Les Enfers – IV : synthèses et compléments

10 janvier 2022 par Kazz → Cultes

Ce dernier article de la série consacrée aux Enfers présente le matériau qui n’a pu être intégré aux précédents pour des raisons notamment de cohérence ou de facilité de lecture.
Il contient principalement des synthèses : sur l’histoire des Enfers vue par l’historiographie, sur les actuels seigneurs des cercles, sur les dieux liés aux Enfers, et sur deux impostures notoires. Deux appendices le complètent, l’un relatif à Set, l’autre à Louhi et Loviatar.
On trouvera enfin une petite postface à l’ensemble de ces quatre articles rendant hommage à ses principales sources en D&D.


Histoire et historiographie des Enfers

« Les infernaux sont très forts d’abord parce qu’ils sont très sous-estimés. Du coup rien ni personne ne mesure quelle est leur importance réelle au monde, ce qui les arrange bien. Cela vient de leur modus operandi inspiré par Asmodeus. La flamboyance, le roulage de mécanique, ils laissent volontiers ça aux dieux et aux démons. La beauté de Balder, le tonnerre de Thor, la lumière de Râ dans le ciel sans parler des six cent et quelques couches abyssales, tout ça a certainement de la gueule. Demogorgon en jette avec ses deux têtes. Les morts-vivants d’Orcus sont partout et aussi les drows, les gnolls et j’en passe et tout cela renvoie aux scintillantes Abysses. Le démon aime le clinquant. Les diables c’est le contraire. Ils opèrent dans l’ombre. Leur présence est très rarement signalée et ils n’aiment pas qu’elle le soit. Rien ne distingue le paysan rendu prospère par son travail de celui qui l’est devenu pour avoir vendu son âme. Leurs cultes, quand ils existent, sont le plus souvent secrets ; ils restent toujours discrets et ne s’affichent pas ; il est d’ailleurs très rare qu’un seigneur des Cercles se déplace ici-bas.
Le succès des diables vient ainsi de ce qu’ils opèrent complètement à l’inverse de toutes les autres puissances divines ou du même acabit. Un dieu ou un démon vous dira : « comporte toi bien et plus tard ou dans l’au-delà tu seras récompensé, tu seras puissant ou bienheureux, la mort ne sera qu’une étape ». Seul le diable va dire : « demande-moi ce que tu veux ici et maintenant et tu l’auras ; et ça ne te coûtera rien, il suffit seulement de me donner ton âme post-mortem en signant là. Et personne ne le saura. » Voilà qui est autrement plus efficace. On aurait beaucoup à apprendre d’eux mais peu s’y intéressent vraiment. Normal : c’est précisément ce qu’ils veulent. »
Narrations de la Great Evil Coalition par l’Archimage Keraptis, collationnées et compilées par Denlariege Halmore et Jool Auchmurr’h, manuscrit original déposé à Mac Fuirmidh, 5018, édition complétée à Doss et Enlight, 5148 et 5155.

Les Enfers font partie, avec les Abysses, l’Egypte Céleste et Gladsheim, des plans extérieurs les plus commentés par les sages et savants, probablement parce qu’ils représentent une énigme bien particulière, mélangeant une structure à la fois divine et non divine, régulière et séculière, spirituelle et matérielle, un rôle universel et des finalités spécifiques aussi bien externes qu’internes. La nature même des Enfers est encore sujette à discussion : organisation souveraine ou réunion des natifs de Baator ? Concession faite aux diables ou propriété par ceux-ci de leur propre plan ? Etape nécessaire du cycle de la vie et de la mort ou simple modalité pratique du voyage post-mortem des âmes ? Asmodeus, lui, connaît les réponses, comme il sait aussi qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, ainsi que l’énonça le Cardinal de Retz.

On peut apparemment résumer leur histoire intérieure par une longue lutte menée par Asmodeus contre Set, Hecate et les autres seigneurs des cercles. En témoignent par exemple la relégation de Hecate en Aeaea, de Set en Ankhwugat, la réclusion volontaire d’Astaroth, le retrait de Tiamat et aussi chute de Satanael en ce qu’il rêvait à une grande puissance infernale de l’Univers.

Globalement, cette tendance s’analyse comme le remplacement d’un principe sethiste par un principe loviatarien. Au concept d’une ressource constituée par les âmes inaptes à parvenir aux champs d’Asphodel alimentant une force opposée au Chaos s’est substituée l’utilisation de ces âmes à une finalité interne de punition, voire de sadisme, avec la volonté de les puiser directement dans les plans matériels par des pactes individuels. Cette évolution accompagne la progression asmodéenne dont les victoires furent rarement obtenues par la force mais le plus souvent en suscitant la dissuasion, le désintérêt ou la dissension chez ses adversaires. Les renoncements successifs de Set, Hel et Hecate illustrent cette méthode car il ne fait pas de doute que chacune de ces divinités aurait à elle seule pu éliminer l’archiprince ; mais pour le remplacer par quoi ? Compte tenu de l’ampleur de leurs champs d’actions divines, ni Set ni Hel ni Hecate n’avaient en réalité le désir de contrôler directement ou indirectement les Enfers, moins encore de mener la Blood War au nom et pour le compte du grand principe de la Loi. C’est cela qu’Asmodeus a compris avant tous autres. Si les puissances divines s’étaient estimées trop importantes ou occupées pour accepter la tâche somme toute relativement mince du tribunal d’Achéron qu’avait pensé Ptah, alors aucune n’accepterait de se consacrer suffisamment à Baator pour le conquérir et plus encore le garder.

Telle est l’opinion qui prévaut dans l’historiographie de la création des Enfers, dont la source principale consiste dans les notes et manuscrits rapportés par Zahar d’Ariacandre de ses voyages exploratoires des Enfers et en particulier de la bibliothèque du savant diabolique Herodias, qu’il visita aux temps où ce dernier était en fonction à Tantlin. Des compléments plus tardifs, notamment issus des expériences et investigations menées par l’archiconjureur Snechar Sudellyn, les ont par la suite éclairés.

La majorité des auteurs s’accorde à admettre que si les dieux tutélaires des Enfers furent Set, Hel et Hecate, c’est en réalité Loviatar, voire Hadès, qui inspirent leur fonctionnement concret. Le barde Cornélius de Clawe d’Asmtruth a même écrit au XLIXe siècle que les Enfers incarnent un hymne silencieux à Loviatar.

Cependant le penseur Kolki de l’Accademia soutient de son côté que les Enfers seraient la conséquence d’un relatif dédain dans lequel les dieux tenaient Votishal. Selon cet éminent philosophe, si Votishal avait occupé la place qu’il mérite dans l’esprit des autres dieux comme dans la réalité objective des affaires divines, jamais Asmodeus n’aurait pu tenir le discours ayant déterminé le troisième Pacte des Enfers.

La professeure Stonas, docteur en théologie au White Keep, rejoint Kolki dans son idée que les Enfers sont un mal devenu nécessaire par la faute des dieux plutôt que par celle des diables. Elle estime qu’Athéna avait d’emblée compris que les dieux avaient péché envers les archons par surestimation de leurs pouvoirs innés et que cette faute devait entraîner des conséquences à la fois déplaisantes et inéluctables. Selon elle, l’existence des Enfers représente un double châtiment : celui des mauvais mortels mais aussi de divinités ayant péché par paresse et orgueil. Stonas a consacré ses derniers écrits à une analyse de la Blood War qu’elle tient pour démonstratrice de sa thèse en ce que cette guerre n’a pas été initialement décidée par les diables et que c’est l’exécution qui leur était confiée qui en a modifié la nature.

De son côté, le savant gnome Pilfer, professeur à Malvois, tient que le véritable modèle dont s’inspire Asmodeus serait en réalité Hadès, le surpuissant et discret dieu du cycle de la mort et de la terre, qui se dérange rarement et répugne à quitter son domaine, mais qui gouverne en réalité bien des choses et dont le seul nom suffit à évoquer la puissance.

L’historienne et théologue Lyakinne Melverov d’Enlight relativise les jugements de ses collègues en re-contextualisant la création des Enfers dans la Genèse. Elle soutient que les événements ayant déterminé cette création sont inséparables des vicissitudes contemporaines subies par l’univers entier et notamment du rôle des Grands Anciens dont les effets ne se sont pas ipso facto terminés avec le scellement de Ry’Leh. Elle estime que les jugements portés sur l’impréparation des dieux ou sur l’apparente indigence de certaines de leurs actions ou réactions doivent être nuancés en considérant le contexte qui prévalait alors plutôt que par une observation critique facilitée par des millénaires de recul. Elle explique l’apparition des Enfers par l’imbrication de situations à la fois inattendues et complexes dans une ère où l’univers n’avait pas acquis ses formes et structures définitives. De sorte que, selon elle, cette apparition, et leur évolution subséquente, provient surtout d’une opportunité saisie par la bonne personne au bon moment en profitant d’une conjonction de facteurs sans précédent et sans équivalent par la suite.

Son élève Damuyr Damursen, récemment nommé professeur d’histoire théologique à la Ducale, reprend le même type de raisonnement pour l’appliquer à la Blood War, critiquant implicitement l’analyse qu’en fait Stonas. Damursen montre que l’appellation de Blood War recouvre en réalité un fourre-tout mêlant des conflits ayant principalement opposé des divinités au cours de la Genèse et des batailles précises et documentées entre diables et démons survenues de nombreux millénaires plus tard. Il fait valoir que les célestiaux n’ont jamais cessé de participer aux mêmes affrontements contre les démons qu’on ne qualifie de Blood War que lorsque d’ex-célestiaux devenus diables y participent. Il conclut en affirmant que l’expression Blood War recouvre une interprétation bien trop extensive et propose de la réduire aux seuls conflits diablo-démoniaques, forcément postérieurs à la création des Enfers.

