Tarantis – 4 : règnes récents et actuel

5 juin 2021 par Kazz → Atlas

HISTOIRE DE TARANTIS (suite et fin)

De façon générale, on pourra utilement se reporter aux pages suivantes :
Le Tangut : présentation générale , Territoires du Tangut et Cartes
Histoire du Tangut – 1 : l’antiquité et le pré-empire , Histoire du Tangut – 2 : de la naissance à l’apogée de l’empire ,  Histoire du Tangut – 3 : la chute de l’empire , Histoire du Tangut – 4 : La restauration de Wohrm et la Croisade de Stephen
Tarantis – 1 : Présentation, origines, période impériale , Tarantis – 2 : les premières dynasties royales , Tarantis – 3 : la maison Pashavun

Tangut(clic pour agrandir
Tarantine (clic pour agrandir)

 


Tarantis

Tarantis City

Azurerain

Jarmeer

Ganzir-Galad

 

Les vingt-deux rois de Tarantis (avec année de leur avènement)

  1. Glendower the Builder 4712 – House Beru Sebeta
  2. Daos-Neraven the Great 4732 – House Neraven
  3. Oswaldo the Rash 4757
  4. Ryob’l the Red 4784
  5. Grantadt the Seaman 4789 – House Finz-Neraven
  6. Edgar I the Peaceful 4796
  7. Edgar II the Short 4839
  8. Hedarick I the Tricky 4866
  9. Hedarick II The Bold 4952
  10. Radgar the Dolphin 4964
  11. Hedarick III the Grievous 4978
  12. Hadrick the Splendid 4980
  13. Pashvuntalam the Swift 4982 – House Pashavun
  14. Ozmar the Audacious 5023
  15. Oswaeld I the Bear 5050
  16. Oswaeld II the Tenacious 5068
  17. Hedarick IV the Goldenhair 5080
  18. Gishdrick the Unlucky 5116
  19. Greataust I The Gorilla 5116 – Third House Neraven
  20. Greataust II The Sickened 5132
  21. Edario the Hawk 5138 – House Edarian
  22. Atar The Lion 5178

Troisième Maison Neraven

Greataust I the Gorilla

Pour la seconde fois en trois règnes, l’Agora est appelée aux fins de désigner une nouveau roi. Gishdrick avait pourtant vu juste : “les terriens” du royaume, ainsi que les citadins de Tarantis les désignent ainsi parfois un peu dédaigneusement, ont de la revanche à prendre. Ils ont pour candidat le seigneur Aransti Shondrake, un nobliau propriétaire de vastes terres dans la province de Ganzir-Galad, qui prône le recentrage d’un politique royale qu’il estime exagérément tournée vers la mer.

Un certain Greataust, originaire du bourg d’Urillus-Elos, surnommé le Gorille, règne depuis plusieurs années sur les jeux de l’Arène. Cette force de la nature, épaisse et abondamment poilue, a bâti sa popularité en terrassant pratiquement tous ses adversaires depuis près d’une décennie. Il est porté par la vox populi de la cité. La puissante association des marchands voit en lui un excellent candidat qu’il lui sera facile de manipuler ensuite, sans craindre de commettre la même erreur qu’avec Hedarick Goldenhair quarante ans plus tôt. Au final, Greataust est élu de justesse devant Aransti Shondrake, avec lequel il s’allie aussitôt et qu’il nomme son Chief Advisor, c’est-à-dire son premier ministre.

Greataust et Aransti ont l’intention commune de mettre au pas une ville devenue trop riche et trop cosmopolite aux yeux des terriens et d’employer à cet effet la doctrine d’Ess’Halodzar en se convertissant à Votishal. Greataust s’amusera même à condamner des délinquants à l’affronter dans l’Arène où il leur brise la nuque de ses propres mains. Mais le puissant monarque ne veut pas se borner au rôle d’un ex-gladiateur resté simple amuseur de ce peuple dont le suffrage l’a consacré roi. Sitôt revêtu de la couronne il prend quasiment pension pendant huit ans au Lycée Royal dans l’espérance d’amenuiser le retard intellectuel qu’il se reconnaît par rapport à Gishdrick. Il y apprendra énormément.

La légitimité de Greataust bénéficie d’un coup de chance sous la forme d’une providentielle divination, vérifiée par les clergés de Votishal, qui le relie à Daos Neraven, deuxième roi tarantin, dont il est effectivement un lointain descendant. C’est pourquoi sa dynastie, fondée à la fois par le peuple et le sang, est appelée Troisième Maison Neraven, suivant celle de l’illustre maison Finz-Neraven qui régna durant deux siècles.

A la différence de son prédécesseur, Greataust considère que Csio et le Vizan menacent autant qu’Avros la prééminence tarantine dans le Tangut Oriental. Il resserre donc ses liens avec des puissances moyennes telles les îles de Dawn, Brezal, Thrinakia, Valon, Blest et surtout avec les nains Kosthianz, dont il rencontre le vieux roi Berutszbur dès 5120 avec lequel il entretiendra jusqu’à sa mort une solide amitié.

Au plan intérieur, il s’appuie sur les Blue Cobras pour traquer contrebandiers et voleurs mais aussi les influences démoniaques ou diaboliques qui infesteraient la ville. Afin d’éviter que le vaste complexe portuaire puisse devenir un rival de la cité dont il dépend, le roi interdit l’emploi d’autres matériaux que le bois dans le port et étend ensuite cette interdiction aux constructions appuyées contre les remparts afin d’en préserver la solidité et la sécurité.

De son côté, Shondrake oblige l’association des marchands tarentins à admettre parmi ses membres de nombreux fermiers et propriétaires de terres agricoles afin d’obtenir pour ces derniers de meilleurs prix de négoce et de marges d’intermédiaires. D’autre part, afin de rendre la royauté tributaire des forces du territoire, il consacre dans la loi l’interdiction d’entretenir des troupes royales dans la ville de Tarantis hormis la garde du palais et celle de la cité, auparavant simple pratique de la doctrine d’Ess’Halodzar.

Greataust Ier (Palais Glendower, coll. royale, Tarantis).

Le règne de Greataust appuyé sur son ministre Shondrake pourrait être considéré comme ayant réussi à opérer la profonde intégration du territoire du royaume tarentin à la cité-état qu’il a pour capitale que son prédécesseur Gishdrick souhaitait accomplir. De fait, au plan interne, le royaume tarantin atteint un équilibre entre ses composants non seulement territoriaux mais aussi historiques : préceptes hérités de l’Empire de Tangut et de la république tarentine, doctrine d’Ess’Halodzar, modes gouvernementaux de Grandstadt, Pashvuntalam, Hedarick IV, et encore politiques : royauté, ministères, police, marchands, clergés, juges. Ces succès conduisent à une lente mais longue et stable croissance économique bénéficiant tant à l’intérieur des terres qu’à l’urbs et au commerce maritime, tandis que les territoires demeurent indemnes d’invasions majeures. Trois éléments vont pourtant affliger la mémoire de Greataust Ier d’une sorte de légende noire.

