Une fois terminé, cet article s’est avéré d’une ampleur telle que ses compléments ne pouvaient y demeurer sans en faire le plus long de tout le site (même amputé, il atteint la sixième position…). J’ai donc dû me résoudre à procéder à une nouvelle division qui porte de deux à quatre le nombre de parutions initialement prévu. Figurent ici les éléments historiques des Enfers depuis leur création jusqu’à aujourd’hui. L’état actuel des Enfers sera complété dans le prochain et dernier article, qui comprendra également les appendices.
L’histoire des Enfers ne s’arrête ni à celle de leur création ni à celles particulières de leurs cercles. Ces dernières, inséparables de leur description, font l’objet du précédent article. Par la suite de grands mouvements ont touché l’ensemble des Enfers mais aussi certains de ces cercles ainsi qu’on va le voir.
Même si la grande affaire historique des Enfers demeure la Blood War, dont on peut d’ailleurs considérer qu’elle leur préexiste, une meilleure compréhension de celle-ci nécessite de relater d’abord l’autre grand conflit, quant à lui interne, qui a secoué les Enfers, et qui est connu sous le sobriquet du Règlement de Comptes, ainsi que ses conséquences en Cania. La chronologie sera ensuite respectée pour terminer par les dernières péripéties importantes de l’histoire des Enfers, qui se sont produites en Stygia.
Alerte Spoiler : cette dernière section de cet article contient des éléments tirés de l’aventure intitulée « A Paladin in Hell », de Monte Cook.
Bien qu’aucune date ne soit certifiable, il est communément admis que la guerre du Règlement de Comptes aurait eu lieu à un moment situé entre l’an 2700 et 3000 BCCC, l’hypothèse la plus couramment admise la situant au XXVIIIe siècle selon le calendrier en usage sur Derenworld.
Elle a pour origine une division en deux factions résultant d’intrigues conduites principalement par Mammon. Celui-ci reprochait depuis longtemps aux “vieux seigneurs”, terme qui regroupait Dispater et Belial, les anciens compagnons d’Asmodeus, ainsi que Geryon, catapulté seigneur des Enfers par son père Set, de détenir leurs trônes d’une situation acquise et non de leurs mérites. Mammon soutenait qu’à l’inverse Tiamat, Baalzebul et lui-même faisaient depuis des siècles preuve de talents bien supérieurs sans pourtant bénéficier de faveurs comparables.
Cet argumentaire a pu se développer parce qu’Asmodeus l’employait lui-même au sujet de Geryon et de Tiamat, de sorte que l’archiprince éprouvait une certaine tolérance envers les aigreurs de Mammon qu’il croyait comparables aux siennes sans se douter qu’elles allaient, comme d’ailleurs les siennes, au-delà de simples récriminations .
D’autre part, l’intronisation du nouveau Seigneur de Malbolge ne faisait pas que des heureux : l’appétit du Moloch était considérable et ses privilèges jalousés. Le remplacement dont il avait bénéficié posait aussi question : au fur et à mesure que s’éteignaient les rancoeurs contre Satanael apparaissait le constat qu’Asmodeus avait au final dégagé un de ses collègues des premiers temps infernaux pour le remplacer par une créature certes divine mais surtout dévouée à lui seul. Mammon s’en servit pour propager la crainte que plus personne ne soit à l’abri du sort de Satanael hormis les favoris Dispater et Belial.
L’exceptionnelle capacité de Mammon à l’intrigue lui a permis l’exploit consistant à enrôler Tiamat dans cette alliance bien qu’elle le haïsse pour avoir auparavant cherché à la supplanter dans l’adhésion des dragons. Mais cette capacité n’aurait pas suffi sans le trouble laissé par l’affaire Satanael. C’est cet argument qui permit le recrutement d’Azazel, pourtant lui aussi un “vieux seigneur”, par Mammon qui avait auparavant attisé le triste souvenir de l’exécution de Samyaza.
Mammon se targue également d’avoir réussi un chef d’œuvre en obtenant la trahison secrète de Baalzebul. Certains considèrent toutefois que cette trahison était préparée dès la transformation par Hecate de Triel en diable et que Baalzebul avait simplement jugé qu’était enfin venu le moment opportun. Toutefois, l’argument des « vieux seigneurs » apparaît suffisamment puissant pour avoir convaincu le seigneur de Maladomini qu’inquiétait aussi la présence de Tlaloc au-dessus de chez lui.
Mammon tenta enfin de sonder les intentions de Geryon, qu’il détestait pourtant, en s’appuyant sur l’antique rivalité entre Belial et lui. Mais Hecate et Set conseillèrent à Geryon de rester sourd aux paroles de Mammon et il suivit leur avis.
Enfin, tous les Enfers savaient que le Moloch ne se préoccupait de rien d’autre que ses repas, en échange desquels il régnait sur Malbolge et protégeait les Enfers par sa seule imposante présence : il n’y avait pas à craindre ni espérer qu’il se mêle d’autre chose et il était inutile que Mammon s’emploie à le convaincre de les rejoindre.
En bons grands diables, Mammon, Tiamat, Azazel et Baazebul préparèrent soigneusement leurs plans. Tous considéraient qu’Asmodeus était nécessaire au bon fonctionnement des Enfers ; ils ne cherchaient donc pas à l’éliminer mais à faire en sorte que le seigneur de Nessus soit à leur botte plutôt que l’inverse. Ils comptaient y parvenir en éliminant ses relais Dispater et Belial et en confisquant leurs domaines. Leur stratégie consistait donc à s’emparer des cercles de Dis et de Phlegetos tout en contrôlant Stygia afin de réduire Asmodeus à l’impuissance. Azazel était un excellent formateur et logisticien, Baalzebul le plus puissant des diables, Tiamat la meilleure combattante des Enfers. Même sans Geryon, ils devaient y arriver.
La guerre commença en Avernus. Une grande armée principalement composée d’abishais y avait été réunie en vue d’une grande offensive de la Blood War afin de reprendre pied dans l’Astral Plane et d’en chasser les démons. Au dernier moment Tiamat la dirigea vers Dis et mit le siège devant Dis-de-Fer tout en envoyant ses dragons occuper sans grande difficulté les domaines des barons de Dispater. Simultanément, Mammon attaquait Belial en envahissant Phlegetos. Plus bas, les forces réunies de Maladomini et de Cania traversaient sans encombre Malbolge, où le Moloch remarqua à peine leur présence, pour aller envahir Stygia, prenant complètement par surprise Geryon qui se préparait à concentrer des forces susceptibles de lentement porter secours à Belial. Ils rencontrèrent une résistance si faible que Baalzebul se fit rapidement un plaisir d’aller pisser de la glace supplémentaire au sommet de la prison de Levistus pendant qu’Azazel tentait vainement de convaincre Astaroth de les rejoindre en espérant que Set suivrait alors le mouvement.
La guerre tournait fort mal pour la faction des vieux seigneurs d’autant plus que l’argument de base de Mammon n’était pas faux : les meilleurs cadres, les commandants les plus dynamiques, les chefs les plus audacieux étaient bien ceux de son camp. Au troisième jour de conflit, la victoire leur semblait promise. Geryon était repoussé aux confins de Stygia ; bientôt il serait contraint de capituler ou se rallier. Il ne resterait alors plus aux forces de Baalzebul et Azazel qu’à y rejoindre celles de Mammon ; après quoi Dispater et Belial crouleraient sous leur nombre.
Les deux seigneurs de Dis et Phlegetos firent la même analyse et, malgré la honte et l’humiliation, résolurent d’appeler à l’aide leur maître à tous, le grand Asmodeus, afin qu’il remette de l’ordre dans sa maison tout en sauvant ses plus vieux et fidèles alliés. Pourtant, bien que cet appel émanât effectivement de ses plus anciens et fidèles compagnons, Asmodeus ne bougea pas ni ne dit rien. Il avait dès les premières heures du conflit senti le danger et ce n’était pas un Mammon qui allait lui donner des leçons de stratégie. Intervenir dans la situation actuelle, c’est-à-dire quasi-victorieuse pour l’alliance mammonite, revenait à prendre parti contre celle-ci, c’est-à-dire pour Belial, Dispater et Geryon, et surtout à prendre parti tout court. A l’inverse, se rallier opportunément aux vainqueurs du moment ne lui offrait que la dernière place d’un mouvement qu’il n’avait pas initié. A supposer qu’il intervienne, quelque côté qu’il choisisse, vieux fidèles ou vainqueurs du moment, il aurait pris parti. Dès lors, le Prince des Enfers ne serait plus que l’élu ou le sauveur d’une faction de laquelle il tiendrait en réalité son pouvoir. Que cette faction le trahisse ou disparaisse ou succombe à une autre et c’en serait fini de son règne. Impensable pour celui qui avait arraché aux dieux la concession de ces Enfers dont il était l’architecte et le maître naturel. D’autant qu’à la réflexion, il y avait beaucoup plus efficace.
Le Règlement de Comptes coûta cher en enfants à un monde entier, ravagé du jour au lendemain par de terribles sécheresses que seul Tlaloc pouvait arrêter. Les nuages, quand il y en avait, ne crevaient plus qu’au-dessus de la mer ou sur les sommets glacés des montagnes les plus inaccessibles. Les nuits raccourcirent, la chaleur devint canicule et la canicule l’ordinaire. Les récoltes périrent, les sources se tarirent, les fleuves s’asséchèrent tandis que des nuées d’insectes se déployaient pour dévorer ce qui restait à dévorer. Alors les êtres vivants sacrifièrent à Tlaloc dont les prêtres proclamaient qu’à chaque sacrifice correspondrait une pluie réparatrice. Et en effet venait ensuite une pluie le plus souvent trop brève et le prêtre disait alors qu’il fallait que les enfants continuent de pleurer pour que la pluie continue de tomber.
Les autres dieux n’en surent rien car Asmodeus avait livré ce monde au Chaos en promettant à Arioch que les forces infernales n’y interviendraient pas. La vanité d’Arioch en fut flattée et il crut, à raison, dans les propos de cet archiprince qui avait pour la première fois osé quitter Nessus pour aller le rencontrer dans le Pandemonium. En outre Arioch aimait bien Tlaloc, ce qu’Asmodeus n’ignorait pas pour avoir longtemps écouté ce dernier. L’idée de rendre service à un Titan du Chaos comme lui ne déplut donc pas au fantasque Seigneur des Epées. Il étendit sa main sur ce monde pour y planter un totem ouvrant vers les Abysses, d’où déferlèrent les démons de Graz’zt, les minotaures de Baphomet, les gnolls de Yeenoghu. Cette liaison diffusa dans ce monde une émanation désordonnée qui en brouilla les perceptions, le faisant paraître comme absorbé par le Chaos originel.
Asmodeus avait aussi demandé à Set d’étendre une immense pénombre par-devant ce même monde afin de l’isoler de l’univers et d’ainsi empêcher les prières, appels et suppliques d’atteindre rapidement les autres dieux. A cet effet, il lui représenta qu’il n’était plus temps de s’adonner à de petites disputes et rivalités, que la survie de son fils Geryon était en jeu, et que si, lui, Asmodeus, échouait dans ses plans alors rien n’arrêterait les mammonites sur le chemin de la victoire. Set savait par son autre fils Astaroth, qui voyait Azazel et Baalzebul à sa porte, que c’était vrai. Il dut donc choisir entre ses descendants Tiamat et Geryon ; se souvenant avec un agacement aiguisé par Asmodeus que la première se considérait non sans impudence reine des dragons, c’est-à-dire déesse des créatures serpentines dont lui-même, Set, était le véritable légitime maître depuis qu’il avait défait Apophis, il choisit Geryon.
