En prolégomène aux Quatre Questions, l’auteur explique qu’il a écrit beaucoup de jeux et de scénars, qu’il a beaucoup arbitré, mais qu’il est un Dungeon Master comme nous et appelez-moi John. Préalablement à son texte qu’il qualifie d’essai, le rattachant ainsi au genre littéraire immortalisé par Montaigne et admirablement théorisé par Adorno, John, donc, n’oublie pas d’inclure un lien vers sa fiche Wikipédia et un autre vers une critique laudative de son œuvre publiée (116 pages, 2006, introuvable à la vente) dont il se propose de démontrer l’applicabilité au contexte dit dungeon crawling.
J’ai lu. Relu. Et même re-relu : je voulais être sûr d’avoir bien compris.
Ensuite, j’ai pensé de mon devoir de répondre, et m’en explique à la fin de ce qui suit (les majuscules initiales au mot question étant de l’auteur, je les ai laissées afin de respecter sa volonté sinon sa modestie).
Selon John, il faut absolument que l’arbitre mette chaque joueur en situation de pouvoir répondre à cette question : pourquoi le personnage fait-il le choix du « métier » d’aventurier ? C’est vrai, après tout : pourquoi quitterais-je ma confortable perspective de devenir troisième palefrenier du Greybear Inn à Shavrock-upon-Glucherive pour aller affronter la pluie, la boue, des blessures et des orcs qui me tirent dessus ? Je précise que c’est bien cet affrontement que l’article, pardon : l’essai, choisit de prendre en exemple. Car pour John, les rues du Moyen Age héroïc-fantasy sont pavées et il n’y pleut jamais.
Au-delà, John prend cet exemple afin d’insister sur l’importance de donner à ses personnages ces raisons raisons de devenir aventurier, en nous gratifiant de la jolie histoire d’un sien personnage devenu voleur pour rembourser les dettes de jeu de son papa Ces raisons vont accompagner le personnage toute sa vie et l’aider à se forger un destin. Et surtout ça donne enfin une bonne raison de tuer tout ce qui bouge autour, et ainsi de soulager la délicate conscience du joueur qui, torturé par ces questions existentielles, s’imaginerait incarner un psychopathe, le mot figure dans l’article.
John n’est évidemment pas n’importe qui : c’est un spécialiste renommé, publié, expérimenté, de l’arbitrage de D&D. Alors je dois reconnaître que son argument m’étonne, voire me titille quelque peu. Parce que John, me semble-t-il, ne doit certainement pas ignorer que c’est déjà pas mal qu’un joueur lambda arrive à s’imaginer un peu plus de son personnage que ce que les diverses règles des jeux de rôle, et notamment les plus récents, lui permettent de définir.
D’autre part, le joueur lambda n’a pas forcément envie d’inventer ou écrire l’histoire remontant à la plus tendre enfance du jeune boublil (© Spek) qui va démarrer au premier niveau et auquel son créateur attache souvent une importance encore mesurée. D’autant que joueurs et arbitres ont leurs limites avec lesquelles il faut aussi compter. Certains adorent étoffer leurs personnages de tous les aspects connexes à sa condition d’aventurier : histoire, vêtements, coupe de cheveux, relations personnelles, position sociale, business extra-aventures… D’autres non : ils sont venus pour incarner un type donné, ils ont envie de jouer telle classe, telle race, et de les jouer comme ci et pas comme ça en fonction des règles, ce qui n’a rien d’illégitime ni de dégradant.
Enfin, et surtout, l’histoire du personnage se construit avec lui, avec sa vie de personnage, par son évolution, son parcours, ses aventures au sens le plus général du terme ; imaginer des déterminants antérieurs à cette histoire vécue peut s’avérer utile pour certains joueurs comme inutile pour d’autres, mais ils seront toujours supplantés par ce vécu, fort heureusement d’ailleurs puisque l’inverse démontrerait que le jeu n’a aucun intérêt.
Pour le reste, j’ai envie de répondre à John en paraphrasant Gygax dans son introduction du PHB AD&D 1 , 1978 : tout cela est et n’est qu’un jeu. Celui qui entame une partie de WoW ne se demande pas ce qui va pousser son personnage à occire des adversaires au lieu de cultiver du maïs, ni n’éprouve une sensation de vide pour avoir omis de lui inventer une famille ou une enfance-adolescence qu’il pourra toujours fantasmer quand et comme il le veut, ou pas. Si les joueurs en ont envie, rien n’empêche d’implémenter un système à cet effet, ponctuel ou continuel, quitte à recourir à des aides sous forme de tables pré-générées de backgrounds Mais il demeure que le véritable JdR, grâce au déroulement collectif de l’aventure qu’il implique, crée par principe une histoire originale et complexe du personnage vouée à s’émanciper rapidement du point de départ ardemment prôné par John.
2e Question : « Où est cet endroit ? »
Voici sans doute l’idée la plus originale de John. Elle consiste à proposer aux joueurs une mécanique selon lui inspirée de la recherche qu’effectue leurs personnages pour trouver le lieu de l’aventure.
