Neuf conseils pour arbitrer un jeu de rôle (3e version)

20 octobre 2016 par Kazz → Non classé

The DM - Knights of the Inner Table (kenzerco.com)

Les conseils pour arbitrer, bien arbitrer, super-bien arbitrer, la typologie des bêtises à ne pas commettre, les recommandations, les exemples de grands maîtres, les trucs et même les études, tout cela abonde sur internet. Il m’est même arrivé d’y ajouter mon grain de sel avant de finalement me dire à quoi bon, tout cela existe déjà par ailleurs, et d’ôter du site la page correspondante. Qui suis-je, finalement, pour prétendre bien expliquer ce que j’ai compris d’un jeu auquel je participe depuis 37 ans ? Et puis, en tombant l’autre jour sur plusieurs articles anglophones, je me suis dit : quand même, surtout en français et pour des arbitres débutants, ça pourrait peut-être servir d’en reparler.

Question arbitrage, en 37 ans, je crois en avoir vu de toutes les couleurs, côté arbitre comme côté joueur. On n’apprend bien que de ses erreurs et de celles des autres. Mais la seule chose qui me semble au final certaine, c’est que les bons arbitres de jeu de rôle sont rares, hier comme aujourd’hui.

En revanche, il y a considérablement plus de bons joueurs, car les jeux de rôle sont d’abord des produits commerciaux conçus pour être vendus ; or la cible « joueurs » comporte un nombre de prospects nettement supérieur à la cible « arbitres ». En outre, il n’y a pas d’école d’arbitrage : on le devient sur le terrain, voire sur le tas, en regardant les autres, en apprenant les règles, en se disant pourquoi pas moi ? Et du coup, l’arbitrage d’un jeu de rôle peut apparaître finalement pas si difficile, notamment à la lecture de règles qui, en général, ont intérêt à encourager les volontaires. Mais bien arbitrer demeure néanmoins difficile, et très bien arbitrer très difficile. En 37 ans, le nombre de très bons arbitres de jeux de rôle que j’ai rencontrés n’excède guère la dizaine.

Les nombreux articles et conseils parus grâce à l’internet énoncent souvent des vérités, parfois pour les asséner sans nuances, mais surtout, me semble-t-il, de façon disparate ; les contenus de ces articles m’ont souvent paru soit trop courts soit trop longs, et rarement exhaustifs. Du coup, j’ai ranimé ce petit mémento à l’usage des arbitres de jeu de rôle, dans sa version donc de 2016, après celles de 1999 et de 2008. Je me propose ainsi d’essayer, par neuf conseils, d’aider à arbitrer un jeu de rôle.

1) Soyez prêt

Etre un bon arbitre, sur le long terme, n’est jamais le fruit du hasard ni de l’improvisation.

La préparation d’une aventure est primordiale, ce que pratiquement toutes les règles signalent abondamment. Il faut lire et relire ; au moins deux fois en général en amont puis une dernière fois le jour même ou la veille.
On peut apprendre par coeur, annoter, ou modifier le scénario. Mais l’essentiel est de le connaître assez pour le maîtriser pendant la partie.
Car rien n’est plus emmerdant que l’arbitre qui annône des descriptions qu’il semble découvrir avec les joueurs. Ceux-ci doivent sentir que l’arbitre sait où il en est et où ils en sont eux aussi. Cela fonde le rythme de la partie qui permet de bien installer les joueurs dans leurs personnages.
C’est également le seul « avantage » de l’arbitre ; car sinon, il est seul face à, par exemple, 4 joueurs, en moyenne aussi malins et expérimentés que lui : l’arbitre doit donc toujours pouvoir tabler sur sa connaissance de l’aventure afin de dégager une assurance qui sécurise autant lui-même que l’ensemble du jeu. Une bonne préparation en amont est la clef de cette assurance.

Beaucoup d’arbitres débutants croient qu’ils vont y arriver assez aisément parce que les règles des jeux de rôles, qui sont aussi celles des maisons de commerce qui les fabriquent, le leur affirment. Ce n’est généralement pas aussi simple. Il vaut mieux avoir préalablement réfléchi avec méthode : comment jouer tel personnage, comment présenter telle rencontre, comment disposer tactiquement tel combat ?

