Voir aussi : Tarantis – 2 : les premières dynasties royales , Tarantis – 3 : la maison Pashavun , Tarantis – 4 : règnes récents et actuel
Tarantis est un royaume de taille respectable qui représente l’une des puissances majeures de l’actuel sous-continent de Tangut, avec le Viridistan, l’Inghelis, Csio et Thunderhold. Toutefois, lui seul exerce une influence prédominante sur les mers centrales du Tangut et sur les terres de l’immense péninsule ghinoréenne. Si cette péninsule était un pays celui-ci serait le deuxième plus vaste de Derenworld. L’historien avrossian Tobias Corjett a écrit du territoire tarantin qu’il est comme Avros une île entourée de mer et de terre.
Du Ghinorea à Starstone, du Dahraun à Lenap, de T’lan à Tarantis s’étend quasiment un monde : la moitié orientale du sous-continent tangutien. Il est formé d’une succession de contrées pour la plupart sauvages ou semi-sauvages, fréquemment infestées de monstres, où les villes ou villages ou citadelles ou castels sont sans suzerains, libres et exposés, indépendants et différents les uns des autres. Les règles et formes usuelles d’organisation sociale n’y sont pas les mêmes qu’ailleurs. Le plus souvent, la terre n’y appartient qu’à ceux qui s’y trouvent. L’érection d’un état civilisé y est l’exception, le surnaturel la norme. Rien n’unifie ce qu’y séparent steppes, déserts, chaînes de hautes montagnes, ainsi que des étrangetés comme la Vallée des Anciens. Au milieu de cette vastitude, sur la mer des Cinq Vents qui longe la côte occidentale de la péninsule ghinoréenne, règne la Cité-Etat de Tarantis.
Ce ne fut jamais une terre où prédominèrent les elfes ni les nains ou les humains ou les orcs ou gobelins, mais dragons et dieux. Elle vit fleurir et disparaître de grands royaumes oubliés, perdus dans la préhistoire plutôt que l’histoire : Ghinor au nord, Karak au sud. Elle fut une partie de l’Empire de Tangut qui contribua à la civiliser. Mais après la disparition de l’Empire la nature de ces contrées reprit ses droits comme herbes et lianes recouvrent les ruines d’un bâtiment effondré. Dans l’est du sous-continent subsistèrent des fragments de civilisations particulières et différentes, centrées autour de villes telles Tulla, Starstone, ou Tarantis qui toutes s’appuient et souvent se tournent vers une mer perçue comme moins incertaine que l’intérieur des terres au contraire direct du reste de Derenworld. Des marins hier falinorë, uiro-berviks, vizaner ou maztiis, aujourd’hui avrossians ou tarentins, conquérants ou commerçants ont apporté leurs cultures, leurs mœurs, leurs échanges au littoral et parfois un peu vers l’intérieur des terres, jamais bien loin.
Envisager Tarantis dans son contexte implique donc de faire table rase de ce que l’on sait du reste de Derenworld, de ses structures sociales habituelles, des équilibres entre civilisations et contrées sauvages, d’histoires et géographies connues et bien conservées. Depuis toujours le Tangut oriental incarne une sorte de refuge du reste du monde, là où l’on arrive au bout d’une fuite, en n’ayant souvent plus rien, en voulant oublier ou se faire oublier. Y prédominent l’inconnu, l’incertain, l’inexploré, mais avec eux aussi une forme d’indépendance et de liberté, un espace immense et ouvert, parfois miraculeux parfois monstrueux, comme il n’en existe nulle part ailleurs.
C’est là qu’est apparu le royaume souverain et organisé de Tarantis comme une exception à son environnement géographique.
Le territoire tarantin est divisé en quatre parties : les deux provinces de Jarmeer au nord et Ganzir-Galad au sud-est sont administrées par un Sultan, gouverneur ayant des pouvoirs voisins de ceux des baillis de l’ex-Empire de Tangut ; la vallée de l’Azurain, corridor d’environ une lieue de large de chaque rive du fleuve, forme un territoire relevant de la cité-état de Tarantis qui est confié à la capitainerie fluviale elle-même située à l’embouchure du fleuve à Al’Tarantis ; la cité-état de Tarantis proprement dite, qui comprend la ville, ses port et avant-port ainsi que la partie méridionale de la baie de Dahute avec ses terres.
