The road is our major architectural form.
Mc Luhan
La route terrestre revêt une importance exceptionnelle sur Derenworld, hors le cas particulier du Tangut. La forme du continent et la présence de vastes plaines en son centre favorisent naturellement le voyage terrestre. Cela a conduit à privilégier la route au transport fluvial, qui n’a ni sa souplesse ni sa polyvalence. Le transport routier permet en outre une liaison directe avec le transport souterrain, fort utile en terres naines (Thûzzland, Krynnlan, Holderin, Narzad, Thunderhold, Norhazâd etc…).
Le besoin de routes principales, dites grand’routes, s’est donc fait sentir très tôt non pas comme un complément ou relais des fleuves mais bien comme une infrastructure autonome, conçue et créée ans l’intérêt du voyageur et du commerce. Cela a conduit à l’apparition d’un réseau particulièrement efficace et bien entretenu et ainsi particulièrement usité. Ces routes principales sont autant d’artères qui mélangent les populations, conférant aux peuples un sentiment d’appartenance non seulement à leur contrée particulière mais encore à une unité continentale. Depuis longtemps, pour la plupart des habitats des contrées civilisées, entreprendre un long voyage ou voir des visiteurs venus de loin n’est ni une étrangeté ni une rareté. Certaines religions, Geb en particulier mais aussi Ptah, Hermès ou Oghma, attachent une importance particulière au voyage sur la route.
L’importance attachée au réseau routier a permis l’émergence d’une organisation supra-nationale : l’International Trade Guild (I.T.G.), chargée de leur entretien et de leur administration selon un modèle qui a essaimé de l’Evriand dans l’ouest du continent puis dans tout ce dernier. L’autre gloire de l’I.T.G. consiste en la généralisation de l’abolition des droits de passage à partir de 4858. Mais son véritable triomphe vient de ce que même dans les contrées où elle n’est pas implantée, les grandes routes bénéficient d’un statut équivalent à celui qu’elle a fixé ailleurs. Ainsi, dans la vaste majorité des contrées du monde, les routes d’importance primordiale dépendent d’un l’échelon étatique ou supra-national.
Compte tenu de la fréquence à laquelle les aventuriers empruntent comme bien d’autres ces routes et en particulier les grand’routes pour voyager d’un endroit à un autre du continent il a semblé utile de fournir ici des précisions sur celles-ci et leur principaux utilisateurs : les caravanes. Les principales données sont regroupées dans le mémento qu’on trouvera au bas de cet article.
La grand’route ou route principale relie typiquement des grandes villes ou des centres commerciaux ou de production. C’est une route administrée par l’ITG ou de même standard, obéissant à un cahier des charges exigeant, qui est régulièrement parcourue par des caravanes et des voyageurs.
La grand’route permet un déplacement à pied ou en voiture de 40 km par jour (10 lieues) ± 10 % selon le terrain qu’elle traverse.
La route secondaire offre la même vitesse de déplacement que celle principale mais le terrain difficile peut décroître jusqu’à 25 % cette vitesse.
De telles routes peuvent faire l’orgueil d’un pays ou d’une contrée. Celles de Thûzzland sont les plus réputées du monde par leur revêtement, leur largeur, leur confort. Ailleurs, les meilleures voies sont en Empire, Zevjapuhr, Evriand. Des routes comme Djebaïr – Zevjapuhr , Corontown – Ilnaëmb, Cavenorë – Evriand City – Amberfin rivalisent avec celles de Thûzzland.
Ces routes sont pavées ou à revêtement dur en état de supporter une charge de 6 tonnes. Elles ont une largeur minimale de 6 mètres et moyenne de 10 mètres et sont bordées de deux fossés d’1 mètre de profondeur pour le drainage. Leur pente n’excède pas 6 %.
Beaucoup ont des sections plantées d’arbres sur les côtés. Elles sont équipées de ponts ou à défaut de bacs capables de la même charge que la route. Leur emprise (zone interdite à l’appropriation) s’étend sur 20 mètres de chaque côté. Elles comportent un relais au moins toutes les 8h de trajet / 40km / 10 lieues.
Dans la plupart des villes ces relais sont constitués par des caravanserais (même prononciation que « caravansérail » mais orthographe particulière car la chose est spécifique à Derenworld).
