nous ne sommes pas capables d’infliger à nous-mêmes ceux que nous avons mérités ?
Au même moment, Belial apparut avec la compagnie de Gazra formée de diables rompus à toutes les sortes de combats. Azazel comprit qu’il n’avait plus le choix : il prit l’épée. Samyaza, horrifié, vit avancer vers lui son ami et compagnon des temps heureux, qui tenait haut l’arme du Prince des Enfers. Les yeux dans les yeux les deux ex-archons échangèrent un pardon silencieux. Puis Azazel abattit la sombre lame sur le crâne de Samyaza.
Tel fut le prix de son règne sur la désolation de Cania.

Un  grand nombre de Déchus songèrent au suicide mais Astaroth les en dissuada rapidement en leur expliquant que les âmes des violents contre eux-mêmes arrivent directement chez Dispater. Alors Azazel et les siens se résolurent à essayer de trouver un refuge entre les glaciers, les crevasses et les sommets acérés.
Un jour qu’il suivait le vol de quelques méphits de glace il trouva un emplacement sur un glacier entouré de sommets qui le protégeaient des tempêtes de neige et de givre, où les méphits avaient pris coutume de s’abriter. Azazel décida que ce serait le moins mauvais endroit pour s’établir. Les ex-archons creusèrent une sorte de vaste igloo, noyau d’une citadelle de glace et de pierre. En souvenir des créatures y ayant guidé les Déchus, elle fut appelée Mephistar. Astaroth était reparti en Maladomini mais il vint ensuite en Cania et son renfort fit de cette citadelle une merveille glacée.

Les Déchus et les Nephilims furent les derniers à recevoir la transformation leur conférant des pouvoirs diaboliques en remplacement de ceux d’archons car les Nephilims étant des êtres inédits et bien particuliers, il fallut à Hecate quelque temps pour leur adapter ses recettes magiques. Mais au final, tous devinrent diables : Pit Fiends, Malebranches, Gelugons, quelques Hamatulas et quelques uniques dont les plus réussis sont Bifrons et Hutijin.

Avec l’aide de son premier intendant et amant Adonides, Azazel concentra graduellement et patiemment de redoutables armées composées principalement de Gelugons, entraînées et parfois conduites par les ducs Bifrons et Hutijin qui s’illustrèrent dans la Blood War. Pendant longtemps, Azazel fut un loyal serviteur des Enfers, pourvoyeur de troupes d’excellence, qui sut se méfier de Satanael et de Mammon tout en finissant avec le temps par se rapprocher d’Astaroth, Geryon, Hecate, et Baalzebul.

Cania est conçu pour servir de protection à Nessus par son aspect particulièrement inhospitalier. C’est le moins habitable de tous avec Malbolge. Sa surface est inexploitable. Il présente toutefois cette particularité d’être le plus éclairé de tous grâce à la neige et au givre qui renvoient partout la lumière lunaire.

VII – MALADOMINI

Maladomini, le septième cercle, fut au début le domaine qu’Astaroth et après lui Asmodeus réservaient à Hel, laquelle n’y venait pratiquement jamais. Elle avait vite compris que l’archiprince des Enfers s’intéressait bien davantage au credo de Loviatar qu’au sien. Afin de masquer le désintérêt de la déesse de la mort, Asmodeus claironnait exactement l’inverse, savoir qu’elle résidait bien chez elle dans Hel’s Circle, devenu en abrégé Hells. Le renom de cette redoutable puissance s’avérait en effet utile à dissuader les ennemis des Enfers pendant une période où ils étaient peu peuplés et vulnérables. Ce subterfuge ne dura qu’un temps mais le nom resta car Asmodeus s’employa activement à ce que la rumeur se répande dans tous les plans et notamment les chaotiques et plus particulièrement les Abysses. Hadès y contribua objectivement en ne la démentant pas et en convaincant Set, Hel et Hecate d’en faire provisoirement autant. Du coup ce cercle, qui était le premier chantier d’Astaroth, fut de facto le sien pendant une assez longue période.

Il advint entretemps qu’un magnifique archon du nom de Triel, qui servait à la fois Tyr et Balder, s’enivra de sa propre beauté. Au contraire des Déchus et au demeurant instruit par leur chute, il sut résister à l’amour et la fascination que son apparition suscitait chez les mortels. Mais pour l’en garder, Tyr préféra lui éviter des missions dans les plans matériels d’où que Triel se sentit quelque peu désoeuvré en ne se retrouvant qu’épisodiquement employé à quelques patrouilles dans les plans extérieurs qui lui semblaient autant d’errances inutiles. Il passait le reste et le plus clair de son temps dans des demeures où abondaient les miroirs. Ceux-ci servaient à sa contemplation du réconfortant spectacle de sa propre beauté, témoignant de la divine perfection qui l’avait suscitée.
Il finit ainsi par devenir fasciné par sa propre image et à se considérer une sorte de fils ou de réincarnation du dieu Balder. Aussi lorsque Tyr lui fit transmettre l’instruction de se préparer à aller combattre une expédition de démons, il refusa de prendre le risque d’endommager sa beauté par les griffes d’aussi viles créatures. Stupéfait, Tyr se rendit devant son serviteur qu’il trouva plongé dans l’admiration de son reflet au centre d’une pièce surchargée de  miroirs. Afin de l’extirper de son auto-fascination le dieu bouscula assez rudement l’archon qui tomba au sol. Triel parut s’éveiller mais ce fut en réalité le contraire : il entra dans son cauchemar. Grimaçant de dégoût, il lança au dieu manchot : “O vilain estropié, je ne prendrai plus d’ordres de toi ni de quiconque d’aussi laid. Je ne suis comparable qu’à l’ineffable Balder : lui seul peut me mander.”
Tyr honora une fois de plus sa réputation de calme et de sang-froid. Il ne dit rien et sortit mais informa Balder qui survint presque aussitôt, flanqué de Votishal et de Heimdall. Voir Tyr revenir accompagné de trois autres dieux ne tira point Triel de son cauchemar éveillé, au contraire.
« Tu as déféré à ma demande, c’est bien », lança-t-il à l’adresse du fils aîné d’Odin. Puis il se tourna vers Balder et ouvrant les bras il déclama : « Ô sublime Balder, sois le bienvenu devant le miroir de ta splendeur. »
« Qu’est-ce que c’est que cet imbécile ? » se demanda Heimdall.
« Quel outrage ! » pensa Votishal.
« Il est devenu complètement fou » songea Tyr.
Quant à Balder, il se contenta de sourire d’un air goguenard avant d’ouvrir les mains et d’invoquer toute sa puissance pour aspirer la beauté de l’archon. En un instant la peau de Triel devint noire, luisante et hérissée de poils durs pendant que ses yeux s’exorbitaient en grossissant démesurément, déformant son visage, pour finir en globes à facettes d’une énorme mouche. Grâce à ces yeux il vit simultanément dans tous les miroirs de la pièce le hideux spectacle de ce qu’il était devenu. Il vacilla, recula quelques pas, la bouche ouverte sur un gargouillis horrifié puis, d’un geste rapide, tira sa dague qu’il plongea dans son coeur et tomba.
« Ah non ! s’exclama Heimdall. On ne va pas le laisser ajouter la lâcheté à la connerie. » Il posa sa main sur la blessure de Triel évanoui. « Votishal, fais-en donc cadeau aux Enfers, il y retrouvera les siens. »
Votishal regarda Balder et Tyr qui avaient l’air d’approuver. Alors il emmena Triel aux Enfers, le jeta sur le sol d’Avernus et repartit tranquillement avec l’agréable  sentiment du devoir accompli.