Donc réfléchir. Comment présenter ce NPC, quels sont ses motifs, comment donner vie à son comportement. On peut s’inspirer de partout. De comédiens, de lectures, de personnages réels. Comme un metteur en scène, représentez-vous la scène prévue par tel ou tel moment de l’aventure ; ses personnages, son espace, ses bruits, ses odeurs. Demandez-vous quel est le but de tel élément scénarique, à la fois par rapport à l’aventure et par rapport à l’instant ; dégagez ce que le design de l’aventure cherche à produire à cette étape. Comment les joueurs vont-ils réagir ? Comment allez vous représenter tel aspect ? Est-ce que cet obstacle est bien équilibré et justifié ?
Ensuite, laissez votre imagination opérer et essayez de préparer ce qui va vraiment caractériser ce qui se passe, les deux ou trois indices sur lesquels les joueurs vont « tilter ». Discernez ce qu’il faut dire et ce qu’il suffit de dire. Mettez vous aussi dans la peau des aventuriers : qu’auriez-vous envie d’entendre à leur place ? Qu’est ce qui vous titillerait, intriguerait, effraierait ?

Bien sûr, vous n’avez pas à réaliser cela pour chaque aspect du scénario ni à le peaufiner à la perfection. Bien préparer une aventure n’implique pas d’en faire l’exégèse ; ce n’est pas passer des heures à en étudier les moindres détails ni connaître par coeur les oeuvres complètes de son designer. C’est plutôt distinguer les lieux, moments, personnages qui sont les clés du développement, ceux qui ont besoin d’avoir été un élaborés à l’avance, afin de bien les maîtriser le moment venu.

Etre arbitre suppose d’incarner de très nombreux personnages et de décrire des interactions complexes et différentes entre eux ou avec les personnages-joueurs ; il faut pouvoir rendre ces derniers à l’aise dans une auberge, inquiets face à un danger, suspicieux devant une énigme, désireux envers une finalité ; il faut pouvoir incarner un ami, un ennemi, un passant, un commerçant, un patron, un employé des personnages et il faut le faire vite et bien avant de vite passer au suivant. Certes, tout le monde n’a pas forcément un talent d’acteur et celui-ci n’est pas forcément nécessaire à la bonne fin du jeu. Mais on est quand même en train de parler d’un jeu de rôle, pas du go ou de la pétanque. Et c’est aussi un plaisir que vous proposez aux joueurs si vous réussissez à bien diversifier les rôles que vous allez incarner.

Prévoyez une liste de personnalités de réserve, composée de simples « squelettes » de NPC : nom, caractéristiques de base, apparence, comportement, rôles possibles… . Cette liste, vous l’aurez toujours sous la main pendant l’aventure. Ainsi, si les joueurs vous prennent au dépourvu sur l »interprétation d’un personnage, vous pourrez prendre un nom sur cette liste et interpréter le personnage.

2) Au service de la partie

La fonction première de l’arbitre de jeu de rôle est de faire que la partie se passe bien. Cela signifie: qu’elle soit amusante pour les joueurs, qu’elle soit cohérente avec eux, avec sa narration et avec les règles. Cette invention d’un joueur ayant pour mission la qualité générale de la partie est un part essentielle du jeu de rôle, mais elle implique aussi une forme de sacerdoce. Le bon arbitre garde toujours cette fonction en tête, qu’il s’agisse de la phase de préparation ou de la conduite du jeu.

Cela signifie aussi préserver la convivialité, la tolérance, l’esprit collectif qui sont des valeurs indispensables au bon déroulement du jeu. Le jeu de rôle est par essence un jeu coopératif. On n’est pas là pour s’engueuler, pour montrer qu’on est le meilleur, pour affronter les autres. L’arbitre est là pour le rappeler.

Etre au service de la partie signifie également que l’arbitre accomplit correctement tous les nombreux et divers aspects de sa mission : certes la préparation puis la conduite du jeu, mais aussi la personnification des rencontres et personnages, la balance et le schéma tactique des combats, l’équilibre difficulté/récompenses. Cette sorte de talent constitue assurément la part la plus ardue parce que la plus ingrate de l’arbitrage. 