Dans la campagne ces relais sont en général des maisons paysannes, principales ou secondaires d’un domaine, ou encore des fermes-auberges. Dans les contrées les plus civilisées, ce relais est le plus souvent situé dans un hameau, ayant parfois poussé autour d’une ancienne ferme-auberge, ou un village.
Toutefois, les voies sous juridiction de l’ITG bénéficient du droit d’outrepasse qui signifie qu’un bourg, village ou hameau ne peut faire obstacle à la route qui, à cet effet, le contourne. Pour attirer le marchand et l’inciter à s’arrêter, certains villages s’équipent d’un caravanserai mais le cas est assez rare car l’investissement en est élevé.
Si le relais est isolé, il doit se situer au bord de la route, y compris dans l’emprise, ou sinon à moins de 100 mètres de celle-ci. Il est équipé d’un point d’eau, d’un atelier, d’une grange avec auvent ainsi que d’un pré pouvant accueillir jusqu’à 50 animaux de trait. La grange est capable de protéger des intempéries jusqu’à 50 personnes. Le relais dispose de réserves de matériel pour une petite caravane : harnachement, attelage, sellerie, pièces de bois, outillage. Nombre de ces relais ont des salles de repas et peuvent restaurer les voyageurs. Certains ont des forges. De coutume le gîte dans la grange et l’eau sont gratuits pour les caravaniers.
Le caravanserai est une institution de Derenworld découlant directement de l’importance des échanges terrestres. Il est inventé en Vizan, à l’origine pour préserver les points d’eau nécessaires au ravitaillement des voyageurs et pour les protéger des exactions et menaces nocturnes de toutes sortes. La généralisation des caravanes les a ensuite popularisés et ils sont devenus le lieu par excellence de création, de modification ou de cessation d’une caravane. L’intérêt d’avoir un caravanserai réside donc dans son impact commercial sur le territoire où il est implanté grâce aux facilité et sécurisation qu’il offre aux échanges commerciaux.
Ce sont des établissements appartenant à une municipalité ou un seigneur ou à une guilde de commerce, plus rarement à un particulier ou une famille, qui concède généralement à titre gratuit le territoire sur lequel ils sont bâtis. Certains sont exploités directement par le propriétaire foncier mais la plupart le sont par un commerçant ou une guilde.
Le caravanserai sert à accueillir, héberger, équiper, entretenir et commercer avec les caravanes, qu’elle soient ou non de passage, et avec les voyageurs caravaniers ou autres. L’établissement est autonome bien qu’il dépende de l’autorité politique de son propriétaire pour le maintient de l’ordre et l’entretien, et de l’autorité juridictionnelle et économique de l’I.T.G. ou de l’État notamment pour les pratiques commerciales et la fiscalité.
Concrètement, il s’agit d’un enclos de grande taille comprenant au moins les éléments suivants :
– un parc à bestiaux
– des écuries
– une grange avec réserves de paille, céréales et foin
– des entrepôts d’au moins 200 mètres carrés sur 3 mètres de haut (600m3)
– des salles communes de réfectoire, dortoir, salle de détente
– une cuisine équipée d’un four avec de quoi faire le pain et cuire des aliments
– un abreuvoir et un bassin-lavoir alimentés d’eau courante
– un jardin
– un atelier et une forge
– un coffre-fort
– un secrétariat
– trois bêtes de trait et trois chevaux de monte de réserve
– un personnel d’au moins 6 personnes.
Un caravanserai standard doit être capable d’accueillir au moins 20 chariots simultanément avec leur personnel et animaux de trait et une compagnie de 10 guides, gardes ou voyageurs complémentaires.
Les réserves obligatoires incluent, outre le fourrage, de l’huile, du sel, de la farine, du bois pour une semaine.
Beaucoup incluent des prestations complémentaires : une taverne avec de quoi danser ou jouer ou trouver compagnie, un maréchal ferrant, des ouvriers du cuir ou du bois, des services financiers, un scribe, un interprète, un rebouteux vétérinaire, un bureau de recrutement, des thermes, des glacières etc…
Les plus vastes caravanserai au monde sont à Dilanovia en Empire et Rompuhr en Vizan. Celui d’Anhabad en Vizan, dont les murs sont décorés de faiences et bas reliefs, est considéré comme une merveille architecturale. Il arrive que les caravanserai aient leurs propres thermes, notamment en Vizan, qui sont parfois célèbres comme celui d’Ondhra où l’eau chaude sulfureuse est réputée pour ses vertus guérisseuses. De grandes villes comme Ilnaëmb, Zevjapuhr, Tresa sont dotées de plusieurs caravanserais.