Triel s’éveilla sur Avernus devant une Hecate fort intriguée par ce phénomène. La déesse sentit la puissance encore intacte de l’archon et décida de s’en servir pour en faire un diable unique et surpuissant, capable de mettre un jour des bâtons dans les roues de cet Asmodeus un peu trop subtil et malin pour ne pas être inquiétant. Puis elle envoya le résultat Baalzebul se mettre au service du Seigneur de Nessus.

Asmodeus fut immédiatement intéressé par ce nouvel arrivant dont il sentait l’exceptionnelle puissance sans même avoir besoin de la renforcer d’une précieuse énergie produite par les âmes consumées. Baalzebul le servit avec une parfaite loyauté qui enchanta son maître : jamais le maître de Nessus ne s’extasia autant au sujet de services rendus. Tout se passa comme si l’exceptionnel pouvoir de séduction de l’ex-archon Triel s’était maintenu malgré sa disgrâce physique mais envers le seul Asmodeus. Ou bien comme si le Prince des Enfers avait décidé d’exciter la jalousie des autres seigneurs afin de diviser pour mieux régner ou de mieux éprouver la profondeur de leur loyauté.

Aussi, lorsque les Enfers eurent acquis suffisamment de résilience pour pouvoir laisser tomber la fable de la protection de Hel, Asmodeus décida de confier Maladomini, dont Astaroth s’occupait de moins en moins,  à son nouveau lieutenant préféré. On dit qu’à l’annonce de cette nouvelle les grincements de dents furent si nombreux qu’ils résonnèrent dans tous les Enfers. Par dérision autant que jalousie, ses pairs des autres cercles l’appellent depuis lors le seigneur des Mouches.

*

Maladomini est le cercle de la maladie et de la pourriture. C’est de cette manière qu’on y torture les âmes qui y sont amenées. Le terrain y est relativement plat, dépourvu de montagnes à l’exception de la Fontaine de Lave, quadrillé de rivières polluées entourées d’herbages en décomposition, de forêts toxiques, de buissons de ronces et plantes vénéneuses. La température est toujours élevée,  de l’ordre de 30° au moins et le sol d’une désagréable tiédeur. Autour des rivières abondent les marécages putrides et infestés de mouches, les étendues pestilentielles d’une vase formée des purulences de toute une plaine. Partout règne un remugle d’odeurs nauséabondes parfois jusqu’à l’insupportable.

L’entrée dans Maladomini en provenance de Malbolge est délimitée par une suite de seize demi-arches colossales, huit alignées de chaque côté de la route et faisant face à une autre, atteignant une hauteur de 300 mètres. L’ensemble reproduit une cache thoracique ouverte, d’où leur nom de Ribcage (ou Cagecôtes) et est visible de la moitié de Maladomini. Ces demi-arches en pierre claire, destinées à rendre hommage à Hel, sont depuis longtemps recouvertes de mousses, lichens, lianes et linéaments dont pendent des cosses semblables à des tumeurs qui, une fois à maturité, tombent au sol et se fendent pour donner naissance à un diable kalabon. Ces créatures sont uniques à Maladomini et Malbolge et sont considérées comme des spinagons (14e rang). Ils forment une importante population de Maladomini et constituent une utile ressource pour Baalzebul.

Maladomini tire son nom de sa destination originelle à recevoir les âmes des morts de maladie ; par exemple, le débauché qui meurt de syphilis. Astaroth avait préparé pour Hel une splendeur et tracé les plans de trois villes : Grenpoli, ville dérogatoire aux Enfers ; Helstar, en hommage à la déesse ; et Malagarde, la capitale. Maladomini fut son premier chantier, qu’il aborda avec enthousiasme, s’imaginant qu’ajouter le titre de Vicaire de Hel à ceux de Prince des Enfers et de fils de Set ferait de lui le plus fameux des diables. Il construisit intégralement Grenpoli, la moitié de Malagarde et quelques bâtiments de Helstar en attendant une approbation de Hel qui ne vint jamais. Confronté à l’évidence du désintérêt de Hel envers ses oeuvres, il préféra alors se consacrer à la construction de Mephistar en Cania qu’il jugeait plus utile et où Azazel l’accueillait avec déférence.

Il existe des sections de Maladomini qui sont ou deviennent indemnes de ses afflictions, ne serait-ce que pour pouvoir les subir ensuite. Un petit nombre de ces sections sont permanentes, dont les quatre où sont bâties des villes.