Les seigneurs de l’Enfer aujourd’hui

Les Réprouvés

Un grand nombre de diables dits les Réprouvés (Outcasts) errent et se terrent dans les étendues d’Avernus. Ce sont des exilés des autres cercles qui ont été condamnés à demeurer sur le premier pour servir de munition à la Blood War, à quoi seuls les plus puissants d’entre eux ont résisté. Beaucoup sont extrêmement puissants ou extrêmement anciens, remontant aux premiers temps des Enfers, ce qui leur a permis de s’accoutumer progressivement aux évolutions d’Avernus et d’ainsi survivre. En outre, aux temps du règne de Tiamat, celle-ci, aussi ancienne qu’eux, a aussi fait preuve d’une certaine mansuétude envers ces Réprouvés au souvenir de la politique de son père Set en Avernus.
Parmi les plus notables  :

  • Kochbiel, un des chefs des Nephilim, lieutenant de Samyaza, qui refusa de servir dans la Blood War ;
  • Nergal, duc en Maladomini et zélote de Hel, qui s’imagina la trahir pour devenir dieu-héros de la mort et des morts-vivants avec le soutien de Satanael avant d’être vaincu par l’Orcus ;
  • Rumjal, ex-amante de Satanael ;
  • Azazel, ex-chef d’archons et ancien seigneur de Cania, banni par Asmodeus après le Règlement de Comptes ;
  • Herodias, ancien archiviste, conseiller de Geryon, savant et historien des Enfers à Tantlin en Stygia, qui fut corrompu afin de faire fuiter des informations compromettantes et condamné pour cette raison sous le règne de Levistus;
  • Amon, ancien lieutenant de Geryon, illustre général de la Blood War, dont le pouvoir gênait Levistus.

Bel

Bel est considéré comme un génie militaire en même temps qu’un exemple, étant passé du rang de simple lemure à celui de seigneur du premier cercle après la mort de Zariel, le duc-commandant-ingénieur, qui révérait Hecate et Tiamat. Il a réussi cet autre exploit d’être universellement apprécié par les commandants des Dark Eight et notamment Baalzephon dont il fut le lieutenant et le protégé. Il bénéficie étalement des faveurs d’Asmodeus, qui l’apprécie beaucoup depuis l’invasion du Grand Massacre. Rigoureux disciple d’Arès et ne s’intéressant qu’aux affaires militaires, il n’est pas considéré comme un rival par les seigneurs des autres cercles qui louent au contraire ses exploits et la sécurité qu’il apporte.
C’est cependant un pragmatique qui a retenu de sa longue expérience l’inanité de toute espérance de vaincre les démons dont la quasi-infinité est une donnée de fait. Bel est donc essentiellement un défenseur et conduit la Blood War avec un talent principalement tourné vers la protection de son domaine et de ses troupes.

Ce pragmatique est par ailleurs peu enclin à l’optimisme. Il est persuadé que la Blood War ne peut pas être gagnée par les diables car non seulement ils sont moins nombreux que leur ennemi mais encore leurs ressources sont-elles limitées au contraire de celles quasi-inépuisables des Abysses. Il estime que son seul véritable atout consiste en des stratégies longuement mûries exécutées avec une parfaite coordination tactique. Aussi économise-t-il autant que possible ses effectifs, ce qui lui vaut l’estime générale. D’autre part, il convient des stratégies avec les Dark Eight mais aussi avec Tiamat et n’hésite pas à prendre des conseils de vétérans comme Belial, Hutijin ou Bifrons. Ce qui lui permet de décider dans les meilleures conditions possibles et de s’assurer que tous les commandants des forces qu’il dirige savent ce qu’ils ont à faire et comment le faire.

Son premier objectif consiste à conserver le choix du lieu et du moment de la bataille afin de créer de l’incertitude chez l’ennemi. Le système défensif qu’il a imaginé est fondé sur un réseau de patrouilles de surveillance disposé jusque très loin à l’extérieur des Enfers afin de détecter les mouvements ennemis de façon à l’attaquer ou harceler à n’importe quel moment qui conviendra. Il a plus que tout autre commandant recours à l’ingénierie militaire afin de piéger et surprendre les intrus qui parviendraient en Avernus.
Cela ne l’a pas empêché de subir de nombreux revers dont un récent face à une attaque menée par le général démoniaque Bagromar qui a pour la première fois depuis le Grand Massacre réussi à se maintenir pendant plus de deux jours et nuits dans le premier cercle. Cependant Bel, bien renseigné sur les effectifs ennemis par ses patrouilles, avait exactement prévu que Bagromar n’avait pas de quoi demeurer bien longtemps en Avernus. Après les premiers combats, au lieu de continuer à perdre des troupes, il avait tranquillement attendu que les démons viennent s’empaler sur les défenses de la Citadelle de Bronze ou qu’ils s’en aillent d’eux-mêmes, tout en les harcelant depuis des réseaux souterrains élaborés par ses ingénieurs.

Bel n’éprouve que peu d’intérêt pour le gouvernement de son cercle qu’il a concrètement dévolu aux Dark Eight, de facto devenus autant de barons d’Avernus. Il éprouve un profond et sincère respect pour Tiamat et la rencontre périodiquement. Asmodeus lui voue une confiance rare, de celles qu’il réserve à des fidèles comme Dispater et Belial.

A quelques rares reprises, on a vu le seigneur d’Avernus contempler en silence les Terrasses du Désespoir, dans un silence énigmatique. Sans doute, au fond de lui, déplore-t-il que les Enfers soient devenus un symbole du Mal avant que de la Loi.

Dispater

Dispater incarne la prudence faite diable et la loyauté aussi. Extrêmement calme et courtois, souvent affable, il planifie ses actions à très long terme, avec d’infinies précautions et après des études approfondies et plusieurs fois vérifiées. Sa rivalité avec Mammon est profonde et sa jalousie envers Baalzebul ne l’a jamais quitté. Dispater a une certaine notion de la beauté, assez rare chez les diables parmi lesquels il est certainement le plus raffiné.
Il possède une collection exceptionnelle d’oeuvres d’art et de curiosités parmi lesquelles figureraient les âmes de créatures divines.

Sa loyauté envers Asmodeus remonte quasiment aux temps de la Genèse et elle est réciproque, formant la plus constante, solide et forte alliance de tous les Enfers. En authentique serviteur de la Loi, Dispater est l’un des rares grands seigneurs infernaux à avoir compris que se faire obéir ne nécessite pas forcément la coercition et que la fidélité n’a pas de meilleur allié que la réciprocité.

Aucun seigneur des Enfers n’est aussi agréable à connaître. Flegmatique, spirituel, d’une impeccable politesse, c’est un plaisir de l’avoir pour hôte ou interlocuteur. C’en est un aussi que de parvenir à traiter avec lui car la loyauté de Dispater est légendaire et s’étend jusque dans les plus petites affaires. Certes le gant de velours recouvre une main de fer et une volonté du même métal, sans lesquelles on ne survit pas à des éons de gouvernement infernal ponctués de deux invasions majeures victorieusement repoussées.

En revanche, il est extrêmement difficile de le rencontrer en personne et il quitte très rarement son cher Dispateros. Il aime déléguer et est toujours, du moins le dit-on, très affairé au gouvernement de son cercle. De ce fait, l’affable archiduc s’avère en réalité le plus mystérieux des seigneurs des cercles. On le sait absolument fidèle à Asmodeus ; on sait aussi qu’il administre fort bien son cercle, que ce n’est pas un militaire et encore moins un attaquant (ce qu’il fut pourtant au temps où il était archon), qu’il a de bonnes relations avec Belial comme il en avait aussi avec Geryon et c’est à peu près tout.

Toutefois, on sait aussi que Dispater visite régulièrement l’immense prison de Mentiri où vont directement, sans passer par quelque autre procédé, les âmes des créatures mortes aux Enfers. Cela signifie que Dispater est par exemple le seul gardien des âmes de Satanael, Samyaza ou encore Geryon. Mais un autre aspect, généralement passé sous silence, vient des profits que Dispater pourrait avoir ainsi tiré de la Blood War et en particulier du Grand Massacre où les démons périrent par dizaines de milliers.

Le seul problème qu’on lui connaît vient de sa fille Malachlabra qui, alors toute jeune, fit le désespoir de ses parents en s’en allant suivre l’aventure du grand diable Nergal, lequel s’imaginait devenir dieu des morts-vivants à la place d’Orcus, avant d’être ensuite tentée par le culte de Satanael et les perspectives grandioses qu’il annonçait.
A la chute de Satanel, Malachlabra fut convoquée devant le tribunal d’Abrymoch qui la condamna à devenir une Réprouvée d’Avernus. Son père faisait partie des juges et vota sans l’ombre d’une hésitation la condamnation, à la grande satisfaction d’Asmodeus. Toutetois le comte Ascarios, titulaire d’un des cinq domaines vassaux de Dis, périt au cours de la guerre du Règlement de Comptes. Or ce domaine avait été originellement dévolu à Malachlabra avec Ascarios pour vicomte et surintendant le temps que la fille de Dispater grandisse. Ascarios devint comte vassal à l’occasion de la condamnation de Malachlabra. Or celle-ci avait survécu en Avernus à sa condition de Réprouvée et avait même alerté son père du mouvement opéré par Tiamat qui déclencha la guerre du Règlement de Comptes, ce qui lui donna juste le temps nécessaire à éviter que Dis-de-Fer soit envahie par surprise.
Après le conflit, Dispater proposa donc à Asmodeus la réhabilitation de sa fille et que son domaine lui soit redonné : le maître des Enfers, bon prince, accepta. Malachlabra se fait depuis lors discrète et ses relations avec ses parents paraissent être redevenues excellentes.

Mammon

Mammon est universellement considéré comme le pire gêneur des Enfers. Son actuelle ambition consiste à supplanter Belial et surtout Dispater dans les faveurs d’Asmodeus, que ce soit afin de reconquérir celles de Glasya, avec laquelle il eut une longue liaison, ou dans l’idée de devenir le premier lieutenant des Enfers en attendant encore mieux. Bien sûr, Fierna et Dispater se font un malin plaisir de déjouer ses plans.

Pour parvenir à ses fins il n’a cessé d’ourdir, d’intriguer, de comploter les uns contre les autres au point de s’aliéner l’intégralité des seigneurs à la seule exception de Tlaloc dans la mesure où ce dernier apprécie la pluie de Minauros. Tlaloc se contrefiche de l’agité du troisième cercle mais les grâces et flatteries dont Mammon ne cesse de l’abreuver font néanmoins leur petit effet. Levistus et lui forment avec Baalzebul une sorte d’informel réseau de mécontents, un vague parti anti-asmodéen qui ne dit surtout pas son nom.