D’une part il sera accusé par les “gentils” d’avoir pris le parti d’Hautulin Szeiheitt de Viridistan contre le preux paladin Stephen qui voulait restaurer l’empire de Tangut. Pour beaucoup, le Gorille a sciemment laissé Stephen se faire surprendre et occire dans les Glowyrms aux marches de son royaume. Il est effectivement peu probable qu’il ait ignoré le passage de Stephen dans ces contrées, pas plus d’ailleurs qu’Ess’Halodzar à supposer celui-ci alors toujours vivant. Certains conjecturent même que Greataust aurait tenu Hautulin dûment informé des pérégrinations du paladin.
Il faut cependant se souvenir que Stephen avait tué Odolin Szeiheitt, le plus solide et ancien allié de Tarantis dans tout le Tangut, qu’il avait ensuite rallié à sa cause Starstone, adversaire héréditaire de Tarantis, ainsi que Csio, principale puissance du Tangut central et de facto rivale de Tarantis. D’autre part, Stephen présentait toutes les caractéristiques d’un aventurier altruiste que tout roi tarantin normalement constitué ne pouvait manquer de tenir pour dangereux. Bref, Greataust n’aurait eu aucune raison de voler au secours d’un preux paladin qui s’était dirigé tout seul et sans lui demander son avis vers un péril mortel.

On lui reproche d’autre part l’effroi et la dureté de son règne envers les citoyens tarentins, par contraste avec la douceur de Hedarick Goldenhair. Là encore, l’exagération est d’autant plus de mise qu’elle provient de ceux que le Gorille a le plus contrariés : l’association des marchands et les guildes de voleurs, les fraternités de pirates et groupes de contrebandiers.
Vrai, Votishal-la-loi-en-marche n’est pas le plus avenant des cultes. Vrai encore : il gouverne à la Ess’Halodzar, préférant la terreur à l’affection du peuple.
Pourtant Greataust Ier n’était pas un méchant ni un maléfique ; le Gorille avait de longtemps l’habitude de la peur que son impressionnant physique instillait chez ceux qui le rencontraient et l’ajout de la dignité royauté n’a pas amoindri ce phénomène. Greataust sait qu’il n’a ni le charisme ni l’habileté d’un Hedarick Goldenhair. Nul doute que le roi appréciait que le seul prononcé de son nom inspirât en tout lieu de son royaume un respectueux silence de peur que quelque Cobra n’eusse traînaillé dans le coin.
Mais il y a aussi les faits. Les exécutions sous son règne sont parmi les moins nombreuses des quinze qui l’ont précédé. Il déteste la torture qu’il juge inutile et sadique et interdit sa pratique sauf autorisation personnelle d’un haut juge, de  Shondrake ou de lui-même. Enfin, il refuse systématiquement les nombreuses demandes émanant des marchands, des armateurs, des fermiers ou propriétaires fonciers de réformer le statut de l’esclave instauré par Hedarick IV. On a connu des tyrans plus sanguinaires ou plus oppresseurs.

On lui reproche encore son fils, le futur Greataust II. Greataust Ier, ce demi-ogre couronné comme l’appelaient ses détracteurs, se savait une mine peu séduisante. Il n’aima qu’une seule femme, Adremana Laharsa, très humble d’esclaves libérés par le statut d’Hedarick IV, la seule qui lui avait souri lorsqu’il débutait à l’Arène dans des combats où son apparence le désignait pour le rôle du méchant bien avant que ses victoires fassent de lui une célébrité locale. Mais Adremana n’était pas bien vaillante ni ses enfants : des quatre du couple, un seul survécut, un fils, le futur Greataust II, dit the Sickened. Or après la mort de la reine, en 5125, le roi refusa de se remarier et même de faire une nouvel enfant, fut-il bâtard, ou de désigner un autre héritier que son valétudinaire rejeton. Il partait souvent apaiser sa mélancolie dans la campagne ou les forêts ou parfois dans des monastères ou parfois encore dans de longues parties de chasse. Mais la ville pardonne difficilement au roi qui lui laisse volontairement un enfant malade pour Prince.

Greataust Ier meurt à 68 ans d’une apoplexie foudroyante, apparemment en pleine santé mais sans doute rongé par la mélancolie. Devant le cadavre exposé dans la grande cour du Palais, Janauvrat grand-prêtre servant de Votishal prononça un éloge funèbre resté célèbre qui commençait ainsi  : “Lourde est la couronne, même pour un si grand corps ; mais trop fragile fut ce si grand coeur sous une si lourde couronne”.

 

Greataust II the Sickened

Greataust II the Sickened ne quitte jamais sa chambre et rarement son lit. Par une grimace du destin, ce fils d’une force de la nature est atteint d’une débilité physique le rendant presque incapable de se mouvoir ; ses muscles sont faibles et exsangues, un rien l’épuise, on dirait un squelette enrobé d’une peau pâle et diaphane, un mort-vivant avant son heure, résume Shondrake qui quittera ses fonctions pour prendre sa retraite peu après l’avènement du nouveau roi.

Greataust II aime les histoires, les mystères, les contes. On lui doit d’avoir fait venir l’historien avrossian Tobias Corjett, véritable référence scientifique, afin d’initier la rédaction d’une monumentale histoire de Tarantis, toujours en rédaction à Dahutaï et au Lycée Royal. Il a choisi Bast, déesse du mystère, des chats, de la nuit. La nuit il écoute bardes et conteurs, lit d’innombrables ouvrages, fait jouer de la musique. Le jour il regarde depuis la fenêtre de sa chambre du palais le port dont les navires partent ou reviennent de contrées où il n’ira jamais, où de vigoureux marins hissent des cordages, plient des voiles, transportent des caisses, accomplissent tous ces gestes dont il est incapable. Il rêve d’être l’un d’eux, parmi eux, amiral à la tête d’une grande et belle flotte comme son lointain prédécesseur Radgar the Seaman. Il reçoit quotidiennement des capitaines dont il écoute les narrations, parfois un peu enjolivées, de leurs voyages. Il passe le plus clair de son temps à s’entourer de bardes, de divinateurs, d’historiens et de ses chats.