Au centre du cercle se trouve Malagarde, la capitale à demi-construite et qui est restée en cet état. La plupart des bâtiments sont partiellement ou totalement en ruine. L’imposant château central d’Istug, conçu par Astaroth, s’est écroulé sur lui-même et est désormais surnommé le Palais Dégueu (Palace of Filth) où réside Baalzebul entouré de sa garde de diables insectoïdes. Il en reste cependant plusieurs parties intactes et notamment les douze hautes tours extérieures en pierre noire dont les pointes se terminent en spirale et qui sont reliées par des ponts surplombant le vide et les ruines. En leurs parties hautes, ces tours contiennent des chambres et salles somptueuses réservées à Baalzebul et ses proches ou favoris ou invités de marque ; en partie basse se trouvent des couveuses réservées aux larves de mouches et d’autres insectes dont Baalzebul est friand ainsi que des appartements pour les diables serviteurs et les gardes. Quant aux souterrains d’Istug, ils forment un réseau inextricable de cellules plus crasseuses les unes que les autres où pourrissent proies et victimes.
Les travaux de restauration que Baalzebul ne cesse d’entreprendre tant pour la ville que son palais se heurtent à la Langueur de Malagarde, qui détruit toute volonté d’action, voire toute envie de quoi que soit. Les dernières poussées maladives du septième cercle ont en effet conduit  Malagarde à devenir la ville de la Dépression et toute créature qui s’y trouve est sujette à cette forme particulière de maladie mentale.

Grenpoli est à tous égards une exception. Avec les Terrasses du Désespoir, son territoire est le seul des Enfers qui échappe à l’emprise des diables. Elle se situe au milieu du Green Haven, sorte d’îlot à la périphérie de Maladomini, totalement immunisé contre ses afflictions et qui, par contraste avec le reste, ressemble à un paradis enchanteur. Toute violence est interdite à Grenpoli et aucune arme n’y peut pénétrer. Les sortilèges offensifs n’y fonctionnent pas. Le Green Haven bénéficie des mêmes interdits que Grenpoli mais non des mêmes protections ce qui fait que des violences et crimes peuvent de fait y être commis, quitte à être poursuivis ensuite. Une agriculture uniquement végétale y a été développée par toutes sortes de créatures.
Grenpoli a été voulue par Hecate et initialement bâtie par Astaroth, bien que considérablement agrandie depuis lors par les divers arrivants qui y ont élu un domicile choisi ou contraint. Elle est dépourvue de remparts et protégée uniquement par la magie émanant du sanctuaire d’Hecate situé en son centre.
Cette ville sert de lieu de rencontres politiques ou autres, d’échanges de renseignements, de débats, de négociations, notamment commerciales. Or la neutralité, la sécurité et l’indépendance sont nécessaires à la confiance qui conditionne le bon fonctionnement de cette sorte de forum dont Asmodeus admit rapidement l’utilité. De ce fait, Grenpoli est l’habitat de toutes sortes de résidents non diaboliques qui s’y retrouvent par intérêt ou par refuge et qui ont développé dans le Green Haven une agriculture permettant leur subsistance ; à cet effet, le périmètre du Green Haven a été repoussé à douze lieues ( 50 kilomètres) autour de la ville. Ces immigrés ont aussi fondé l’Ecole Diplomatique de Grenpoli à laquelle de nombreux diables viennent s’instruire. La ville possède également des chapelles d’Hermès, de Set, de Hadès, d’Oghma mais encore, aussi étonnant cela puisse-t-il paraître, d’Issek, de Silvanus, de Loki, de Diancecht. Toutefois on trouve aussi sur tout le pourtour du Green Haven d’autres diables attendent patiemment que ceux qu’ils recherchent osent sortir de la ville protégée.
La comtesse infernale Mysdemn, une erynie disciple de Hel qui la représente à Maladomini depuis sa création, règne sur Grenpoli et Green Haven avec, cas unique dans tous les Enfers, rang de souveraine. Elle ne répond qu’à Hecate et sinon Asmodeus. Elle ne connaît qu’une justice : la mort, d’où que Dispater l’apprécie puisqu’il est destinataire des exécutés.
La haute prêtresse Charvodelle servante d’Hecate dirige le Temple d’Hecate Triprosope où se trouve une statue de la déesse à trois corps considérée comme un chef d’oeuvre absolu (il est arrivé que d’audacieux amateurs d’art osent se rendre à Grenpoli uniquement pour la contempler) qui serait l’oeuvre du sculpteur Praxitèle Céphisodotios dont la déesse aurait récupéré l’âme pour le réincarner à cet effet. Charvodelle est une des Nephilims originelles qui fut choisie par Hecate pour devenir sa servante au lieu d’être transformée en diable. La magie émanant du Temple Triprosope de Grenpoli est l’une des plus puissantes qui soient aux Enfers.

*

Sur des collines à environ 150 lieues ( 600 kilomètres) de Grenpoli se trouve l’ex-Helstar devenue Offalion. Le comte infernal Zepar l’administre pour le compte de Baalzebul.
Offalion est une sorte de théâtre reproduisant quelque ville d’un Plan Matériel, sans cesse réaménagé ou modifié, où les diables simulent toutes situations leur permettant de mieux corrompre les êtres vivants. C’est donc un camp d’entraînement diabolique où les meilleurs sont sélectionnés pour partir ensuite en mission sur les Plans Matériels afin d’y collecter des âmes par contrat. Les visiteurs mortels sont les bienvenus pour y devenir professeurs ou sujets d’expériences avec souvent un sauf-conduit pour Grenpoli. Offalion étant une création personnelle de Baalzebul, un imposant temple lui est dédié, où s’effectuent la plupart des promotions de diables.

Autre création de Baalzebul : Carnivalia, un complexe partiellement souterrain dans une vallée stable de Maladomini situé aux creux de l’un des rares secteurs immunisés aux maladies.  Carnivalia est un lieu de plaisirs, en général d’amusement et de débauche, offert par Baalzebul aux plus méritants de ses serviteurs : ceux qui lui ont ramené le plus d’âmes. Selon les cas, un diable pourra y jouir pendant jusqu’à 999 ans. Carnivalia illustre la méthode personnelle de Baalzebul : compter sur des âmes acquises directement par ses serviteurs et former et récompenser ceux d’entre eux qui réussissent. Hormis Azazel, aucun autre Seigneur diabolique ne s’est autant focalisé sur la notion de reconnaissance.