Mammon est un suractif qui tente de se faire une place partout où il voit une opportunité : chez les bugbears ou les gnolls, les beholders ou les dragons, voire certains yuan-tis et mêmes des illithids, sans trop s’encombrer des vexations, ressentiments ou détestations qu’il peut ainsi susciter.
Il frétille à la moindre perspective d’intrigue, de coup bas, de double jeu, et bien sûr d’enrichissement et de puissance (le vicomte infernal Fleurety, qui oeuvra à la destruction du Tangut, est l’un de ses meilleurs agents). Mais il a ce rare talent de savoir jusqu’où il peut aller trop loin, qui lui a permis de se tirer sans dommages irréparables des quelques mauvais pas où il s’est fourré. En outre, ce gestionnaire avisé des âmes et des richesses a accumulé de quoi récompenser ses serviteurs comme peu de seigneurs-diables peuvent le faire et sait quand il le faut mettre ses ressources à la disposition d’Asmodeus.

Il a aussi un côté impénitent au sens où sa confiance en lui-même est inoxydable : il croit toujours qu’il s’en sortira toujours. De fait, il bénéficie de la part d’Asmodeus d’une impressionnante mansuétude que beaucoup attribuent à une certaine forme d’identification de l’un à l’autre. Asmodeus apprécie l’ambition de ceux qui partent d’en bas pour arriver en haut, comme lui-même selon l’image qu’il se renvoie à lui-même. Mais sans doute pas au point de leur accorder la main de sa fille.

Belial

Les situations de Belial, Fierna et Naomé n’ont en apparence guère changé depuis des siècles. Echaudé par l’affaire Satanaël et surtout par son invasion récemment ratée de Stygia, Belial gère loyalement et solidement Phlegetos avec l’appui de sa compagne et de sa fille. Certes, il convoite toujours Stygia et peut-être aussi Cania ou Minauros. Mais le côté jouisseur de Belial et Naomé les rendent relativement inoffensifs pour les autres seigneurs dans la mesure où il tempère leur soif de pouvoir.

Le vieux diable a été très secoué non par son échec à prendre Stygia après la disparition de Geryon mais par l’opposition d’Asmodeus à ce projet et surtout par l’humiliante façon dont il s’y est pris. Il s’est réfugié, du moins en apparence, dans une semi-retraite, craignant d’avoir entamé le crédit que sa loyauté lui avait apporté à l’issue de Règlement de Comptes. Sa cruauté, déjà proverbiale, s’en est accrue : il veut que Phlegetos ne soit qu’un vaste terrain de souffrance où les âmes hurlent et se lamentent plus fort et longtemps que partout ailleurs. Pour le reste, il préfère avancer désormais lentement et discrètement ses pions, au premier rang desquels sa fille.

Fierna jouit d’une excellente réputation depuis la chute de Satanaël, d’autant qu’elle fut une combattante émérite en défendant Phlegetos lors de  l’invasion du Grand Massacre. Elle est devenu une des rares diablesses « complètes », aussi guerrière qu’administratrice. Certains conjecturent que son expérience militaire n’est pas uniquement accumulée pour le seul service de la défense des Enfers. Elle est généralement considérée comme l’une des « étoiles montantes » des Enfers. Son copinage avec Glasya remonte à leur jeunesse et reste d’actualité.

Levistus

Emprisonné sous une montagne gelée, Levistus n’ignore pas dans son kyste de glace qu’il est moqué par tout ce que les Enfers comptent de puissants. Sa nomination en remplacement de Geryon double sa torture physique d’une torture morale qu’il sait voulue par Asmodeus. Il a parfaitement compris que son incapacité contribue  aux desseins du seigneur de Nessus visant à mettre sous sa coupe la majorité des cercles infernaux. A quoi il ne peut rien. Il sait qu’il sert malgré tout Asmodeus et qu’il ne peut pas faire autrement. Il est seulement passé de l’horreur de la solitude à l’horreur de l’impuissance. Ce qui, pour celui qui demeure l’un des trois ou quatre plus puissants diables jamais créés par Hecate, est terrible. Il se consume de pure haine, s’alignant davantage vers les créatures des plans neutres maléfiques que tout autre seigneur des Enfers.

Levistus passe le plus clair de son temps à tenter d’ourdir des complots visant à sa libération ou au renversement d’Asmodeus. Ridiculisé et décrédibilisé, aucun seigneur ne l’écoute sauf Mammon et, plus rarement, Baalzebul. Toutefois, il possède et recrute des agents qui, avec le temps, deviennent de plus en plus nombreux.

De son côté, Asmodeus sait qu’il aurait tout à redouter de sa libération mais ne redoute sans doute pas cette libération.

Tlaloc

Tlaloc le Moloch, qui n’est sans doute pas le plus intelligent des dieux, est satisfait de son sort de seigneur en titre de Malbolge du moment qu’il reçoit sa dose de sacrifices. Il est donc reconnaissant à Asmodeus de l’y avoir installé, plus encore depuis l’affaire d’Antiphaé. Ses véritables ambitions sont cependant tournées vers les plans matériels. De ce fait, c’est le Moloch et non Tlaloc qui est présent les trois quarts du temps en Malbolge. Mais il sait profondément gré aux Enfers de lui servir de foyer et de source d’approvisionnement.

Hormis Asmodeus, qu’il tient pour son égal, il se contrefiche des autres seigneurs des cercles. Les flatteries de Mammon l’amusent sans plus mais il méprise les ouvertures de Levistus et n’aime pas plus Baalzebul que Belial ou Dispater. Toutefois, il voue à Bel l’estime qu’on doit aux bons serviteurs et reconnaît que Tiamat n’est pas n’importe qui. Enfin, il a été séduit par Glasya, sans doute pas seulement parce qu’elle est fille de son père.

Ses relations avec les autres dieux sont de l’ordre de cette indifférence qu’il leur a toujours témoignée sauf s’agissant de son ennemi personnel Tezcatlipoca. En mémoire de son séjour en Achéron il conserve une certaine inclination pour Set qui n’est pas du tout réciproque. Il ne prendra aucune part à la Blood War mais il semble avoir réussi à comprendre après le Grand Massacre qu’il pourrait perdre Malbolge si les démons la gagnaient. Il est peu probable que pareille perspective soit à son goût.

Baalzebul

On pourrait dire de Baalzebul qu’il est d’abord l’objet de tous les fantasmes. Parce qu’il demeure intrinsèquement le plus puissant des seigneurs diaboliques, on voit souvent en lui le premier rival d’Asmodeus. On l’a cru à la tête du Règlement de Comptes. On a considéré qu’il avait ourdi ce conflit dans le but de renverser Asmodeus. On a affirmé que son apparence de loyal serviteur à la Dispater cachait en réalité une ambition dévorante. On l’a aussi cru une créature secrètement contrôlée par Hecate. On l’a encore qualifié de pantin des intrigues de Mammon, affidé de Levistus, premier lieutenant de Satanael, maître conspirateur avec Tiamat et Azazel et même agent double pour le compte d’Asmodeus.

De ce fait, ce qu’est réellement ou profondément Baalzebul demeure un mystère comparable à celui qui entoure Dispater. Sa transformation en larve géante au gré d’Asmodeus sanctionnant sa participation au mauvais côté du Règlement de Comptes est une punition aussi particulière qu’inusitée qui accroît encore ce mystère. Baalzebul en est-il révolté ? Accepte-t-il son châtiment dans l’espérance de reconquérir la faveur asmodéenne ? S’estime-t-il justement puni pour avoir désobéi à son maître ? Y-est-il indifférent et alors serait-ce par déprime ou parce que le support d’Hecate pourrait l’en délivrer ?

Il conserve néanmoins dans maints mondes des plans matériels l’image d’un souverain diabolique, presque d’un second Asmodeus. Car le fait est que Baalzebul est de tous les seigneurs des cercles le seul qui y entretienne avec grand soin son culte. A l’instar de Satanael, quoique dans une mesure incomparablement moindre, son action personnelle semble dirigée vers l’extérieur des Enfers plutôt que l’intérieur. C’est pourquoi il apparaît en quelque sorte l’un des moins « discrets » des seigneurs des cercles après, évidemment, l’emblématique Asmodeus et la célèbre Tiamat.

Aux Enfers, Baalzebul passe auprès de ses ennemis pour un seigneur atteint par la langueur de Malagarde, passablement déprimé, peu actif, gaspillant son potentiel de puissance à ne rien faire. Pourtant Maladomini est un cercle bien plus dynamique que l’impression souffreteuse qu’il donne et Baalzebul s’y active réellement au point d’avoir récemment inventé les ayperobos, nuées d’insectes diaboliques qui constituent une étrange et nouvelle arme dont personne ne sait à quel usage il la destine. La facilité avec laquelle il semble indifférent aux critiques et rumeurs dont il est l’objet, voire aux railleries qui le traitent de larve géante, de parasite intermittent ou de menstrue d’Asmodeus, est en tout cas un sujet d’étonnement.

Glasya

Bien qu’elle ait dû en pratique se soumettre à l’administration d’Azazel et à la structuration multimillénaire de Cania par ce dernier, Glasya n’a pas abandonné l’idée remettre son cercle à sa botte. Elle en veut considérablement à son père qui a refusé de prendre en compte qu’elle n’avait pas eu le temps de s’imposer et qui a préféré la sanctionner et même l’humilier plutôt que de la lui laisser s’établir selon ses propres idées. Mais elle a des alliés à Malbolge et tente de se rapprocher d’Hecate, voire peut-être d’un ou plusieurs membres du trio Mammon Levistus Baalzebul.
Glasya entretint en effet une liaison avec Mammon qui se termina avec le Règlement de Comptes. Elle sait toutefois que Mammon est toujours désireux de la reconquérir. Elle a de bonnes relations avec Fierna, la fille de Belial, et aurait aidé Malachlabra du temps où elle était Réprouvée.