Grâce à cette pénombre isolante, une Frigga ou un Ukko ou un Poséido ne perçurent rien qui leur parût particulièrement anormal. Straasha ne sentit rien lui aussi car les prières allaient à Tlaloc et la masse d’eau ne changea point : elle fut seulement déplacée par l’effet du chaos et de la sécheresse en des lieux inaccessibles aux vivants. Silvanus entendit certes les végétaux et animaux mais le Chaos déformaient le temps de ces plaintes de sorte que Silvanus les crut étalées sur de longues périodes et qu’elles ne reflétaient que l’apparition ordinaire de saisons un peu sèches.
Seul Hadès savait parfaitement de quoi il retournait. Car les vivants, ayant vu que le char d’Apollon faisait mal au monde, rejetaient avec lui tous les dieux célestes qui auraient pu les aider, auxquels ils préféraient ceux de l’ombre et de la pluie. Un grand nombre d’êtres humains et de leurs semblables fuyant à la fois la lumière et le rite de Tlaloc allèrent se réfugier dans des cavernes sous terre où les prêtres de Hadès les accueillirent avec pitié ; le dieu de la terre nourricière leur y procura de l’eau, des poissons et des plantes souterraines dont la farine était comestible. Ces peuples souterrains devinrent de plus en plus nombreux ; ils adorèrent Hadès et proclamèrent que leur monde s’appellerait Antiphaé, “contraire à la lumière”, et leurs royaumes souterrains Sarapios, en l’honneur d’un des autres noms porté par Hadès.
Ainsi, les humains et autres êtres semblables vinrent-ils à vivre sous terre dans Sarapios pendant que le reste d’Antiphaé sacrifiait ses enfants avant de devenir la proie des gnolls et des minotaures. Mais même à des hordes démoniaques et gnolliques il faut longtemps pour parvenir à occuper tout un monde, surtout lorsqu’un seul portail d’Arioch y donne accès. Ce long temps était tout ce dont avait besoin Asmodeus pour ne pas faillir à sa promesse faite à Tlaloc.
Car Tlaloc put pendant ce temps se goinfrer de larmes infantiles et de sang de bébé. Mais en échange, il avait accepté de la promesse d’Asmodeus d’entrer dans le Règlement de Comptes. Ce qui changea tout.
Entouré seulement de trois compagnies d’hamatulas, barbazus et spinagons, Tlaloc débarqua en Stygia depuis Malbolge, tombant aussitôt sur les arrières des forces de Maladomini contre lesquelles il répandit sa pluie et son tonnerre d’autant plus aisément que des foules de sacrifiés venaient de le suralimenter. Or les diables ne sont ni protégés ni résistants contre l’électricité. Ce fut aussitôt un carnage.
Dans le même temps Geryon, apparemment réduit à s’accrocher aux dernières extrémités de Stygia, soufflait dans sa corne qu’à la demande pressante de Set la déesse Hecate avait accepté d’enchanter dans son domaine d’Aeaea. Au son de la corne de Geryon retentissant dans tout Stygia, les pit-fiends qui s’y trouvaient, la plupart commandant des compagnies entières, crurent qu’ils avaient prêté allégeance à Geryon et cette croyance perdura tout le temps qu’il restèrent en Stygia. Dans sa corne sonnante, Geryon leur intima l’ordre de faire entrer leurs troupes dans le Styx où elles devinrent les proies des amnizus et xerfilstyxes.
Impuissants à faire échec au son de la corne de Geryon, Azazel et Baalzebul ne purent qu’assister à la débandade de leurs armées piégées dans le Styx pendant que les désagrégeaient un nuage de brouillard d’où fusaient sans cesse des éclairs. Ils virent des rivières de sang diabolique s’ajouter à celles de Stygia, ils virent leurs commandants pit-fiends attaqués par leurs propres forces, et ils virent qu’une demi-douzaine de ces pit-fiends s’approchait d’eux en leur adressant de sales regards. Les deux seigneurs des Enfers jugèrent que l’affaire était perdue, donnèrent l’ordre du sauve-qui-peut et partirent réfugier en Maladomini afin d’y organiser leur défense. Entre-temps le nuage de tonnerre passa devant Geryon et son commandant Amon qui l’acclamaient pour continuer vers Phlegetos afin de secourir Belial.
En voyant arriver cet étrange nuage au lieu de ses alliés, Mammon comprit que quelque chose ne tournait pas rond. Puis il aperçut les éclairs, réalisa qu’il ne pouvait s’agir que de Tlaloc et qu’il n’existait qu’une seule puissance infernale capable de le susciter ainsi. Mammon fit instantanément mettre bas les armes à ses troupes et fila en Nessus s’aplatir devant Asmodeus. Ce dernier le releva et le prit dans ses bras : le sang des diables avait suffisamment coulé, n’était-il donc pas temps de cesser d’affaiblir les Enfers et de se réunir pour en finir avec ces bisbilles ?
Aussitôt Mammon s’empressa d’aller convaincre ses alliés de s’en remettre au jugement de leur Prince à tous, le grand Asmodeus. Tiamat, qui attendait en Dis les renforts nécessaires à mener un assaut décisif, comprit que la défection de Mammon mettait un point final à l’affaire et accepta sans difficulté. Elle n’avait en effet aucune chance de vaincre à elle seul un Dispater qui bénéficiait grâce à Mentiri des âmes des diables morts dans le carnage de Stygia pour se renforcer. Baalzebul éprouva quelques réticences car il s’estimait en mesure de continuer la guerre et d’affronter Tlaloc même sans l’aide de Tiamat mais avec le soutien d’Azazel ; il admit cependant que l’issue du conflit resterait longtemps incertaine, que les Enfers en pâtiraient inévitablement, et décida de se résigner.
Azazel entra quant à lui dans une fureur noire, se considérant trahi par Mammon qu’il jura d’éliminer. Baalzebul lui répondit qu’il comprenait son point de vue et pourrait s’amuser plus tard comme il l’entendait mais que pour le moment, au vu de la situation, persister à refuser la proposition d’Asmodeus équivalait à une rébellion et à une insulte qui l’exposerait à se retrouver seul contre tous. Azazel consulta ses commandants, notamment Hutijin et Bifrons, dont les troupes avaient été sérieusement diminuées par l’effet de la corne de Geryon. Ils assurèrent leur seigneur que Cania pourrait probablement contenir une invasion venant de Maladomini, fût-elle menée par Tlaloc, ou venant de Nessus, fût-elle menée par Asmodeus, mais pas faire face aux deux en même temps. Ne décolérant pas, Azazel accepta alors de suivre le conseil du Seigneur des Mouches.
Ainsi le Règlement de Comptes se termina-t-il dans une vallée de Nessus transformée pour l’occasion en tribunal avec Asmodeus au centre d’un cercle formé par les autres Seigneurs des Enfers sauf Tlaloc qui planait au-dessus de leurs têtes. Cette lourde présence conduisit l’ensemble à prudemment jurer qu’ils acceptaient par avance le verdict d’Asmodeus quel qu’il soit. Depuis le centre, Asmodeus récita ce verdict en pointant son épée Punition vers chacun des condamnés.
Mammon fut privé du titre de Duc pour ne plus jamais pouvoir prétendre qu’à celui de Vicomte. En considération de ce qu’il avait su se rallier, certes trop tard, néanmoins le premier, à Asmodeus, il conserverait ses prérogatives sur Minauros.
Tiamat garda ses titres mais perdit la seigneurie du premier cercle. Elle conservait ses domaines, ses rôles et son culte draconique, mais elle ne serait plus en charge de gouverner Avernus. Elle put choisir d’y être remplacée par son favori, le grand diable Zariel, mais c’est Asmodeus qui décida ensuite du successeur de ce dernier, l’actuel duc Bel.
Baalzebul conserva lui aussi ses titres et fonctions, mais au prix d’une malédiction le transformant douze fois par an en une gigantesque larve de mouche pour une période d’un jour, Asmodeus conservant le pouvoir d’aggraver cette sanction en la déclenchant ou la doublant, ou celui de la diminuer, comme bon lui semble.
Azazel fut déchu de tous ses titres et emprisonné pendant dix ans à Mentiri, puis relâché parmi les bannis d’Avernus. Glasya, fille d’Asmodeus, prit sa succession.
Le Règlement de Comptes aboutit donc à une incontestable victoire asmodéenne et fixe depuis lors une grande part des rapports entre les seigneurs des Enfers. Certains ne le lui pardonnèrent pas mais, que ce soit directement ou par ses alliés et obligés, Asmodeus contrôlait de facto désormais six des neuf cercles : Dis, Phlegetos, Stygia, Malbolge, Cania et Nessus. Cependant, cette victoire coûta cher à Asmodeus lorsqu’apparut qu’il avait pactisé avec Arioch, le plus puissant seigneur du Chaos, pour parvenir à ses fins. Seul le soutien de Hadès et de Set, qui avait trempé dans l’affaire et lui sut gré d’avoir gagné et ainsi préservé Geryon, lui évita d’être attaqué par l’ensemble des dieux de la loi.
L’affaire d’Antiphaé suscita une forte colère de dieux aussi considérables que nombreux, notamment : Râ, Seker, Apollo, Frigga, Ukko, Athéna, Osiris, Silvanus, Heimdall, Balder, Bes, Thor, Tyr, Dyonisos, outre l’inextinguible détestation de Tezcatlipoca envers Tlaloc et donc Asmodeus. Si Hadès et Set ont évité que cette fureur ne devienne vengeance, les Enfers asmodéens sont depuis lors considérés comme plus maléfiques que légalistes. Les dieux dits du Bien tiennent ce plan pour un équivalent des Abysses à la seule différence qu’il est régi par des statuts fixes au lieu d’incertitudes chaotiques. Ce qui eut pour conséquence pratique de tenir pour ennemi le culte diabolique en général et celui d’Asmodeus, Dispater ou Belial en particulier.
Asmodeus n’en eut cure. On le sait grâce aux conversations soigneusement consignées par l’archiconjureur Snechar Sudellyn, auquel il se confia. « Je ne le nie pas : j’ai pactisé avec Arioch. Et alors ? Interdit-on à Athéna de s’entendre avec Thor ? Je n’ai pas peur de combattre avec les armes qu’on me laisse. Antiphaé était un monde faible, de peu de civilisation, sans grandes techniques ni beaux temples, un monde resté primaire. Preuve de l’intérêt qu’il suscitait. Je l’ai offert à Arioch, Tlaloc et Hadès. J’ai oeuvré afin de l’isoler ou de le dissimuler aux autres dieux le temps nécessaire à ce qu’ils en prennent possession. Heimdall, Osiris, Silvanus n’ont point entendu gémir les brins d’herbe 1. Frigga, Straasha et Ukko n’ont point apporté la pluie pour arrêter les sécheresses. Râ, Seker, Apollo n’ont point appris qu’ils transformaient les plaines en déserts et les villes en tas de cendres. Mais pourquoi y suis-je parvenu sinon parce qu’ils n’étaient pas là, parce que leur première réponse aux prières est le silence, parce qu’ils ne veillent le plus souvent que sur eux-mêmes ? Tous ces dieux et les autres ont eu l’Ellgebir et bien d’autres mondes. Mais ce ne leur fut pas assez. Il leur fallut non point un mais cent, mille, peut-être cent mille Terra, Ellegebir, Oerth, Athas, Tekumel, Glorantha, Krynn, Mystara, Eberron, Harn, Faerun, Melnibonè, Nehwon, Knowne, Scarn, Ambre, Golarion, Azeroth, Sosaria, Tamriel, Praemal et je ne sais combien d’autres. Gloutonnerie. Malgré cela, ils se sont crus capables d’y être adorés par tous et partout. Orgueil. Avec la volonté d’exclure ceux qui n’avaient pas leur agrément comme Arioch, Tlaloc, ou Set. Cupidité. Alors oui, dans un coin perdu de l’univers, j’ai laissé les Violents entrer. Il ne tenait qu’aux nombreuses et divines puissances de m’en empêcher. Que suis-je pour m’opposer à Râ, Ukko, Osiris ou Heimdall ? Un geste de Nout ou de Seker aurait dispersé la pénombre de Set. Quelques minutes de Frigga, Silvanus ou Nephtys auraient reverdi les plantes et redonné la fertilité au sol. Athéna, Isis ou Thor n’auraient sans doute fait qu’une bouchée des vilains envahisseurs abyssaux. Les a-t-on vu ? Où étaient le solar, la deva, le planetar ou l’archon de Tyr ou de Balder qui allait sonner l’alarme et en appeler aux dieux ? Hermès a-t-il porté plaintes et suppliques aux divines oreilles supposées les entendre ? Freyya est-elle descendue d’Asgard pour protéger les petits enfants ? La chance de Bes a-t-elle fait crever des nuages sur les plaines desséchées ? Non. Trop gloutons, cupides et orgueilleux pour s’abaisser à ces besognes. Beau secours en vérité que celui de dieux qui préfèrent l’adoration à l’action. Ils n’ont pas voulu de nous pour protéger les hommes du Chaos : eh bien en effet, nous ne sommes plus là pour le faire à leur place. » expliqua-t-il en guise de réponse aux accusations dont il était l’objet.