Alité, souffreteux, rêveur, Greataust II se désintéresse à peu près complètement de fonctions gouvernementales pour lesquelles il ne se sent aucune disposition. Pour la première fois depuis Ozmar, la doctrine d’Ess’Halodzar n’est plus appliquée.
Ce règne voit ainsi une sorte de revanche de contre-pouvoirs qui l’attendaient depuis longtemps. En réalité, ce sont nominations aux ministères qui sont la vraie calamité d’un Greataust II trop aisément séduit par quelques beaux parleurs dénués de scrupules qui ont su infiltrer son entourage et vont se rémunérer par leurs décrets. Le temps est venu pour les marchands de trafiquer leurs comptes, pour les contrebandiers d’agir sans crainte, pour les voleurs d’augmenter leurs activités, pour tous de truquer les marchés publics, détourner les recettes de l’Etat, sous-payer l’impôt. Mal et insuffisamment soutenus par une Couronne dont à peu près tous les ministres ont leur part dans une corruption généralisée, les Blue Cobras finissent par laisser les choses aller, ne se montrant pas plus royalistes qu’un roi qu’ils estiment peu.
La politique de Shondrake sous Greataust Ier a graduellement mais constamment défait le caractère centralisateur de l’État au profit d’une délégation des pouvoirs aux Sultans de Jarmeer et Ganzir-Galad et au Capitaine de l’Azurerain. Dans ces provinces, c’est à dire la quasi-totalité des terres, les règnes de la seconde maison Neraven, sont perçus à la fois comme une bouffée de liberté et comme un affaiblissement de l’Etat. A mesure qu’on s’éloigne de la capitale, l’organisation de la société tarantine perd le caractère d’un royaume centralisé pour ressembler davantage aux autonomies et articulations locales qui prévalent ailleurs en Tangut.

La seule, mais importante, proclamation de Greataust II est prononcée lors de son unique apparition publique : à son couronnement. Elle tient en quelques phrases essentielles. “Je suis petit fils d’esclaves. Qu’il soit écrit et conservé que le roi de Tarantis est petit-fils d’esclaves. Le grand roi Hedarick quatrième du nom dit Goldenhair a édicté les libertés et droits qui ont permis que je lui succède. Qu’il soit écrit et conservé dans nos coutumes et comme loi de l’Etat, dont la violation par quiconque et même par un de mes successeurs serait crime contre notre Etat, que jamais les lois édictées par Hedarick quatrième du nom ne pourront être modifiées en défaveur des droits et libertés des esclaves”.

Parmi les interlocuteurs préférés du Sickened se trouve un fameux capitaine du nom d’Edario the Hawk. Edario passe pour le plus audacieux des marins tarantins. Il est devenu célèbre pour avoir capturé avec sa jonque et l’aide de pirates sur des skeids, une superbe caraque avrossiane de haute mer, qu’il a rebaptisée the Nighthawk et qu’il propose d’apporter à Tarantis qui deviendrait son port d’attache. Edario obtient l’aval d’un Greataust II enthousiasmé par cette capture et qui fait procéder à l’enregistrement du Nighthawk, offrant même à son capitaine un brevet de corsaire, ce qui glace du même coup ses relations avec Avros. Certes Edario a vu le coup venir et alerté tout ce que la mer de Cinq Vents compte de capitaines tarantins, corsaires, pirates, qui vont soit éviter les navires avrossians soit naviguer en convois dûment escortés de sorte que les tentatives de représailles menées par la République Maritime n’aboutissent dans un premier temps qu’à quelques prises mineures.
L’ascendant d’Edario sur le roi est ainsi à son pinacle cette nuit de l’hiver 5151 durant laquelle le rusé capitaine présente au roi maladif la catastrophique situation de son royaume où l’on moque et méprise un souverain aussi invisible qu’incapable d’engendrer un héritier, où règnent la prévarication et la concussion, où les puissants s’affranchissent de leurs devoirs envers la couronne. Au cours de cet étrange entretien, Edario aurait eu ces mots : sire, que ce soit suicide ou abdication, à l’aube qui vient votre règne sera clos.

Le 30 Ariès 5151 Greataust II abdique en faveur d’Edario the Hawk et part se reposer dans le manoir de Nergal, d’où le nouveau roi le déménagera bientôt pour le chateau de Braztûn, à l’extrême sud-ouest de la province de Ganzir-Galad, aux confins de la jungle et de collines infestées d’orcs. Une méchante fièvre y emportera rapidement et dans l’oubli général le second monarque de la troisième maison Neraven.

Navires contournant la digue fortifiée de Tarantis.

Maison Edarienne

La dynastie fondée par Edario est celle actuellement régnante. Elle compte deux monarques.

Edario the Hawk

Bien avant son avènement Edario a démontré être un marin hors pair mais aussi un habile charmeur, qualités sans lesquelles il n’aurait sans doute pas survécu. C’est un pirate, fils adultérin d’un marin tarantin et d’une bourgeoise tarantine, élevé par une nourrice esclave qu’on a très tôt envoyé gagner sa croûte comme mousse sur des cogs faisant du cabotage. Il devient bientôt un gabier accompli remarqué par Foulques d’Estrimare, grand capitaine de la fraternité des Boucaniers d’Au Vent, qui l’embauche sur sa Dame Bleue, un gros et solide cog de guerre partiellement reconstruit avec de l’ironwood obtenu en contrebande de Shillelah.
Foulques d’Estrimare, qui ne jure que par la navigation à voile, devient le père de substitution d’un Edario à qui il apprendra tout. Des mouillages dans des criques inconnues où l’on fait sécher la viande ou le poisson au soleil sur la plage, les fêtes improvisées dans les ports dont on repart le lendemain en laissant une fille de joie qu’on a comblée ou une sévère ardoise au tenancier, l’excitation du combat face à une belle proie, face à l’appât du butin, face à la peur de mourir ou d’être ridicule. Avec lui, Edario visite tous les ports de Tangut, notamment Tula, Rallu, Lenap, Modron, poussant jusqu’à Sasserine et même Athnaïs ou encore Linhoët, en Novasétie Farathienne, d’où Foulques est originaire et où il passe de temps à autre déposer une caisse de pièces d’argent pour séduire le peuple et assurer sa popularité. C’est là que cet amoureux de la liberté inhérente à la navigation en haute mer, ce gros paillard et noceur à la particule autoproclamée décide un beau jour et à la stupéfaction de son équipage de prendre sa retraite, tel un vieux sage qui aurait suivi l’avertissement des premiers grisonnements apparus dans sa barbe. Il a alors trois navires : la Tamadjienne, fleuron de sa flotte, une magnifique grande nef rééquipée en navire de guerre, sa chère Dame Bleue, et la Bersekman Marua, une moyenne jonque de 20 mètres destinée au transport plutôt qu’au combat. Il vend ses parts des trois navires à son équipage qui vote pour en choisir les trois capitaines : Edario est élu à la Dame Bleue.

C’est un excellent choix. Barreur exceptionnel, Edario n’a pas son pareil pour régler les voiles afin d’obtenir la meilleure allure possible selon le force et l’orientation du vent. Il s’illustre rapidement contre les avrossians en Dorostan Sea et devient leur bête noire. La république finit par employer les grands moyens en lançant à ses trousses une flotte de huit caraques et caravelles. Incapable de faire face, Edario fuit jusqu’à Tarantis où il trouve refuge moyennant une bonne part de ses butins avrossians. Il dépense le reste à stipendier des marins d’Ossary et de Brezal qui l’accompagneront dans ses attaques de navires au long cours qui font traditionnellement étape à Starstone. Ce sont assurément les proies les plus riches mais aussi les mieux défendues.