Une caravane est constituée par la réunion d’au moins 3 chariots ou véhicules à roues transportant du fret avec leurs attelages et personnel bénéficiant d’un statut particulier. Une réunion de voyageurs sans ce statut s’appelle un convoi.
Les caravanes et la plupart des convois importants emportent généralement des réserves de nourriture et d’animaux de trait et de quoi réparer les véhicules en urgence. Ils sont souvent accompagnées de gardes et d’auxiliaires féminins ou masculins voyageant dans une voiture de service.
Une caravane ne comporte pas nécessairement de diligence ou de voiture de transport de personnes car celle-ci progresse trop rapidement surtout lorsque le train comporte des bovins. Il n’est cependant pas rare que de telles voitures se joignent à une caravane afin de bénéficier de ses services communs et de sa sécurité. Il est également assez fréquent que par souci d’économie un chariot complète sa cargaison en emmenant un ou plusieurs voyageurs sur tout ou partie de son trajet.
La caravane a un statut particulier de communauté provisoire enregistrée à son lieu de départ par une charte qui indique ses étapes et destination et surtout son titulaire : la personne qui tient ses registres et sa comptabilité qui, en pratique, est le plus souvent la guilde de lieu de départ. Qu’elle soit neuve ou préexistante à la caravane, cette charte doit avoir été enregistrée auprès d’une guilde ou d’une héraulté qui certifie son existence ; un transport sans charte enregistrée est en effet considéré comme une contrebande.
La charte dûment enregistrée autorise les contrats de caravane, dont le bénéficiaire est appelé caravanier. Ce contrat est distinct du contrat de transport. Le contrat de transport commande à un transporteur d’acheminer d’un endroit vers une destination des personnes ou des biens moyennant un prix et/ou des conditions. Il n’est aucunement nécessaire à une caravane puisqu’on peut tout aussi bien voyager soi-même avec son propre chariot, son propre attelage et sa propre cargaison.
Les caravanes sont organisées par le titulaire de la charte : par exemple une guilde de commerce, souvent succursale ou affiliée à l’I.T.G., ou bien un ou plusieurs commerçants ou transporteurs à leur initiative. La plupart des grandes caravanes se forment périodiquement ou dès qu’un nombre suffisant de voyageurs est atteint. Mais tout aussi fréquentes sont les caravanes occasionnelles ou particulières, qu’elles utilisent d’anciennes chartes ou en créent de nouvelles.
La caravane ne fournit ainsi pas le transport mais un mode de transport : elle vise à ce que le transport se passe le mieux possible en fonction des circonstances, que la caravane prendra la meilleure route possible, qu’elle coordonnera la sécurité et l’approvisionnement collectifs des caravaniers et (surtout) qu’elle assurera les formalités douanières et fiscales.
Une caravane comporte toujours un maître-guide et un second guide ; le premier est chargé de la direction et de la conduite de la caravane, le second de la tenue du registre. On ajoute généralement tous les dix ou douze véhicules un auxiliaire, souvent un guide-apprenti, chargé de maintenir la cohésion et le rythme de la caravane. Les caravanes de plus de 6 véhicules comportent généralement un wagon de caravane qui contient le registre et permet à un guide ou un auxiliaire de dormir en cours de route.
Un bon maître-guide est une personnalité. Il est compétent en animaux de trait, en ingénierie de transport (véhicules et routes), en géographie, en plantes, en géologie et en météorologie, en lois commerciales, en héraldique, parfois en tactique militaire et en chasse ou pêche. Ceux qui se bornent aux grandes routes fréquentées des contrées civilisées n’ont pas nécessairement toutes ces compétences mais c’est fréquemment le cas des maîtres-guides travaillant dans des contrées difficiles ou dangereuses. Ce sont le plus souvent d’anciens militaires , messagers, rangers ou conducteurs.
Le contrat de caravane est généralement un forfait à prix fixe, calculé en fonction du nombre de jour de trajet, typiquement entre 0,7 et 1,2 SP pour un chariot. Ce prix est indépendant de la valeur de ce qui est transporté et des éventuels avatars du voyage : ces éléments sont l’objet d’un éventuel contrat d’assurance.