A une emplacement en périphérie du cercle se trouvent la Fontaine de Lave, ou plutôt les fontaines : il s’agit de la terminaison d’un dérivé du pyro-Phlegeton devenu lave à sa sortie de Phlegetos, qui jaillit en plusieurs éruptions, formant un massif volcanique d’environ 200 kilomètres de large. La quantité de soufre y rend l’air irrespirable pour toute créature non protégée. Une fois refroidie, la lave devenue noire est aussitôt prélevée dans des carrières par hordes de diables esclaves qui l’acheminent pour tenter de reconstruire Istug ou Malagarde ou de configurer Offalion. L’énergie de la Fontaine de Lave a aussi pour effet d’aviver la lumière dans Maladomini de sorte qu’on y voit le plus souvent presque normalement.

Enfin, à quelques lieues des Cagecôtes commence une plaine non immunisée contre les maladies mais relativement stable. A l’entrée de cette plaine en venant de Malbolge se trouvent les Lacs-à-bile, terme qui recouvre à la fois un ensemble de mares, d’étangs, de petits lacs et l’exploitation qui en est faite. Ces étendues liquides produisent toutes sortes de substances intoxicantes, magiques, empoisonnées, voire acides, qui sont aussi puissantes que recherchées dans l’univers entier. Elles sont recueillies principalement par des kalabons, qui sont immunisés contre la plupart d’entre elles, et mises en bouteille par des centaines de spinagons et nupperibos surveillés par des barbazus.
L’intérêt des Lacs-à-bile a été découvert par Glasya du temps où elle agissait en Malbolge, non par Baalzebul qui connaissait certes leur existence mais n’en avait cure. A sa différence, Glasya imagina une exploitation de cette ressource qui s’avéra effectivement très profitable. Cette exploitation est aujourd’hui confiée à Malagarth, la de facto régente de Malbolge. Il s’agit d’une entreprise commune associant Glasya, Malagarth et Baalzebul. Toutefois les Lacs-de-bile servent aussi de prétexte abritant les amours du duc Tartach, l’un des généraux de Baalzebul, et de Malagarth qui s’y rend souvent pour cette raison tout en laissant son serviteur le diable Pajpalak s’occuper des détails pratiques et comptables.

A son autre extrémité, cette plaine prend le nom de Miscanthia là où elle devient marécageuse. Ce nom vient du miscanth, plante ressemblant à du bambou, particulièrement riche en sucre. Astaroth eut l’idée de confectionner des alcools, la plupart d’une violence insupportable aux mortels, à partir de cette plante. Cette entreprise est devenue florissante ; elle est aujourd’hui assurée par des centaines de spinagons sous la houlette de la diablesse Gistafore, experte en spiritueux, pour le compte de Baalzebul. Certaines recettes emploient des sécrétions d’insectes sélectionnés pour améliorer leur effet hypnotique. La production est embouteillée comme aux Lacs-à-bile et pareillement distribuée dans les Enfers et notamment à Dis-de-Fer, Jangin Hiter, Malagarde et Mephistar.

VI – MALBOLGE

Le sixième cercle, Malbolge, est peut-être le plus redoutable de tous, voire le plus sinistre. C’est le cercle aujourd’hui le cercle du Déséquilibre et de la Dévoration en général et de celle des enfants en particulier.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Initialement il s’agissait même d’un des cercles les moins inhospitaliers, après Minauros. Très minéral, ses hautes montagnes abritaient des plateaux ou des vallées recouvertes d’une herbe rouge ou de forêts d’arbres dorés aux fruits empoisonnés. C’est le cercle que convoitaient les Déchus mais aussi les Exécuteurs, sous la conduite de Satanael et Grigori et il fut octroyé à des derniers.
Les deux chefs cohabitèrent pendant quelque temps mais assez rapidement le charmeur Satanael prit le pas sur la brute Grigori qui finit par se soumettre à son autorité.

Le côté charmeur de Satanael dissimulait un caractère vain et imbu de sa personne qui le conduisait à se considérer supérieur au Prince des Enfers. Certes, Satanael était avec Baalzebul le plus capable des grands diables et l’un des seuls à pouvoir rivaliser avec Asmodeus. Mais rivaliser et supplanter sont deux choses différentes.

Le plan de Satanael consistait à s’imposer en tant que quasi-dieu grâce à son culte qu’il comptait répandre et développer dans tous les plans matériaux possibles. C’est pourquoi, au contraire de la méthode et de la tradition infernale, il répandit bien plus que tout autre diable la propagande de sa personne dans les plans matériels.

Afin d’obtenir une puissance quasi-divine supplémentaire à celle de grand diable, il confia à son amante Baalphégor la tâche d’étudier le feu infernal qui se manifeste notamment (mais pas seulement) sur Phlegetos. Ce feu a ceci de particulier qu’il est contraire à la nature usuellement attachée à cet élément : le feu est en général incarné par des divinités chaotiques (Kakatal, Tezcatlipoca, Loki…) alors que celui des enfers naît et opère dans un plan de la loi. Satanael comptait atteindre par ces recherches une maîtrise lui permettant de conférer à ses serviteurs mortels des pouvoirs supérieurs dans les mondes où ils agissaient et lui permettant aussi et surtout de pouvoir un jour s’opposer frontalement à Asmodeus.

Baalphégor accomplit sa tâche avec soin et habileté. Elle se rendit fréquemment et longtemps en Phlegetos où elle se lia d’amitié avec Fierna, la fille de Belial, tout en étudiant soigneusement le Phlegeton et les divers feux qui y sont répandus. Elle analysa aussi les fameuses boules de feu qui aspergent régulièrement Avernus et même la forêt incendiaire de Nessus. Mais afin de ne pas éveiller de soupçons, elle évita de paraître rapporter ses découvertes à Satanael. Elle préféra ainsi se rendre en Cania où, avec l’approbation d’Azazel, elle fonda l’école du Hellfire, chargée d’étudier et d’approfondir ses connaissances, qu’elle placera ensuite sous la houlette du sage pit fiend Quagrem. De cette façon, les travaux et recherches de Baalphégor paraîtraient étrangers à Malbolge et plus encore à Satanael.