Pendant environ trois ans, le rusé Edario va réussir à capturer deux caravelles et surtout une caraque, la fameuse Nighthawk, qui lui vaudra un contrat de corsaire, sans être pris par les patrouilles d’Avros, le plus souvent en se faisant passer pour un pirate de Brezal. Il verse à Greataust le cinquième de ses butins, la moitié à son équipage, et dépense le reste en fastueuses réceptions et fêtes dont la plus fameuse a lieu dans le port sur un radeau géant où l’on danse toute la nuit sous des feux teintés de toutes les couleurs par des alchimistes.
Au terme de cette période, il a gagné sa réputation de meilleur capitaine de Tarantis. Mais les avrossians ont enfin compris à qui ils avaient affaire : ils ont constitué à Starstone une armada de cinquante navires qui fait voile vers Tarantis pour exiger la restitution de leurs navires. Aussi célèbre soit-il, Edario ne croit pas que le roi Greataust II prendra pour ses beaux yeux le risque d’une guerre avec Avros.

A force de divertir, cajoler et séduire le roi malade, Edario sait qu’il sur lui un ascendant tel qu’il peut oser le tout pour le tout : l’abdication ou bien il s’en va, laissant Tarantis sans autre défense qu’un roi seul et incapable. Aussi grossier paraisse-t-il avec le recul, le bluff réussit pourtant. Ainsi Edario le Pirate devint-il roi de Tarantis.

Il était temps : la flotte avrossiane n’est plus qu’à une journée et prêt exécuter ses plans de blocus de la Tarantine. Mais c’est une chose que d’exiger la livraison d’un capitaine corsaire et une toute autre que d’y substituer le roi de Tarantis. Edario Ier n’est pas un imbécile et l’amiral avrossian Jeth Bolladwynneg ne n’est pas non plus : ça fait des décennies qu’Avros et Tarantis réussissent à s’entendre et personne n’a à gagner d’une guerre navale. Edario et Bolladwynneg vont donc négocier.

Le noeud du problème n’a pas changé depuis Grandstadt et est d’ailleurs encore le même aujourd’hui : le long cours, entendu comme la capacité à naviguer en sécurité sans voir la terre dans un trajet comprenant au moins une semaine sans escale. Un tel voyage nécessite un certain équipage composé d’au moins un capitaine breveté avec son second ; cependant seules cinq amirautés dans le monde délivrent un tel brevet : Uviell, Zevjapuhr, Raeder, Avros et Portown. Or aucune activité navale n’est aussi profitable. Seul le long cours permet de rejoindre des îles éloignées dont l’emplacement est tenu secret par les capitaines brevetés. Surtout la géographie continentale de Derenworld, tant par sa forme rectangulaire hérissée de longs caps que par la présence de grandes voies naturelles de communication, fait que seul un transport maritime au long cours peut avantageusement remplacer son équivalent terrestre. Autrement, le cabotage peut se justifier par sa capacité d’emport mais non par sa rapidité ni sa fiabilité. Il n’y a guère qu’en Tangut que le moyen cours supplante un transport terrestre à cause de la géographie multi-péninsulaire et montagneuse du sous-continent, ce qui a d’ailleurs fait la fortune de Tarantis.
Le long cours est principalement employé par Zevjapuhr, Portown et surtout Avros, qui à elle seule assure la moitié de ces voyages. Les marins d’Uviell sont peu intéressés au commerce et les commerçants vizaners redoutent les contrées étrangères, préférant le plus souvent commercer avec des places voisines servant de relais ou d’intermédiaires.
Il est vain d’espérer rivaliser avec Avros ou ses homologues. Il faut les professeurs qui vont mettre huit ans à former un second de capitaine au long cours, sans compter un équipement bien particulier fabriqué secrètement : sextant, almanach, cadran solaire de précision, almanach lunaire, double sablier, compas et cartes… Ces professeurs vont également compléter les documents nécessaires à l’orientation maritime qui sont remis à jour annuellement à partir de tables et d’équations complexes dont les secrets sont d’autant mieux gardé qu’elles sont inintelligibles au profane. Ces professeurs enrichiront aussi leurs connaissances des expériences de tous les marins relevant de leur amirauté et les aideront à corriger leurs erreurs, améliorer leur rapidité, fiabiliser leurs voyages. De puissants ou riches pays : Wejlar, Empire, Farxel, Okhpuhr s’y sont essayés, parfois pendant des décennies, sans jamais y parvenir. Il est arrivé que des capitaines renégats de ces amirautés fournissent leurs services à des marines étrangères qui leur proposaient des ponts d’or mais cela n’a jamais duré qu’un temps limité. Ces renégats n’avaient pas les moyens d’inventer les routes qu’ils ne connaissaient pas, de recompiler les almanachs à partir de tables qu’ils ne possédaient pas, et de remplacer avec leur seul sextant et quelques cartes l’excellence d’écoles multiséculaires.

Comme nombre de capitaines, Edario sait que le seul moyen d’obtenir une part des profits du long cours consiste non pas à tenter de concurrencer son organisation mais à s’en prendre à ses navires lorsqu’ils passent près des côtes, qu’ils se rendent à un port d’attache ou d’escale ou parce que naviguer en haute mer n’est à cet endroit pas justifié. Il a compris que les avrossians ont plus à gagner à ce qu’il arrête de les emmerder qu’à ce qu’il continue de le faire tout en sachant jusqu’où il peut aller trop loin vis-à-vis d’eux. Enfin, il a deviné que Bolladwynneg le méprise suffisamment pour conclure un arrangement avec lui ; il lui suffira donc d’être à la hauteur de ses attentes.
En bon capitaine de pirates, le nouveau monarque de Tarantis propose donc un tribut versé par Avros en échange d’une paix royale pour vingt ans : tout le monde y gagne. Mille besants par an, une affaire ! Pour ce prix, ni corsaire ni piraterie, je m’en fais le garant et je promets même la tranquillité de Starstone. Bon, on allez, on tope à 600 ? 500 ? 450, ma dernière offre. Bolladwynneg cède à 450. Vingt annuités de quatre cent cinquante besants représentent au total la bagatelle de 180.000 guldors pour s’acheter la tranquillité sur le Dorostan et la mer des Cinq Vents : en rapportant ce montant aux règles comptables avrossianes et à leurs habitudes commerciales, on peut estimer que le total du profit retiré du commerce au long cours passant par ces routes dépasse allègrement les 4 millions de guldors sur la même période décennale.