La géographie de la cité de Tarantis est très particulière. La ville apparaît en effet relativement petite pour une cité-état de cette importance ; elle n’héberge guère que 15000 habitants permanents, autorisés et répertoriés. Son plan rectangulaire contient un quadrillage suivant les axes des remparts auxquels sont parallèles de très larges avenues : King’s Row, Palace Way, Regent Street dans le sens est-ouest, Paladiner Street, Gargoyles Street, Valiant Promenade dans le sens nord-sud. King’s Row mesure plus de 30 mètres de large en moyenne. Ces avenues sont généralement bordées d’arbres et parfois même d’un mail (Valiant Promenade) ou de squares ombragés. Pratiquement toutes les rues sont orthogonales à l’une des grandes avenues et se croisent donc à angle droit.
La ville est enserrée dans des remparts de 20 mètres de haut comprenant 24 tours équipées de ballistes polyvalentes (pivotantes, ciblant air et terre), trois portes fortifiées, et un vaste château inséré à l’angle nord-ouest de l’enceinte, qui forme le palais royal. La superficie du palais représente près du huitième de celle de la ville.
Les remparts et le château sont construits en granit et la plupart des maisons aussi ou en calcaire ou bien en brique plate, certaines avec colombages. Les toitures sont principalement en tuiles. Dans leur énorme majorité les maisons n’ont ni cour ni patio ni jardin ; un grand nombre possède des entrées sur deux rues différentes. Beaucoup ont plus d’un étage, assez souvent trois ; pratiquement toutes possèdent une cave, parfois commune aux maisons mitoyennes.
L’intérieur des murs de l’enceinte ne pouvant être bâti en dur, les remparts abritent un entassement de baraques en bois d’une hauteur ne dépassant pas deux mètres trente, dénommées les “contre-murs” ou les bambous (souvent employé comme matériau) servant d’écuries d’ânes, bétail, poneys et animaux de charge, ou encore de basse-cours, clapiers, porcheries et parfois de cabanes et d’enclos de petits jardins potagers.
La ville dispose d’un aqueduc souterrain provenant de l’Azurerain qui alimente toutes les maisons en eau courante ainsi que d’un réseau d’égouts également souterrain qui s’évacue au sud est dans la mer. L’eau fournie est d’une exceptionnelle qualité car purifiée par le culte de Straasha à Al’Tarantis.
Au sud-ouest de la ville commence le complexe du port et de l’avant-port. Le port au sens strict, c’est à dire adjacent à la cité, apparaît étonnamment petit pour un centre d’un telle importance. D’autre part, hormis quatre entrepôts, dont deux énormes, et la halle aux poissons, tout le reste : jetées, promenades, bâtiments est construit en bois. Quatre vastes môles permettent d’accueillir en moyenne une vingtaine de navires simultanément.
Une vaste digue rocheuse, distante d’environ 1 nautique (1850m), protège le reste du port en eau profonde, où des navires à l’ancre attendent leur tour d’accéder aux môles. Au centre de la digue domine la tour de la capitainerie, véritable petit castel qui comprend les archives, les registres, la douane, mais aussi des salles de repos, une salle de conférence et même un laboratoire.
Le port se poursuit vers le nord par l’immense avant-port, vaste zone de mouillage abritée par une lagune artificielle dont émergent cinq îlots (du nord au sud : Gloombay, Briars, Pélas, Klyceus, Neraven) qui tous possèdent une sous-capitainerie, un ou plusieurs chantiers navals, des tavernes et échoppes et des ateliers de voileries et accastillages. Cet avant-port est axé sur un chenal central qui mène jusqu’à l’embouchure de l’Azurerain où se trouve Al’Tarantis, emplacement originel de la ville, marqué par les deux statues géantes, l’une de Straasha au sud, l’autre de Poséido au nord, et dont les socles abritent un monastère de chaque culte.