Entretemps, pour alimenter son culte, celui-ci devait fournir par lui-même l’énergie divine nécessaire à passer pour un dieu auprès de ses zélotes. Cela le conduisit à moissonner toutes les âmes passant à sa portée quitte à en détourner certaines. Mais le culte satanique se développant rapidement il dut, pour suivre la cadence, se résoudre à devenir débiteur de Dispater, d’Azazel et de Geryon, d’abord épisodiquement, puis endémiquement, et au final de façon alarmante.
Alertée par Azazel, Baalphégor tenta de raisonner son cher Satanael en lui expliquant que la connaissance et la maîtrise du hellfire, matière qu’elle et Quagrem étaient seuls à étudier sérieusement, nécessitait une longue et patience recherche qui ne fournirait pas du jour au lendemain les résultats escomptés. Cependant Satanael, ivre de se sentir célébré par des millions de mortels dans les mondes, non seulement ne l’écouta pas mais la rabroua avec hauteur tout en lui reprochant la lenteur de ses travaux.

Baalphégor comprit alors que Satanael, aussi puissant soit-il devenu dans les mondes matériels, était devenu aux Enfers trop imbu de sa personne pour ne pas courir à sa perte. Il ne lui restait plus qu’à éviter d’être entraînée avec lui. Elle cacha soigneusement ses recherches conservées en Cania puis s’ensuit dans un long voyage qui la conduisit à se placer sous la protection de la principale divinité capable de maîtriser un feu qui ne fût pas du chaos : Surtur, seigneur du Muspellheim, auquel elle apporta le fruit de ses recherches. Elle devint sa maîtresse et son agent sur les plans matériels, reprenant  les stratégies de son ex-amant Satanael pour les mettre au service du titan devenu dieu en Gladsheim. Mais auparavant, elle avait écrit à sa chère amie Fierna.

A ce moment, les Enfers n’ont plus rien à voir avec les étendues initiales qu’Astaroth était supposé aménager suivant son imagination inspirée de préceptes sethistes. Des villes, citadelles et autres structures importantes sont apparues, les opérations de traitement des damnés, de moisson des âmes, de conversion en énergie et pouvoirs sont installées, la population des diables s’est démultipliée. Asmodeus y est le maître incontesté et redouté, ayant graduellement et insidieusement relégué Astaroth dans un rôle sans cesse plus subalterne de conducteur de travaux out en faisant l’éloge de la construction de Tantlin, en flattant, admirant et remerciant le fils de Set de ses créations et réalisations. Il le bombarda même Prince des Enfers pour lui marquer toute la considération qu’il ne lui vouait en réalité pas.
Astaroth y mettait du sien car il préférait réellement se consacrer à l’architecture et aux bâtiments plutôt qu’à l’espionnage et l’intrigue. Il passa des siècles à dessiner, bâtir, décorer, refaire, peaufiner et contempler ce qu’il appelait ses oeuvres : Mephistar, Tantlin, Malagarde, se bornant pour le reste à fournir à Set et Geryon de rares comptes rendus insignifiants sur les activités d’Asmodeus dont il ne savait en réalité à peu près rien. Jusqu’à ce qu’Asmodeus, après l’avoir encore complimenté sur ses chefs d’oeuvres d’urbanisme, lui suggéra de s’occuper désormais de ce cercle de Malbolge, moins âpre que Stygia ou Cania et où ce paresseux de Satanael s’avérait incapable d’édifier quoi que ce soit de grandiosement digne de la magnificence infernale.

Le Prince Sénéchal des Enfers se rendit donc chez Satanael afin de l’aviser qu’il condescendait à lui offrir ses services pour construire un beau palais et se fit éconduire comme le dernier des lemures. Satanael n’avait aucun besoin de cet importun qui ne pouvait être qu’un espion envoyé par Asmodeus et le renvoya donc sans ménagement, escorté de pit fiends et d’une cohorte d’hamatulas. Astaroth se rendit aussitôt en Nessus pour dénoncer à Asmodeus l’inadmissible affront qu’il venait de subir. Quand il eut fini, Asmodeus resta un moment silencieux, comme s’il savourait son propre silence, avant de répondre par un seul mot : « Et ? ».
Astaroth ne comprit pas immédiatement et supposa au contraire que le Seigneur de Nessus avait mal compris son récit. Il reprit en soulignant combien son autorité de Prince et d’architecte des Enfers avait été ignominieusement bafouée, combien l’arrogance de Satanael était inacceptable, combien il convenait de châtier ce stupide baronet du sixième cercle jusqu’à ce qu’Asmodeus l’interrompe à nouveau par :
—Et ?
— Hé bien, seigneur Asmodeus, il faut punir ce Satanael, s’exclama Astaroth.
— Je t’ai entendu Astaroth. Je n’en disconviens pas. Tu as un grief contre Satanael. J’accepte que tu te venges.
— Je suis heureux de vous l’entendre dire, mon seigneur. Me permettez-vous de vous demander quelles mesures vous comptez prendre ?
— Je prends acte de la regrettable décision de Satanael de refuser tes services et t’accorde de le punir, répondit lentement Asmodeus.
— Certes, fit Astaroth. Sur quelle de vos armées puis-je compter pour cela ? Je crois que votre garde nessienne serait du meilleur effet.
Asmodeus haussa un sourcil.
— Il te faut donc une armée ? fit-il suavement.
— Mon seigneur, vous savez que je suis l’architecte des Enfers, un bâtisseur que vous-même avez qualifié d’incomparable, non quelque commandant militaire…
Asmodeus l’interrompit, ce qu’il faisait rarement avec ses interlocuteurs.
— Astaroth, le bâtisseur, l’architecte, le penseur des Enfers c’est moi et personne d’autre. Et ses concepteurs sont Ptah maître de l’univers, la divine et très merveilleuse Hecate, et bien sûr ton révéré et puissant père. Ne te confonds pas avec ces hautes puissances, ni avec moi.
— Ce n’était pas mon intention mon seigneur. Je voulais simplement vous dire que mes fonctions ne me conduisent pas à commander des forces militaires.
— Tiens donc ? Et ?
— Et j’ai donc besoin que vous m’en octroyez afin d’accomplir la vengeance que vous m’accordez.