Edario va alors réellement entamer un règne qui durera vingt-six ans, fondé sur trois principes qui prévalent encore aujourd’hui : la mer, les cobras, les ministères. Tout le reste en découlera. Les affaires terrestres c’est pour les vice-rois, les ministres, les potentats locaux. Les clergés, l’administration, les marchands ? Il y a des ministres pour ça. La justice ? il y a des juges pour ça. L’ordre ? il y a les Cobras pour ça. Seuls l’amirauté, la police et les ministres ont accès direct au roi, outre sa maison civile et militaire et le clergé qu’il s’est choisi. L’analyse n’est pas nouvelle ; Edario s’inscrit dans la lignée de Greataust Ier en remplaçant Shondrake par les Cobras et en y ajoutant une dimension navale. Cependant il va promouvoir cette dernière jusqu’à arrimer non seulement son pays mais la royauté et surtout sa propre maison à la vocation maritime. Il finalise la vision d’une Tarantine thalassocrate initiée par Grandstadt the Seaman qu’ont relayée Radgar puis Hedarick IV. Ses descendants seront comme lui-même avant tout des marins parce que c’est sur mer réside la véritable puissance et la véritable sécurité du royaume. L’édit du 4 Sagittarius 5152 déclare que nul ne peut devenir roi de Tarantis s’il n’a servi au moins six ans dans la marine avant son accession au trône.

Pour le reste, Edario gouverne avec le recours et l’appui des Cobras, ses yeux et oreilles, un peu à la Ess’Halodzar mais sans goût pour la terreur. Il n’y recoure que lorsque sa popularité lui semble baisser et  fait tout pour qu’elle ne baisse pas. Il aime l’argent mais pour le dépenser. Bals, fêtes et se succèdent. La splendeur de la réception qu’il donna en l’honneur de son vieux mentor Foulques d’Estrimare, invité pendant l’hiver 5155 et qu’il alla personnellement chercher avant de le ramener chez lui, restera dans les mémoires. Greataust II lui ayant donné le goût des bardes et de leurs contes, chants et histoires, il s’inscrit dans une suite de monarques tarantins ayant protégé les lettrés, tel Hedarick Ier, Edgar II, Hadrick, Pashvuntalam, Greataust II, ce qui permet à Tarantis de posséder une des chroniques les plus détaillées de sa propre histoire. Ainsi, l’ensemble des tomes et manuscrits conservés dans les bibliothèques royales, lycéennes, bardiques, juridiques, navales de Tarantis est sans doute le plus volumineux de tout le Tangut après celui de Valon, dont les ateliers de copie et de reliure ont d’ailleurs manufacturé bon nombre de ces ouvrages.

Cependant Edario prend son rôle de roi marin très au sérieux. Capitaine de la Nighthawk, qu’il a fait somptueusement aménager et commande en personne, entouré de ses grandes jonques de guerre, il parcourt les côtes sans relâche afin d’assurer leur sécurité. Il n’a pas menti à Bolladwynneg : chaque fois que des pirates s’en prennent à un navire avrossian, Edario vient lui-même à la rescousse ou organise une expédition punitive. En 5163 il contribue à écarter une invasion de sahuagins qui menaçait Starstone. Il n’hésite pas non plus à s’inviter à Viris, Valon, Rallu ou Csio, parfois incognito parfois officiellement ; l’empereur Hautulin Szeiheitt aura la stupéfaction d’apprendre que le roi de Tarantis venait de débarquer au sens propre du terme dans sa ville le matin même pour le prier de dîner avec lui dans la semaine. La simplicité, le charme, l’humilité roublarde du roi Edario en fera une figure connue – et appréciée – auw quatre coins du Tangut, rompant avec les préjugés de morgue ou de froideur souvent associés aux tarantins.

Edario en amiral.

Seule la vie sentimentale d’Edario peut passer pour un échec. Au temps où était jeune capitaine de la Dame Bleue, il tomba amoureux d’une certaine Poltonia Hawkhart, fille d’un sénateur avrossian qu’il connut à Avros et avec laquelle il vécut un temps heureux à Tula après l’avoir plus ou moins enlevée aux siens. La famille refusa de lui accorder sa main et menaça Poltonia de la répudier si elle persistait à roucouler avec son gibier de potence. Finalement, les Hawkhart firent procéder par un mage de Tula à un nouvel enlèvement de leur rejetonne ainsi rapatriée en lieu sûr. Ce fut la grande peine de la vie d’Edario mais sans doute sauva-t-elle son destin car l’équipage de la Dame Bleue commençait à s’ennuyer ferme à voir son patron préférer ses ébats amoureux à de profitables aventures. Or les équipées navales où il noya sa tristesse sentimentale allaient finalement le conduire à la couronne de Tarantis.

A cette couronne, il fallait une postérité ; les cobras lui dénichèrent une lointaine descendante par les femmes d’Hedarick Goldenhair qu’il contraignit à un mariage conforme à l’intérêt de la royauté et propice à la légitimité de sa nouvelle dynastie. Mais les deux époux ne s’aimaient ni l’un ni l’autre. La reine Yelsanie fut déstabilisée par les incessants voyages de son époux qui le tenaient loin d’elle. Elle fut ulcérée par les manières qu’elle trouva peu courtoises de Foulques d’Estrimare à son égard. Elle fut éplorée par l’édit du 4 Sagittarius 5152 qui lui ôtait ses deux fils pour les envoyer dans la marine. Et elle fut brisée par plusieurs fausses couches d’un troisième enfant. Etroitement surveillée par les cobras, elle finit par quitter la cour pour s’installer à Nergal qui devint sa résidence. Bien que désormais roi et père, Edario tenta de retrouver sa Poltonia, entretemps devenue prêtresse de Bast. Nul ne sait s’ils renouèrent avec leur amour ; la déesse des secrets et des chats enveloppa de sa nuit le mystère de leur histoire.

Vers la fin de sa vie, Edario se mit à avoir des cauchemars. Il se réveillait terrorisé au milieu de la nuit dans son palais sans se souvenir de la cause de sa terreur. Il lui parut rapidement que ces cauchemars ne survenaient qu’à Tarantis, jamais à l’étranger ni en mer. Il en vint donc à éviter de dormir dans son palais et alors seulement sous la garde d’un serviteur armé.
Au matin du 6 Scorpio 5178 son premier valet retrouva le corps sans vie du roi qui avait succombé dans la nuit à un arrêt du coeur ; le visage du mort paraissait comme figé dans la grimace d’une expression d’effroi si prononcée qu’elle exigea une longue intervention des embaumeurs pour disparaître. Le garde censé veiller sur le sommeil royal fut découvert au sol non point endormi mais évanoui. Une fois ranimé il s’avéra incapable de prononcer une phrase, se bornant à des balbutiements inintelligibles, devenu complètement idiot et gémissant apparemment à cause de maux de tête. L’imbécile fut néanmoins exécuté pour savoir manqué à sa tâche de protection de la personne royale.