Pour les observateurs des plans matériaux, l’un des premiers inconvénients du Règlement de Comptes consiste à s’appeler ainsi, obscurcissant considérablement la réalité politique des Enfers. On considère généralement que le « Règlement de Comptes » n’en est pas vraiment un au sens il n’y a pas eu d’accumulation de griefs qu’une guerre aurait soldés. Il s’agit bien plutôt d’une révolte contre l’ordonnancement des Enfers visant à substituer une nouvelle génération de chefs à une autre plus ancienne et qui a été fomentée principalement par Mammon ainsi que l’établissent les notes d’Herodias rapportées par Zahar.
Pourtant, ce qui transparaît le plus souvent du Règlement de Comptes est sa partie finale : Azazel et Baalzebul allant organiser leur résistance en Maladomini et Cania, avant d’en être dissuadés par Mammon, le tout suivi par les sanctions asmodéennes. Les punitions de Baalzebul et surtout d’Azazel donnent alors l’impression que ce sont eux qui menèrent une rébellion dirigée contre Asmodeus. Or, dans l’histoire des Enfers, seuls deux seigneurs diaboliques : Satanael et Levistus, ont véritablement voulu évincer l’archiprince. A l’inverse, tous les seigneurs de cercles aux temps du Règlement de Comptes, quelque soit leur parti, ont toujours considéré que la suprématie d’Asmodeus est nécessaire aux Enfers et à leurs propres sécurité et pouvoirs. Mais il n’est sans doute pas inutile à ce dernier de brouiller non seulement l’image des Enfers mais aussi celle de leur histoire.
Ainsi l’observateur profane croit en général que le Règlement de Comptes procède d’une accumulation de griefs chez Azazel et Baalzebul causée par des éons 2 d’une autocratie asmodéenne favorisant ses fidèles Dispater, Belial et dans une moindre mesure Geryon. Il pense qu’elle aboutit à une victoire d’Asmodeus sur une coalition menée principalement par Baalzebul. Il constate qu’Azazel ayant été déposé, Mammon ayant retourné sa veste, et Tiamat restant reine en son royaume mais non en Avernus, il ne reste donc que Baalzebul pour figurer aujourd’hui l’archétype de l’ennemi d’Asmodeus, ce qu’il explique par le fait que Baalzebul est tellement puissant qu’Asmodeus n’a pas osé le réduire. Ainsi, l’acception vulgaire de la politique des Enfers se résume-t-elle souvent à un Baalzebul qui voudrait devenir archiprince à la place d’Asmodeus. Certaines de ces croyances simplistes comportent un fond partiel de vérité. Mais la réalité est assurément beaucoup plus complexe et nuancée.
Le plus important changement concrètement produit par le Règlement de Comptes consiste en le remplacement d’Azazel par Glasya en Cania. Asmodeus pensait enfin sécuriser ainsi le cercle juste au-dessus du sien, qui forme une barrière glaciaire protectrice de Nessus. Il n’avait jamais aimé Azazel, chef du moins maléfique des premiers groupes d’ex-archons, aussi ancien que lui, et qui fut l’un des plus beaux avant Triel. Il le considérait d’ailleurs déjà comme un concurrent du temps où tous deux étaient archons. L’éviction d’Azazel, après celles de Satanael et d’Astaroth, achève de le débarrasser de tout rival pouvant revendiquer une légitimité comparable à la sienne en ce qu’antérieure à la création des Enfers. Asmodeus a certainement dû éprouver une profonde satisfaction au moment de déchoir Azazel de ses titres.
L’importance de cet objectif l’a toutefois conduit à sous-estimer les inconvénients de la solution consistant à éliminer l’un des meilleurs seigneurs infernaux pour s’assurer de Cania en le remplaçant par sa propre fille.
Car Cania est aussi infernal pour Glasya qu’il le fut pour Azazel. Ce désert de glace, de givre et de neige, absolument inhospitalier et inhabitable, est souvent considéré comme encore pire que l’actuel Malbolge, notamment par Glasya elle-même. Lors de son séjour en Malbolge, elle avait réussi à s’y ménager la forteresse d’Ossia où elle était même parvenue à recevoir Hecate ; la déesse l’avait d’ailleurs aidée à protéger un petit territoire alentour des séismes provoqués par Tlaloc.
Mais pour Glasya comme pour bien d’autres, Cania représentait une sorte de seconde mort par solitude et de glaciation. En effet, comme d’ailleurs les démons, les diables n’ont qu’une résistance partielle au froid et non une immunité. Ce que recouvre le dicton selon lequel, aux Enfers le vrai layer de Hel c’est Cania.
Cependant Glasya était bien trop habile pour ne pas connaître son père et savoir quel dangereux déplaisir elle engendrerait si elle ne se montrait pas éperdument reconnaissante de son élévation à la dignité de seigneur d’un cercle. Aussi prit-elle ses quartiers dans Mephistar au milieu d’une société et d’une administration héritée d’Azazel qu’elle entreprit aussitôt d’éliminer.
Elle découvrit alors dans toute son ampleur l’ambiance particulière de la ville bâtie par Astaroth et Azazel, où les hautes tours sont divisées en sections reproduisant la hiérarchie diabolique et dont les souterrains abritent de grands camps d’entraînement et de perfectionnement militaires soigneusement réglés depuis des millénaires. Mephistar possède aussi d’importantes populations de ses deux « mascottes » : de nombreux hellcats y ont élu domicile (bien que la dilection d’Azazel pour les félins ne soit pas un mystère, plusieurs y voient un signe de ce qu’il s’entendait particulièrement bien avec Dispater) ainsi qu’une forte population de mephits de glace. Mais les relatives liberté et tolérance dont jouissent mephits et hellcats n’occultent pas un fonctionnement général aussi rigoureux que le climat de Cania.
Mephistar constitue en effet l’un des endroits les plus ordonnés des Enfers. La discipline et l’obéissance y sont observées plus que partout ailleurs, au point que les diables les aient poussées jusqu’à une sorte d’esthétique spécifique, ritualisant les gestes, les marches, les saluts, les vêtures et les les allures de chacun et même les intonations vocales. Tout comportement est ainsi régi par une étiquette complexe dans un encadrement militaire très strict.
En guise de contrepartie, Mephistar comporte de nombreuses quoique discrètes salles de plaisir sexuel à l’usage des diables méritants, dont l’accès est strictement réglementé et doit avoir été dûment justifié. Les plus privées de ces salles comporteraient des succubes capturées pendant la Blood War, plusieurs types de célestiaux, ou encore des elfes y compris drows.
Azazel s’était en effet toujours montré particulièrement soucieux d’accomplir au mieux la mission de combattre le Chaos qui fut transférée des ex-archons aux diables. Il s’est donc patiemment attaché à former et constituer l’élite de la force de combat des Enfers. A cela s’ajoute que juste « en dessous » de Cania se trouve Nessus dont les capacités militaires sont réputées les plus puissantes des Enfers hors Avernus, servant aussi bien d’ultime défense que d’outil de pacification interne. Avoir la meilleure armée possible paraissait donc sage aussi bien vis-à-vis de Nessus que du reste de l’Univers.
La structuration de Mephistar s’est en outre accompagnée d’un développement de savants qui, à l’origine, avaient pour vocation de travailler à y maintenir une température supportable mais qui se sont ensuite développés dans d’autres champs d’investigations et forment notamment un corps d’ingénieurs et de mages diaboliques sans équivalent aux Enfers. Il s’est plus d’une fois montré précieux dans la Blood War et l’actuel duc Bel y a fréquemment recours.
Autre particularité : on ne torture que très peu à Cania et rarement pour le plaisir. Les punitions pour infractions sont multiples et souvent violentes mais ne consistent qu’exceptionnellement en des tortures prolongées par des diables spécialistes, qui sont réservées à l’obtention de renseignements. Le châtiment usuel consiste à condamner à une errance sans fin dans l’effroyable solitude glacée du cercle. Cania prélève d’ailleurs peu d’âmes à torturer et elles sont toujours de premier choix. Azazel cherchait plutôt à obtenir directement des diables susceptibles d’évoluer en gelugons (ice devils), barbazus, buerozas, orthons : bref, des soldats.
L’arrivée dans ce contexte d’une fille d’Asmodeus pétrie de ses certitudes en elle-même fit l’effet d’un électrochoc. Glasya ne comprit rien à Mephistar et réciproquement. Du coup, la nouvelle souveraine de Cania évinça l’ensemble des hauts cadres hérités d’Azazel à l’exception du duc Barbas, gouverneur de Mephistar, dont elle avait, au moins temporairement, besoin. Ce qui ne changea pratiquement rien car Cania continua de fonctionner comme par le passé mais sans direction, tel un corps privé de tête. Glasya entreprit alors de former ses propres cadres avec lesquels elle imprimerait sa propre marque sur Cania. Elle n’en eut pas le temps.
La Blood War fut la grande malchance de Glasya. A peine était-elle arrivée dans Mephistar que les Enfers subissaient la terrible invasion dite du Grand Massacre, qui atteignit notamment Cania. Si Barbas, gouverneur de Mephistar parfaitement formé à la poliorcétique, sut efficacement organiser la défense de la ville, Glasya apparut de son côté totalement dépassée par les événements, n’étant militaire ni par expérience ni par tempérament. Elle s’avéra incapable de commander une armée héritée d’Azazel dont elle venait de destituer tous les hauts cadres afin qu’ils ne la gênent pas dans sa nouvelle gouvernance. Cette inaction laissa les démons s’infiltrer jusqu’à découvrir et conquérir le passage de Cania en Nessus, provoquant la plus grave menace de l’histoire des Enfers.
Asmodeus exigea alors le retour à leurs postes des grand diables Hutijin, commandant l’Aristacanias, composée uniquement de pit-fiends, et Bifrons, commandant l’Exercanias qui comprend des centaines de gelugons et orthons parfaitement entraînés, ces deux vétérans des combats de la Blood War étant d’ailleurs illustres dans tous les Enfers.
Après l’invasion, Asmodeus chapitra sévèrement sa fille qui en conçut un grand ressentiment envers lui . Pire encore, il fit rechercher Adonides, l’ex-amant d’Azazel et son surintendant général, afin de le rétablir dans ses fonctions, alors que Glasya s’en était débarrassée en le condamnant à rester dans les solitudes glacées pour avoir forniqué contre nature avec le précédent seigneur. C’en fut trop pour la fille d’Asmodeus : elle se soumit à la volonté paternelle mais passe désormais une bonne partie de son temps hors de Cania.
De ce fait, Cania possède une direction en réalité collégiale. Glasya, qui en a le titre, dirige en théorie le cercle, sur la base des rapports de cadres dont la plupart furent nommés par Azazel. En pratique, un quadrumvirat composé d’Hutijin, Bifrons, Adonides et Barbas règne. Et tous sauf Barbas haïssent intimement Glasya.