D’autant qu’une aventure ne sera jamais réussie par vous, l’arbitre, mais par les autres joueurs. Vous ne gagnerez rien. Vous aurez eu de bons moments, les joueurs aussi. Mais votre première récompense, et en vérité la seule, sera l’envie des joueurs de reprendre aussitôt une aventure avec vous pour arbitre.

3) Au service des joueurs

La primauté du plaisir de l’arbitre s’arrête là où commence celle du plaisir des joueurs. Jusqu’à ce que la partie démarre, l’arbitre demeure le véritable « maître du donjon » selon l’appellation D&D ; c’est à dire celui de tout « son » univers où va se dérouler l’aventure. Il peut s’amuser avec lui comme bon lui semble : préparer des pièges, des intrigues, des lieux, des personnages, apprendre par coeur la description de la salle 37A du module ou les caractéristiques de la gelée ocre à putréfaction lente si ça lui chante.
Mais à la seconde même où la partie commence, il cède à l’arbitre « actif » qui est d’abord le serviteur des interactions entre cet univers ainsi préparé et ce que vont en vivre les joueurs.

Il arrive que certains arbitres subissent assez difficilement cette sorte « d’abandon de souveraineté » ; ils oublient qu’ils ont préparé l’aventure pour que des joueurs la vivent, et qu’il faut donc maintenant la leur laisser. D’autres ont du mal à admettre que tout ne se passe pas comme prévu, que les personnages des joueurs passent à côté de tel aspect terriblement important de l’intrigue ou négligent des endroits ou personnes pourtant soigneusement ou longuement étudiés et préparés.
Or, ce sont les joueurs qui décident, non l’arbitre. Les personnages ne sont pas des cailloux dans la main du maître du donjon mais des acteurs libres et autonomes. L’arbitre prépare un cadre ayant pour vocation les conséquences des actions des joueurs : il ne doit jamais se substituer à ces actions, quelle qu’en soit la tentation. Sinon, le jeu se résumera à une suite de parties entre l’arbitre et lui-même avec les joueurs pour prétexte et il y a peu de chances pour qu’il continue longtemps.

Enfin, lorsque vous voyez des joueurs rater des opportunités ou patauger malgré ce qui vous semble des évidences, ayez l’honnêteté de vous remémorer votre propre comportement en tant que joueur. Vous aussi avez pataugé, raté, merdé, vous aussi vous avez été incapable de trouver la bonne idée, d’élaborer le plan idoine, et vous aussi vous avez senti l’arbitre qui s’arrachait les cheveux devant ce qui paraissait aussi lumineux de son côté de l’écran que totalement obscur de votre côté. Alors soyez indulgent. L’important dans le jeu n’est pas que les personnages réussissent ou ratent leur parcours, qu’ils mettent quatre heures à accomplir ce qui aurait dû être réglé en vingt minutes ; l’important c’est que les personnages y soient, que les joueurs y soient. Le jeu de rôle n’est pas une compétition, mais une expérience.

4) Maîtriser la conduite du jeu

On a déjà vu l’importance fondamentale de bien connaître son scénario : l’improvisation est un recours et non une règle.

Le bon arbitre sait conserver son calme : c’est aux joueurs de s’énerver, pas à lui. L’arbitre peut et doit souvent devenir le premier comédien du jeu, ce qui peut impliquer qu’il apparaisse impatient ou nerveux ou hésitant ; mais là aussi, il joue un rôle et seulement un rôle. Maîtriser le jeu commence par se maîtriser soi-même.

Le bon arbitre a le souci du rythme. Un arbitre qui se plonge systématiquement dans les manuels ou les tables à chaque occasion ou s’attarde à discuter d’un point de règles avec un joueur tandis que les autres attendent endommage le réalisme psychologique qui est l’essence même du jeu de rôle.

Le bon arbitre maintient la cohérence. Dans bien des jeux de rôle, l’extraordinaire tient une place importante qui peut aussi devenir déroutante ; les joueurs perdent pied, ne comprennent plus ce qui se passe, opèrent dans une logique différente de celle de l’aventure parce qu’il ne le la perçoivent plus correctement. Il incombe à l’arbitre de maintenir suffisamment de cohérence entre ce qui est extraordinaire et ce qui ne l’est pas afin de conserver aux joueurs la faculté de se repérer en espace, en temps, en situation. Lorsque les joueurs n’arrivent plus à comprendre ce que perçoivent leurs personnages, intervenez: dites soit « c’est normal, vous allez piger » lorsque c’est possible, ou sinon reprenez vos descriptions et précisez-les, reprenez ce qui s’est passé, ce sont les personnages se souviennent. Plus il y aura de clarté, voire de simplicité, dans les descriptions des situations et enchaînements, plus on évitera que l’univers n’apparaisse un fouillis dans lequel plus personne sauf l’arbitre comprend ce qui se passe.

