Undermountain est un donj’ mythique selon beaucoup de monde mais pas selon votre serviteur qui l’a découvert à sa première parution. A l’époque, l’énorme contexte inventé par Ed Greenwood, par ailleurs merveilleux créateur de Forgotten Realms, devait devenir le super dungeon-crawl par excellence, le substitut du Castle Greyhawk que nous n’avons jamais eu, l’immense aventure souterraine de référence.
Sauf que pour y arriver, il faut un boulot que l’éditeur n’a pas fait : Greenwood est laissé tout seul, sans coauteur et sans aide, pour remplir un machin de centaines de salles. Résultat : Ruins of Undermountain, publié pour AD&D2 en 1991 par TSR, est à mourir d’ennui et il suffit de lire non pas le texte mais la carte de l’aventure pour comprendre pourquoi : il n’y a pratiquement que du vide.
Dans cette version, ce n’est même pas du porte-monstre-trésor mais du porte-rien-rien. Du coup, l’aventure repose intégralement sur un arbitre obligé de peupler les trois-quarts de l’espace du module pour le rendre intéressant. Sinon, ces trois-quarts ne seront que la répétition de séquences couloir vide – salle vide – couloir vide – salle vide, entrecoupées d’un encounter aléatoire servant à pallier le puissant effet somnifère de cet énorme ratage.
Je suppose donc que les nombreux évocateurs de souvenirs ravis de la version initiale d’Undermountain ont eu la chance de la jouer en étant arbitrés par des DM particulièrement compétents et travailleurs. Je n’ai pas eu cette chance.
Ces mauvaises impressions m’ont empêché de m’intéresser à la version 3.5 de cette aventure. Elle est toutefois réapparue en version D&D5 en suscitant apparemment l’enthousiasme. Il faut dire que l’éditeur y a collé Chris Perkins, soit ce qui se fait de mieux en ce moment en matière de designer de D&D. Undermountain aurait-elle enfin bénéficié d’un travail à la hauteur de l’ambition qu’en avait Greenwood ?
La démarche de cette nouvelle parution comporte deux principaux aspects ayant donné lieu à deux modules (également disponibles en français) :
a) réunir l’ensemble d’Undermountain, y compris ses annexes parues séparément, en une seule aventure devenue Dungeon of the Mad Mage, où les personnages vont passer du 5e au 20e niveau ;
b) produire une introduction à Waterdeep (la ville au dessus des souterrains) et Undermountain permettant aux joueurs de bien s’y insérer ; c’est la fonction de l’aventure préparatoire qu’est Dragon Heist, prévue pour mener les personnages du 1er au 5e niveau.
Autant le dire tout de suite, c’est sur ces deux plans une vraie réussite. Contrairement à Greenwood, Perkins n’a pas été abandonné à lui-même : il est entouré de 10 designers et de 6 éditeurs. Le résultat est cohérent, intégralement rempli et forme un bel et complet ensemble : Undermountain est désormais une vraie immense campagne souterraine, capable de rivaliser avec une somme telle que Rappan Athuk. Le niveau de détail est excellent tout en maintenant une étonnante facilité de compréhension pour l’arbitre confronté à une aventure de cette taille. Il y a aussi de jolies trouvailles d’intrigues, de relations, d’interactions. La combinaison Height of Dragons + Dungeon of the Mad Mage propose une aventure géante et pourtant parfaitement prête à être jouée et arbitrée tout en laissant juste ce qu’il faut de place à la liberté de l’arbitre. Du beau travail.
J’ai cependant trois réticences, toutes mineures.
La première vient d’une certaine paresse dans l’édition : les stats des monstres ne sont en effet pas inclues dans le module, sauf ceux spécifiques, et jamais dans le texte où ils apparaissent qui renvoie généralement au Monster Manual ou parfois à un appendice. C’est à mon avis une erreur car ce type de mise en page oblige l’arbitre soit à se reporter au MM à chaque encounter, ce qui ralentit inutilement le jeu, soit à faire le travail du designer en préparant à sa place la liste des monstres avec leurs stats blocks en amont de la session. Pour un produit de ce prix et de cette ambition, c’est regrettable.
La seconde réticence m’est assez personnelle et provient de certaines facilités de design et d’architecture de l’aventure, dont la plupart remontent à la genèse d’Undermountain. Je ne les évoquerai pas plus avant pour éviter les spoilers mais la paresse intellectuelle aboutit bien souvent à l’inélégance et ça me gêne toujours un peu. Pour résumer, je dirai seulement trouver que ce donjon pèche par manque de jaquaysme.
La troisième m’est encore plus personnelle et vient de la cible visée par l’éditeur : il me semble que tout cela fait parfois un peu « gamin ». WotC vise clairement le public de néophytes, celui qui ne sait pas ce que sont Waterdeep, Undermountain, Elminster ou les Harpers. Je suis persuadé qu’il a raison parce qu’il faut faire connaître à ce public les merveilles de Greenwood, mais je ne fais pas partie de ce public. Bien des ficelles d’intrigue ou de narration que beaucoup apprécieront, du moins je l’espère, me paraissent un peu grosses.
Plus ennuyeux : certaines sections de l’aventure, voire même l’ensemble, me semble pécher par manque d’adversité. On est un peu dans l’anti-Cordell, pour parler à ceux qui ont affronté les talentueuses créations du « méchant Bruce », et fort loin de ce qu’il est désormais convenu d’appeler un esprit 1ere édition plus âpre ou violent mais qu’on peut aussi retrouver dans des modules pour Pathfinder. Certains endroits du Dungeon of the Mad Mage me donnent même l’impression de ne pas proposer de vrai challenge aux joueurs.
Ceci me conduit à une dernière observation : ce produit est pour D&D5, avec quatre personnages qui vont aller du niveau 1 au 20. Il s’agit de niveaux d’expérience de D&D5. La version du même module pour D&D3.5, certes moins épaisse, mais qui me semble contenir la plupart des principales oppositions, amène au final les personnages au niveau 10. Je n’ai pas bien étudié cette aventure mais au seul aperçu des monstres et adversaires de ses derniers étages, je suis amené à conjecturer que le vingtième niveau d’expérience en D&D5 diffère beaucoup de ce qu’il représente dans Pathfinder ou D&D3.5 ou les précédentes éditions.
Au final, la rapport qualité-prix y est. Lancer les nouveaux joueurs de D&D5 sur les traces des grandes aventures souterraines du passé est une intention louable , ici couronnée de succès. Maintenant, pour les rares qui ont connu non pas tant l’Undermountain d’AD&D que l’époque de ce dernier, un certain travail d’élévation de la difficulté de l’aventure ou d’assombrissement de celle-ci pourra s’avérer nécessaire si on veut mieux retrouver le goût et l’ambiance qui prévalaient aux temps d’Ed Greenwood.