La Blood War est le plus ancien conflit perdurant actuellement dans l’univers. Elle a pour origine la volonté des dieux de la loi d’y maintenir un l’équilibre en empêchant les puissances du Chaos de prendre une importance excessive. Cette volonté s’expliquait par la crainte inspirée par le conflit contre les Grands Anciens que leurs éventuels successeurs puissent attenter au Lien de Kronos. Elle dériva ensuite en une tentative de limitation des pouvoirs des créatures chaotiques visant à les empêcher d’influer sur les mondes matériels, ce qui donna lieu à l’emploi d’armées d’archons dont certains aboutirent à créer les Enfers.
La Blood War est donc, en tant que structure, la manifestation d’une volonté belligérante émanant du côté de la Loi. Toutefois, elle traduit également une opposition fondamentale et fondatrice de l’univers ainsi que la réponse de la Loi à la nature agressive et expansive du Chaos.
Du point de vue des tenants de la Loi, la Blood War s’avère aujourd’hui proche d’une défaite. Les véritables et durables succès obtenus contre le Chaos postérieurement à la Genèse ne proviennent en effet pas de la Blood War mais d’un combat culturel, spirituel et intellectuel victorieusement mené contre l’ensemble des forces du mal. Le dieu Thor, qu’on ne peut soupçonner d’une tendance à éviter l’affrontement, tient la Blood War pour l’une des pires conneries jamais engendrées dans l’univers. En effet et pour résumer : le Chaos est infini, non la Loi. Les forces chaotiques sont inépuisables, pas celles de la Loi. Le temps joue donc pour le Chaos et non pour la Loi.
A cela s’ajoute que la conduite de la Blood War est devenue l’affaire exclusive d’infernaux mis par les dieux dans le même sac que leurs ennemis abyssaux depuis le Règlement de Comptes.
Mais les diables doivent continuer d’assurer la Blood War car la conduite de la guerre contre les Abysses est une condition nécessaire à la concession de Baator obtenue par Asmodeus grâce au Pacte Primeval.
Il faut cependant se garder d’imaginer que les diables la considéreraient comme un service dû contre leur gré, telle une sorte de pénalité en échange de leur droit aux Enfers. Non seulement les diables sont persuadés du bien-fondé de leurs devoirs et tâches guerrières pour l’univers entier mais encore apprécient-ils cette guerre car elle satisfait leur haine absolue de leurs ennemis qui suffirait à elle seule à légitimer cent mille fois chaque bataille, qu’elle soit perdue ou gagnée.
A compter de la création des Enfers, on distingue quatre phases de la Blood War : la fausse guerre, l’offensive infernale, le tournant du Grand Massacre, la suprématie démoniaque.
1 – La fausse guerre
Au cours de cette période, les Enfers, tout justes créés dans Baator, sont bien trop faibles pour entreprendre quelque action offensive et même défensive ; ils donc en pratique incapables non seulement de conduire la Blood War mais aussi d’y participer. Leur sécurité repose essentiellement sur les déesses Hecate et Hel, sur Tiamat et ses enfants, et sur une poignée de diables.
Les Enfers ne seront toutefois que peu attaqués par leur ennemi démoniaque au cours de cette période. En effet les démons, enchantés de constater dans plusieurs plans matériels la disparition des archons désormais cloîtrés dans Baator, cherchent d’abord à s’établir dans les mondes de ces plans plutôt qu’à s’en prendre à leur ennemi. Un équivalent de la Blood War est alors mené par les célestiaux pour tenter de juguler la progression des démons tant dans les plans matériels que dans l’Astral.
Néanmoins, les quelques batailles qui auront lieu à cette époque en Avernus marqueront durablement les esprits infernaux. Hecate, Tiamat et Belial vont s’illustrer en repoussant des démons qui sont parfois à dix contre un. Par la suite, les mécanismes de création et promotion des diables vont graduellement atteindre une ampleur suffisante à ce que les huit Légions Infernales postées en Avernus deviennent une réalité durable. Les tentatives abyssales diminuent alors considérablement et cessent de représenter un danger sérieux.
2 – L’offensive infernale
Les infernaux vont passer à l’offensive après des éons de préparation, signant leur « grand retour » dans les conflits interplanaires et dans la Blood War. Leurs forces ont alors largement dépassé le nécessaire à garantir la sécurité d’Avernus. Suivant un plan d’attaque longuement élaboré par les principaux commandants diaboliques sous l’égide d’Arès, les cohortes conduites par Azazel et Baalzebul et bénies par Arès exécutent une série de raids aux Abysses qui remportent nombre de succès.
A l’échelon divin, Arès et Hecate on fait savoir qu’ils sont prêts à contrecarrer Arioch et Xiombarg si ces derniers se mêlaient de l’affaire. Le fait est que les divinités du Chaos ne réagiront pas sans qu’il soit possible d’attribuer avec certitude cette inaction à l’attitude des deux divinités de la Loi.
Les abyssaux sont totalement surpris par l’offensive infernale et n’offrent le plus souvent aucune résistance sérieuse ni coordonnée. De nombreux seigneurs sont mis en difficulté, notamment Pazuzu, Juiblex, Kostchtchie, Kerzit, Shami-Amourae, et même Graz’zt. Plusieurs strates abyssales sont envahies et certaines carrément détruites. Les diables réussissent notamment à en éliminer la plupart des rares obyriths encore régnants qui savent encore moins que les démons s’organiser contre une invasion menée par des troupes disciplinées et cohérentes. Baalzebul, Azazel, Bifrons, Hutijin, Merodach, Barnatos, Balan s’illustrent parmi d’autres en parvenant à conquérir des strates entières dont ils ramènent d’innombrables prisonniers qui serviront à alimenter les Enfers. Bifrons découvre dans les 408e, 472e et 493e strates d’immenses champs visqueux d’où sortent des proto-démons dont plus de cent mille seront transférés en Avernus pour y être exécutés afin que leurs essences soient récupérées par Dispater 3.
Cependant Orcus réussit à tenir tête au grand diable Nergal et Lolth et Baphomet réagissent promptement pour mettre à leur tour en échec les attaques des diables ; l’autorité de Demogorgon s’en trouve alors mise à mal notamment par Orcus qui l’accuse d’incapacité ou d’incompétence, accroissant les dissensions entre démons, ce qui laisse le champ libre aux infernaux pour retraiter tranquillement selon une manœuvre prévue de longue date.
La retraite volontaire des diables sert à remplacer des envahissements que l’immensité des Abysses rendent intenables à terme par une sorte de blocus dans le plan Astral visant non plus occuper un terrain mais à intercepter et anéantir toute force démoniaque s’aventurant en dehors de leur plan ou tentant de le rejoindre. Cette stratégie fonctionne à merveille car de nombreux démons refluent alors vers les strates où les appellent les seigneurs dont ils dépendent. Les diables obtiennent également de nombreuses victoires en éradiquant des contre-attaques dispersées et sans coordination menées par les abyssaux. Dans le même temps, une nouvelle armée infernale, conduite par le général Amon de Stygia, traque sur les plans matériels les apparitions de démons qui se raréfient de plus en plus.
Après un siècle d’offensive infernale, les abyssaux ne font pas les fiers. L’action des diables a été partout et dans tous ses aspects couronnée de succès, semblant vérifier l’axiome que l’attaque est la meilleure défense. Leur ordre règne dans le Plan Astral efficacement quadrillé et patrouillé par leurs cohortes. Dans de nombreux mondes des plans matériels les cultes démoniaques sont en plein désarroi, notamment sur Derenworld où seuls résistent ceux d’Orcus et Lolth grâce à des structures locales puissantes et anciennes. Ce dont le seigneur Satanael saura tirer profit.
Les grands leaders infernaux commencent donc à se désengager de la Blood War dont ils transfèrent graduellement la conduite à des commandants subalternes. Tiamat et Satanael se préoccupent de leur propre culte, Belial a des vues sur Stygia, Baalzebul essaye de reconstruire Maladomini, Hecate est fatiguée du poids de toute cette affaire et Arès, que les patrouilles et la posture défensive ennuient, a cessé de s’y intéresser. Azazel, Bifrons et Hutijin reviennent se faire acclamer par Mephistar, Nergal se lance dans des aventures personnelles qui ne lui réussiront guère, Amon est rappelé par Geryon pour se prémunir de Belial qui a lui-même rappelé Balan. Pour Asmodeus, le temps est venu d’oser déplaire à Set, de séduire Tlaloc, de se débarrasser de Satanael en Malbolge, de remplacer Hecate par Mammon en Minauros.
De son côté Demogorgon a compris que sa suprématie était en jeu. Il mène donc d’abord les guerres nécessaires à la rétablir dans les Abysses. Mais il se prépare aussi à tenter de reprendre l’avantage dans le plan Astral. Le conflit du Règlement de Comptes va non lui donner non point l’opportunité de le faire, car il ne l’apprend qu’après coup, mais l’inspiration nécessaire à renverser la supériorité des diables dans la Blood War.
3 – L’invasion dite du Grand Massacre
Le Règlement de Comptes est resté une affaire interne aux Enfers et secrète, ce qui ne permet pas aux démons d’en profiter. Toutefois, au moins deux seigneurs des Abysses : Demogorgon et Graz’zt, apprennent ensuite d’Arioch que leur pire ennemi est en réalité Asmodeus, ce dont Yeenoghu, Baphomet et Lolth se doutaient déjà. Arioch leur révèle en effet le pacte qu’il passé avec Asmodeus pour s’approprier Antiphaé, qui implique que la véritable force agissante des Enfers est le seigneur de Nessus.
Grâce à sa nouvelle amante Malcanthet, qui aurait elle-même été inspirée ou renseignée par Xiombarg ou Lolth, Demogorgon comprend qu’il fait face à un ennemi qui réussit à se servir de Set, Hecate, Tlaloc ou Hadès quand ça l’arrange, à régner sur l’intégralité des Enfers sans en avoir l’air, à embobiner aussi bien les dieux et les diables. Qu’Asmodeus ait été capable de s’accorder avec Arioch montre qu’il est capable de tout, par exemple de corrompre des seigneurs des Abysses (et en effet, Asmodeus et Dispater entretenaient effectivement des espions chez Lolth ou chez Fraz’Urb’Iuu). Demogorgon conclut qu’Asmodeus est l’incarnation du danger : c’est lui qu’il faut détruire et sinon à tout le moins impressionner, effrayer, intimider, faire reculer. Sans cela, les diables auront toujours l’avantage.
Il entreprend alors de rencontrer plusieurs seigneur démons, notament Pazuzu, Lolth et Yeenoghu, qui se rallient à cette thèse, Lolth lui offrant même son active collaboration.
C’est ce qui va inspirer la planification par Demogorgon de l’invasion dite du Grand Massacre. Au lieu de livrer combat dans l’Astral Plane, il va frapper à la tête, atteindre Nessus, détruire Asmodeus. A cet effet, il faudra le distraire ainsi que tous les Enfers par la plus grande invasion de l’histoire qui devra frapper suffisamment fort pour les envahir, obliger Asmodeus à intervenir en personne, et ne plus lui laisser d’endroit par où s’échapper. Il va donc demander et obtenir la participation des seigneurs démons Lolth, Pazuzu, Graz’zt, Baphomet, Kostchtchie, Malcanthet (qui a remplacé Shami-Amourae), Yeenoghu, Ahrimanes, Meershaulk, Zuggtmoy, Rhixali, Shaktari, Socothbenoth, Arzial, qui vont tous envoyer un contingent dans l’Armada de la Horde, gigantesque expédition dirigée vers Avernus sans se préoccuper des plans astraux ou matériels. Rares sont ceux qui, comme Orcus, Juiblex, Nocticula ou Adimarchus, refusent.