En Cania, Glasya s’appuie sur des paeliryons qui lui sont affidés et qu’elle favorise discrètement tout en s’efforçant qu’ils deviennent de plus en plus nombreux au sein des diverses couches du pouvoir canien. Elle soupçonne le quadrumvirat de dangereuses accointances avec Baalzebul, dont elle espère pouvoir apporter la démonstration à son père.

Des rumeurs convergentes indiquent que la fille d’Asmodeus aurait par ailleurs fondé avec Fierna et Malachlabra un réseau de filles de leur père dont les co-duchesses de Dité hébergent les réunions avec une certaine bienveillance. Ce réseau inclurait également Baalphégor et dans une moindre mesure Hecate, voire Tiamat. Il serait aussi en relation avec des agents de Levistus à Jangin Hiter et de Baalzebul à Grenpoli. Peut-être parce qu’elle est fille d’Asmodeus, Glasya semble envisager les Enfers d’une façon globale, « trans-cercles », qui la différencie de la plupart des autres seigneurs diables. Mais la question de savoir si ce mode de raisonnement est au service de son père ou d’elle-même n’est sans doute pas près d’être résolue.

Asmodeus

Diable et non dieu, prince et non roi : Asmodeus sait ce qu’il est, d’où il vient, où il va. Loki le qualifia un jour de « self-made devil », autant par plaisanterie qu’en hommage. Le chaotique Asir voit en lui son émule du côté de la Loi et il n’est pas certain qu’il ne l’envie pas un peu. Car contrairement à Loki, surveillé depuis toujours par Thor et Tyr, Asmodeus put partir de presque rien et jouer de la sous-évaluation dont il a longtemps été l’objet.

Seule Athéna, qui l’a bien connu, a sans doute perçu toute la complexité de la personnalité du seigneur de Nessus et il est remarquable que la déesse de la Sagesse se soit généralement montrée l’un des dieux du Bien les moins acrimonieux à son encontre.

On peut éclairer la personnalité d’Asmodeus par son rapport à Triel devenu Baalzebul. Il n’a jamais été aussi beau que le fut Triel ni aussi intrinsèquement puissant que celui-ci devenu Baalzebul. D’où l’intensité de son ravissement à pouvoir user à son gré d’un serviteur qui représentait ce qu’il aurait aimé être et qu’il ne fut jamais : un rejeton divin comme Tiamat, Astaroth ou Geryon, un bel archon comme Azazel, un leader naturel comme Satanael, un bagarreur impénitent comme Belial, un bretteur assuré et surdoué comme Levistus. Alors pouvoir employer à son gré un “super-diable” par essence comme Baalzebul lui procurait une jubilation qu’il n’a jamais témoigné ni avant ni après envers quiconque et qui parut sans doute excessive puisqu’elle a marqué jusqu’à ses plus proches alliés.

Certes, Asmodeus est lui-même le plus puissant des diables mais il lui a fallu gagner chaque parcelle de cette puissance. Rien ne lui a été donné. S’il n’avait pas été seul négocier le pacte Primeval, jamais Hecate n’aurait fait de lui le plus fort des diables. S’il n’avait pas tablé sur les « gentils » dieux pour contraindre Set, jamais celui-ci n’aurait consenti à voir Baator gouverné par un chef d’archons renégats. S’il n’avait pas su tirer parti des hiatus issus du refus du tribunal d’Acheron, jamais il ne se serait vu confier le sort des âmes post-mortem. S’il n’avait pas su s’entourer de Belial et Dispater jamais il n’aurait réussi à s’imposer à un Satanael ou une Tiamat ni à paraître suffisamment crédible à Tlaloc ou Arioch pour les amener à faire ce qu’il voulait qu’ils fassent. L’Asir Hel va voir Ptah et obtient naturellement le Niflheim. Anubis descend de Râ, il a naturellement charge des âmes. Set a-t-il envie d’un plan, il n’a naturellement qu’à se baisser pour prendre Achéron. Et quand Hadès frère de Zeus et fils de Ptah parle, naturellement même Tlaloc et même Arioch écoutent. Mais lorsque Asmodeus voudrait faire comme eux, rien n’est naturel. Il ne veut pas devenir un dieu mais cesser de subir les conséquences de ne pas en être un.

Asmodeus est un peu semblable aux humains primitifs qu’il dut bien connaître aux temps où il était archon : nu, faible, avec pour seules armes décisives l’intelligence, la capacité à utiliser des outils, et la grégarité. Lorsqu’il a son apparence naturelle, il ne paye pas particulièrement de mine : mince, pas très grand, pâle, un visage aux traits réguliers qu’il renforce de sa célèbre barbiche, son allure donne l’impression d’un adolescent grandi trop vite. Extrêmement soigné, il s’habille avec goût tout en appréciant exagérément les bijoux. Il attache une grande importance à son apparence et à l’élégance de sa gestuelle. Il est le plus souvent très calme, presque doux. Seule sa voix, dont il joue admirablement, et ses yeux accoutumés à transpercer les âmes montrent que l’on a affaire à toute autre chose qu’un jeune et riche marchand de joaillerie.

Il est difficile de démêler chez Asmodeus la part du croyant dans une mission divine qu’il exécuterait (selon lui) par la défaillance des dieux et celle de l’arriviste qui voudrait se tailler un plan pour lui tout seul. On peut considérer que son entreprise principale consiste en un affranchissement des Enfers de la tutelle hécato-sethiste sous laquelle ils ont été originellement placés. Mais on peut tout autant considérer qu’elle consiste en l’élimination systématique de tous les seigneurs diaboliques qui auraient pu rivaliser avec lui à la seule exception de ses deux affidés de toujours, Belial et Dispater.

Comment y parvint-il ? Il obtint d’Hecate qu’elle fasse de lui, dès sa transformation, le plus puissant mage parmi les diables, en récompense de sa victorieuse négociation du Pacte Primeval. Son intelligence prodigieuse, sans doute supérieure même à celle de la plupart des dieux, et sa mémoire aux capacités quasi-divines firent le reste. Archon, il avait studieusement écouté les leçons d’Athéna. Diable, il écouta studieusement celles d’Arès. Mais la meilleure force de l’’archiprince des Enfers vient certainement de ce qu’il réfléchit beaucoup et surtout beaucoup plus vite que quiconque. Ainsi sait-il séduire comme aucun autre diable parce que sa séduction n’est pas naturelle mais travaillée et s’adapte ainsi à chaque objet qu’elle rencontre.

Un élément peu étudié d’Asmodeus consiste en sa capacité à déléguer. Certes, tous les seigneurs des sphères ont leurs agents, notamment Mammon, Levistus et Baalzebul. Mais aucun n’en possède autant qu’Asmodeus et aucun sauf Dispater ne peut autant compter sur leur parfaite loyauté.
Asmodeus connaît les capacités et les limites de ses serviteurs souvent mieux qu’eux-mêmes. Seul Dispater fait aussi bien, en s’inspirant justement de lui. Le fonctionnement même des Enfers, qui l’amène à coiffer le gouvernement de huit cercles sur neuf, l’a accoutumé à toutes les ficelles et procédés de la délégation. S’imposer à des créatures aussi différentes, tant par elles-mêmes que dans leurs rapports avec lui, que Levistus, Tlaloc, Dispater, Glasya ou Baalzebul ne va pas de soi.
Asmodeus a très tôt compris que la force de la Loi passe par la cohésion qu’elle permet et l’efficacité qui en résulte. Or ce principe, qui implique la délégation, n’est pas réservé aux seuls militaires. Tant dans les Enfers qu’en Nessus, il s’appuie sur un noyau d’une absolue fidélité, socle de la quasi-totalité de ses stratégies. Ainsi l’énorme majorité des interventions asmodéennes est indirecte mais sont menées par des acteurs très proches de lui. L’une des plus célèbres consiste dans le rôle joué par son agent Géhomoguavain au sein de la Great Evil Coalition.
Mais un autre aspect découlant de cette méthode fut l’importance prise par ce qui est, pour l’énorme majorité des êtres demeurant aux Enfers à commercer par les diables eux-mêmes, le premier et souvent le véritable maître concret, au quotidien, des Enfets : la bureaucratie. Chaque diable, pour s’élever vers des rangs supérieurs mais aussi pour la plupart des aspects de son existence, dépend in concreto de ses congénères bureaucrates.

Il fait peu de doute qu’Asmodeus est sinon en titre du moins en fait un disciple de Loviatar. Pourquoi ? Sans doute parce que, contrairement à la plupart des grands diables, Asmodeus porte en lui la souffrance d’être ce qu’il est. Mais aussi parce qu’il ne pouvait se rallier à Set ou à Hel sans devenir leur simple recteur dans les Enfer, abandonnant une mainmise que le premier voulait un peu trop et la seconde pas assez. A Hadès ? C’est précisément pour le décharger que les Enfers ont été créés. A Votishal ? Il sert les dieux, non les morts. A Arès ? Celui-là aurait réduit les Enfers à une caserne pour la Blood War. A Hecate ? Se rallier à son cauchemar ?

Parce qu’elle seule connaît réellement et peut détruire ce qu’elle a elle seule créé, Hecate est de fait la véritable Reine des Enfers, ce dont Asmodeus est le premier à avoir douloureusement conscience, comme en témoigne qu’il n’ait jamais revendiqué d’autre titre que celui d’archiprince. Il sait que Hecate peut instantanément le défaire comme n’importe quel autre diable, face à quoi même un Tlaloc ou une Loviatar seraient inutiles. Il sait que ces Enfers, qui sont toute son œuvre et toute sa raison d’exister, ne perdurent que parce qu’elle l’accepte.
Alors bien sûr,  les Enfers servent le dessein qui leur a été assigné par les dieux. Bien sûr, Hecate n’a ni l’intérêt ni l’envie d’endosser la responsabilité de leur disparition ni même de celle d’Asmodeus, qui lui coûterait au surplus une énergie folle. Bien sûr elle se satisfait de son vaste domaine divin et de ses séjours en Aeaea, aux Terrasses du Désespoir, ou à Cabal Macabre. Bien sûr, elle a avalisé, ne serait-ce que par inertie, les évictions d’Astaroth ou de Tiamat, les victoires contre Sanatael ou Azazel, les nominations de Mammon ou de Levistus. Mais cela ne saurait suffire à éteindre l’anxiété d’un paranoïaque tel que le Seigneur de Nessus. Que Hecate qui l’a créé puisse par conséquent le détruire est irréductible et fait son cauchemar éternel.