Décrivez simplement, pratiquement, précisément, sans oublier les dimensions annexes : auditives, olfactives ou de température. Commencez par ce que les personnages voient logiquement en premier et ensuite par ce qui va logiquement attirer en premier leur attention. Donnez ensuite les détails signifiants, si possible pas plus de cinq, en étant honnête (ne vous bornez pas à dire : « la pierre du mur est d’un rose bizarre » quand vous pouvez ajouter « qui vous rappelle quelque chose que vous avez déjà vu »). Ensuite, rendez le plus vite possible la main aux joueurs.

Le bon arbitre ne ferme jamais la porte aux joueurs. Ne dites pas « ton guerrier ne peut pas faire ça » ; dites « Jolarmure essaie de faire ça » et demandez un jet de dé.

5) Impartialité

L’impartialité de l’arbitre envers les joueurs est un élément nécessaire de sa légitimité, et l’arbitre doit être légitime pour être accepté. Tel joueur sera plutôt doué pour donner de la consistance psychologique à ses personnages, tel autre connaîtra les règles sur le bout des doigts, tel autre encore saura improviser des tactiques innovantes ou échafauder des raisonnements judicieux… Chacun est plus ou moins doué et le meilleur joueur ne peut donner que ce qu’il a. L’arbitre doit donc apprécier les efforts de chacun à proportion des dons de chacun. Si un comédien professionnel ou amateur brille par l’éclat et la faconde de l’interprétation de son personnage, cela n’est pas forcément plus méritant qu’un timide qui essaye d’ajouter quelques touches de psychologie à son personnage. Le bon arbitre sait prêter la même attention à tous les joueurs indépendamment de leurs qualités ou défauts personnels.

L’impartialité ne s’applique pas au rapport de forces entre les personnages des joueurs et leurs adversaires. En cas de doute, par exemple sur la situation ou à propos des règles ou sur une action dans le jeu, il faut toujours trancher en faveur des joueurs. Evitez de vous plonger dans la règle lorsque vous pouvez aussi répondre : ‘je ne sais pas comment les règles s’appliquent à ça mais pour le moment on va considérer que ça se passe comme ça ».
Mais l’impartialité peut aussi amener des compensations en faveur des opposants aux joueurs, car ces monstres ou adversaires n’ont qu’un seul cerveau à leur disposition : celui de l’arbitre. Servez-vous en. Rendez vos opposants intelligents, cohérents, avec leurs forces et faiblesses. 

6) Le jeu de rôle n’est pas un wargame.

L’opposition scénario (monstres, énigmes, environnement…) contre personnages n’est pas le succédané d’une opposition entre l’arbitre et les joueurs. Les joueurs et l’arbitre n’y deviennent adversaires que parce que c’est le rôle de l’arbitre que de faire agir les opposants des personnages. Néanmoins il ne s’agit pas plus pour lui de gagner contre les joueurs qu’il ne s’agit pour les joueurs de vaincre l’arbitre. Ce dernier peut, afin de pimenter le jeu, donner temporairement aux joueurs l’impression d’être leur ennemi à condition de ne jamais être dupe de lui-même.
Surtout, le jeu de rôle n’est pas réductible au combat et ne doit pas dégénérer en wargame. Les combats tactiques n’y sont qu’une phase, un élément du scénario. En outre, leur résolution par les règles ne coincide pas avec la recherche de réalisme et de plausibilité qui est au principe des wargames. Ce qui fonde le jeu de rôle, c’est d’abord le rôle et non la simulation partielle d’une réalité. Or, lorsque l’arbitre déplace une figurine, il s’affranchit le plus souvent de la description et le jeu de rôle est alors interrompu. Car ce n’est plus tel démon visqueux qui s’avance en bavant et éructant mais un morceau de métal ou de plastique mû sur une surface de carton. Même si vous faites l’effort de décrire verbalement ce qui se passe en plus de bouger une figurine, l’image de celle-ci l’emportera toujours sur le discours. Les joueurs ne réagiront pas d’abord en fonction de votre description mais d’abord en fonction de ce que leur montre la carte.