Les barges fluviales qui descendent ou remontent l’Azurerain déchargent ou chargent ainsi directement dans les navires mouillant dans l’avant-port sans passer par la ville de Tarantis. Afin d’éviter la contrebande, seul le pilote de la barge, qui n’embarque qu’à Al’Tarantis, connaît le nom et l’emplacement du navire concerné, qui ne lui est communiqué qu’après paiement des taxes dues.
L’îlôt de Gloombay contient les engins de drague du port, ceux de Briars et Pélas sont également des villages de pêcheurs et possèdent d’agréables plages, celui de Klyceus héberge une caserne d’infanterie de marine et celui de Neraven des bordels.
Au total, le système portuaire de Tarantis, depuis les môles adjacents à la ville jusqu’aux quais fluviaux d’Al’Tarantis, s’étend sur plus de dix kilomètres, formant une sorte de ville de mer capable d’héberger plus de 120 navires, ce qui en fait l’un des plus vastes ports du monde, rival de Gwaliore, Raeder, Zevjapuhr, Avros ou Orfajaz.
L’équilibre est le maître mot de la politique à Tarantis. Equilibre entre les quatre centres de puissances indissociables et étroitement imbriquées sans le fonctionnement de tous les aspects du royaume : le roi et son gouvernement, l’appareil policier et juridique, l’association des marchands, la diversité religieuse.
Le principal pouvoir du roi consiste en la nomination et la révocation d’officiers civils. Il nomme et révoque notamment ses ministres, en général une demi-douzaine : Chief Advisor, Minister of Finance, Minister of Foreign Affairs, Minister of Land, Minister of War, Minister of Domestic Services, Head Sage, ainsi que les deux gouverneurs des Provinces, le Maire de Tarantis, le Capitaine du Port, et les Hauts Juges. Par tradition, le roi n’a qu’une garde et pas d’armée mais il dispose d’une puissante marine de guerre. Il ne peut pas lever d’ost et doit recruter des mercenaires à temps plein.
Le roi édicte les lois et fixe et encaisse les taxes et impôts. Son meilleur bras armé est sa police politique, les Blue Cobras, dont le rôle est de désamorcer les risques de complots et de séditions. Il est devenu de tradition que le roi s’implique relativement peu dans la politique citadine ou locale, préférant gouverner par intermédiaires. Il a souvent un ou deux domaines de prédilection, par exemple : la marine, l’art, l’agriculture, l’exploration, le renseignement, la religion, la diplomatie, l’art militaire ou encore l’architecture, la cuisine, les spectacles, qui absorbent la majeure partie de ses activités.
L’appareil policier et juridique est nommé par le roi mais ces nominations sont en réalité conditionnées le plus souvent par cet appareil lui-même. En effet, personne n’est exempt de la coutume de Tarantis dont les juges sont à la fois les auteurs et les serviteurs et dont l’immensité fait qu’elles ne sont connues que d’eux seuls et de leurs étudiants et juristes. Cet appareil judiciaire joue le rôle de nœud fondamental qui tient ensemble la société tarentine toute entière car tous les autres pouvoirs, roi, marchands, polices et cultes y compris, sont soumis à ses décisions. Ainsi, même le roi ne peut prendre un édit allant contre un édit précédent ou contre un précédent coutumier que dans la mesure où les juges ne s’y opposent pas dans l’année de sa promulgation ; en outre, en cas de conflit entre roi et juges, ces derniers peuvent en appeler à l’agora du peuple avec l’accord des clergés. Peu de monarques ont jamais osé prendre pareil risque, dont les conséquences pourraient aller jusqu’à la chute de la royauté.
La police générale (non politique) dépend de la ville ou de de la province mais alimente mieux les juges que son autorité de tutelle. Il n’est donc pas exagéré d’affirmer qu’en pratique, le gouvernement de Tarantis est au moins partiellement le fait de ses juges.