Au contraire, Loviatar n’exige rien, ne menace personne, ne prétend à aucun titre. Loviatar se contente d’approuver et accompagner la méthode des Enfers. Sans détenir de levier sur autrui, sans haine ni affection, sans se montrer dangereusement indispensable. Avec la fille de Hadès, tout devient simple et pur.

Maints traits d’Asmodeus évoquent d’ailleurs le grand Hadès : comme ce dernier, il réside tout au fond de son plan, d’où il dirige ou contrôle le reste, et qu’il ne quitte que très rarement. Comme Hadès, il est en charge d’une mission universelle de traitement des créatures post-mortem. Comme Hadès, il est relié à un principe élémentaire, chez Hadès la Terre, chez Asmodeus la Loi. Et Loviatar est bien la fille non désirée mais acceptée de Hadès.
Le professeur Pilfer de Malvois empile d’autres éléments. Comme Hadès, Asmodeus est un réprouvé, un Inférieur, moins par essence que par fonction. Comme Hadès, il préfère opérer avec discrétion et indirectement. Et le seul moment où les Enfers parurent risquer de perdre la Blood War, pendant l’invasion démoniaque du Grand Massacre, est aussi le seul moment où l’on vit publiquement Hadès se déplacer en personne en Avernus, à plusieurs reprises.

Mais quelque soit la réalité et l’importance d’un lien le rattache à Hadès, Asmodeus est sans illusion à propos de lui-même. Il sait qu’existe son propre culte qui lui confère un petit côté quart-de-dieu 1 mais qu’il n’est pas Tiamat : il ne descend pas d’un Set pour pouvoir se croire ou comporter comme une divinité. Toutefois, s’il n’aime pas ce qu’il est, il chérit en revanche ce qu’il est devenu. Asmodeus a une très haute opinion de ce que sont désormais les Enfers, c’est-à-dire de son propre ouvrage. Il est d’abord le seigneur de Nessus et l’archiprince des Enfers bien plus et bien avant d’être le grand diable qui succéda à l’archon Asmodée. Cela indique peut-être sa limite.

D’abord parce que son œuvre a remplacé ses anciens rivaux par des gouvernants faibles ou limités : Levistus, Tlaloc, Glasya et même Bel et Mammon sont tous moins efficaces ou moins puissants que leurs prédécesseurs dans leurs cercles respectifs. Deux de ces cercles : Avernus et Malbolge, sont concrètement une charge pour le reste des Enfers, deux autres : Stygia et Cania, ont un seigneur en titre qui ne détient pas la réalité du pouvoir, et le dernier, Minauros, est sous la coupe du moins fiable des grands diables. Ce qui pose la question de savoir si l’affaiblissement de ces cercles ne se répercuterait pas sur l’ensemble des Enfers ainsi que l’illustre leur repli dans la Blood War.

Ensuite parce qu’Asmodeus profite des avantages de la bureaucratie sans en discerner les dangers. Certes, l’omniprésent appareil administratif des Enfers constitue le meilleur moyen de protéger l’ordre existant en broyant toute forme d’individualisme sauf aux plus hauts échelons, qui dépendent directement d’Amodeus. Mais ce dernier néglige qu’en pratique chaque bureaucrate, quelque soit son échelon, exerce ses prérogatives pour en jouir et non pour le but auquel il est supposé servir. Il néglige également la dilution des responsabilités dans cette énorme masse de contrôleurs et de donneurs d’ordres où chacun s’abrite derrière la logique hiérarchique pour justifier ses exactions ou stupidités. D’où le risque d’une sclérose des Enfers et plus encore de la sous-évaluation de ce phénomène, notamment face à tout événement qui demanderait une capacité d’adaptation ou d’évolution.

Enfin parce que pour Asmodeus, les Enfers ressemblent à une fin plutôt qu’un moyen : leur existence, leur survie, leur perfection suffisent. Il n’envisage aucune forme d’alliance ou même de coopération avec quoi que ce soit qui leur serait étranger ou seulement différent. Ce qui laisse au moins deux questions en souffrance.
D’une part celle d’une Blood War « inversée » où la Loi, censée contenir le Chaos, se retrouve au final contrainte à se défendre contre ses agressions, soit exactement ce que ses prémisses divines visaient à éviter.
D’autre part celle de l’enfermement des Enfers sur eux-mêmes, avec le risque qu’à force d’ignorer l’univers ce dernier vienne à évoluer sans et peut-être contre eux.

Il est vrai qu’en dessous des solitudes glacées de Cania, dans le brumeux silence de Nessus, les péripéties du reste de l’univers paraissent bien éloignées. On peut concevoir qu’à force d’y rester, Asmodeus ait pu finir par n’envisager les Enfers que comme une vaste extension de Nessus. On peut donc imaginer que l’archiprince des Enfers soit passé de l’expansionnisme au conservatisme et de l’ambition à la réglementation. Mais ne serait-ce pas alors précisément tomber dans ce piège qui a toujours fait sa force : le sous-estimer ?

Les impostures : Méphistophélès et Lucifer

Le dénommé Méphistophélès n’est aucunement un Prince ni même un duc des Enfers et certainement pas le Seigneur du Huitième Cercle. C’est tout au contraire un pauvre diable, simple recruteur d’âmes (falugon) pour Baalzebul, qui a fait l’objet d’un coup de publicité aussi puissant qu’imprévu lorsqu’il décida de tenter sa chance auprès d’un certain Johannes Faustus. Les narrateurs de l’histoire du sieur Faustus ont rencontré un tel succès que leurs commentateurs et suiveurs ont assimilé ce pauvre Méphistophélès à l’un des grands seigneurs infernaux, comme si ces derniers avaient le loisir de passer leur temps à tenter de convaincre quelque particulier quidam terrestre de lui vendre son âme. Cette imposture, à laquelle le malheureux Méphistophélès est entièrement étranger, est néanmoins devenue une thèse solidement et amplement répandue au point de l’imaginer en seigneur du huitième cercle, dont la première conséquence est de masquer l’importance prise par Glasya, fille d’Asmodeus.

Une confusion similaire, cette fois voulue, porte sur le cas Lucifer, qui est en réalité un Solar de Râ dont le nom signifie « porteur de lumière ». Alors que Satanael tentait d’établir son culte personnel sur les plans matériels, ses agents se heurtèrent à ce solar qui veillait sur un monde. Satanael, qui voulait éviter un esclandre, leur envoya son amante Rumjal afin qu’elle tente de séduire ou corrompre Lucifer, à quoi elle échoua lamentablement. Mais sa vexation autant que la crainte de rapporter à Satanael qu’elle avait raté sa mission et que du coup il se détourne d’elle la firent réfléchir et elle se remémora alors l’affaire Méphistophélès. Elle imagina ainsi de raconter à qui voulait l’entendre qu’un grand diable aux côtés de Satanael s’appelait Lucifer, espérant que la rumeur se répandrait assez pour qu’elle prenne l’apparence d’une réalité afin de lui permettre de se targuer après de son maître d’avoir effectivement corrompu son ennemi. La ruse réussit d’autant mieux que le véritable Lucifer n’en avait aucune idée. Il ne s’intéressait pas à sa propre réputation et laissa donc la rumeur s’étendre. Ses actions miraculeuses furent ainsi attribuées à Satanael dont il devint sans le savoir le Grand Intercesseur. En même temps que le vrai Lucifer purgeait quelque territoire d’un affreux monstre, à cinq cents kilomètres de là on psalmodiait le nom de Lucifer pour invoquer la puissance diabolique de Satanael avant d’apprendre quelques semaines plus tard qu’elle avait en effet débarrassé le monde d’un affreux monstre.
Cela dura des années car ce solar, comme ses collègues, était fort occupé et allait d’un monde à l’autre, ne se montrant qu’en cas de péril ou de nécessité pressante. Il advint enfin qu’un jour où il se rendait dans un village dont les habitants refusaient de cesser de prosterner d’une manière très exagérée après l’avoir entendu prononcer son nom, il fut abordé par un enfant qui lui demanda de bien vouloir acheter son âme s’il acceptait de guérir sa petite soeur. La conversation qui suivit lui fit comprendre, bien trop tard, dans quel traquenard Rumjal l’avait fait tomber.

Cette affaire inspira la loi énoncée par le hobbit Ablo Brandolini 2, scientifique de l’Université de Melrose, selon laquelle l’effort nécessaire à réfuter un mensonge est exponentiellement supérieur à celui nécessaire à le produire. En effet, jamais Lucifer ne sut ni ne put redevenir dans l’esprit des gens le solar qu’il était pourtant en réalité. Au contraire, la propagation et la déformation des rumeurs de ses exploits en finirent par l’ériger en principal Grand Diable de Satanael, voire en synonyme de celui-ci, au point que le vrai Lucifer dut se résoudre à obtenir de Râ l’autorisation de changer son nom.

Aperçu vis-à-vis des Enfers de leurs principaux dieux : Hecate, Hel, Set, Votishal, Loviatar, Arès, Hadès.

Les relations entre Hecate et les Enfers sont aussi profondes que compliquées. Elle est la seule déesse qui y soit encore concrètement et personnellement active, car elle les voit comme sa chose, étant la créatrice des diables, et se considère toujours la protectrice d’Avernus ou à tout le moins celle des Terrasses. Elle a de longtemps compris l’ambition et les procédés d’Asmodeus et s’est abstenue de s’y opposer. Son clergé a l’habitude de souligner qu’Asmodeus et elle n’ont pas les mêmes préoccupations et que leur opposition est plus une apparence qu’une réalité. Au plan plus personnel Hecate, sans approuver véritablement ce que sont devenus les Enfers sous la férule asmodéenne, admet le fait accompli ou le pis-aller qu’ils représentent.