 

Atar the Lion

Atar est le fils aîné d’Edario. Dès l’âge de 9 ans il devient mousse sur la Gishmesh, caraque construite à Tarantis en copie de la Nighthawk. A 12 ans il connaît son premier combat lorsque son navire est attaqué alors qu’il patrouillait alors au large de la Roglaroon afin de protéger le commerce avec Csio. Trois corsaires de Warwik cherchent à s’en emparer ou à la couler afin de pouvoir opérer des razzias dans l’estuaire et au large de Modron. Dans la bataille Atar cherche à se dissimuler dans un canot au moment où le capitaine Hedrick est assommé et jeté par-dessus bord par le commandant en second la flottille warwikienne. Atar parvient à précipitamment lancer son canot à la mer et plonge pour récupérer son capitaine. Pendant qu’il le cherche, le vent et le courant l’éloignent de la Gishmesh. Ayant ramené le corps d’Hedrick qui a le crâne brisé et reste inconscient, il tente de manoeuvrer seul le lourd canot. Mais il n’est pas assez fort pour employer les rames ni assez savant pour monter le mât et hisser la voile. Par chance, le temps est calme et il dérive jusqu’à l’île du Dragon d’Ombre où il ne rencontre heureusement ni dragon ni ombres ni personne.
Atar affirme qu’alors qu’il était sur le point de se laisser mourir d’épuisement, de faim et de soif, Morfayde, la fée protectrice de Modron, parfois révérée sous le nom de déesse de Modron, vint à son secours. Elle l’aurait soigné avant de ramener jusqu’au village de Bastinadi, en Jarmeer, peuplé de nombreux elfes qui auraient vainement tenté de guérir l’infortuné capitaine Hedrick. Il est certain que ces villageois le ramenèrent finalement à Tarantis où il reçut de son père la médaille de Paldor en récompense de sa bravoure avant de repartir le lendemain sur une jonque de ravitaillement afin de continuer son éducation de marin.

A l’âge de 17 ans, son père lui donna le commandement de sa chère Dame Bleue avec laquelle Atar s’illustra en la faisant passer pour un bateau pirate et en conduisant une série de dix-neuf raids successifs dans les circonstances et lieux les plus divers, y gagnant son surnom de Lion.

Devenu roi, son premier but est de récupérer la Gishmesh désormais propriété du duc Adelen de Warwik,  lequel lui propose aimablement de la lui revendre au prix modique de trois mille besants (60.000 gp) en ajoutant que la même, neuve, vaudrait au bas mot le double. Atar refuse cette offre qu’il estime humiliante tant en principe que par sa forme.
Toutefois, son ministre des affaires étrangères, le vieux Poreem Seffrodil, parvient à le dissuader d’entreprendre le siège et le blocus de Warwik en lui montrant que cela reviendrait à s’empatouiller par lui-même dans la Pentwegern Sea et à offrir au duc Adelen un prétexte idéal d’ameuter Thunderhold, Valon, Starstone, voire même Csio. Il ne resterait alors plus aux ennemis qu’à prendre à revers les forces navales et terrestres des tarentins coincés dans l’isthme de Warwik. Atar cède mais n’oublie pas l’outrage.

Pendant une dizaine d’années la possession de la Gishmesh, vaisseau amiral de Warwik, va permettre au duché de devenir la première puissance navale dans l’Uther Pentwegern Sea et de faire basculer de son côté les fraternités de pirates et les peuples des îles à l’exception du royaume de Croy qui balance entre Csio et Tarantis. Après dix ans d’atermoiements et le départ de Seffrodil, Atar décide finalement de lancer son royaume dans une vaste guerre navale en Pentwegern Sea afin de s’imposer à Warwik rejointe par Brezal, Valonne, Ossary et Modron.
Il en retire certes une victoire puisque la Gishmesh est finalement coulée au large de Seahill en 5197 mais aussi l’obligation d’utiliser désormais systématiquement la force pour maintenir la suprématie navale tarantine dans toute la Mer des Cinq Vents de Rallu à Valon. A quoi Atar va effectivement employer le plus clair de son règne.
Ainsi plus de trente années, de 5188 à 5210, voient le roi tarantin combattre partout sur la mer des Cinq Vents. Les prises sont considérables : prisonniers devenant esclaves ou échangés contre rançons, navires capturés ou coulés, cargaisons en tous genres consommées ou revendues à Tarantis : Atar the Lion est bien le roi de la mer. Mais les pertes ne sont pas minces non plus et le bilan économique et financier de ces conflits plutôt mitigé, d’autant que le roi est haï de tout ce que la Mer des Cinq Vents compte de marines autres que la sienne sauf Starstone, Atar a en effet sagement pris soin de continuer d’honorer son accord avec Avros même après l’expiration du tribut annuel qu’elle lui versait.

Atar sort personnellement vainqueur de plus de cinquante combats d’ampleur contre à peu près toutes les marines de Tangut central y compris des armadas de corsaires et de nombreuses d’embuscades tendues par des pirates. De son père il a hérité un sens inné de l’allure et du positionnement du navire par rapport au vent ainsi que d’innombrables conseils pratiques, ce qui en fait le meilleur manoeuvrier de son temps. Sa réputation devient telle que la seule vue de la Nighthawk suffit à mettre en fuite les flottes ennemis et qui lui faut la quitter pour commander la jonque Azurea ou le drakkar Radgar afin de pouvoir trouver des adversaires qui osent l’affronter.

Son tempérament correspond parfaitement à l’archétype du loup de mer : flegmatique, parlant peu, bourru, rusé, têtu, mais aussi impitoyable. A cela s’ajoute une grand indifférence envers le décorum du pouvoir et envers quiconque n’est pas de son équipage ou de sa flotte. On ne lui connaît qu’une seule « faiblesse » : le chocolat. Atar l’apprécie au point d’en faire une sorte de boisson officielle de Tarantis. Il fait planter des cacaotiers en lisière de la Dyrfirwall puis dans des exploitations au sud de Willowsfen (rachetant pour cela une partie du domaine Clarmoon) afin d’obtenir un approvisionnement indépendant des fèves d’origine altanienne ou avrossianes. Cette mode est rapidement adoptée à Tarantis, à la fois pour complaire au roi et par véritable goût, au point que la senteur du cacao devienne un marqueur olfactif de la cité.

« Râblé, brun, barbu et fort poilu » comme le décrit une poétesse zevjane l’ayant aperçu de près, Atar est effectivement moins beau et apparemment moins intelligent et moins charmeur que son père Edario et que son frère Edgar ; il est aussi plus pieux : il n’oublie jamais de se rendre annuellement à l’équinoxe d’automne devant la grande statue de Poséido d’Al-Tarantis pour célébrer son dieu.
Mais à l’instar de nombre de ses prédécesseurs, il a étudié l’histoire des précédents règnes. Il en a retiré que pratiquement tous les grands monarques de Tarantis, quelques soient leurs qualités ou défauts, étaient tous et peut-être avant toute chose des malins, à commencer par son père Edario. Pas toujours de grands intellectuels ou conquérants ou idéalistes mais des gens astucieux et pragmatiques qui ont ainsi permis la survie, ou apporté la prospérité ou augmenté la puissance de leur royaume. Il dira un jour à son dernier fils légitime, éventuel futur Atar II, que le règne d’Hedarick the Tricky est plus que tout autre celui sur lequel tout roi tarantin devrait méditer.