C’est la plus grande armée démoniaque de l’histoire, destinée à frapper tel un bélier destiné à enfoncer et briser les Enfers. Mais elle est aussi appelée Armada car elle va pour la première et seule fois employer des vaisseaux conçus par Lolth qui sont spécialement destinés à pénétrer la coque des Enfers et atteindre ainsi les cercles inférieurs avec l’objectif de débarquer des commandos qui pénétreront dans Nessus. Le choix de Demogorgon d’intituler l’opération « Grand Massacre » reflète assez fidèlement son projet : il s’agit bien d’éliminer tous les infernaux, quel qu’en soit le coût ; le grand massacre prévu est celui des diables mais aussi celui des démons.
Ainsi que l’a voulu Demogorgon, le choc de l’attaque démoniaque porte effectivement aux Enfers un immense coup de bélier qui va s’avérer presque fatal. Les démons attaquent en masse certes en Avernus mais aussi en Phlegetos via le Phlegeton, tandis que des groupes convoyés par vaisseaux réussissent à parvenir directement en Maladomini et en Cania, Lolth ayant mystérieusement trouvé un moyen de passage vers ces deux cercles. Toutefois, l’invention lolthienne est très imparfaite et moins du tiers des navires de commandos démoniaques parvient à percer la coque de Baator, ce qui va néanmoins suffire à considérablement désorganiser leur ennemi. Stygia n’est toutefois pas visée car abritant les domaines de deux dieux : Sekolah et Set, et deux fils de ce dernier, Astaroth et Geryon, même un Prince-Démon y regarde à deux fois avant d’y jouer les envahisseurs.
Avernus est transformé en un champ de bataille ou plutôt de massacre réciproque qui va durer sans discontinuer l’équivalent de seize jours et nuits. Les démons sont littéralement hachés les uns après les autres mais leur masse suffit à infliger une pression telle qu’au huitième jour ils ont occupé l’intégralité d’Avernus hormis la Couronne de Tiamat qui surnage au centre d’un océan de cadavres entourée de nuées de démons affrontant un irréductible noyau d’abishais, de dragons et de diables. , Les kobolds ont fui Draukari pour se réfiguer chez Tiamat. La redoute des Dark Eight et la Citadelle de Bronze ont été prises. Surtout, l’accès à Dis est trouvé dès le cinquième jour. Les hordes démoniaques déferlent alors dans le deuxième cercle où ils ravagent les domaines féodaux et mènent l’assaut contre Dis-de-Fer.
En Minauros Mammon, paniqué, ne vient pas au secours de Dispater, préférant concentrer ses forces devant l’accès en provenance de Dis. En Phlegetos, Belial enchaîne les victoires mais l’afflux des démons ne lui laisse aucun répit. En Maladomini, Baalzebul éprouve d’énormes difficultés à repérer et anéantir les commandos de démons qui se sont dispersés pour mieux le harceler par raids successifs. Mais le pire advient en Cania qui ne s’est pas remis de l’éviction d’Azazel et où Glasya, qui vient à peine de le remplacer, est loin de l’égaler. Elle laisse ainsi les commandos démoniaques chercher et trouver l’accès vers Nessus.
Jamais les Enfers n’ont connu péril aussi grave. C’est leur pire heure. Ils ont perdu le contrôle d’Avernus et de Dis, Phlegetos et Maladomini combattent, Cania est envahi, Nessus est menacé. Grâce à Hecate et Arès, les Terrasses demeurent intactes mais coupées du reste des Enfers de sorte que les diables sont privés de la majorité de leurs ressources en âmes. Les diables ont beau supplier les dieux de leur porter secours, ils ne peuvent intervenir car ils ont exigé d’Arioch et Xiombarg la même neutralité aux Abysses qui, par suite, les oblige désormais aux Enfers. Ainsi que l’ont écrit maints commentateurs, cette exigence ne fut pas l’idée la plus intelligente qui ait germé dans l’esprit de la divine Hecate. Toutefois, Charon continua malgré les protestations démoniaques d’acheminer les âmes destinées à Dité dans le cercle de Stygia, qui était indemne de toute invasion.
On dit de Stygia que c’est le pivot des Enfers, du fait de sa position centrale dans l’ordonnancement des neuf cercles. Ce fut en tout cas un pivot de ce moment de la Blood War.
Dès le deuxième kjour de l’invasion, Asmodeus donna l’ordre d’arrêter toutes les âmes à Dité et de les envoyer aussitôt à Malbolge où les quatre cinquièmes iraient au Moloch, le reste continuant vers le Trou aux Renaissances. Il donna aussi ordre à Geryon d’employer ses armées à protéger et convoyer ces âmes et à Baalzebul de sécuriser à tout prix les Cagecôtes et l’accès depuis Malbolge. Enfin, il ordonna à Mammon d’envoyer la moitié de ses militaires au secours de Dispater.
Sentant le danger, Geryon et Baalzebul s’exécutèrent. Mammon se rendit compte de l’absence de tout interlocuteur démoniaque à une éventuelle négociation de sorte que la situation n’offrait pas d’autre profit que ceux qu’il pourrait tirer de l’obéissance. Il fit donc comme eux.
En même temps, pour la première fois dans l’histoire des Enfers, les armées de pit-fiends de Nessus, commandées par Buer et Morax, s’ébranlèrent pour affronter l’ennemi démoniaque.
Le plan de Demogorgon passait d’audacieux à téméraire s’il ne bénéficiait pas d’une logistique et d’un suivi approprié. Une première chance des infernaux vint de ce que les deux tiers des commandos destinés à attaquer directement Cania ne parviennent pas à y entrer et se soient rabattus sur Phlegetos où Belial et ses commandants Gaziel, Balan et Fierna contenaient victorieusement l’ennemi, aidé par le choix des démons d’employer le Phlegetos qui les consumait aux trois quarts avant de pouvoir combattre. L’autre chance fut l’ignorance complète par les démons de la puissance militaire qu’Asmodeus avait depuis des éons accumulé en Nessus, parce qu’elle n’en était jamais sortie.
L’invasion de Nessus par les commandos démoniaques ayant réussi à entrer en Cania fut à peine entreprise qu’aussitôt avortée. L’armée asmodéenne ne fit qu’une bouchée de démons guère supérieurs en nombre, privés de renforts et affaiblis par la dureté de leur séjour en Cania. De toute façon, Asmodeus avait quitté Nessus, dont il avait confié la défense au duc Rimmon. Payant de sa personne, il s’était précipité en Malbolge pour s’établir à côté du trou aux Renaissances où il avait établi avec l’aide de Malagarth un atelier de fortune par lequel il promouvait par centaines des diables grâce à l’énergie que le Moloch suralimenté depuis Dité lui conférait.
Il était en effet évident qu’Asmodeus ne pouvait pas utiliser une nouvelle fois directement Tlaloc, surtout juste après le Règlement de Comptes : c’eut été reconnaître que son pouvoir ne reposait de facto que sur Malbolge. En revanche, gaver Tlaloc d’âmes le conduisait à multiplier d’autant ses coups de tonnerre et ainsi l’énergie transmise à la coque des Enfers et par suite les capacités d’Asmodeus, placé au plus près de lui dans Malbolge, à promouvoir des diables. Ensuite, il fallait que tenir le temps que l’armée de Nessus reconquière les Enfers.
Menée par Buer, elle parcourut Cania d’une traite, laissant Baalzebul traquer les petits groupes de démons qui infestaient Maladomini, traversa Malbolge en saluant Asmodeus et son atelier de transformation, puis Stygia, et arriva en Phlegetos où sa coordination avec Belial pulvérisa l’ennemi. Personne n’avait jusqu’alors jamais vu les forces de Nessus, où le seul Morax commande à 891 pit-fiends. L’armée de Nessus aussitôt renforcée par la garde de Phlegetos menée par Gaziel atteignit ensuite Minauros sous les applaudissements d’un Mammon redevenu radieux qui leur joignit son dernier contingent et entra enfin dans Dis, où la bataille faisait toujours rage. Merodach y défendait depuis plus d’une semaine Dis-de-Fer avec une volonté du même métal que la cité.
Cette fois, aussi efficaces soient-ils, Buer, Morax et Gaziel furent temporairement arrêtés par le nombre et la violence des démons qui continuaient d’occuper le deuxième cercle après avoir mis en déroute les renforts envoyés par Mammon sous le commandement de Caarcrinolas. Ce fut à cet instant que Bel gagna ses galons de futur seigneur d’Avernus. Commandant les 10.000 diables de la deuxième moitié de l’armée de Minauros, qui s’était jointe aux Légions de Nessus et à la garde de Phlegetos, il prit l’initiative d’un mouvement tournant apparemment suicidaire car le conduisant à s’interposer entre les démons assiégeant Dis-de-Fer et ceux qui s’étaient rués contre Buer et Morax. Mais ce mouvement eut pour effet de diviser temporairement en deux les forces démoniaques et d’affaiblir d’autant leur supériorité numérique. Gaziel comprit la manœuvre et ordonna à ses troupes suivies par celles de Morax de mener une attaque à outrance qui écrasa les démons entre eux et Bel. En moins d’une demi-heure, ils avaient rejoint Bel. Buer et Morax et se ruèrent ensuite contre les assaillants de Dis-de-Fer pendant que Bel et Gaziel, rejoints par Balan avec le reste des forces de Phlegetos, attaquaient l’accès vers Avernus, privant les démons de toute possibilité de retraite. Le Grand Massacre devint celui de milliers de démons qui furent exterminés jusqu’au dernier dans Dis.
Bel avait réussi à occuper le passage vers Avernus mais non à y pénétrer. La reconquête du deuxième cercle avait durement éprouvé les troupes infernales ; Dis avait perdu 60 % de ses combattants, Minauros 70 %, Phlegetos et Nessus 40 %. Buer signifia à Asmodeus que continuer d’attaquer dans ces conditions pourrait conduire à perdre toute la guerre et qu’il lui fallait impérativement des renforts pour libérer Avernus.
Asmodeus s’en alla alors en Cania trouver Bifrons et Hutijin pour leur proposer de les replacer au commandement de leurs armées s’ils parvenaient à prendre pied sur Avernus. Les deux acceptèrent aussitôt et Asmodeus imposa leur nomination à Glasya. Un journée plus tard, l’Aristacanias et l’Exercanias entraient comme un coin dans les hordes démoniaques sur Avernus au prix de la perte de 60 % leurs effectifs. Immédiatement derrière suivaient les légions de Nessus puis une force hétéroclite mais nombreuse composée des diables nouvellement promus par Asmodeus, que ce dernier avait placée sous le commandement de Bel. Ce dernier avait pris contact avec les débris des huit Légions Infernales qui, menés par Baalzephon, résistaient encore à l’envahisseur dans les souterrains d’Avernus. Bel s’appuya sur la focalisation des démons contre les pit-fiends de Morax et Hutijin pour se coordonner avec Baalzephon afin de reprendre la redoute des Dark Eight, aidé par Tiamat en personne qui effectua une sortie pour l’appuyer.
Alors Asmodeus fit donner ses dernières réserves. L’armée de Stygia, sous le commandement d’Amon, Baalzebul, enfin arrivé en personne avec ses troupes, les dernières cohortes de Nessus menées par Zagum, et même les tieflings et autres créatures de Jangin Hiter : tout ce que les Enfers comptent de combattants se lança à l’assaut d’Avernus, y compris les kobolds avec Kurtulmak à leur tête qui osèrent une sortie pour reprendre Draukari avec l’appui de Baalzephon et à nouveau de Tiamat. La plupart périrent. Cependant, leur fonction n’était pas de vaincre mais de permettre, par leur nombre, de compenser la supériorité numérique des démons et surtout de les occuper suffisamment pour donner aux meilleures forces, celles de Buer, Morax, Bifrons, Gaziel, Hutijin, le temps et l’espace pour opérer offensivement. Bel se distingua encore en ayant l’idée de mener ses troupes près des Terrasses où elles se réfugiaient périodiquement sous la protection d’Hecate, d’Astaroth et de Hadès, ce dernier venu en personne assister au spectacle, afin de se refaire et soigner avant de repartir au combat. La libération d’Avernus consacra le terme de massacre voulu par Demogorgon : l’affrontement dura l’équivalent de deux jours et nuits. Au seizième jour de l’invasion démoniaque, Demogorgon jugea que continuer d’envoyer des contingents de démons ne servait qu’à alimenter un carnage sans espoir de l’emporter et il arrêta les frais.