En échange, le caravanier reçoit une plaque, c’est à dire un cadre en bois avec volet qui contient une tablette d’argile. Ce cadre est coloré de façon unique, généralement par quatre ou cinq bandes de teintes différentes : jaune rouge noir vert ou bleu brun blanc violet orangé par exemple. Un ruban de mêmes couleurs est également remis afin de l’accrocher au chariot ou à son animal de trait. Ces couleurs permettent d’identifier le véhicule indépendamment de difficultés de langue ou d’analphabétisme.
La plaque est remise au conducteur du véhicule ou au chef de ces conducteurs s’ils sont plusieurs. L’appellation plaque provient de la tablette d’argile contenu dans le cadre. Cette tablette est poinçonnée de façon spécifique pour chaque caravane et mentionne pour chaque véhicule sa description, les teneur et poids de la cargaison, ses passagers, le titulaire du contrat de caravane avec son numéro d’ordre, la ville de « jointure » (lieu où le véhicule s’est joint à la caravane), la ville d’arrivée et l’éventuel destinataire de la cargaison. Les plaques qui émanent de l’ITG valent passeport. Il est usuel que le wagon de caravane arbore sur à l’avant le pavillon du pays de départ ainsi que celui de l’I.T.G si elle est organisatrice et à l’arrière celui du pays d’arrivée .
Le registre de caravane est un livre mentionnant les différentes plaques et les contrats correspondants dont une copie reste à la ville de départ. Ce registre contient également le journal de la caravane où le guide consigne sa date de départ et ses différentes étapes jusqu’à l’arrivée, les divers incidents et toutes remarques utiles. Le registre des plaques est actualisé selon les éventuels changements de composition de la caravane.
Ce registre est fondamental car il sert de preuve de transport et de base aux taxations applicables. Il l’est d’autant plus que la caravane au départ est rarement identique à celle d’arrivée : des véhicules ont pu se rajouter au cours des étapes, d’autres s’arrêter en cours de route ou la caravane se diviser ou à l’inverse fusionner avec une autre.
A son arrivée, le caravanier remet la plaque à la guilde locale qui l’enregistre, recycle l’argile et est de nouveau prête pour un nouveau contrat. Après vérification du registre de caravane, la guilde locale délivre au caravanier ou au destinataire du chargement un duplicata sur papier de l’enregistrement d’arrivée qui sert éventuellement de titre de propriété et établit une déclaration de taxation pour la prévôté locale.
Les taxes sont fixes et vont en général du dixième au vingtième de la valeur commerciale du chargement, les plus usitées étant le douzième et quinzième, soit 8,3 % et 6,6 %. Sur ces taxes, 66 % vont à l’autorité fiscale du lieu d’arrivée, 10 % à l’I.T.G., 12 % à la guilde du lieu de départ et 12 % à celle du lieu d’arrivée.
Si la vente de la marchandise transportée est conclue avant le transport et expédiée à un destinataire, elle est taxée par la guilde du lieu de départ qui versera son dû à celle d’arrivée laquelle reversera à son tour son dû à la prévôté locale.
Si la marchandise est destinée à être vendue après son arrivée, elle est taxée par la guilde du lieu d’arrivée à un montant provisoire en référence aux cours locaux. Cette taxation est dénoncée à la prévôté. La taxe n’est perçue que lorsque les marchandises quittent l’entrepôt de la guilde d’arrivée, ce qui présume qu’elles ont été vendues. En d’autres termes, avant de récupérer ses marchandises, le propriétaire doit payer la taxe sur celles-ci. La taxation est ensuite ajustée selon le prix réel de la vente selon déclaration du vendeur à la guilde ou par inspection de la prévôté. Pour éviter les fraudes, la taxation provisoire est doublée si les marchandises sont enlevées sans preuve de vente.
Par exemple, j’exporte d’Evriand City un quintal de blé à un meunier de Naù (Empire) qui me l’a pré-acheté 100 gp. L’Empire taxe le blé au quinzième. La taxation de 6,6 gp est opérée à Evriand. Sur ces taxes, Naù touchera 4,3 GP, l’ITG 0,7, et les deux guildes de Naù et Evriand 0,8 chacune.