Le roi Atar n’est ni fidèle à une épouse ni intéressé par l’idée de l’être. Il a non point des maîtresses mais des concubines royales – en d’autres termes : un harem – au nombre d’une dizaine, qu’il honore au retour de ses équipées maritimes, engendrant ainsi pas moins d’une vingtaine d’enfants. Il a choisi de légitimer trois de ses garçons qu’il a prénommés Edario, Edgar et Atar en les envoyant faire leur service naval, ainsi que les deux filles, Junpeer et Tarmeer, qu’il eut de sa concubine Tamarissinia, sans doute sa favorite, ainsi que une troisième fille, Asmydia, soeur d’Edario ; les autres enfants bâtards furent donnés en bas âge pour esclaves. Ces six enfants d’Atar sont tous occupés à un service particulier : les trois fils en mer, Asmydia chez les Red Monks, Junpeer secrétaire particulière de son père, Tarmeer trésorière de la cassette royale.

Au plan intérieur, Atar suit le mode gouvernemental de son père : il laisse les ministres gouverner, les juges juger, les prêtres moraliser, les artisans travailler et les négociants négocier. Cependant il méprise les marchands, qu’il considère comme des proies à prendre ou à protéger selon le cas. Il n’a guère le sens des finances publiques, des comptes de l’État, du commerce, car il s’en fiche. Si le cacao est un succès économique autant que social, c’est par le hasard du goût qu’en a le roi . Si les comptes de la couronne sont excédentaires c’est par un ascétisme de la maison royale qui reflète le goût du roi plutôt qu’une volonté d’économie. Si les caisses de l’Etat s’enrichissent des butins qu’il ramène c’est en conséquence de la guerre et non par but de guerre. Radgar voyait dans la marine la pierre angulaire du commerce tarantin, Grandstadt était un grand stratège mais un piètre capitaine de navire, Edario excellait au commandement mais cherchait avant tout le butin ; Atar, lui, aime le combat naval pour le combat naval, la marine pour la marine, l’océan pour l’océan. Il aime les bruits du bateau, ses tangages et ses gites, les tensions et oscillations de son rapport avec l’eau ou le vent. Le vingt-deuxième roi de Tarantis est un pur marin comme aucun n’autre ne l’a été.

Atar jeune (vers 5178) devant l’entrée de la digue fortifiée de Tarantis.

Par conséquent Atar pense à la mer, c’est à dire à l’outremer, c’est à dire à ailleurs. La politique de son royaume l’intéresse relativement peu. D’ailleurs, contrairement à Edario, qui y était réticent, il n’a aucun scrupule à employer la terreur si cela lui facilite les choses.

Les vrais maîtres de Tarantis sont donc en réalité les Cobras ainsi que les Neveux d’Yekat. Ce n’est un paradoxe qu’en apparence. Pour légitimer la présence de la police des Cobras, rien ne vaut une bonne recrudescence de vols, rackets, larcins, détournements et autres escroqueries ou prévarications auxquelles excellent les neveux d’Yekat. Pour cela Edgar, frère cadet d’Atar, joua le rôle fondamental de son premier agent secret.
Il sera pendant près de quarante ans l’infatigable émissaire privé d’Atar auprès des pirates, des voleurs, des assassins, des marchands, des capitaines d’armes ou de navires, et des juges tarantins. Il a pour spécialité de passer des alliances éphémères avec tel chef mercenaire, telle compagnie maritime, tel armateur, voire telle fraternité de pirates, afin de fomenter lui-même des complots contre son frère qu’il révélera aux Cobras le temps venu. Fort bon marin lui-même, mais aussi excellent cavalier et redoutable combattant, Edgar le discret assurera pendant trente ans les arrières du roi pendant que celui-ci patrouille les mers. Il a fait l’objet d’innombrables sollicitations pour devenir banquier, armateur, grand propriétaire, Grand-oncle des Neveux d’Yekat et bien sûr roi de Tarantis à la place de son frère. Mais Edgar restera toute sa vie d’une loyauté absolue envers celui-ci, au point de devenir le précepteur officieux de ses enfants. Sa grâce naturelle et une vraie beauté séduisaient indifféremment hommes et femmes cependant qu’il nourrissait une forte préférence pour les premiers. Il resta proche de sa mère, passant beaucoup de temps auprès d’elle au manoir de Nergal. Le plus étonnant à son sujet demeure l’incognito qui l’entoure : Edgar passa inaperçu et même inconnu de la plupart des tarantins qui croyaient que le rôle dévolu au jeune frère du roi se bornait à quelque intendance très secondaire de la maisonnée royale. Il meurt en 5222 d’une foudroyante et incurable maladie qu’il aurait contractée au retour d’une mission diplomatique secrète.

Le long règne d’Atar achève de configurer Tarantis telle qu’on la découvre aujourd’hui : une ville ordonnée où prévaut le libéralisme commercial sous la férule d’une police secrète toute-puissante et redoutée ayant pour soupape de sécurité une justice bien fournie et bien organisée. Les odeurs de grillades, d’épices, de cacao ou de café se mêlent aux parfums des fleurs des arbres et au vent venu de la mer. Aux clameurs accompagnant le trafic de la route du port, au vacarme incessant du Bazar central, aux divers bruits des animaux parqués ou encagés le long des murailles répondent la quiétude des avenues ombragées et des petites rues tranquilles. La ville n’apparaît pas particulièrement opulente. C’est dans les détails que sa richesse se révèle : l’état d’entretien des immeubles, des rues, des murailles, des temples, le prix des denrées, la profusion de fruits, grillades, fritures, petits pains, boissons chaudes ou fraîches, la qualité des vêtements des bourgeois, l’efficience policière, la densité des allers et retours vers le fourmillement du port, le nombre de mâts dans l’avant-port qu’on peut apercevoir depuis la ville, la rotation incessante des barges qui partent ou accostent.

Ce règne consacre aussi un nouvel écartement entre les tarantins de la terre et ceux de la mer, défaisant l’amalgame voulu par Shondrake sous Greataust Ier. Il existe ainsi deux Tarantines qui, sans véritablement s’opposer, sont très différentes et correspondent de fait à deux « partis » au sein de la haute administration et du gouvernement.
D’une part celle des provinces terrestres, de Jarmeer et de Ganzir-Galad, relevant de l’autorité distante et discrète des sultans, tournées vers la production de denrées et l’agriculture, faiblement taxées mais qui ne sont protégées par le pouvoir central qu’en cas d’invasion massive et durable. D’autre part celle de l’Azurerain, d’Al Tarantis, de la capitale et de ses port et avant-port, à la fois citadine, maritime ou fluviale, axée sur le commerce et l’échange, qui reçoit marchandises, butins ou tributs de tout le Tangut, et qui est plus fortement taxée, encadrée et protégée du roi. La première pense en termes de territoires, de conquête, de récoltes, de défense. La seconde en termes d’argent, de réseaux, de négoce, de mouvements.