Asmodeus attendait ce moment depuis très très longtemps. Il avait jusqu’à présent utilisé la vanité de ce prétentieux fils de Set afin de l’envoyer se prélasser devant ses plans et ses villes au lieu de le voir coller à ses basques en petit espion de son papa. Cet imbécile ne s’était rendu compte de rien. Même dans cette conversation, ce faraud n’avait perçu ni l’ironie ni les avertissements du Maître des Enfers. Il était bien temps de s’en séparer. Il ferma son visage et prit son ton le plus glaical.
— Tu as mon consentement et au lieu de t’en féliciter tu me demandes en plus mon appui ? Tu plaisantes ? Tu te crois devant Horus 2 peut-être ? Personne ne survit aux Enfers sans combattre. Toi-même n’y subsistes que par ma faveur et ton ascendance. Grâce à quoi, tu t’es dispensé de ce que le premier nupperibo venu sait indispensable : une force de protection. Pourtant tu aurais pu, Astaroth : Maladomini était à prendre, il ne tenait qu’à toi de t’en emparer. Tu as préféré les cajoleries d’Azazel en Cania. Mais pendant que tu ronronnes, contemples ou dessines, on se bat en Avernus pour protéger tes fanfreluches de pierre et de glace. A chaque instant les armées infernales sont sollicitées pour nous défendre tous. Tous y contribuent, depuis le dernier lemure jusqu’à chaque seigneur des Cercles, Satanael y compris. Ta soeur Tiamat et ses enfants ont versé leur sang pendant que tu réfléchissais à la décoration de quelque énième étage de Mephistar. Je ne distrairai pas la moindre force militaire ou de police pour satisfaire tes offuscations personnelles, Astaroth. Ne me demande rien d ‘autre et surtout pas maintenant, je n’y suis pas d’humeur. Seule ma déférence envers ton père m’interdit de te châtier pour ton impertinence. Va t’en et ne reparais plus devant moi avant que je ne t’aie convoqué.

Le fils de Set ne supporta pas cette nouvelle humiliation et s’en alla bouder dans le domaine de son père, Ankhwugaht, en Stygia. Par la suite, son désoeuvrement le conduisit à fréquenter Hecate et à s’intéresser à la confection d’objets magiques qui devint sa nouvelle passion et où son intelligence et sa vocation de constructeur firent merveille.
Asmodeus ne fut pas dupe : il était évident qu’Astaroth était allé pleurer auprès de son père. Set en retiendrait certainement que l’éviction de son fiston signifiait de facto sa dépossession de ce Baator dont il se considérait jusqu’alors le dieu tutélaire. D’ici peu lui et ses relais : Geryon et Tiamat entreprendraient de convaincre Hecate, sans doute Arès aussi, et certainement d’autres Seigneurs comme Azazel ou Satanael de s’unir afin de le déchoir et remplacer par Astaroth, réinstaurant ainsi la primauté du dieu des serpents sur les Enfers. Il lui restait peu de temps.

C’est dans ce contexte que Fierna exposa l’insolvabilité de Satanael que lui avait révélée la lettre de Belphégor. Pour Asmodeus, ce scandale tombait à pic. Bien qu’aucun élément n’en atteste, la plupart des théologues ou historiens des Enfers estiment qu’Asmodeus en avait en réalité déjà connaissance et que c’est pourquoi il proposa à Astaroth d’oeuvrer dans Malbolge.
La nouvelle amusa beaucoup Hecate tout en achevant de la dissuader de l’intérêt de régner sur Minauros où elle fut promptement et opportunément remplacée par un Mammon qui se faisait fort de récupérer ses créances sur Satanael. Le moment de cette décision implique que la déesse a sans doute été la seule à percevoir dès alors ce que tramait réellement Asmodeus mais n’eut pas la volonté ou le désir ou l’intérêt de s’y opposer.
De leur côté Geryon, Azazel et Dispater comprirent avec fureur qu’ils ne recevraient jamais le paiement les âmes qu’ils avaient cédées à Satanael. Mais le pire venait de ce que ce dernier gaspillait de l’énergie infernale pour son propre compte au lieu qu’elle serve à alimenter les diables chargés de la défense des Enfers et de la conduite de la Blood War, ce qui plongea Tiamat dans une violente colère. Celle-ci entraîna une prise de conscience générale de cette mise en danger qui précipita la chute de l’ancien chef des Exterminateurs.

Avec Baalzebul, à l’époque allié d’Asmodeus, pour leader, la quasi-totalité des seigneurs infernaux tomba d’un seul coup sur le râble d’un Satanael qui se pavanait chez lui en s’extasiant sur le nombre de ses ouailles terrestres. If fut traîné devant le tribunal infernal d’Abrymoch nouvellement présidé par Mammon assisté d’Asmodeus et Baalzebul pour y être mis en accusation par Phongor, l’Inquisiteur de Nessus. Satanael ne nia rien, au contraire. Aussi charmeur qu’insolent, il multiplia les piques contre la tyrannie d’Asmodeus et l’obséquiosité de ses collègues. Lui seul, Satanael, avait vu plus loin et plus grand que l’étriqué roitelet de Nessus, lui seul avait su envisager les Enfers non plus comme un dépotoir d’âmes au service de dieux paresseux et indifférents mais comme le modèle révéré de l’univers entier, la référence des mondes, le culte véritable et suprême.
Ce procès fut l’une des très rares occasions où Asmodeus perdit son calme en public. Alors que Satanael pérorait sur la petitesse d’un Dispater blanc de rage contenue, l’archi-Prince des Enfers marcha droit sur lui et lui trancha la tête d’un seul coup avant de lâcher ses hell hounds sur le corps décapité du maître de Malbolge. On a rapporté que le ricanement de Satanael continuait de résonner dans tout l’Enfer pendant que son cadavre était dévoré par les chiens d’Asmodeus.