L’invasion du Grand Massacre s’appelle aux Enfers la Glorieuse Défense, mais l’appellation démoniaque s’impose généralement. Néanmoins, les deux côtés clamèrent victoire.
Le prestige de Demogorgon atteignit un zénith. Il avait réussi à envahir les Enfers, faisant subir aux infernaux ce qu’ils avaient infligé aux Abysses et mieux encore : à mettre en péril leur existence même. Il pouvait logiquement affirmer que s’il avait reçu le soutien des princes-démons qui lui avaient manqué, tel un Orcus ou un Juiblex, les abyssaux auraient eu de quoi être à jamais débarrassés des diables. Il redevint incontesté aux Abysses et leur généralissime dans la Blood War, fonction qu’il n’a cessé d’occuper depuis, à la grande jalousie et amertume de Gra’zt et Lolth, véritables auteurs du plan consistant à débarquer des commandos dans les cercles inférieurs, auxquels on n’attribua que leur échec. Lolth blâma les capitaines des vaisseaux qui n’avaient pas su bien s’y prendre pour débarquer dans Cania. Graz’zt rompit définitivement avec Demogorgon.
Le prestige d’Asmodeus culmina lui aussi. Les dieux historiquement tutélaires des Enfers : Arès, Set, Hadès, Hecate et même Sekolah et Votishal reconnurent qu’il s’était montré à la hauteur de la situation. Son sang-froid, la précision, l’opportunité et le timing de toutes ses décisions avaient permis de repousser l’ennemi. Il avait payé de sa personne, faisant les bons choix, constituant les renforts, et envoyant ses propres troupes et jusqu’au dernier diable dans la reconquête. Il n’avait pas hésité à déjuger sa propre fille face à l’intérêt général en rétablissant Bifrons et Hutijin dans leur fonctions. Il avait galvanisé autour de lui la résistance des Enfers unis en entier, sans avoir besoin d’une Hecate ou d’un Tlaloc, alors que ses plus puissants vassaux, Baalzebul et Tiamat, n’avaient eu que des rôles très secondaires par rapport au sien, voire à celui de Belial. A l’instar des Abysses, ce succès aigrit quelques uns, en particulier Kurtulmak et Tiamat qui avaient seuls tenus Avernus pendant toute la durée de l’affaire et trouvaient que leurs mérites étaient insuffisamment reconnus.
4 – La suprématie démoniaque
En frappant la puissance diabolique chez elle, à sa tête, Demogorgon avait atteint son objectif majeur : libérer le plan Astral de la suprématie infernale. L’invasion du Grand Massacre fit en effet refluer tous les diables qui s’y trouvaient vers les Enfers de même qu’elle changea profondément la doctrine infernale vis-à-vis de la Blood War qui passa de la domination offensive à la sécurisation défensive.
Le but des infernaux devint en effet d’éviter d’abord la réitération d’une invasion, craignant notamment que les démons ne tirent des leçons du Grand Massacre ou que celui-ci leur ait fourni de dangereux renseignements sur les Enfers. Ils essayèrent donc de déplacer autant que possible les combats dans le plan Astral. Ce qui convenait parfaitement aux démons et à Demogorgon qui cherchait lui aussi à protéger les Abysses et put se targuer d’avoir supprimé le risque de nouvelles incursions diaboliques.
Apparut alors la conséquence la plus gênante de cette invasion pour les infernaux : la différence de capacité de récupération entre leurs forces et celles des Abysses. Les démons recomposèrent rapidement des armées capables de vaincre les diables qui mirent quant à eux plusieurs siècles à ne pas se retrouver systématiquement à un contre cinquante. Ce n’est en effet pas tant les ressources en âmes ou équivalentes qui manquaient que le temps de promouvoir des diables capables de combattre efficacement et bien entraînés à le faire. La stratégie des infernaux réussit à masquer temporairement ce déséquilibre en multipliant les escarmouches entre troupes en relativement petit nombre dans le plan Astral ; mais la disparité finit par apparaître lorsque les démons osèrent à nouveau attaquer Avernus par des raids de moins en moins épisodiques.
Demogorgon et Graz’zt avaient fini par apprendre de la Blood War la valeur du commandement militaire et en particulier l’importance décisive d’un bon général ; ils s’étaient donc chacun de leur côté attachés à former des généraux compétents et résolus, mais aussi des cadres mariliths ou balors de meilleure qualité pour tenter, toujours chacun de leur côté, de clamer victoire contre les infernaux. Petit à petit la cohérence, le moral et la discipline des armées diaboliques cessèrent d’être leur meilleur atout pour devenir leur seul. Après plusieurs raids démoniaques sur Avernus consacrant de fait la perte de l’Astral Plane, il apparut nécessaire d’unifier le commandement infernal dans la Blood War, qui échut à Bel.
Ce dernier fit aussitôt appel à d’autres tactiques que celles prévalant jusqu’alors. Au lieu de rechercher ou même d’accepter l’affrontement, il préféra la ruse et le piège. Il privilégia les équipements, la logistique et la magie, et la préservation de ses troupes. Refusant désormais de s’aventurer dans l’Astral Plane, il choisit de faire d’Avernus un infranchissable broyeur de démons.
Cette stratégie, admise par Asmodeus, traduit une forme de renoncement à l’offensive qui semble signaler un changement de nature de la Blood War. Celle-ci était jusqu’alors l’émanation fonctionnelle d’un principe de la Loi visant s’imposer à l’univers en général et en particulier à un Chaos abyssal considéré comme une menace existentielle. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur l’importance de cette fonction qu’Asmodeus avait obtenu la concession de Baator par le pacte Primeval. Or l’évolution récente traduit plutôt l’inverse : c’est désormais l’incarnation abyssale du Chaos qui contraint l’ordre infernal à demeurer cloîtré chez lui et à repousser les menaces qui l’assaillent.
Mais cette évolution est limitée par conception de la Blood War qu’ont toujours les diables : pour eux, la situation actuelle résulte d’un rapport de forces et non d’un changement de nature du conflit. Ils n’entendent aucunement y renoncer ou y mettre un terme. Leur bellicisme est intact et intense. Que les démons relâchent leur étreinte et les diables reprendront l’offensive dès qu’ils en auront les moyens.
Dispater illustre clairement cet état d’esprit, selon ce que rapporte Snechar Sudellyn des conversations qu’il eut avec lui.
« Je n’ai jamais douté de l’issue de la grande invasion des démons. Le Chaos ne peut pas gagner la Blood War si tant est que la gagner signifie quelque chose. Il serait en vérité plus exact de dire que le Chaos ne peut pas gagner contre nous. S’il le pouvait, nous autres diables n’existerions plus et je ne serais pas en train de causer avec vous. Le Chaos a été beaucoup plus fort quand nous étions beaucoup plus faibles. Pourtant, nous autres infernaux existons toujours, ce qui est la preuve de ce que j’avance. Par instants, à certains égards, le Chaos peut s’avérer surpuissant, talentueux, imaginatif ou même génial. Par instants, à certains égards. Mais ce n’est pas la règle. La règle, c’est nous. »
« Il est commun d’affirmer que trois cercles déterminent le contrôle les Enfers : Avernus parce qu’il est la porte, Nessus parce qu’il est le coffre-fort, et Stygia parce qu’il est le centre. Mais en fait, Avernus échappera toujours à toute main particulière parce que tous auront intérêt à le défendre. Donc qui tient Stygia et Nessus tient en réalité le reste. »
Duc infernal Herodias, Commentaires historiques,
exemplaire copié à Tantlin et apporté au Hall d’Ariacandre par l’archimage Zahar.
Récemment, un raid inattendu a visé Stygia. Il fut opéré grâce à l’un des derniers vaisseaux lolthiens que Demogorgon s’était approprié et fait modifier. L’objectif de ce raid consistait à délivrer le paladin Klysandral qui s’était fâcheusement trouvé enfermé par l’action d’une affidée d’Asmodeus ayant lancé une malédiction exceptionnelle afin de récupérer un cristal-monde convoité par son maître, dont Klysandral était le gardien. S’avérant incapable de lui reprendre le cristal, elle avait recouru à un sortilège spécial qui expédia non seulement le cristal mais aussi tout son environnement aux Enfers. Cependant Asmodeus escomptait quelqu’un d’autre prenne pour lui les risques de récupérer le cristal et d’affronter Klysandral. Son choix tomba sur Geryon. C’est pourquoi le cristal et ses alentours arrivèrent non en Nessus mais en Stygia.
Geryon avait toujours fait preuve de loyauté envers Asmodeus, notamment pendant le Règlement de Comptes et la Blood War. Mais cette loyauté ne faisait aucun plaisir à Asmodeus qui soupçonnait Geryon de la respecter non par croyance mais par intérêt. Ce soupçon, probablement assez injuste, révélait une détestation issue du seul fait de l’ascendance de Geryon, en qui Asmodeus voyait depuis toujours le fils de Set. Geryon était aussi le dernier seigneur encore en place dont l’origine lui ait été imposée lors de la création des Enfers ou ne dépende pas de lui. Ainsi ne pouvait-il percevoir le seigneur de Stygia autrement que comme son seul et dernier véritable adversaire par nature. D’autant qu’il avait de longue date un motif bien particulier de conserver une petite rancoeur personnelle contre Geryon. Pour ces raisons, Asmodeus avait commencé des tractations avec l’étrange Levistus.
Levistus est l’un des tous premiers diables transformés par Hecate, peut-être le premier. Par inexpérience ou à dessein, elle lui conféra des pouvoirs extrêmement puissants, auxquels seuls se comparent ceux d’Asmodeus et plus tard de Baalzebul. Et elle lui offrit également une apparence exceptionnelle, n’altérant pratiquement pas sa beauté d’ex-archon qu’elle teinta seulement de pénombre. Ainsi Levistus portait-il beau et haut, avec l’allure d’un spadassin, préférant les armes légères et la dextérité à la force brutale. Cette apparence séduisit Geryon qui pensait qu’un suppôt d’une telle prestance lui serait fort utile, avant de déchanter bien vite.
Est-ce un dérapage accidentel de la transformation opérée par Hecate ? Ou l’effet mal maîtrisé de cette transformation sur le psychisme de son sujet ? Ou bien une conséquence de la révélation chez celui-ci de pouvoirs considérablement supérieurs à ceux dont il disposait auparavant ? Toujours est-il qu’aucun nouveau grand diable ne parut moins préoccupé de la Loi que Levistus. D’emblée, Geryon eut le plus grand mal à contrôler son puissant subordonné qui cachait à peine sa prétention à devenir son rival. Mais le seigneur de Stygia n’osa pas révéler ses difficultés à quiconque, de peur de paraître ridicule ou incapable. De sorte que Stygia fut au cours de ses premiers temps, notamment dans les hauteurs du cercle et dans les régions du Styx, un territoire contesté entre un maître en titre et son serviteur quasi-rebelle.
Etant un des rares diables à être parfaitement immunisé au froid, Levistus appréciait de se percher sur les plus hauts sommets stygiens pour y prendre des poses afin de narguer Geryon et tout son personnel. Mais rien ne l’amusait davantage que de « balancer à la flotte » du Styx quelque adversaire choisi sur le moment, après l’avoir longtemps combattu en se bornant à parer ses attaques avant de lui délivrer une botte secrète. Il possédait aussi la terrible capacité de drainer les mémoires de ses adversaires et de s’en servir contre eux. Pour beaucoup, il incarnait une sorte d’idéal stygien, séducteur et rebelle, conquérant et manipulateur d’esprits, élégant et rusé, ce qui plaisait particulièrement aux diables du Styx, y compris les Xerfilstyx, qui n’ont jamais cessé de le révérer. Cela rendait Geryon malade de jalousie.