Or dans le jeu de rôle, le plaisir tiré du réalisme « psychologique » importera toujours plus que celui tiré du réalisme « situationnel », tout simplement parce que le premier n’a pas d’équivalent. Rien ne peut remplacer l’esprit des joueurs. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas possible de jouer au jeu de rôle avec des figurines, mais que celles ci doivent demeurer à leur place et à leur fonction d’outil, surtout pas davantage.

7) Le jeu de rôle n’est pas un conte.

Une idée reçue veut que les descriptions très fouillées suffisent à faire un bon arbitre. C’est une conception extrêmement répandue, notamment en France, mais à mon avis en grande partie fausse. Le cerveau humain peut en moyenne correctement enregistrer une information toutes les vingt secondes. Trois par minutes. C’est une clé connue de tous les producteurs d’information à la radio ou la télévision. Et à ce rythme, la saturation intervient très vite ; à partir de la 7e information transmise en moins de 3 minutes, le taux de mémorisation correcte s’effondre. Alors pensez-y lorsque vous débitez d’une traite de trente secondes la description d’une salle particulièrement complexe à deux heures du matin ou après 4 heures de jeu.

Un bon arbitre n’a pas obligatoirement besoin d’être un grand conteur ni même un grand interprète de personnages. Il doit avant tout « voir » ce qui se passe afin de bien transmettre ensuite ce qu’il « voit » aux joueurs. Les descriptions y sont évidemment nécessaires mais elles ne sont pas tout ce qui suscite l’imagination du joueur, loin de là ; le rythme, la sensation de l’urgence, la plausibilité d’une situation ou d’un personnage-non-joueur sont aussi importants. Bien souvent, la tension naît non point de ce qui est avéré mais de ce qui est suggéré ou deviné. Un indice impressionne souvent plus fortement, en termes de jeu, qu’un tableau complet. Décrire ce qu’il faut, ni plus ni moins, est un talent ; il s’acquiert facilement, pour peu qu’on aie bien observé les réactions des joueurs.

Conservez toujours l’interaction. Suscitez des réponses et donnez aux joueurs un temps limité pour les fournir. Dérangez-les. Bloquez les communications entre eux lorsqu’elles ne sont pas possibles. Ne laissez pas la partie devenir « un conte dont vous êtes le héros ». Les joueurs sont des acteurs dont les choix conditionnement le destin. C’est la grande différence avec le conte qu’il soit théâtral, audiovisuel, littéraire : vous pouvez savoir ce qui peut se passer, mais vous ne devez jamais savoir ce qui va se passer.

8) Assumer

Cela signifie assumer le pouvoir que l’arbitrage confère sur une partie, sur les joueurs, et les erreurs que l’on va commettre. Cela implique que la vision de l’arbitre doit toujours prévaloir, qu’il s’agisse de l »aventure ou de l’interprétation des règles. Ce n’est pas pour en jouir comme un dictateur mais c’est que sinon, on n’arrivera pas à avancer. La tentation est immense pour les joueurs, même de bonne foi, de tenter de « rectifier » les choses, d’expliquer qu’il a compris autre chose que ce qui était décrit, d’affirmer à l’arbitre qu’il s’est trompé ou qu’il applique mal les règles.
Le jeu de rôle est fondé sur le langage. Or ce qu’on pense n’est jamais exactement ce qu’on dit. Ce qu’on dit n’est pas toujours ce que l’autre entend. Et ce que l’autre comprend n’est pas toujours ce qu’il a entendu. Je crois que c’est Michel Leiris qui a énoncé « qu’une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles ». Rien n’est plus commun que le malentendu dans le jeu de rôle. Le seul moyen de s’en débarrasser est de couper court : l’arbitre a toujours raison.