Presque aussitôt après, Asmodeus proposa à Set d’accueillir à Malbolge son obligé Tlaloc en signe d’apaisement et de bonne volonté, lui expliquant humblement qu’il était désolé d’avoir dû se montrer sévère envers Astaroth mais que lui avait un plan entier à gérer, d’où des responsabilités et charges que le maître d’Acheron pouvait assurément comprendre. Set était d’humeur mélangée : l’humiliation de d’Astaroth par Satanael et Asmodeus l’avait rendu mécontent et inquiet mais il ne pouvait nier qu’Asmodeus avait personnellement et justement châtié Satanael, ce dont son fils s’était avéré incapable par lui-même. La démarche d’Asmodeus lui plut d’autant plus qu’il trouvait que la santé mentale de Tlaloc ne s’arrangeait décidément pas car cet encombrant invité se prétendait désormais le véritable créateur des yuan-tis. Depuis longtemps il ne le tolérait en Acheron que parce qu’il était le géniteur de son amante Echidna. Il fut donc ravi de se débarrasser de ce gêneur demi-dingue pour qu’il aille mettre en Baator un boxon tel que cela contraindrait Asmodeus à un affrontement dont ce dernier sortirait perdant. Or l’impatience et la rancune de Set l’empêchaient de voir que l’état mental de Tlaloc avait au contraire grandement bénéficié de son séjour en Achéron et qu’il s’était accoutumé à observer des règles de comportement fixes malgré sa nature initiale chaotique. Asmodeus le savait pour avoir réussi à négocier avec lui une discrète consécration dans Minauros en échange d’une pluie qui s’abattait dès lors lorsque Hecate s’en absentait.

Tlaloc arriva ainsi en Malbolge où il fut reçu par Asmodeus en personne avec le plus grand faste. L’ostensible déférence du Prince des Enfers séduisit Tlaloc qui, pour la première fois depuis des éons, se sentait enfin considéré. Asmodeus lui expliqua longuement le principe et le fonctionnement des Enfers. Il le cajola tout en l’instruisant, le flatta tout en lui témoignant une immense et profonde compassion, écouta le récit de ses malheurs tout en demeurant sans cesse à ses côtés un hôte prévenant, disponible, affable, compréhensif ; il fit tant et si bien que lorsqu’il lui proposa de devenir le nouveau seigneur de Malbolge, Tlaloc n’hésita pas une seconde à accepter les conditions de rêve qui lui étaient proposées.
Tout ce qu’il aurait à faire consisterait à recevoir sacrifices et offrandes. Et quelles offrandes ! Seul au centre du sixième cercle, Tlaloc recevrait les larmes et les âmes des petits enfants pour les dévorer à pleines dents. Elles lui seraient désormais réservées par priorité. Mieux encore : tous les enfants sacrifiés ou tous ceux ayant péri par violence, les foetus, les nourrissons, les sales gosses, lui seraient entièrement réservés. Et encore mieux encore : dorénavant, les pleurs des enfants seront exigés pour que la pluie de Tlaloc désaltère les mondes. Et sa puissance s’étendra sur toute la strate de Malbolge qui dévorera comme lui quiconque y meurt.

Les effets de l’entreprise de séduction d’Asmodeus subjuguèrent Tlaloc et l’acceptation de son nouveau rôle le vida de son chaotisme originel pour en faire un fidèle seigneur des Enfers. Il manifesta son enthousiasme et sa loyauté en dévorant aussitôt son fils Moloch afin d’en faire son avatar sur Malbolge lorsqu’il serait contraint de s’occuper de ses propres tâches divines. Il devint ainsi le Moloch, qui fait peur aux enfants et auquel ils sont parfois sacrifiés.
Malbolge perdit toute splendeur pour devenir une étendue minérale oscillant d’un déséquilibre à l’autre et sur laquelle il est difficile de se tenir debout car des restes de l’origine chaotique de Tlaloc se réveillent par soubresauts et s’entrechoquent alors avec la structure des Enfers en de grands tremblements de terre.

Au centre, Tlaloc le Moloch dévore. Il n’a cure de rien d’autre et certainement pas de s’occuper du cercle dont il est le seigneur en titre. Il le quitte d’ailleurs assez souvent pour aller exercer par lui-même ses pouvoirs sur les plans matériaux. Grâce à sa nature et son histoire particulière, notamment son abstraction des grandes répartitions ptahines, c’est l’avatar de Tlaloc : le Moloch, qui est aux Enfers pendant que le dieu lui-même se trouve le plan matériel, à l’inverse de ce qui se produit normalement.

L’installation de Tlaloc, dieu de la pluie, du tonnerre, et de la fertilité, produisit une répercussion inattendue en Minauros, où la pluie était déjà fréquente, via la coque des Enfers. L’aura de Tlaloc entra en résonnance avec la nature de Minauros où les ondées redoublèrent, transformant la majeure partie de ce cercle en un immense marécage devenu lui-même fertile.

La négligence par Tlaloc du gouvernement de son cercle amena Asmodeus à le suppléer par sa propre fille, la duchesse Glasya, en qualité de vice-gouverneur. Glasya restaura une certaine forme d’habitabilité de Malbolge. Elle protégea des séismes et aménagea certaines parties du cercle où elle se fit construire sa forteresse d’Ossia non loin d’une étrange forêt faite des cheveux des morts (Hair Forest). Mais surtout, Glasya réussit à convaincre Tlaloc d’utiliser une partie de son énergie au service des Enfers.
L’absorption d’âmes par Tlaloc le Moloch représentait une perte sèche pour les Enfers, dont elles constituent le premier matériau. Ayant analysé la répercussion survenue en Minauros après l’installation de Tlaloc, Glasya usa de ses charmes et de sa persuasion pour parvenir à le convaincre de multiplier des décharges d’énergie sous forme de tonnerre frappant Malbolge et se répercutant dans l’ensemble des Enfers via leur coque. Cette énergie peut alors être utilisé dans les rituels de promotion qui permettent aux diables de franchir les divers rangs de leur hiérarchie. Ainsi, les âmes dévorées par Tlaloc sont-elles récupérées sous une forme directement utilisable par les diables et le Moloch est donc devenu une pièce centrale des mécanismes infernaux.