Son principe est en résumé le suivant : l’arbitre réunit les joueurs autour d’une table et leur demande ce qu’il y a dans le donjon à venir, où il se trouve, quels monstres ou pièges il comporte et plus généralement toute bonne idée qu’ils pourraient avoir. Il les note et chaque fois que les joueurs émettent une bonne idée il leur donne un bonbon (sic : « a candy ») qu’ils peuvent soit manger tout de suite ou plus tard, soit lui redonner pendant le jeu auquel cas ils bénéficieront d’un d4 de bonus à leur prochain jet. S’ils créent le plan ou une partie de celui-ci, ils auront même droit à deux, voire trois bonbons. Quant au DM, tous les cinq bonbons, il obtient un contre-bonbon qui annule un effet attendu par les joueurs : un contre-bonbon permet par exemple au DM de déclarer que tel passage secret prévu sur le plan a été muré.
John se félicite de cette idée en ajoutant qu’il a parfaitement réussi à la mettre en pratique. En effet tout le monde est content puisque le donjon correspond à ce que les joueurs ont envie d’y trouver. L’arbitre n’a de son côté eu aucune préparation à faire et aucun travail de réflexion : les joueurs l’ont fait pour lui. Enfin, ce concept offre des ressources de rôlisme formidables puisque les joueurs, en tant que personnages, peuvent par exemple longuement discuter de ce vieil aventurier qui a perdu sa jambe face au rat géant (au lieu, je suppose, de combattre ce rat géant). L’exemple figure tel quel dans le texte de « l’essai » : il s’agit bien d’un vieil aventurier, néanmoins suffisamment débutant pour perdre sa jambe face à un small monster de HD 1/, et suffisamment malchanceux car pareille amputation représente un véritable exploit pour un rat, même géant.
Comme je ne rencontrerai sans doute pas plus John qu’il ne lira jamais ceci, je ne risque pas de le vexer en émettant l’hypothèse que l’astucieux système qu’il préconise pourrait facilement être amélioré. Il suffit en effet de prendre une aventure, pratiquement n’importe laquelle, et de la montrer aux joueurs en leur demandant s’ils en apprécient le contenu. Si tel est le cas, ils seront ainsi ravis de la jouer et cela leur épargnera le brainstorming créatif proposé par le système de John ; sinon il suffit de prendre une autre aventure (l’archive de Dungeon Magazine en proposé des centaines) et de recommencer. Tout le monde sera content et le DM n’aura ici non plus rien eu à faire puisque de toute manière les personnages passeront leur temps à expliquer comment ils ont réussi à tout savoir de ce qui les attend. Enfin, le DM pourra avantageusement réinvestir le coût des bonbons ainsi économisés dans l’achat d’aventures collectivement choisies.
3e Question : « Quelle est cette odeur ? »
Kloug ? Plus sérieusement, John insiste sur cette question afin d’expliquer au lecteur qu’il faut insister et ré-insister sur les sensations des personnages, ce qu’ils éprouvent, cela sans arrêt et le plus sera le mieux.
Ce qui équivaut à préférer que l’arbitre tienne indéfiniment le crachoir pour expliquer aux joueurs ce que ressentent leurs personnages plutôt que faire confiance à leur imagination suscitée ou relayée par quelques descriptions précises. Je n’approuve pas et Saint Gygax non plus, à mon avis.
4e Question : « Qui tient la lumière ? »
Dans cette dernière partie de son « essai », John raconte comment il a brillamment interrompu l’attaque de ses aventuriers chargeant des orcs en leur demandant : « qui tient la lumière ? » Comme aucun aventurier n’y avait pensé, le temps qu’ils se mettent d’accord, c’était les orks qui les attaquaient (John souligne qu’étant particulièrement sensible aux races il faut choisir l’orthographe elfe pour ce mot, sans toutefois expliquer pourquoi celle-là plutôt qu’une autre) .
John en conclut les détails sont l’ingrédient des meilleures soupes, suivant citation de sa grand-mère.
Apparemment, le jeu pratiqué par John est D&D ou AD&D. Donc, John y arbitre des joueurs suffisamment ignares pour ne pas savoir qu’un Continual Light est lancé sur un objet, par exemple un casque et pour ne pas avoir prévu de le faire préalablement avec des remplacements. Personnellement, j’ai suffisamment arbitré de groupes débutants en D&D pour savoir qu’ils résolvent la question de l’éclairage en quelques mois et même plutôt semaines de jeu. Les débutants ne sont peut-être plus ce qu’ils étaient.
Mais il arrive aussi que l’excès de suffisance de tel crétin supplémentaire à l’ego surgonflé donne envie de prendre la défense d’un jeu qui vaut quand même mieux que de servir de proie à ses scribouillages. Surtout quant le type finit par le véritable objet de son article : un lien vers le kickstarter du tome 2 de son oeuvre, la continuation de l’exposé de sa fatuité étant payable d’avance. S’il vous plaît, ne cliquez pas.
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La sulfateuse fume encore.
Un immense John, faut absolument que j’essaye le coup de l’aventure imaginée par les joueurs, ça me permettra enfin de jouer à la PS4 en les arbitrant.
Ou la XBox, si Mat nous regarde… 😉
Le jour où on mettra les cons sur orbite, j’en connais qui ne vont pas arrêster de tourner pour paaphraser Audiard