Or aucun arbitre ne s’est jamais trompé. Aucun. Tous commettent des erreurs, moi le premier. C’est même la seule chose qui me donne un peu d’autorité ici, à en croire Oscar Wilde, pour qui « Expérience est le nom que nous donnons à nos erreurs » : j’en ai commis tellement que je puis en repérer et parfois éviter un assez grand nombre. Ce n’est pas grave, d’autant que c’est inévitable : le jeu de rôle n’est pas une science, moins encore une science exacte, mais un jeu. Arbitrer un jeu de rôle implique qu’on commettra des erreurs, qu’on les assume et que les joueurs soient capables de l’accepter. Il n’y a donc aucune raison valable d’avoir peur de se tromper, ni de refuser de le reconnaître.

Dans le même ordre d’idées, face aux éventuels perturbateurs, l’arbitre n’exerce pas une autorité pour lui-même mais pour le groupe. Lorsqu’un joueur rend pénible ou difficile la conduite du jeu, interrompt, bavarde, casse l’ambiance, s’oppose systématiquement aux autres joueurs ou à l’arbitre, c’est à ce dernier qu’il incombe d’intervenir afin de lui faire comprendre qu’il nuit au jeu et donc au plaisir de tous.

9) En parler

Parfois, il m’a semblé que le jeu de rôle avait moins d’importance que les conversations qu’il suscite. Comme au football, au bridge ou à l’awalé, jouer au D&D, est aussi l’occasion d’en discuter. C’est très important pour l’arbitre qui peut y glaner une foultitude de renseignements sur ce qui marche ou ne marche pas dans sa façon d’arbitrer ou dans l’architecture des règles ou dans la conception de l’aventure, et c’est aussi l’occasion de préciser, de clarifier, certains aspects de la conduite du jeu qui peuvent poser question ou donner lieu à interprétations. Puisque rien n’est plus commun que le malentendu dans le jeu de rôle, en parler est le meilleur moyen de les prévenir ou de les dissiper.

En discutant « off adventure », vous apprendrez comment les joueurs ont ressenti tel ou tel aspect du scénario ou de votre arbitrage. Cela peut considérablement vous aider et vous inspirer pour améliorer l’un ou l’autre. Le jeu de rôle est une activité collective visant une production d’imaginaire simultané et coopératif : l’expression et l’échange au sein de cette collectivité humaine sont donc très importants pour tous ses membres, arbitres comme joueurs, et ça fait aussi partie des valeurs de cette activité. Aider les joueurs à mieux jouer fait aussi partie de la mission de l’arbitre, mais aider l’arbitre à mieux arbitrer fait aussi partie de ce que savent faire les bons joueurs.

Mais si vous êtes mis en cause, ne vous justifiez pas forcément sur l’instant ; attendez d’abord que ça passe, que la frustration ou l’agacement s’évacuent. N’oubliez pas que les joueurs ont souvent tendance à faire reposer sur l’arbitre le poids de leurs propres erreurs. N’oubliez pas non plus que vous seul connaissez, par la définition même votre fonction au sein du jeu de rôle, beaucoup d’éléments que les joueurs ignorent : vous savez quand leurs personnages ont eu de la chance ou de la malchance, vous savez quand ils sont passés à côté de quelque chose d’important, vous savez quand ils ont accompli un exploit ou débloqué dans les grandes largeurs. Ensuite, avec le recul, vous saurez s’ils ont raison et il sera le cas échéant temps de réparer vos erreurs.

On l’aura compris, bien arbitrer consiste d’abord en un ensemble d’équilibres. Ne pas négliger les règles mais ne pas s’accrocher aux règles. S’approprier le scénario mais non sa conduite. Affirmer sa maîtrise sur le jeu mais non sur les joueurs. Décrire ou expliquer tout ce qu’il faut et juste ce qu’il faut.
Cela ne s’atteint pas du premier coup ; il y faut le plus souvent patience et longueur de temps comme dirait La Fontaine. Mais si l’on s’efforce d’emblée de bien suivre les neuf conseils donnés ici : être prêt, au service des joueurs et du jeu dans une partie dont on maîtrise le déroulement, demeurer impartial envers les joueurs et entre eux, différencier le jeu de rôle du wargame comme du conte, assumer ses erreurs autant que ses prérogatives, et savoir en parler et écouter les autres, alors je crois sincèrement qu’on évitera d’ajouter à ce fléau qui a tellement fait de mal aux jeux de rôles authentiques : le mauvais arbitre.

2 commentaires sur “Neuf conseils pour arbitrer un jeu de rôle (3e version)

Laisser un commentaire