Mais supposons que j’exporte le même quintal pour être vendu sur le marché de Naù où la référence des dernières transactions cote le blé à 120 gp le quintal. Je suis taxé à Naù du quinzième de cette valeur, soit 7,9 gp que je ne paie qu’au moment de la vente, c’est à dire lorsque je dois livrer mon quintal à son acquéreur. Si je vends au prix de 125 gp, je devrai en réalité 8,3 gp ; si ne je vends qu’à 110 gp, ce sera 7,3 gp. Enfin, si je choisis d’enlever mes marchandises avant de vendre, je verserai 15,8 gp et je devrai déclarer le montant de la vente pour actualiser la taxe.
C’est l’un des principaux intérêts de la caravane de type I.T.G. : pouvoir arriver dans un lieu de destination sans tracasserie fiscale ou administrative ; la caravane, c’est à dire les guildes, s’occupe de tout. Par exemple, c’est la guilde du lieu d’arrivée qui encaisse les paiements pour le compte de l’expéditeur et du fisc et se charge de reverser ce qui est dû à chacun.
Afin d’éviter de multiples remise de fonds, les versements sont résolus par jeux d’écritures entre les guildes d’arrivée et de départ qui sont purgées mensuellement ; les sommes correspondantes versées trimestriellement par lettres de change payables par n’importe quelle guilde de l’I.T.G. ou banque affiliée. Tous les trimestres également, une copie des comptes et un état des paiements est envoyé par chaque guilde à l’ITG d’Evriand pour contrôle de conformité et archivage. Ainsi, quelque soit l’itinéraire d’une caravane dans le monde, sa composition, son effectif, son temps de parcours, les transactions auxquelles elle a donné lieu sont connues de la guilde d’Evriand.
Ce système fit la fortune non seulement de la guilde d’Evriand mais aussi des établissements financiers et d’assurance de ce pays qui s’associèrent à son fonctionnement. Il s’avéra tellement simple et pratique que même les caravanes intérieures et non transfrontalières l’adoptèrent notamment en Wejlar, Farxel et en Empire Naëmbolt. En connaissant mieux que personne les conditions de transport dans le monde entier, la guilde d’Evriand pouvait donc exactement en estimer les risques et coûts et par suite déterminer les crédits et assurances qu’on pouvait engager sur n’importe quel commerce donnant lieu à un transport. Grâce à cela, les compagnies financières d’Evriand devinrent en quelques décennies de taille à rivaliser avec celles de Zevjapuhr ou d’Avros. Ce système profita aussi énormément à l’Université Ducale dont les départements d’architecture et d’ingénierie civile, de géographie, de commerce et de finances sont les plus réputés au monde avec Zevjapuhr.
Mais l’I.T.G. est elle-même aussi un établissement financier à l’échelle mondiale, ce qui lui permet de jouer un rôle déterminant dans la stabilisation des marchés. L’organisation ne se considère pas seulement garante de la fiabilité du transport ou de l’entretien des routes mais aussi de la stabilité des prix, de la sincérité des déclarations fiscales, et de l’effectivité des paiements. Son origine culturelle evriander lui a conféré une éthique supérieure à un simple code de bonnes pratiques ou de lois commerciales ; l’I.T.G. sait combien le commerce entraîne la cupidité, la spéculation, l’envie de fraude ; elle sait tout autant qu’ il serait vain d’espérer éradiquer ces tendances mais elle ambitionne plus modestement mais de façon très concrète et opiniâtre d’en limiter les conséquences.
Il reste que les limites inhérentes aux capacités de transport terrestre protègent de facto les producteurs locaux de la concurrence étrangères. Par rapport à une production locale de qualité équivalente, le produit importé coûte généralement 15 % plus cher en moyenne par l’effet du transport et des taxes. Il faut donc que la marge de l’exportateur soit d’au moins 20 % pour que l’exportation vaille le coup. En réalité, l’importation ne supplante vraiment la production locale que lorsque celle-ci n’est pas en mesure de faire raisonnablement face à la demande sur son territoire.