Les choses sont plus simples s’agissant de Set. Ce dernier avait voulu devenir le maître des Enfers en sus d’Achéron, avec Hecate pour exécutante et sa descendance pour encadrement. Comme souvent avec Set, l’exagération de son appétit et la surestimation de ses propres capacités l’ont conduit à l’échec. Il fut longtemps adversaire d’Asmodeus par grands diables interposés 3. C’est moins le cas aujourd’hui, certes faute de relais sur qui compter, mais aussi parce que Set a fini par admettre qu’Asmodeus a gagné le droit à la place qu’il occupe.

Hel a pris la plus grande distance possible avec les Enfers, qu’elle considère ressortir de facto du domaine de Loviatar, qui l’y remplace. Elle ne cache pas son mépris envers Asmodeus comme envers l’ensemble des seigneurs diables actuels à l’exception de Bel.

Loviatar incarne la patronne morale des Enfers dans leur état contemporain. Elle se situe pas du tout en rivalité avec Hecate, la réciproque étant cependant douteuse. Il semble que Loviatar influence les Enfers de fait plutôt que par propagande ou par l’action de zélotes, notamment grâce à l’exercice particulier de son culte qui est tout aussi individuel que collectif, occasionnel que permanent.

Votishal méprise les infernaux : lui exécute les décisions des dieux, eux en profitent. Il a souvent surmonté ce mépris pour leur venir en aide ou parce que leurs intérêts pouvaient coïncider avec ceux de la Loi. Il estime accomplir ces tâches dont les diables se sont bassement exonérés afin jouir de leur loviatarisme infernal. Il considère représenter ce droit chemin dont les ex-archons se sont écartés.

Longtemps resté proche des infernaux, Arès s’en est écarté au point de devenir invisible à compter de l’invasion du Grand Massacre. Dès alors, il reprochait aux Enfers de privilégier leurs affaires internes sur la mission sacrée d’accomplir et gagner la Blood War. Il est de retour en Olympe et seule un puissant redéploiement des diables intensifiant leur lutte contre le chaos le verra revenir à leurs côtés. Pour lui, les Enfers se résument à Avernus et à son adorateur le duc Bel. Il serait par ailleurs amoureux d’Hecate.

Hadès considère que les Enfers font partie de sa sphère d’influence qui comprend également, outre son propre plan, la Géhenne et Tarterus. Les Enfers lui sont de toute manière fort utiles en le déchargeant d’une part importante du traitement des âmes. Plus profondément, Hadès estime qu’ils compensent la création des âmes dans le plan positif de bien meilleure manière qu’en les annihilant dans le plan négatif par le truchement des morts-vivants. Aussi Hadès leur est-il bien plus fortement attaché qu’il ne le laisse paraître, ce qui est d’ailleurs un trait caractéristique de sa personnalité.

Appendice n°1 — La vengeance de Set

Set a toujours été un excellent général, peut-être le meilleur de tous les dieux. Ceux-ci comptent bien évidemment de formidables combattants ; un Thor, un Arès ou un Hadès sont invincibles face à face, une Athéna ou un Tyr sont de grands. Mais sans doute aucun n’atteint la combinaison des qualités de combat personnel, tactique et stratégie du dieu des ombres.

Les succès de la Great Evil Coalition (G.E.C.) préoccupaient la plupart des dieux, en particulier les raïques. Partout résonnaient des appels à l’aide, notamment vers Isis et Horus qui enrageaient de ne pouvoir suffisamment aider leurs serviteurs et leurs adorateurs. Set le savait et s’en réjouissait. Comme Arès l’avait prédit, ceux qui avaient cru donner la paix au monde grâce à la Convention de Bakor n’avaient engendré qu’une autre forme de guerre dépourvue dépourvue de mages. Or en matière de guerre sans magie, les orcs n’étaient pas les plus mauvais. Le temps était sans doute venu de rappeler sa dette à Gruumsh.

En 4878 l’avancée de la G.E.C conduisit une force d’orcs Karshkrahaï (« Wounding Arms tribe ») venue d’Urukinia jusqu’en Evriand méridional et notamment devant le village de Thrinstone en Amberfin occidental. Le dévoué Gullimson, servant Râ et principal prêtre du coin, s’était réfugié avec ses ouailles dans le « château » local : une simple ferme fortifiée entourée d’une palissade et défendue par une milice d’une cinquantaine d’hommes et une dizaine de combattants de métier. Face à eux : six cent guerriers orcs volant depuis des mois de victoire en victoire. Ne voyant aucune issue, le prêtre appela son dieu Râ à la rescousse et il fut entendu : Râ aveugla les orcs de sa lumière, de sorte que les défenseurs résistèrent sans peine à l’assaut et tuèrent grand nombre de leurs ennemis. A ce constat, le shaman Karshkrahaï Gzuru-Piapir décida que lui aussi allait en appeler à son dieu et réussit pareillement à être entendu car l’écho de la réussite d’un appel divin se propage fort et vite dans les cieux. Alors Gruumsh dota les orcs accompagnant Gzuru-Piapir d’une sensibilité d’ouïe et d’odorat phénoménale leur permettant de frapper à l’aveugle. Les orcs reprirent ainsi l’avantage dans la bataille et franchirent la palissade. Vexé, Râ décida de se déplacer en personne, sous forme d’avatar ; décision hâtive et stupide qui ne peut se comprendre que par la tension qui émanait de Horus et Isis exaspérés. Décision qu’attendait Gruumsh qui intervint aussitôt, lui aussi sous sa forme d’avatar ; mais alors que Râ intervenait afin de s’en prendre aux orcs, Gruumsh, lui, visait Râ.
Le combat fut très rapide. L’attaque de Gruumsh, qui savait à quoi s’attendre, surprit complètement Râ. Le père des orcs, dont la force est insurpassée, assena deux coups de ses deux masses d’armes hérissées de piquants empoisonnés au venin de Jörmungand. Le premier défonça la poitrine du dieu solaire, le second lui écrasa le crâne, et c’en fut fini de l’avatar de Râ sur le monde. Après avoir lâché un nuage pestilentiel qui anéantit le village de Thrinstone, Gruumsh se mit à danser sur le cadavre de l’avatar de Râ au milieu des acclamations des Karshkrahaï. Dans les secondes qui suivirent, Horus intervint à son tour pour mettre fin au sacrilège et Gruumsh se tourna vers lui en souriant.
Car le pire avait lieu loin ailleurs.

Afin de parvenir plus commodément dans son domaine de Penumbria en Achéron et de rendre visite à Set, Nout avait discrètement aménagé un passage entre ce cube et l’Egypte Céleste. Ce passage fut ensuite utilisé par Set lui-même pour se rendre épisodiquement en Egypte Céleste et notamment visiter Nephtys et c’est ainsi qu’il engendra Bast. Bast, afin de voir son père et de séjourner dans son propre domaine de Penumbria, utilisait habituellement ce passage.
Mais en l’année 4878, ce passage servit à Ilneval et Baghtru pour envahir l’Egypte.

Le plan d’invasion avait été soigneusement préparé par Ilneval, le stratège des orcs, avec Set. En quelques minutes des dizaines de milliers d’orc quittèrent Nishrek pour Penumbria où, sous la houlette de Set, il empruntèrent le passage de Nout pour débouler en Egypte Céleste avec Baghtru en personne à leur tête. Ils progressèrent sans difficulté car protégés par la nuit. Set s’était en effet servi du passage de Nout pour étendre la pénombre de Penumbria jusqu’en Egypte qu’il avait ainsi enveloppée dans une longue nuit sans étoiles ni lune. Or les orcs voient dans le noir, au contraire des humains : ainsi les premiers n’eurent guère de difficulté à exterminer les seconds surpris et ahuris dans la nuit persistante.

Pendant que les hordes de Baghtru et Ilneval déferlaient en Egypte, Set s’était rendu chez Nephtys une fois encore et celle-ci lui céda une fois encore, on ne sait si par contrainte, par désir, ou par calcul. Car en conservant ses étreintes, Nephtys l’occupa longtemps, le détournant de la bataille, et l’épuisa tant qu’il ne fut plus en mesure de mener un combat au sortir de la couche de son aimée. De cette dernière union entre Set et Nephtys naîtra Sekhmet la stérile, déesse non révérée des maladies.

Sur le monde matériel, Gruumsh évitait habilement les coups de Horus pour le maintenir le plus longtemps possible au combat {5 le maintient d’un avatar n’occupe qu’une partie des ressources d’un dieu sauf si cet avatar est en présence de celui d’un autre dieu, ce qui mobilise alors toutes ses ressources}. En Egypte Celeste, Râ, blessé et épuisé, ne parvenait pas à vaincre la nuit que Nout laissait subsister parce qu’elle ne parvenait pas à choisir entre son époux et son fils. Dans cette pénombre poisseuse et interminable Baghtru viola puis occit Maat, déesse de l’éthique, Ilneval affronta, encercla et tua Sebek, le vorace dieu-crocodile qui servait d’exécuteur au dieux raïques.
Mais ces combats donnèrent aux autres dieux et en premier à Isis le temps de comprendre ce qui se passait et de se ressaisir. Isis représenta à Râ le constat de son impotence et ce dernier se résolut à appeler Seker afin qu’il devienne lumière éclairant sa maison. Grâce à cette lumière Isis put convoquer Osiris et Anhur afin d’assembler les derniers humains d’Egypte pour aller affronter les orcs. Puis Seker et elle entreprirent de disperser la pénombre que Set dut s’employer à maintenir.