L’association des marchands regroupe tous les corps de métiers, y compris artisans et gens de service. elle constitue une oligarchie principalement tournée vers le négoce, transit, l’import et l’export, la finance et l’assurance. Elle tient une part importante de son pouvoir de la puissance navale de Tarantis. Elle peut jouer un rôle de contre-pouvoir éventuel par la corruption des systèmes et par le recrutement d’émeutiers stipendiés mais en pratique elle préfère de loin collaborer avec les autres pouvoirs. Elle détient également le monopole de la régulation du port, de l’avant-port, et de la navigation sur le fleuve Azurerain : le roi ne peut nommer à la capitainerie fluviale qu’un représentant qu’elle lui propose.
La diversité religieuse est le credo d’une ville où tous les cultes sont admis et où une bonne vingtaine de toutes obédiences ont pignon sur rue. Cette concurrence rend les religions relativement inoffensives puisque l’éventuel ascendant d’une d’elles a pour effet de lui opposer rapidement toutes les autres. Le roi gouverne avec un culte particulier, qu’il a choisi, et qui n’est, de coutume, jamais le même que son prédécesseur. Certains cultes loyaux (Set, Horus, Votishal, Osiris…) ont vocation à fournir des services particuliers nécessitant la garantie d’un parfait respect de la loi (telle la certification de certaines nominations royales, par exemple les gardes de la personne du monarque, ou la convocation de l’agora). Les cultes ont aussi vocation à encadrer sévèrement l’utilisation de la magie ou les événements surnaturels.
Ces quatre pouvoirs sont complétés par :
– la marine marchande, indépendante et légale ou encore mercenaire voire pirate, dont l’importance reflète la vocation maritime de Tarantis ;
– les propriétaires fonciers répartis de manière très diverse selon les lieux et provinces mais qui font le substrat de la prospérité du royaume ;
– le rôle ponctuel des guildes telles celles de voleurs, de monks, de guerriers.
Il n’existe pas de système démocratique par assemblée représentative permanente. Toutefois, la plupart des pouvoirs peuvent en appeler au peuple (entendu comme tous hommes et femmes libres âgés de 13 ans) pour toute décision importante en cas de crise avérée. Cette démocratie directe, appelée agora, est de tradition très ancienne et remonte à la période républicaine. Elle s’effectue sous le contrôle des clergés d’obédience loyaliste et a voix suprême : sa décision s’impose même au roi.
Pour réunir une agora, il faut soit la décision du roi, soit celle de cinq clergés établis en ville dont au moins deux d’obédience loyaliste sur proposition d’un d’entre eux ou de la société des marchands ou de la majorité des hauts juges.
En général, l’agora ne sert qu’en cas de crise dynastique ou de péril grave et avéré.
Il existe aussi des agoras locales et des nobles locaux qui possèdent un droit de veto temporaire de deux ans sur leurs territoires portant sur toute loi autre que militaire. Cette faculté limite considérablement les pouvoirs des Sultans (représentants du roi dans les provinces) et rend l’administration territoriale du royaume assez relâchée et décentralisée.
Cultivé et retors, cool et violent, négociateur et psycho-rigide : tous les mélanges s’invitent quand on évoque le tarantin. Leur réputation de mecs pas vraiment bienveillants, arrogants et sûrs d’eux et de leur supériorité, d’esclavagistes des mers ou de pirates brutaux ou madrés qui se seraient vaguement civilisés dans leur trou du cul du monde vient de voisins ou rivaux qui n’ont ni leur histoire ni leurs contraintes.
En réalité, le tarantin moyen paraîtra à l’étranger désireux de le véritablement connaître un bien curieux mélange. Légaliste mais chatouilleux sur ses libertés individuelles. Porté vers le commerce tout en acceptant la misère ou l’oisiveté. A la fois désireux de forcer le destin et fataliste dans les choses de la vie. Aussi profondément attaché à la religion que tolérant envers les autres religions. Capable d’ostentation dans sa vêture ou ses bijoux et d’ascétisme dans sa vie quotidienne. Paysan d’un grand royaume terrestre et marin d’une puissante thalassocratie. Adepte des grandes fêtes, bals, spectacles et réjouissances mais toujours respectueux d’un ordre social strict. Ne pas voir d’opposition où partout ailleurs on verrait des contraires est inhérent à la culture et même au psychisme tarantins.
