Depuis le 6 mars dernier, on sait que Pathfinder 2 va sortir, avec une preview/playtest ouverte cet été ; et on en parle, évidemment, beaucoup (par exemple ici). De mon côté des shields, après bientôt quelques 40 ans de jeu de rôle, on me permettra d’éprouver a priori une certaine placidité devant l’annonce d’un énième système, édition, ou version de règles. Ne serait-ce que parce que toute contribution additionnelle à ce qui est moins une segmentation qu’un émiettement de cette activité n’est pas forcément bienvenue.
Je ne le répéterai jamais assez : le jeu de rôle, dans son acception la plus fondamentale, ne repose que et seulement que sur l’assignation d’un rôle à chaque joueur au sein d’un scénario. Au fond, la différence entre théâtre et jeu de rôle tient dans la scénographie et la dramaturgie contraignante et close du premier, là où le second repose sur la liberté d’interprétation des joueurs et leur détachement corporel en cas d’utilisation d’éléments figuratifs miniatures.
Par conséquent, l’utilité de l’ajout d’un système de règles produit par une entreprise commerciale, donc à but lucratif, doit se mesurer à ce qu’il apporte réellement au jeu, en termes de stimulation d’abord et de simulation ensuite.
Pathfinder, dont l’histoire est brièvement et remarquablement résumée dans cet article, avait pour principal objectif de parfaire la version 3 de D&D, dont il est le très digne héritier, notamment en termes de cohérence des règles, d’intérêt de la mécanique de jeu, et de simulation réaliste. Sur ces plans, il s’agit d’une réussite complète : PF est incontestablement le point le plus abouti du d20 system, c’est-à-dire de la troisième version du jeu de rôle de référence qu’est D&D. Mais c’est aussi ce qui fait ses faiblesses : aussi excellent soit ce jeu, l’efficacité de sa mécanique implique d’importantes contreparties en lourdeur et complexité. Or plus un système normatif est complexe, plus ses composants sont susceptibles d’être utilisés en détournement de leur finalité initiale. Pathfinder est donc aussi un trésor pour mini-maxage, offrant moult possibilités de construction planifiée sur vingt niveaux dès la création d’un personnage mis au service de sa seule puissance, ce qui plaît sans doute à beaucoup mais au détriment de l’intérêt de l’interprétation d’un rôle. Le principal défaut de Pathfinder pourrait être résumé dans cet aphorisme de Gary Gygax, qui considérait le d20 system avec réticence : « the name of the game is roleplaying, not ruleplaying ».
Or le succès de D&D5, qui a (r)amené du monde au jeu de rôle et ainsi des dollars, a clairement rappelé cette évidence : ce type de jeu, au sens où il propose à ses participants d’expérimenter directement et par eux-mêmes le rôle d’un personnage, doit impérativement demeurer accessible. Il ne doit pas aboutir à privilégier ceux qui ont exploré à fond et parfois appris par cœur 500 pages de règles sur ceux qui ne l’ont pas fait. Il ne doit pas exiger le recours à des machines, voire à des figurines, pour pouvoir être pleinement apprécié. Il ne doit pas favoriser ceux qui préfèrent étudier des combinaisons d’options ou calculer des probabilités arithmétiques plutôt que ceux qui n’en attendent que les péripéties d’une aventure commune. S’il s’agit bien de jouer véritablement et pleinement un personnage, alors la simplicité des règles devient une nécessité fondamentale au jeu de rôle ; elle en conditionne l’accès et le succès.
C’est manifestement ce qui inspire Paizo pour la seconde édition de Pathfinder. Ainsi on annonce par exemple la très bienvenue suppression des actions simples, de mouvement, etc… dont la rigide mécanique peut aboutir à l’anti-réalisme le plus flagrant, montrant ainsi clairement la limite du support du jeu de rôle par un système de règles excessivement précises ou contraignantes. L’intention de Paizo se révèle aussi par d’autres améliorations qui visent à éviter ou simplifier le calcul des divers scores de bonus ou à alléger les feuilles de personnage (telle la suppression des caractéristiques spécifiques de manœuvres de combat). Cette direction me semble clairement la bonne. Si les gars de Paizo parviennent en même temps à conserver, ainsi qu’ils le promettent, une entière compatibilité entre les deux éditions de leur produit-phare, alors ils auront réussi à améliorer un jeu de rôle d’une édition à l’autre, ce qui constitue une singulière rareté.
Or, pour ce que j’ai pu en découvrir jusqu’à présent, on peut avoir bon espoir. Les gens de chez Paizo sont en effet certes de bons commerçants (surfant sur la bêtise D&D4, s’inquiétant des qualités de D&D5) mais aussi de vrais rôlistes. Ils connaissent leurs classiques, ils savent réfléchir sur leur produit, et ils ne se prennent pas pour les Darth Vador de leur segment. Des mecs comme Erik Mona ou Jason Bulmahn ont notoirement été nourris par les influences de Gygax et de Kuntz. Ils sont de ceux qui savent vraiment ce qu’est qu’un jeu de rôle d’heroïc-fantasy. Ils ont avec Pathfinder 1 montré leur savoir-faire consistant à analyser et réparer les faiblesses de D&D3. Ils me semblent donc parfaitement capables de reproduire cela avec Pathfinder 2.
D’autant que je persiste à penser que D&D5 pèche par excès de simplicité, par exemple dans le rapport équilibrage/diversité des monstres, ce qui en fait un jeu me semblant tirer un peu vers l’excès de facilité, d’où, d’ailleurs, son succès. Un autre inconvénient majeur de D&D5 consiste en l’absence de rétro-compatibilité avec les précédentes versions ; à bien y réfléchir, avoir sorti les versions 2, 3, 4 et 5 d’un produit sans qu’aucune ne soit compatible avec les autres constitue quand même une sorte d’exploit dans la bêtise… Si Apple avait la même chose avec ses iPhone, ils auraient aujourd’hui la taille de Wizards of the Coast. Un Pathfinder 2 justement équilibré et rétro-compatible pourrait donc bien constituer la référence qu’on attend encore dans ce domaine.