Le succès de l’ITG n’est pas seulement celui des marchands. En favorisant les échanges commerciaux le système routier a aussi favorisé les circulations des personnes et des idées, contribuant à la fameuse « conscience continentale » de Derenworld, à une tolérance accrue entre les différents peuples et races, mais aussi à une certaine uniformisation des moeurs et lois. Il a entraîné de nombreux métiers et activités : fabricants de charrois ou de harnachements, élevage d’animaux de trait, conducteurs et guides, ingénieurs et ouvriers des routes, aubergistes, taverniers, caravanséristes, escorteurs, administrateurs, clercs comptables ou secrétaires… Par exemple, les nains naugs imaginèrent les ironcarts, dérivés de ceux qu’ils utilisaient dans leurs propres mines : des chariots en fer extrêmement résistants destinés aux charges les plus lourdes. Les ingénieurs thûzz les améliorèrent par un alliage les rendant plus légers et un enduit les protégeant de l’oxydation. En 4888 le grand-maître ingénieur gnome thûzz Glazinibro adapte à ces chariots le principe du roulement à billes découvert plus de mille ans auparavant à Zevjapuhr pour être employé sur des moulins à eau. Ces ironcarts servent au transport de métaux avec un attelage de 12 à 18 boeufs. Certains ont six roues pour déplacer les grandes poutres ou les troncs de grands arbres. Ils exigent bien entendu des routes impeccables.
Ce sont essentiellement les Tangut, Vizan, Thûzzland, Lowenland et Great Anarchy.
En Tangut l’ITG n’est pas reconnue supra nationale sauf en Farath et Inghelis. Les caravanes s’y arrêtent donc. Il existe des bureaux ITG dans d’autres contrées mais ils n’ont pas de pouvoir sur des caravanes. De toute manière, compte tenu de la géographie, le transport maritime prime largement en Tangut. Il en résulte que les routes restent aux mains des potentats locaux, ce qui explique le faible nombre de grand’routes qu’on y trouve.
En Lowenland, la circulation intérieure est prohibée aux étrangers. Les caravanes s’arrêtent donc à Locanhom. Là, soit elles sont déchargées, soit leurs véhicules sont pris en charge par des guides lowenlanders.
En Thûzzland, l’ITG est reconnue comme interlocuteur financier ou bancaire mais non fiscal et encore moins comme possesseur des routes. Cependant, le royaume assure un service équivalent en termes de qualité de conduite et se targue de posséder les plus belles routes du monde.
L’ITG ne perçoit donc pas de rémunérations en Thûzzland et les caravanes internationales, en transit ou à destination du pays, doivent se déclarer directement au Thûzz Trade Monopoly (TTM) qui est un département de la Couronne. En pratique, la caravane effectue elle-même cette déclaration avant d’entrer dans le pays, ce qui transfère sa responsabilité au TTM, lequel s’occupe de tout exactement comme le ferait l’ITG. L’ITG peut toutefois servir d’intermédiaire administratif ou financier comme n’importe quel autre établissement. Le Farxel dispose d’un accord d’équivalence entre ses propres guildes, l’ITG et le TTM, ce qui simplifie le trafic entre le Thûzzland et ce pays.
Le Vizan est le principal résistant à l’ITG pour une raison fort simple : il estime avoir inventé son système bien avant elle. C’est exact en ce qui concerne la forme primitive du caravanserai ou la composition concrète d’une caravane mais erroné au sujet de l’intermédiation financière et fiscale et de l’entretien des routes qu’assure l’I.T.G. Le Vizan a néanmoins placé ses grandes routes sous contrôle de l’État ce qui permet une circulation libre de passeports intérieurs. Cependant, tout le système de garantie fiscale et de paiements assuré par l’ITG fait défaut de sorte que la corruption et la contrebande sont répandues.
Les caravanes internes au pays sont organisées soit au caravanserai soit directement par un marchand ou un seigneur. La couverture par l’ITG des caravanes internationales cesse à la frontière de Vizan et elles continuent ensuite à leurs propres risques et périls avec des guides recrutés au cas par cas. La plupart s’arrêtent pour ces raisons à Rompuhr, Tajeer, et Ossar, plaques tournantes du commerce vizaner dotées d’immenses caravanserais, parfois à Anhabad ou Accran.
La Great Anarchy est bien entendue fermée à l’ITG mais cette fois par la volonté de celle-ci : le pays n’offre pas de garanties suffisantes à la sécurité du commerce, ce qui demeure la raison d’être de l’ITG. Il existe néanmoins des liaisons caravanières épisodiques entre Ganarbe en Wejlar et Yengli.
La fréquentation des grand’routes est très disparate. Certaines ne voient qu’une caravane par semaine, d’autres jusqu’à sept ou huit par jour. Les axes Amberfin-Corontown, Blumwald-Newerton, Osport-Athnaïs, Rompuhr Zevjapuhr ou encore la traversée du Thûzzland ont les plus fortes densités de circulation du monde.