Du copu, un vrai tarantin sait qu’il n’est pas comme tout le monde, cela aussi parce qu’il fait partie d’une civilisation et d’un environnement qui ne sont pas comparables au reste du Tangut et au-delà au continent. Tarantis s’est faite toute seule, sans l’aide de personne, sans la bénédiction ou l’appui d’un grand inspirateur ou voisin, sans patronage elfique ou suzeraineté draconique, sans conquérant célèbre, mage omnipotent, envoyé divin, Héritier d’Hornst, saint sauveur. Elle a sa propre histoire faite de fidélité d’abord au Tangut, puis par la suite à elle-même. Elle a bâti comme elle l’a pu ses propres valeurs et systèmes, aussi étranges et réprouvés puissent-ils paraître aux yeux de certains étrangers, qui l’ont conduite à survivre là où aucune puissance comparable n’a survécu et à devenir incontournable au propre comme au figuré dans l’une des plus vastes régions du monde.
Le tarantin en tire une fierté discrète, qui s’appelle localement le « diakrifan », sorte de maxime de comportement face à l’étranger. Cela consiste à ne pas revendiquer quelque supériorité morale ou intellectuelle mais à conserver enraciné un esprit à la fois indépendant et d’appartenance à une communauté civile sans équivalent : ceux qui savent comment ça marche à cet endroit du monde, comment fonctionne une cité-état aux allures d’empire qui ne dit pas son nom, comment on y résoud harmonieusement ou brutalement des problèmes qui resteraient ailleurs sans solution.
S’il y a assurément un peuple tarantin, base fondamentale du pays et de l’État, il n’y a en revanche pas d’ethnie tarantine, de race, de typologie morphologique. La société tarantine admet aussi parfaitement l’esclavage qu’elle ignore les races ou les castes. Toutes les peuplades humaines sont représentées à Tarantis et notamment tous les demi : demi-orcs, elfes, gobelins, démons, dragons… peu importe, du moment que la personne adhère à la constitution sociale tarantine.
Celle-ci repose sur trois piliers : le métier, la famille, le culte, par ordre décroissant d’importance.
Le métier est le pilier central de l’identité du tarantin : il définit sa place dans la société, ses moyens et degrés de pouvoir, son rôle et ses devoirs mais aussi les protections et droits dont il peut jouir.
La famille définit l’appartenance territoriale : la nationalité, la citoyenneté ou non (si l’on est ou non habitant de la cité de Tarantis ou de l’une des provinces : Azurerain, Jarmeer, Ganzir-Galad), et l’appartenance culturelle, par l’éducation qu’elle fournit et les valeurs qu’elle transmet.
Enfin le culte favorise l’épanouissement moral et parfois matériel de l’individu, son appartenance et son insertion dans une communauté.
— HISTOIRE DE TARANTIS —
De façon générale, on pourra utilement se reporter aux pages suivantes :
Le Tangut : présentation générale , Territoires du Tangut et Cartes
Histoire du Tangut – 1 : l’antiquité et le pré-empire , Histoire du Tangut – 2 : de la naissance à l’apogée de l’empire , Histoire du Tangut – 3 : la chute de l’empire , Histoire du Tangut – 4 : La restauration de Wohrm et la Croisade de Stephen
Bien que l’orthographe correcte de l’adjectif soit « tarantin », on peut également écrire « tarentin ». Le nom donné au royaume de Tarantis, entendu comme l’ensemble des territoires qu’il contrôle personnellement et directement, est « Tarantine » mais la graphie « Tarentine » est admise et souvent utilisée. En revanche, « Tarentis » est toujours incorrect.