Levistus fut le premier à imaginer contester le pouvoir non seulement de son chef Geryon mais encore de celui de tous les Enfers : Asmodeus. C’est ce qu’il expliqua à Bensozia, compagne du seigneur de Nessus, qu’il avait abordée alors qu’elle revenait de Phlegetos pour aller voir Geryon, ayant été chargée par son cher et tendre d’une mission d’inspection des cercles supérieurs.
Les récits divergent sur cet épisode mais il semble généralement admis que Levistus parvint à enlever l’épouse d’Asmodeus après avoir occis la quasi-totalité de sa garde de pit-fiends pour l’emmener jusqu’à une grotte de glace quelque part dans les montagnes stygiennes. Là, il lui proposa de devenir son épouse afin qu’à eux deux ils éjectent Asmodeus de sa position de maître des Enfers. Devant le refus de Bensozia il la viola, à plusieurs reprises, certain qu’elle finirait par céder.
Or ceux qui connaissaient bien Bensozia savaient qu’elle ne paraissait douce et soumise qu’afin de laisser à son époux toute la place que son autorité pouvait exiger et qu’elle était en réalité aussi volontaire et résistante que lui. Et ceux qui connaissaient bien Asmodeus savaient qu’il n’accorde sa confiance qu’à ceux dont il a éprouvé la fidélité et que personne n’a davantage cette confiance que son épouse. Levistus pouvait certainement sembler plus séduisant qu’Asmodeus, et peut-être s’avérer meilleur amant, ses prouesses laissèrent de marbre le corps de Bensozia et intacte sa résolution.
Pendant ce temps, Glasya, alors toute jeune, venait de terminer une de ses fréquentes disputes avec son père en claquant la porte de son palais de Nessus pour partir furieuse à la recherche des bras de sa maman. Elle se rendit à Tantlin et ne la trouva point mais un Geryon dégoûté. Intoxiqué par Levistus, qui avait remplacé la mémoire de quelques pit-fiends survivants de la garde de Bensozia, il avait été persuadé que celle-ci vivait des moments d’extase grâce aux exploits sexuels de son rival. Glasya ne prit pas le temps de s’étonner de l’inaction du seigneur de Stygia, qui cherchait évidemment à dresser Asmodeus contre son rival. Elle partit aussitôt à la recherche de sa mère et tomba effectivement sur ce charmeur de Levistus. Et décida qu’il lui lui fallait expérimenter ses fameuses performances.
Le grand diable Martinet, shérif de Nessus, réalisa rapidement qu’il y avait un problème à ce que ni la femme ni la fille d’Asmodeus ne donnent signe de vie. Il connaissait bien Bensozia et la savait méthodique et dévouée : elle aurait certainement averti Nessus si cette écervelée de Glasya l’avait bien rejointe. Il en déduisit qu’il serait prudent de mener une enquête rapide et discrète.
Accompagné par la grande diablesse Naphula, versée dans les opérations spéciales, il se rendit donc à son tour auprès de Geryon pour apprendre ce qui s’était passé. Pendant que Geryon expliquait qu’il préférait conserver le secret sur cette délicate affaire, Naphula alla observer discrètement Levistus et vit l’impudent alterner entre la mère contrainte et la fille consentante. Elle fit son rapport à Martinet qui, tremblant intérieurement, fit le sien à Asmodeus. Le Prince des Enfers resta muet et glacial, mais jamais Martinet ne lui vit une telle pâleur. Il partit aussitôt pour Stygia en exigeant de rester seul.
On connaît donc assez peu de choses sur le fameux duel qui opposa le bretteur Levistus au mage Asmodeus. C’est pourtant le seul cas répertorié d’un combat singulier de l’archiprince des Enfers. Toutefois, Glasya affirme que Bensozia aida son époux à surprendre son adversaire et il n’est pas rapporté que Bensozia aurait affirmé le contraire.
Le choix d’enkyster Levistus dans la glace a beaucoup été débattu. Certains y voient un dernier recours d’Asmodeus parce qu’il était incapable de tuer son adversaire. D’autres considèrent au contraire qu’il avait préparé de longue date ce sortilège destiné à une éventuel ennemi surpuissant.
Grâce aux archives d’Herodias, qui était alors un jeune érudit de Tantlin, on sait que le sortilège bouleversa l’énergie de Stygia. Ses feux bleus glacés disparurent, les transformations de diables en cours s’arrêtèrent net, en même temps que tous les cours d’eau sauf le Styx se mettaient brièvement à bouillir et que la température de la surface du Sheyruushk augmentait d’au moins vingt degrés (ce qui entraînera de vigoureuses protestations de Sekolah auprès de Geryon).
On sait surtout qu’Asmodeus sortit vainqueur de l’affaire et ramena ses femme et fille à Nessus dans une ambiance aussi froide que les étendues de Cania. Levistus est depuis lors bloqué au centre d’un pavé de glace bleue qu’un Geryon triomphant s’employa à faire recouvrir d’une montagne artificielle de glace et de neige. Il resta ainsi pendant des éons, demeurant conscient de lui-même et de sa totale inaptitude à quoi que ce soit d’autre que cette conscience, figé dans une prison éternelle dont seul Asmodeus peut le délivrer.
Mais les éons passèrent et Asmodeus, après le Règlement de Comptes et dans les derniers temps de la Blood War, acquit la conviction que Stygia méritait décidément son surnom de pivot des Enfers. Sans doute sa paranoïa lui fit-elle imaginer davantage. Stygia, le cercle de Set, Sekolah, Astaroth et Geryon ; Stygia ainsi nommée en hommage au Styx, chose de ce Charon dont dépendent concrètement les Enfers ; Stygia dont les cités de Dité et de Tantlin sont jalousées de toutes les autres villes infernales ; Stygia dont Hecate et Set ont voulu qu’elle échappe à Asmodeus depuis sa création et où règne ce Geryon installé parce qu’il est fils de son père ; Stygia où Geryon a laissé violer sa femme et baiser sa fille et où ricanent encore les diables du Styx révérant Levistus ; Stygia, le seul morceau des Enfers trop gros pour qu’Asmodeus s’y fasse obéir, voire même respecter, comme il l’entend. Alors ce n’est pas par hasard de Klysandral, son cristal, son temple et son alentour, arrivèrent en Stygia.
Quelques années plus tôt, Asmodeus avait partiellement allégé la claustration de Levistus afin qu’il puisse enfin communiquer psychiquement avec l’extérieur de sa prison. Sa première communication fut donc avec Asmodeus. Ce dernier, bien décidé à le châtier, lui rendit longtemps la monnaie de sa pièce en se moquant, en le raillant, en feignant de refermer sa prison, en lui signifiant combien à peu près tout ce que les Enfers comptent de diables vomissaient sa mémoire. Peu après, Glasya vint charmer son ex-amant par des danses érotiques afin qu’il mesure bien toute son impuissance. Puis Asmodeus revint et lui proposa un marché : il le laisserait adopter un aspect et un seul en dehors de sa prison, à condition de demeurer discret et de semer le désordre dans Stygia. Si Asmodeus se montrait satisfait de ses actions, alors il pourrait conserver cet aspect. Sinon, il retournerait à sa solitude glacée.
Levistus ne se le fit pas dire deux fois. Grâce à ses connexions avec les diables du Styx, des incidents inhabituels apparurent en Stygia : disparitions mystérieuses, pertes de mémoire ou d’esprit, âmes qui n’arrivent pas aux destinations prévues se multiplièrent.
Cependant Asmodeus avait sous-estimé Geryon et ce n’était pas la première fois. Que Geryon puisse régner sur Stygia pour d’autres raisons que sa filiation était une pensée insupportable au seigneur de Nessus parce qu’il y voyait une remise en cause de ses propres mérites. Lui ne devait sa position qu’à lui-même. Il avait su s’entourer des lieutenants nécessaires à son ascension : Dispater, Belial, Phongor, Buer, d’excellents serviteurs comme Adramalech ou Martinet, d’une épouse fidèle et dévouée. Du temps où il n’était qu’un simple archon bien moins éblouissant qu’un Azazel ou un Triel, il s’était élevé jusqu’au commandement des futurs Déchus contre les démons ou les obyriths ; il avait avec ses troupes subi coups et les blessures, dominé des mondes pour le compte de ses divins maîtres, connu le goût de la défaite, aligné des victoires. Il avait au péril de son existence convaincu les dieux de lui concéder Baator. Il y avait ensuite régné malgré la présence de Hecate, de Set et de Hel, malgré Charon et Anubis, et son règne avait vaincu ses ennemis et ceux des Enfers. Comme Demogorgon, son pire ennemi, il était parti de presque rien et était arrivé à presque tout. Alors devoir composer avec un quidam seigneurial au motif qu’il provient d’une éjaculation de Set passe encore, mais lui reconnaître un grain de mérite, c’était trop.
Or Geryon n’était pas un imbécile. Contrairement à Levistus, lui n’était pas du genre à sous-estimer Asmodeus. Ses ralliements à son archiprince et sa loyauté envers lui étaient dictées par une véritable fidélité autant que par un sens aigu de la combinaison de ses propres intérêts avec ceux des Enfers. Il savait qu’Asmodeus ne l’appréciait guère et que leurs différences d’origines et de nature en était cause, ce qu’il s’était employé à aplanir. Contrairement à Astaroth, Geryon ne frayait guère ni avec son père ni avec Hecate ni même Tiamat, assumant pleinement son rôle de seigneur du cinquième cercle. Sa gestion de Stygia était d’ailleurs irréprochable. Dispater, qui l’appréciait, l’a toujours soutenu contre la paranoïa asmodéenne.
Cette fois, Geryon comprit que quelque chose de dangereux se tramait sous le quelque chose qui n’allait pas en apparence. Il ne fut pas long à apprendre que Levistus était partiellement libéré. Comme seul Asmodeus avait le pouvoir de le faire, la conclusion n’était pas difficile à tirer. Le choix de réactiver partiellement Levistus évoquait l’affaire du viol de Bensozia qu’Asmodeus ne pouvait avoir oublié. Or le seigneur de Nessus n’était pas du genre à pardonner d’avoir laissé se produire ce viol mais bien du genre à attendre des éons avant d’exercer sa vengeance.
Geryon pressentit qu’Asmodeus lui tendait un piège avec cette affaire et consulta à ce sujet son sage Herodias. Après quelques recherches et prises de renseignements, Herodias lui apprit que le cristal contenait un monde qui attendait un prophète qu’il suffisait de devenir pour se l’approprier. Ce cristal étant gardé par le paladin Klysandral dans un territoire consacré, il avait donc fallu transporter le tout en bloc dans les Enfers, avec le paladin et le cristal à l’intérieur.
A nouveau, il ne fut pas difficile à Geryon de trouver pourquoi Asmodeus avait tenté de s’en emparer et pourquoi il l’avait choisi, lui Geryon, pour lui apporter ce cristal. Son échec fournirait un puissant prétexte au processus de sa disgrâce après les troubles en Stygia fomentés par Levistus ; alors Asmodeus enverrait un autre à sa place tout en accroissant les pouvoirs et ambitions sur Stygia d’un Levistus qu’il tenait à sa merci. Et s’il réussissait, Asmodeus feindrait de lui pardonner le désordre de Stygia quitte à le récompenser d’une babiole quelconque en échange du précieux cristal-monde. Non sans amertume, Geryon décida de s’emparer du cristal mais sans le remettre à Asmodeus : il verrait ensuite s’il n’était pas plus opportun de l’offrir par exemple à Set.