Le tournant de la bataille survint avec l’arrivée d’Horus, appelé par Isis et revenu à la rescousse suivi de près par Gruumsh. Dans le même temps, Set, voyait Osiris fondre sur lui ; il sentit alors qu’après avoir été privé par Nephtys de sa semence, il n’était momentanément pas de taille à affronter un combat physique tout en maintenant la pénombre propice à ses alliés orcs. Il fit signe à Ilneval qu’il était temps de sonner la retraite. Au même moment, Horus, Seker et Anhur soutenus par Isis chargeaient les orcs de Baghtru. De nombreux orcs périrent dans la mêlée qui suivit. Les autres, entendant Ilneval sonner la retraite, prirent leurs jambes à leur cou. Afin de les couvrir, Set recula devant Osiris et disparut dans l’ombre tout en se concentrant pour maintenir la nuit que la lumière de Seker effilochait chaque seconde davantage. Grâce à quoi Gruumsh, Baghtru et Ilneval réussirent à disparaître dans la pénombre avec Horus sur leurs talons, qui s’y enfonça lui aussi. Anhur décida alors de le suivre à son tour afin d’éviter qu’il ne s’isole et de pouvoir l’épauler. Les deux dieux avancèrent dans une pénombre de plus en plus épaisse car ils se rapprochaient du passage de Nout, dont ils ignoraient l’existence, et ainsi d’Achéron et de Pénumbria. Ils ne voyaient rien, ils ne savaient pas où ils étaient. Ils entendirent Osiris leur criant de revenir, que l’Egypte était sauvée. Mais Horus et Anhur s’étaient imprudemment mis à la merci de Set, qui règne sur l’ombre. Ils ne savaient pas par où revenir à la lumière. Alors Osiris leur dit d’attendre qu’Anubis vienne les chercher.

Seul Anubis, le gardien des morts qui voit dans toute pénombre, pouvait les aider. Il répugne à combattre d’autres dieux et entretenait de bonnes relations avec Set. Mais Isis lui fit part des outrages subis par l’Egypte Céleste et il fut horrifié par la mort de Maast avec qui il avait coutume d’oeuvrer : il écouta donc les demandes d’Isis et de Râ d’intervenir et accepta d’aller chercher Horus et Anhur pour les guider vers le retour. Anubis trouva Horus juste avant que Gruumsh et Baghtru arrivent sur lui. Grâce à son alerte puis à ses indications, Horus réussit à parer les coups des deux dieux orcs tout en reculant vers Anubis. Ce dernier héla Seker qui focalisa toute sa lumière pour trouer l’ombre là où l’appelait Anubis, aveuglant du même coup les dieux orcs et donnant ainsi à Horus le temps de s’échapper. Mais Seker n’avait pu réussir que parce que Set avait abandonné sa propre concentration. Et Set n’avait abandonné cette concentration que parce qu’il savait Anhur isolé et égaré. Alors, tel un assassin, Set s’approcha derrière lui silencieusement et d’un seul coup de khopesh lui trancha net le cou.

Après quoi Set et son arrière-garde quittèrent sans encombre l’Egypte Céleste. La lumière alors revenue révéla le cadavre d’Anhur. Nephtys  tomba sur ses genoux, horrifiée ; elle avait été aimée d’Anhur. Anubis le recueillit pour aller l’embaumer dans la pluie des larmes de Nout et de Râ. A la nuit de Set succéda celle d’un long deuil.
Horus et Seker voulurent aller porter la guerre en Achéron, aux Enfers s’il le fallait. Ils convainquirent Osiris et Isis mais non point Bes, Geb et Thoth. Les premiers le reprochèrent aux seconds, ajoutant qu’ils n’avaient pas combattu contre Set. Les seconds rappelèrent qu’ils n’étaient pas présents lors de l’invasion, laquelle avait duré peu de temps, et qu’on ne servirait que les ennemis de l’Egypte Céleste en ajoutant à la guerre et au sang versé. A quoi les premiers répliquèrent que Set était désormais un tel ennemi, les seconds qu’attaquer Set en Achéron signifiait aussi Gruumsh, Baghtru, Hecate, sans doute Arès, voire les infernaux. . . Râ vit qu’on ajoutait la dissension à la défaite. Il réunit Thoth et Isis et tint avec eux conseil. Puis il décida qu’il n’y aurait pas de guerre pendant ou après le long deuil, mais que si Ptah ne châtiait point Set, alors tous les dieux qui le voudraient seraient déliés de leur obéissance envers lui et pourraient choisir le Chaos.

Ptah accéda à la demande de Râ. Il sanctionna Set en lui retirant son contrôle sur l’ensemble de l’Acheron, où il est désormais limité à Ocanthus. Arès, qui n’était pas intervenu dans l’affaire, fut récompensé en gagnant le contrôle complet d’Avalas. Ptah exigea aussi de Nout la destruction de sa passerelle vers Acheron. Ce qui mit un terme à l’affaire.

Cet épisode est relativement peu connu parce que les dieux raïques n’ont pas d’intérêt à s’étendre sur ce qui reste la plus terrible défaite jamais subie par l’Egypte Céleste. De leur côté, les sethistes comme les gruumshiens sont toujours un peu réticents à l’idée de devoir reconnaître la part fondamentale prise par l’autre culte dans cette affaire. Enfin, tous préfèrent ne pas évoquer le rôle qu’aurait pu avoir dans cette affaire le duc infernal Géhomoguavain, secrétaire du conseil de la G.E.C. et affidé d’Asmodeus.

Les pertes de l’Egypte Céleste sont terribles. Plus de la moitié des humains « élus » y demeurant, descendants des prototypes de l’humanité, fut exterminée ou emmenée en esclavage. De nombreux demi-orcs furent ensemencés au cours des viols. Surtout, trois dieux furent occis, dont Anhur le Preux Défenseur, pendant de Heimdall pour l’Egypte Céleste.
Au plan moral, celle-ci ne s’en est jamais relevée : le rôle trouble de Nout, la défaillance de Râ, le viol de Maast, la ruse de Nepthtys, le recours à l’aide d’Anubis, outre les disparitions de dieux et d’humains l’ont terriblement affaiblie. Le prestige de Râ, privé d’avatar dans le monde matériel, celui d’Horus, incapable de vaincre Gruumsh, celui d’Orisis, éveillé trop tardivement pour défendre l’Egypte, furent gravement atteints. A l’inverse ceux de Nephtys, qui avait su retarder Set, de Seker, qui réussit à combattre l’ombre, et d’Isis, première à comprendre la situation et à coordonner les défenses, en sortirent renforcés.

L’affaire repoussa Set dans le mal. Il fait depuis l’objet d’un profond ostracisme de la part des autres divinités, y compris de neutres. Les détestations intra-divines existent et peuvent dégénérer jusque dans une certaine mesure ; mais l’invasion d’un plan par un autre est un acte de guerre d’une extrême gravité s’il n’est pas justifié par un acte antérieur. Toutefois, Set fit valoir que le jugement dont il avait été l’objet constituait un précédent aussi extraordinaire que l’invasion qu’il avait entreprise et que cette invasion ne visait que l’Egypte Céleste et précisément pour cette raison. Ce qui fut admis par Ptah et par la plupart des autres dieux.

Mais pour tous les dieux, Set est désormais et sans équivoque un être maléfique. Il demeure certes parfaitement fidèle aux quelques amitiés qui lui restent : Arès, Bast, Hadès, Gruumsh, Hecate… Mais la force et la permanence de sa haine sont les plus puissantes de tous les dieux du mal, bien supérieures à un Hadès, une Hecate ou un Loki. C’est pourquoi l’ex-seigneur d’Acheron est aujourd’hui, à tort, souvent assimilé aux Enfers, dont il fut toutefois l’inspirateur.

Les grands bénéficiaires, en gloire et en renom, sont assurément Gruumsh, Baghtru et Ilneval. Ce bénéfice aura un impact au sein de la Great Evil Coalition car les orcs s’en prévaudront pour prétendre à devenir la race principale des territoires conquis sur les humains, prétention qu’ils n’ont d’ailleurs pas abandonnée ensuite.
Mais la réussite de l’opération est à mettre en premier au crédit de Set, qui l’a parfaitement conçue, organisée, conduite. Il a enfin démontré que l’Egypte Céleste avait plus perdu que  gagné en rejetant avec lui le meilleur de ses dieux. L’immense satisfaction personnelle qu’il en retire vaut largement toutes les pertes relationnelles et ostracismes qui le frappent depuis. Comme si, dans cette affaire, c’est Asmodeus qui l’avait inspiré plutôt que l’inverse.

Appendice n°2 — Louhi et Loviatar

Louhi est une titane d’origine mystérieuse, peut-être fille de Nyx et d’Ouranos, qui végète longtemps dans le Nebel. Elle apprécie le froid. Elle n’est pas (du tout) jolie mais ne le sait alors pas car elle est aveugle. Lors de la venue des Asirs, elle tente de se joindre à eux mais elle est repoussée par Frigga qui éloigne d’elle son époux Odin. Seul Ukko la prend en pitié et lui fait découvrir le plaisir mais refuse ensuite de devenir son époux. Déçue, elle rejoint alors Thrym et demeure longtemps en Jotunheim, où elle apprend qu’elle n’est pas jolie. Elle y fonde le noyau de ce qui deviendra son domaine de Pohjola où elle découvre par elle-même la confection de sortilèges ou de philtres pour compenser sa laideur. La fréquentation des géants lui enseigne comment s’orienter sans voir et comment séduire sans être séduisante. Elle tente sans succès de charmer Thor, qui la repousse gentiment, puis Loki qui l’éconduit en lui expliquant les différences entre Freyya et elle. Ces échecs répétés, combinés au mépris de Thrym et à sa violente jalousie envers Freyya, la conduisent à une hostilité envers le Chaos et à rechercher l’appui de créatures de la Loi, dont Ukko faisait partie.

La dévolution à Hel du Niflheim, qu’elle convoitait, l’ulcère. Elle quitte alors Jotunheim pour aller se plaindre auprès de Ptah. En chemin elle rencontre Hermès qui ne parvient pas à la guérir mais réussit à la dissuader d’aller revendiquer auprès de Ptah en lui faisant remarquer qu’elle n’a aidé les dieux dans aucune des guerres qu’ils ont menées. S’agissant de sa cécité, il lui confirme qu’elle ne pourra jamais voir avec ses propres yeux mais qu’elle le pourra par d’autres que les siens, et lui conseille de s’en remettre à cet effet aux maîtresses de la magie : Isis ou Hecate. Grâce encore à Hermès, elle découvre aussi le reste de l’univers et a une brève liaison avec Set qui l’enchante. Elle fait à cette occasion la connaissance d’Hecate qui l’aide à progresser en tant que magicienne et lui explique que Set n’est pas et ne sera jamais un amant fidèle.