L’usage commande qu’une caravane en mouvement ne dépasse pas une autre. Le cas échéant, le convoi ou la caravane prioritaire est toujours celle qui est la plus longue. Par exemple, elle décide de dépasser ou de ne pas l’être.
L’usage veut également qu’une caravane prête secours à celle qui serait arrêtée par un ennui quelconque sauf si ce secours la met elle-même en danger.
Le maître-guide est le chef de la caravane. Il décide seul de sa vitesse, de ses arrêts, de son trajet. Il a tout pouvoir et notamment celui d’exclure un caravanier ou son personnel. Il règle les conflits entre caravaniers et représente la caravane auprès de toute personne. Il engage le cas échéant la responsabilité du titulaire de la charte. Si la route est sous juridiction de l’I.T.G, alors ce sont les règles de cette dernière qui prévalent sur toute autre, c’est-à-dire en pratique la Coutume d’Evriand complétée de lois d’origines zevjanes et kelnoréennes.
La politesse commande de saluer qui l’on croise et qui l’on dépasse. On peut également converser mais il sied d’éviter de s’enquérir des personnes et de causer plutôt de sujets généraux comme l’état et la sécurité de la route, la géographie du pays, le temps qu’il fait, le prix des denrées, la qualité des relais.
Au contraire du reste du monde, la grand’route est un lieu où l’emploi de la magie n’est pas considéré comme malséant ou dangereux par lui-même.
Cela vient de ce que malgré la densité de circulation ou peut-être aussi à cause d’elle, la route reste l’un des lieux les plus dangereux qui soient, en particulier les grand’routes. En effet, l’un des corollaires de leur étatisation ou de leur dévolution à l’ITG est l’absence de toute force de sécurité locale. Le seigneur ou le bourg dont les terres sont traversées par la route ne doit aucune assistance aux voyageurs puisqu’il n’en perçoit qu’indirectement des revenus tarifés sans son consentement. Il doit certes répondre de ses gens et bien évidemment ne pas s’attaquer lui-même aux voyageurs ; mais il n’a aucun devoir d’éradiquer d’éventuels bandits ou monstres ou contrebandiers qui utiliseraient ses terres.
Certes une grande ville commerçante ne tolérera pas longtemps qu’une insécurité routière menace les grandes caravanes dont dépend sa prospérité et elle aura les moyens de constituer des expéditions punitives. Mais elle ne réagira guère à d’épisodiques incidents n’atteignant que les voyageurs isolés ou les petites caravanes.
Par conséquent la sécurité du voyageur repose d’abord sur lui-même et sur la qualité du maintient de l’ordre par l’Etat du territoire qu’il traverse. Le métier d’escorteur routier est ainsi l’une des professions d’hommes d’armes les plus répandues.
Cette appellation informelle regroupe l’ensemble des acteurs voués à la circulation routière. Ce sont principalement les marcheurs et prêtres de Geb et de Ptah, les maîtres-guides, les inspecteurs et sénéchaux de l’I.T.G., les conducteurs et cavaliers-messagers professionnels, les bardes, qui peuvent prouver qu’ils sont routiers depuis au moins deux ans en continu.
Un confrère routier connaît les usages des routes et la géographie du monde. La confrérie sert surtout à se donner une raison de boire un coup au caravanserai entre gens de même compagnie et de raconter des histoires ou s’échanger des tuyaux. Quelques questions simples suffisent généralement à vite démasquer d’éventuels imposteurs.
Le titre informel de Road-Lady ou Road-Lord exige d’avoir à titre professionnel atteint par la route sans moyens magiques, en marchant ou en conduisant un véhicule, les quatre villes dites pour l’occasion les quatre coins du monde : Evriand, Zevjapuhr, Rwandel et Orientan. Chez les maîtres-guides, le titre de H’Rasib est décerné à tout humain, nain, gnome, demi-orc ou hobbit qui a conduit une caravane terrestre depuis l’Evriand, l’Empire ou le Farxel jusqu’à Oth Pelaig et une autre jusqu’à Keln’s Gate ou Yengli ou Valon. Le titre d’Al-H’Rasib, qui récompenserait celui qui aurait ainsi atteint ces quatre villes, n’a jamais été décerné.