Malheureusement pour lui et heureusement pour le monde en question, il n’en eut pas le temps. Protégés et informés par un célèbre mage du chaos, trois aventuriers de grand renom, dont l’une allait plus tard devenir l’un des plus célèbres souverains actuels de Derenworld, l’autre un puissant seigneur des Royaumes de Toril, et le troisième le prêtre suprême de Heimdall sur Derenworld, parvinrent à s’emparer du vaisseau lolthien de Demogorgon qui leur permit d’arriver directement en Stygia. Ils parvinrent ensuite à surprendre Geryon sur le chemin du cristal et à l’occire. Cet exploit, unique de la part de mortels dans les Enfers, figea les diables de stupeur, pendant que Klysandral, son cristal et son territoire étaient libérés par les mêmes. A leur retour dans le plan matériel ils reçurent la bénédiction conjointe de Heimdall, Straasha et Thor. Ni Set ni Asmodeus n’y pouvaient plus rien et n’avaient d’ailleurs pas intérêt à ce que la chose s’ébruite. Néanmoins Levistus fut trop content de s’arranger pour que la chose se sache.
Le fait est que la mort de Geryon satisfaisait à peu près autant Asmodeus que Levistus, pour des raisons bien différentes mais aussi Astaroth et Belial.
Pour Asmodeus, cette mort était inespérée. Par son ancienneté, son ascendance, son rôle historique dans le Règlement de Comptes ou la Blood War, ses relations avec les deux dieux hébergés en Stygia, Geryon était intouchable. Et voilà qu’il venait d’en être débarrassé. Désormais, il allait pouvoir le remplacer par ce prétentieux fantoche de Levistus qu’il savait aussi vindicatif qu’inoffensif. Sa vengeance serait longue et lente et pleine. Il le contemplerait en train d’enrager dans son kyste de glace, moqué et méprisé par tous les autres seigneurs des Enfers comme Levistus lui-même avait tellement apprécié de le faire aux temps où il se pavanait sur Stygia.
Pour Levistus, cette mort signifia qu’il allait enfin retrouver un rôle et pas n’importe lequel : celui de seigneur de Stygia, qu’il avait toujours convoité. C’était pour lui aussi inespéré. Il n’attendait au mieux qu’une continuation de la permission de communiquer et d’entretenir un aspect. Lesvistus ne se faisait cependant aucune illusion sur les motivations d’Asmodeus ; mais tout était bon à prendre plutôt qu’un retour à l’enfermement absolu qu’il avait subi durant des éons.
Astaroth éprouva l’agréable sentiment que la mort de Geryon lui donnait enfin raison. Par expérience et raisonnement personnels, il estimait, surtout depuis son humiliation par Asmodeus, qu’une véritable entente entre ce dernier et les descendants de Set était impossible. La tentative de Geryon, son demi-frère, de représenter un compromis entre ascendance sethiste et rôle de seigneur des Enfers, aussi sincère et habile soit-il, était selon lui vouée à l’échec.
Pendant des éons, le règne de Geryon sur Stygia lui avait donné tort. Astaroth savait qu’on ridiculisait sa théorie qui passait pour une excuse servant à dissimuler ses propres déconvenues, y compris aux yeux de Set. Ces railleries suscitaient une aigreur et une jalousie de plus en plus vive à l’encontre de son demi-frère dont le long et prestigieux règne lui donnaient chaque jour davantage tort.
La mort de Geryon changea tout. Le constat du choix de Levistus pour succéder à Geryon, alors que leur aversion réciproque était notoire et que le nouveau seigneur de Stygia restait à la merci d’Asmodeus, conduisit l’énorme majorité des sethistes à désormais approuver Astaroth, devenu du jour au lendemain celui qui avait tout compris avant tout le monde.
Belial ne s’embarrassait pas de ce genre de métaphysique. Depuis des éons le seigneur de Phlegetos attendait le moment de s’emparer du pivot des Enfers afin de devenir le premier vassal d’Asmodeus. Il avait en d’autres temps flatté la vanité et les espérances de Levistus, espérant ainsi semer la discorde en Stygia jusqu’à ce qu’elle devienne suffisante à le « contraindre » d’intervenir en personne pour y mettre bon ordre. L’emprisonnement de Levistus avait mis à bas tous ces plans que Geryon, grâce aux bons offices de Lilis, l’archiduchesse épouse de Dispater, avait fini par apprendre. Depuis, Geryon se méfiait de Belial comme de la peste et avait passé à tous ses généraux l’instruction de ne jamais cesser de surveiller l’accès vers Phlegetos. Sa mort mit fin à cette instruction et dès qu’il l’apprit, Belial décida de profiter de la confusion générale et de l’impréparation de Levistus pour enfin envahir Stygia.
Néanmoins le grand diable Agarès, l’un des généraux de Geryon, continuait par habitude de surveiller l’arrivée en provenance de Phlegetos. Il fut le premier à y voir apparaître l’avant-garde des armées de Belial menées par Balan en personne et, suivant un réflexe militaire conditionné par des millénaires d’enseignement, se porta aussitôt contre elles avec ses 4000 osyluths. Ce que Levistus acclama aussitôt, le bombardant son maréchal personnel avant même que soit livré le premier combat. Ce premier combat ne dura que très peu de temps. A peine les hostilités étaient-elles engagées qu’Asmodeus en personne apparut devant les armées de Phlegetos pendant que Phongor et Martinet en faisaient autant devant Belial lui-même. Alors la voix devenue soudain immense et inhabituellement caverneuse d’Asmodeus tonna dans tout Stygia et tout Phlegetos et jusqu’en Minauros.
« Que crois-tu être en train de faire, Belial ? Ignores-tu que j’ai intronisé hier le Comte Levistus seigneur de Stygia ? Est-ce mon autorité ou est-ce ma personne que tu entends défier y envoyant tes armées ? Prends garde, Belial, mon vieil ami. Le Grand Inquisiteur Phongor est à cet instant devant toi. Encore un seul pas d’un seul diable de ta soldatesque et il t’emmènera en Abrymoch devant le Tribunal des Enfers où je te convoque pour que tu répondes de ta rébellion. Encore un seul pas d’un seul diable de ta soldatesque et ce ne sont pas les armées de Stygia mais celles de Nessus que les tiennes devront vaincre. Repens-toi et retire tes troupes d’ici, mon vieux camarade, et je saurai me montrer clément. Pour preuve de ma générosité je te laisse encore le temps que j’ai mis à prononcer ces paroles pour te décider. Il te reste une minute ».
Ces derniers mots : « une minute » continuèrent de se répéter, résonnant dans des échos qui allaient s’affaiblissant à chaque seconde. Tous comprirent qu’à la seconde où l’écho aurait disparu disparaîtrait aussi la patience d’Asmodeus. Il fallut moins de dix secondes pour que l’ordre de retraite donné par Belial commence à être exécuté.
Asmodeus se tourna vers Agarès, tétanisé par ce qui venait de se passer et surtout par la puissance de la voix d’Asmodeus qui avait déclamé à un mètre de lui.
— Duc Agarès…
Voyant pour la première fois de son existence le seigneur de Nessus consentir à lui adresser personnellement la parole, le duc plongea dans une profonde révérence avec une vitesse presque comique.
— Le maréchal de Stygia est humblement à votre service ô Majesté, bafouilla-t-il.
Asmodeus le considéra avec indulgence. Il savait qu’Agarès était un « jeune » diable unique, vieux d’à peine deux siècles, le dernier qu’ait proposé Geryon et qu’il était allé personnellement transformer en Nessus. Sa mort avait dû particulièrement éprouver ce fidèle serviteur.
— Je ne suis pas votre Majesté, fit doucement Asmodeus. Je ne suis même pas votre maître. Mais je suis le maître de votre maître. Dites archiprince, c’est ce qui convient. Et pour moi, vous êtes duc et rien d’autre, qui servez désormais Levistus, puisque lui seul a pu vous appeler Maréchal, n’est-ce pas ? Je vous autorise à répondre aux questions que je vous pose.
— Exactement, ô archiprince.
— Savez-vous pourquoi je suis là ? demanda plus sèchement Asmodeus.
— Je n’ose pas présumer des pensées de notre Prince à tous, répondit Agarès qui commençait à recouvrer ses esprits.
— J’accepte cette réponse. Je suis ici parce que votre maître est déficient. Je l’ai choisi et j’en assume les conséquences. Mais vous vous doutez aisément, duc, que j’ai d’autres choses à faire. Belial est de retour chez lui, Stygia n’a rien à redouter de Malbolge, ce qui reste n’est plus qu’affaire de police. Ce sera probablement difficile, vu les circonstances. J’attends néanmoins un rapide rétablissement de l’ordre dans Stygia. Votre maître prendra pour cela les mesures qu’il jugera utiles. Quant à vous, dans une heure vous pourrez quitter la porte de Phlegetos avec vos troupes. Je vais nommer trois observateurs, chargés de me rapporter directement si Belial manquait à sa parole, mais je ne pense pas que cela arrivera. Enfin, j’ai confié au duc Machalas la défense de Tantlin pour le cas où Belial aurait choisi une autre option. Cet entretien est maintenant terminé.
Asmodeus disparut pour revenir chez lui en Nessus tirer les enseignements de la réussite de l’incursion de mortels capables de tuer un seigneur de cercle. Il semble qu’un renforcement de la coque des Enfers permettant d’éviter de telles intrusions ait été entrepris.
Comme il s’y attendait, Levistus se montra incapable de juguler la quasi-guerre civile qui suivit la mort de Geryon et par suite d’établir son autorité sur Stygia. De ce fait, le gouvernement du cinquième cercle est en pratique partagé entre Agarès, Machalas et les trois co-duchesses de Dité.
Belial évita le procès devant le tribunal d’Abrymoch mais non les railleries de tous les Enfers. La voix d’Asmodeus résonnant dans l’intégralité de son propre domaine de Phlegetos l’humilia comme il ne l’avait jamais été de toute son existence. Il est douteux qu’Asmodeus ait anticipé toute la violence du coup moral qu’il portait au vieil archiduc et qui conduisit ce dernier à une semi-retraite. Au contraire d’un Levistus, Belial n’a jamais envisagé d’augmenter ses domaines pour s’en servir contre Asmodeus mais seulement comme un moyen de devenir le plus puissant et le plus efficace de ses serviteurs et ainsi son préféré. Sur ce point, il ne différait pas de son vieux rival Geryon.
Du point de vue de ce qui semble être l’intérêt du seigneur de Nessus et même de l’ensemble des Enfers, il peut apparaître paradoxal que l’histoire récente de Stygia et de Cania aient conduit à l’élimination de seigneurs dont Asmodeus n’avait en vérité rien à redouter, surtout au profit d’un ennemi aussi haineux que Levistus.
____________________________________
1 — Capacité poétiquement attribuée à chacun de ces dieux à divers titres : Heimdall par sa tâche de surveillance et de protection, Osiris parce qu’il incarne la résurrection, Silvanus parce qu’il est règne sur le végétal. ↑
2 — Le terme « éon » est ici employé en son sens théologique signifiant « ère » ; il s’entent comme une réunion de millénaires en nombre intéterminé entre deux et neuf. ↑
3 — Les démons n’ont pas d’âme, à la différence des diables qui sont formés à partir d’âmes. Ils ont en revanche une essence produite par le chaos originel dont ils sont issus. Lorsqu’un démon est exécuté ailleurs qu’aux Abysses, son essence y retourne. Toutefois, ce mécanisme de retour est interrompu aux Enfers où toute créature qui y meurt voit son essence ou âme tout équivalent piégée et redirigée à Mentiri, dans le cercle de Dis, où elle devient à disposition des diables.
Les Enfers étant conçus comme une prison, ce mécanisme de « nasse d’âmes », installé dans leur « coque » par Hecate, Charon et Hadès et puisant son énergie particulière dans le Styx, servait initialement de sécurité destinée à éviter des évasions d’âmes ayant échappé à la surveillance de Charon ou des diables. Il jouait aussi un rôle de dissuasion d’éventuels assaillants justifié dans les premiers temps des Enfers par leur grande vulnérabilité et leurs faibles ressources. Lorsque les attaques contre les Enfers négligèrent cette dissuasion, entraînant des combats et des morts en Avernus, les infernaux trouvèrent à cette « nasse » une nouvelle et fructueuse utilité. ↑