Cet exploit fit de la fille d’Asmodeus une excellente candidate aux fonctions les plus importantes. Après son départ, Glasya fut remplacée par Malagarth, plus souvent désignée sous le nom de Hag Countess, connue pour sa cruauté envers les lemures. Elle fait office d’intendant général de Malbolge, théoriquement au nom du Moloch, en réalité pour le compte d’Asmodeus, tout en entretenant peut-être d’indirectes accointances avec Baalzebul via son amant Tartach.

Sa principale tâche consiste en théorie à surveiller le Trou aux Renaissances, situé juste à l’entrée de l’accès vers Stygia, qui a les mêmes fonctions que le Maggot Pït d’Avernus mais non le même procédé. En effet, dans le Trou aux Renaissances, ce sont des Excruciarchs (Pain Devils) qui obtiennent la création des lemures en fouettant avec leur fléau les âmes qui y sont entassées après être passées par les Terrasses ou Dité. Lorsque la douleur atteint un point suffisant l’âme éclate et l’énergie résiduelle est instantanément aspirée par des orifices pratiqués dans le pourtour du trou puis digérée et transformée en une lemure ensuite expulsée depuis une sorte de sphincter situé au fond trou. Les Excruciarchs savent différencier les coups qu’ils assènent aux âmes de ceux aux lemures qui apprennent vite à se sortir du trou. La quasi-totalité des lemures ainsi produites sont ensuite réexpédiées par des cohortes de spinagons vers les autres cercles.

Le Trou aux Renaissances fournit environ 35% des lemures, ce qui en fait le deuxième producteur des Enfers après le Maggot Pit, qui en produit environ 45%. Il s’agit d’une création que Satanael obtint d’Asmodeus dans les tous premiers temps des Enfers en lui suggérant qu’il serait préférable d’éviter de dépendre d’Avernus, alors vulnérable et sous l’égide de Tiamat, pour la production de la matière première fondamentale à tous les diables. Comme Hecate se refusait à faire un second Maggot Pit, Asmodeus fit appel à Loviatar pour présider à la création du Trou aux Renaissances. L’expérience ainsi retirée cette servit ultérieurement à la confection de la Faveur Infernale. Ce dispositif permit aussi à Satanael de récupérer discrètement un grand nombre de lemures afin d’en faire ses propres serviteurs.
Etre affecté au trou est considéré comme dégradant même pour les spinagons et les Excruciarchs car l’aspect simple et répétitif de la tâche la rend extrêmement ennuyeuse. Ils sont donc en général de particulièrement mauvaise humeur, même pour des diables, et n’attendent que l’occasion d’être remplacés. Ils ont pour superviseur un paeliryon pratiquement aussi ennuyé qu’eux et qui change périodiquement.

Grâce à son emplacement en périphérie de Malbolge, le Trou aux Renaissances est le seul endroit de ce cercle avec Ossia qui soit à peu près épargné par les déséquilibres qui l’affectent et par les coups de tonnerre ou vibrations chaotiques émanant du Moloch. Ce qui a permis à Malagarth de bâtir à proximité sa Tour de Souffrance, en fidèle loviatarienne qu’elle est.
Revêtue d’une carapace d’ivoire la Tour de Souffrance n’est rien d’autre qu’une vaste salle de torture surmontée des appartements personnels de Malagarth et dont le centre héberge un temple de Loviatar. Elle sert à expérimenter les modes de torture utilisés ailleurs dans les Enfers, en particulier la maladie et le froid. Glasya y envoie ses principaux ennemis ou agents capturés qui seraient susceptibles de lui apprendre quelque chose. Les étages inférieurs sont consacrés aux animaux, les étages supérieurs aux êtres pensants, ceux intermédiaires aux expériences en laboratoires et ateliers et au temple de Loviatar. Outre les appartements de Malagarth, le dernier étage abrite une bibliothèque et un secrétariat.
Malagarth est tellement fière de sa tour qu’elle en a prévu une seconde qui a commencé à sortir de terre à quelques mètres de la première. Toutefois les travaux avancent peu car Malagarth passe beaucoup de son temps en Maladomini pour y rencontrer son amant le duc Tartach.

Après qu’un Moloch fort satisfait ait demeuré quelque temps en Malbolge, Asmodeus réunit un vaste conseil auquel assistèrent 999 diables triés sur le volet. Il leur annonça cette grande nouvelle que la sûreté et la survie des Enfers était garantie maintenant et  l’avenir. Il leur déclara notamment ceci : “Les Abysses ont leurs dieux, nous avons le nôtre, ici même, et pas n’importe lequel : le fils d’un Titan du Chaos apprivoisé par les Enfers. Nous n’avons plus à craindre de quiconque, ni des dieux, ni de leurs créations.”
Lorsque ces paroles furent rapportées à Set celui-ci, en stratège qu’il était, comprit qu’il avait été vaincu. Hecate lui avait déjà glissé que les Enfers étaient devenus la chose d’Asmodée (qu’elle appelait encore ainsi) plutôt que la sienne. Et ces Enfers étaient désormais protégés directement par Tlaloc mais aussi par le consentement de Loviatar et même de Votishal à leur mode asmodéen de fonctionnement. D’autre part les grands Hadès et Hel tenaient les Enfers pour un fait accompli contre lequel ils n’entreprendraient rien. Il  fallait se rendre à l’évidence : tout le monde, à commencer par Tiamat et Geryon, avait désormais bien plus à perdre qu’à gagner d’un conflit avec Asmodeus.

Ainsi Asmodeus put-il enfin régner à sa guise, ou du moins en avoir l’impression.

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1 — Il existait toutefois déjà des linnorms dits anciens ou du chaos pour les différencier des linnorms infernaux engendrés par Tiamat. Ces anciens linnorms étaient issus de titans ou créatures comme Apep, Apophis, Jormungandr.

2 — Dieu de la vengeance, ayant la réputation d’intervenir assez volontiers en cas de nécssité au soutien de l’exécution d’une vengeance justifiée.

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