Louhi va alors se rendre dans ce Niflheim qu’elle considère son habitat naturel, pour lui demander asile à Hel, lui proposant en échange sa reconnaissance et son allégeance. Hel n’accepte ni l’une ni l’autre car Louhi ne l’intéresse pas, mais lui accorde cependant de s’établir dans le Niflheim et d’y transférer son Pohjola.
Louhi va ainsi découvrir le plan de Hadès, car le Niflheim s’y étend ; y voyageant, elle ressent tout à coup l’immense présence du grand dieu des cycles et de la terre élémentaire : jamais aucune divinité, même Set ou Odin, ne lui a paru d’une telle puissance, ne l’a faite autant frissonner. Elle imagine alors de tenter de le séduire et de devenir sa maîtresse.

Mettant à profit les enseignements d’Hecate elle se transforme pour ressembler à une de ses servantes afin de lui verser un philtre. Personne ne sait qui l’a aidée pour prendre une jolie apparence alors qu’elle ne voyait pas, mais Loki ou Oghma sont souvent cités. La ruse réussit et Louki connaît une nuit extatique avec un Hadès à demi endormi. Mais le lendemain, l’effet du philtre a disparu et Louhi doit s’expliquer devant un Hadès est à la fois furieux et amusé. Il ne peut laisser passer le fait que Louhi ait osé s’en prendre à lui mais réalise aussi que Louhi n’a aucune idée de la puissance à laquelle elle s’est attaquée, qu’elle est aveugle et au fond désespérée. Il comprend alors qu’elle souffre de ne pas savoir si elle est fertile, ce qui explique qu’elle ait voulu recevoir la semence d’un dieu de la fertilité. Au final, il décide de lui infliger à la fois une malédiction et une bénédiction.

Sa malédiction consistera à ne jamais gouverner de domaine divin et à doubler sa cécité de neuf autres maladies : Colique, Goutte, Consomption, Ulcère, Choléra, Rachitisme, Gale, Cancer, Peste. Pour chaque de ces maladies, elle devra inventer un traitement entraînant sa guérison. Lorsqu’elle aura ainsi survécu, elle pourra engendrer tous les autres enfants qu’elle voudra avec qui elle voudra. Toutes ses filles seront des beautés magnifiques et toutes seront aussi désirées qu’elle-même a été repoussée. Mais tous ses fils seront affligés d’une des dix maladies qu’ils emporteront loin d’elle pour les répandre dans l’univers.

Sa bénédiction sera de devenir fertile et que la première de ses filles soit déjà dans son ventre. Ses autres enfants viendront après sa guérison de la dernière des maladies : la peste. Alors elle rencontrera un nouvel amant, puis ceux qu’elle pourra avoir. Toutes ses filles mais non ses fils seront des beautés magnifiques et toutes seront aussi désirées qu’elle-même a été repoussée.

Louhi retraita dans Pohjola subir son martyre. Elle engendra sa fille, Loviatar, qui la vit souffrir, la soigna, et l’aida à travailler pour guérir. Après sa guérison de la peste, Hadès lui envoya le grand diable Nergal avec lequel elle enfanta Anthraxus. Elle eut trois autres fils et deux autres filles dont elle se servait pour elle-même obtenir des amants.

Bien que n’ayant pas de domaine divin, Louhi est néanmoins révérée par les hags. Elle est aussi considéré comme la mère de toutes les maladies et ce qu’elle exerce via ses fils, en particulier le Daemon suprême Anthraxus.

Loviatar est la première fille que Louhi eut de Hadès. Elle fait partie des divinités dites tardives, comme Issek ou Diancecht, dont le culte vise des particularités des êtres vivants plutôt que des principes ou éléments à portée universelle ou établis par l’antiquité divine. Elle incarne le sadisme mais aussi le masochisme. Elle a pour credo que la souffrance est par et en elle-même purificatrice, simplificatrice, rédemptrice. Elle tient que tout passe par la souffrance à commencer par l’amour, l’enfantement, le travail. La jouissance par la douleur est possible mais accessoire, de même que la douleur peut aussi être un moyen en supplément d’une fin.

Loviatar se sert de sa beauté froide mais magnétique pour instiller la souffrance psychique dans l’esprit de celui qui aura le malheur de la désirer. Elle est très solitaire, ne fraie avec aucun autre dieu, envers lesquels elle semble n’avoir aucun intérêt, à l’exception de Hecate, Hel, Hadès et bien sûr de Louhi et sa descendance. Elle est désignée ennemie majeure par Diancecht et Issek mais la réciproque n’existe pas : glacée, Loviatar les méprise. Elle laisse la souffrance œuvrer à sa place et son clergé mettre l’univers devant cette évidence. Elle n’intrigue pas, n’influence pas, et n’intervient pas sauf à titre personnel. Mais elle apprécier d’aller se promener, s’invitant à l’improviste un peu partout, ou se distrayant par un vagabondage où elle choisira de faire ou non le malheur de quelque créature sur son chemin.

Loviatar a son domaine en Géhenne, dans la strate de Mungoth, qui en est la troisième. Elle y demeure dans une montagne de glace aux allures de forteresse, traversée de salles et couloirs voués à toutes les formes de souffrance qui existent et que la glace lui répercute. Elle y emmène ceux qu’elle choisis ainsi que ses meilleurs zélotes, qui pourront y devenir ses saints : les Décharnés et les Sublimés. Les premiers ont outrepassé la souffrance physique qu’ils n’éprouvent plus que comme une condition constante, naturelle. Il leur reste outrepasser la douleur mentale, à triompher de la folie, et à atteindre ainsi le stade d’ultime purification qui fera rejoindre ces perfections que sont les Sublimés.

Elle a très fortement influencé les Enfers, sans qu’on puisse déterminer si c’est volontaire de sa part ou de celle des infernaux ou sans dessein particulier, la première hypothèse étant la moins probable. Elle est la déesse des tortionnaires mais aussi de ceux qui souffrent à cause d’autrui ou d’eux-mêmes et qui, plutôt que de combattre cette souffrance, veulent l’étendre ou l’imposer à autrui. Très intelligente, froide et coupante, elle est souvent appelée avec Votishal, Horus et Hel. Son culte, extrêmement souple, acceptant l’adhésion individuelle et même temporaire aussi bien que la structuration cléricale classique avec zélotes et fanatiques, s’est discrètement répandu et elle est une déesse beaucoup plus révérée qu’il n’y paraît.

 Postface

Ainsi que je l’écrivais en préambule de cette série d’articles, de très multiples sources ont guidé le matériau « derenworldien » des Enfers : Dante, Lönnrot, les Eddas, Homère… sans oublier l’aide bien utile de Wikipédia. Au sein de D&D, tout commence par les conceptions initiales de Gygax et de Jeff Grubb ; ensuite les travaux de Monte Cook bien sûr, puis ceux de Robin Laws et Robert Schwalb furent éclairants et inspirants.

Je dois cependant rendre un hommage particulier à Ed Greenwood, dont l’oeuvre a été plus que toute autre précieuse. Ses deux articles parus dans les numéros 75 et 76 de Dragon Magazine en 1983 ont formé et forment encore une véritable charpente des Enfers dans un univers médiéval-fantastique, qui sert de référence à tous les autres auteurs. Il demeure stupéfiant que Greenwood ait pu avec autant de bonheur produire un matériau de cette qualité tout en contribuant constamment pendant des années à certaines des meilleures pages de ce magazine en même temps qu’il créait le monde de Forgotten Realms dont il avait conçu les prémisses dès l’âge de 8 ans. Je n’adhère pas à ses romans et Forgotten Realms, aussi remarquable soit-il, n’est globalement pas mon truc. Mais cela n’ôte rien à l’admiration que j’éprouve pour cet extraordinaire créateur. Selon sa page Wikipedia, il a écrit ou contribué à plus de deux cent livres ! Son inventivité et sa poésie, sensible dès les noms propres qu’il trouve pour ses lieux ou personnages, sont un bonheur, une rareté, un exemple inspirant l’ensemble du jeu de rôle. Il s’appuie une vraie et profonde culture : plus d’une dizaine de sources pour ses articles sur les enfers, de Dante à Le Guin en passant par Fénelon, Larry Niven ou Milton. Et ce contemporain (nous sommes nés la même année) du Canada continue de mener ses campagnes avec le même groupe de joueurs apparu dans les seventies… Comme on dit aujourd’hui : respect !

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1 — Plaisanterie d’Asmodeus sur lui-même rapportée par Herodias de Tantlin.

2 — Selon Pier-Egerys Pilfram également hobbit mais de l’Université de Granchester, Brandolini se serait inspiré d’un aphorisme de l’écrivain, poète, barde et chansonnier tangutien Kramar Niawt, dont Pilfram a compilé les oeuvres : « il est plus facile de tromper son prochain que de le convaincre qu’il l’a été ».
La loi de Brandolini a conduit le professeur Sergatine Lopakov, du neo-Lykaeum, à proposer le corollaire suivant : « Soit un ouvrage où la réfutation de chaque phrase nécessiterait un paragraphe, celle de chaque paragraphe une section, celle de chaque section un chapitre et celle de chaque chapitre tout un livre, alors cet ouvrage devient concrètement irréfutable et revêt toutes les apparences de la vérité. »

3 —L’une des conjectures les plus importantes au sujet de Satanael tient qu’il aurait à un moment agi de concert avec Set. Ce dernier, s’estimant dupé par Asmodeus, aurait choisi d’appuyer en sous-main le « révolutionnaire » Satanaël dans son dessein de devenir (quasi-)dieu des Enfers, plutôt que d’utiliser Tiamat, Astaroth ou Geryon, trop évidemment surveillés.
Ce serait l’origine du symbole religieux employé par ce culte : un pentacle à pointe en abysme (en bas), qui réfère au Fonstyx pour indiquer que ce dernier alimenterait en réalité un Satanael maître des Enfers. Le Fonstyx étant l’œuvre ou l’émanation de six divinités (Straasha, Charon, Anubis, Hel, Ptah et Set) cette extrême prétention n’a pu rester impunie sans que l’une d’elles ne la ratifie.

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