Au plan extérieur, trois décennies de guerres navales ont amoindri les capacités des autres marines à nuire à celle de Tarantis. Amiraux et capitaines corsaires ou réguliers de Rallu, puis Csio, puis Valon, puis Ossary ont fini par renoncer à s’en prendre aux navires tarantins devant le risque de représailles d’Atar ou ses lieutenants. Dans toute la mer des Cinq Vents les traditionnels échanges de bons procédés ont repris cours et la suprématie tarantine n’est plus contestée. Ainsi, voici une dizaine d’années, l’activité navale d’Atar ne se composait-elle plus que de patrouilles tranquilles et d’occasionnels débusquages de pirates.

Le roi change alors, subitement, d’occupation principale. En 5215 il entame avec son frère Edgar un vaste tour du royaume, qui durera cinq mois, paraissant s’intéresser pour la première fois à ses terres. Toutefois, il passe assez peu de temps dans les domaines et bourgades du centre des provinces de Jarmeer et Ganzir-Galad. Il parcourt plutôt les frontières, s’aventurant jusqu’au Lac de Crown Beast et séjournant même plusieurs nuits dans le désert. A son retour, dès l’hiver suivant, le roi entame une frénésie diplomatie sans équivalent dans l’histoire de Tarantis, qui vise à la rendre connue et reconnue dans le monde entier.

Dans les années qui suivent, Atar se rend en Thûzzland, Vizan, Avros, Farxel et pousse ensuite jusqu’à Zevjapuhr, Ilnaëmb, Jax, Tresa, Orfajaz. Il rencontre les têtes couronnées des plus prestigieuses : le roi Merin XV de Thûzzland, le prince-consort impérial John-Daniel Arveïn, l’amiral impérial duc Adorn de Colstone, l’Empereur Vert Hautulin Szeiheitt et récemment Ymre Roi des rois de Vizan. Le roi de Tarantis sera reçu au Sénat d’Avros, à la Légacie de Zevjapuhr et par le gouvernement de Farxel comme aussi à Valon, Tulla, Rallu, Lenap, Sasserine, Starstone. Il sera partout traité comme un souverain de plein exercice, qui plus est fort intéressant par les nouvelles et renseignements qu’il procure au sujet de son exotique royaume et par les échantillons de cacao qu’il n’oublie pas d’offrir à ses hôtes. Il noue des relations avec l’empire Naëmbolt, les Royaumes de Mulgorge et de Thûzzland, la principauté d’Osmark, la république de Zevjapuhr, le gouvernement de Farxel, conserve de bons rapports avec la république d’Avros, renforce ses liens avec le Viridistan et le Vizan. Tarantis devient pour le monde entier ce pays dont Atar est le roi.

Agé de 60 ans, Atar le Lion continue de régner fermement sur Tarantis dont il est le vingt-deuxième roi. Il semble savoir très remarquablement préserver sa santé physique et paraît dix ans de moins que son âge. Il continue aussi de passer beaucoup de temps en voyage mais privilégie depuis quelque temps à cet effet des moyens magiques plutôt que sa chère Nighthawk. Son fils Edario a repris le rôle de son oncle Edgar. Son fils Edgar est lui aussi mort en mer d’une maladie. Ses deux filles, qu’il adore, sont considérées comme des partis fort intéressants par nombre de maisons de Tangut et d’ailleurs.

 

Appendice : quelques personnalités récemment en vue à Tarantis

(à ceux qui se reconnaîtront )

  • Shallabela the Red. Cette redoutable aventurière est devenue un des principaux agents des Red Monks, qui ont toujours été fort importants à Tarantis. Elle aurait ses entrées au conseil des ministres.
  • Mage Veznatshai. Cette mystérieuse et puissante Xionner est établie dans la campagne. Il semble que peu de mages puissent rivaliser avec ses capacités. Une nouvelle Iggwilv ?
  • Sir John Puhûl. Ce gobelin affairiste a réussi à faire fortune au jeu comme dans des trafics de main d’oeuvre. Grâce à un entregent véritablement extraordinaire, il aurait récemment entrepris de séduire l’association des marchands.
  • Estebanos Fring. Cet immigré venu de Vizan a apporté des recettes de poulet grillé avec une sauce spéciale et de calamar frit dans son restaurant « El Tarantino », dont les prix défient toute concurrence. Il a été l’un des premiers à proposer du cacao sucré au grand public. On dit que le roi Atar lui-même vient parfois s’attabler incognito chez lui.
  • Black Mamma Kahuna. Une banale boulangerie sert de couverture à cette nièce d’Hecate, auparavant formée par les red monk et par ailleurs épéiste émérite, spécialisée dans la résolution des situations difficiles. Son association avec les surnommés The Wolf, The Viper et the Dancer forme un sous-ensemble des Neveux d’Yekat particulièrement réputé.
  • Ilcormaïr Sodboro, esquire. Ce gentleman au grand coeur a ouvert et finance une maison destinée aux enfants d’esclaves. C’est par ailleurs un excellent combattant à avoir sur son navire.
  • Capitaine Enzer Lanta. Ce chef de la police secrète utilise ses relations personnelles avec des yuantis pour obtenir des résultats qui l’ont propulsé dans sa hiérarchie. Il est connu pour fumer une impressionnante pipe fabriquée spécialement pour lui.

Voir également ce petit supplément sur le forum.


Cette histoire de Tarantis complète celle du Tangut. Elle fut particulièrement longue et ardue à rédiger. L’ensemble de la ville et de ses alentours est employé depuis les plus anciennes sessions de D&D malgré l’insuffisance chronique du matériau de Judges’ Guild, même après sa révision de 2005. De nombreuses aventures de Judges’ Guild et de TSR s’y sont déroulées et des personnages s’y sont même établis. D’autre part, beaucoup de ses caractéristiques géographiques, sociales et historiques sont très particulières par rapport au reste de Derenworld tout en jouant un rôle important dans un Tangut qui demeure un terrain privilégié pour les aventures. Enfin et surtout, les rapports historiques de la Tarantine avec ses voisins rendaient préférable de traiter et terminer séparément et préalablement une histoire de Tangut qui aurait sinon été trop longue et complexe.
La cité-état dont le seul nom effrayait certains joueurs à certaine période nécessitait donc un traitement exigeant pas mal de temps, alors que mes occupations m’en offraient de moins en moins, d’où un long délai avant pouvoir la publier sur ce site.

O.C. 5/2021

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