Le village qui deviendra Tarantis est situé à l’embouchure du fleuve d’Azur : l’Azurerain, principal cours d’eau de cette région du Tangut, au fond de la belle baie de Dahute. La géographie de son environnement va conduire à la prospérité de la ville et de ses territoires, en particulier la riche forêt de Dyrfirwall et la fertilité des terres alluvionnaires de la baie, la navigabilité de l’Azurerain permettant la procession de caravanes fluviales qui la remontent et descendent en ramenant les matières et produits des terres intérieures et des Hautes Steppes (Glow-Worm (ou Glowyrm) Lands et Karzuluth).
Tarantis est à l’origine un simple village de pêcheurs situé à l’embouchure de l’Azurerain. L’emplacement est de longtemps connu des elfes de Kishar au nord ; il est visité et cartographié vers 2950 par les falinorë, alors établis dans l’île de Shillelah, qui mentionnent l’existence d’un village humain dans une baie qu’ils nomment Dahute, probablement à partir d’un dialecte local qui signifie « eau brune » en raison de la couleur du fleuve lorsque fortement chargé d’alluvions qu’il épand dans la mer. Ses pêcheurs-chasseurs-cueilleurs exploitent occasionnellement la vaste et proche forêt de Dyrfirwall où abondent les espèces rares : le cotonnier (cottonwood), variante du cotonnier commun, l’anastree, qui est un arbre à ananas, des orangers, des manguiers et cerisiers à gros fruits, des arbres à pain locaux (appelés youryaps) dont les fruits à cosses fournissent une farine bon marché, ainsi que de nombreuses espèces précieuses : le teck, imputrescible et ainsi recherché pour la construction navale, l’acajou, l’eucalyptus.
Le peuplement humain originel demeure d’origine incertaine et certainement mélangée. Ce ne sont pas des ghinoréens, le territoire tarantin se situant très au-delà des frontières de l’ancien Ghinor mais un mélange de nomades et pêcheurs humains de la côte appelés paldoréens qui seraient descendus vers le sud et qui présentent des ressemblances avec les peuples zahires et altaniens, de survivants du légendaire empire maztii de Karak-Aour devenus chasseurs-cueilleurs dans la Dyrfirwall, et de gishmeshis, nomades et pêcheurs karzuluns du Lake of Crown Beast qui se sont semi-sédentarisés le long de l’Azurerain.
Le site est régulièrement l’objet de raids d’aventureux pirates tharbriens et de nomades karzuluns 1. Une grande invasion de ces derniers éradique pratiquement la population locale en 3185, obligeant les survivants à s’enfuir dans la Dyrfirwall. Selon une légende karzulune, ceux qui sont capturés deviennent des esclaves chargés de construire une fabuleuse Cité d’Ivoire dont la matière serait prise sur des cachalots ou des éléphants. Une part importante de l’ivoire aurait cependant été apportée par des cultistes d’Orcus ou de Demogorgon, qui les auraient reçus de démons l’ayant amenée d’outre-monde.Après deux décennies d’effort, une énorme tempête se serait abattue sur la baie, démolissant les constructions, balayant les chantiers, éparpillant hommes, navires et maisons. Cette catastrophe aurait persuadé les karzuluns d’une hostilité divine à leur projet les conduisant à retourner dans leurs déserts et montagnes après avoir immergé l’ivoire dans la baie de Dahute pour apaiser les dieux.
Au XXXIIe siècle des navigateurs uiro-berviks venus de l’île de Blackwell pillent plusieurs fois le village. Après l’avoir pratiquement rasé ils décident de s’y installer pour en faire une étape maritime. Pour cela, ils déplacent le peuplement depuis l’embouchure du fleuve vers le sud afin d’éviter l’ensablement du port par les alluvions de l’Azurerain. Ils transforment rapidement cette nouvelle Tarantis (qui deviendra l’actuelle et définitive) en bourg fortifié afin le défendre contre les karzuluns. Leurs druides sont les premiers à organiser de manière rationnelle et protectrice l’exploitation de la Dyrfirwall.
Par la suite, le bourg doit composer avec de multiples invasions conduisant parfois à se réfugier dans l’île de Shillelah après que les elfes falinorë en soient partis. Ils y découvrent l’ironwood, qui fera la fortune de leur construction navale qui va permettre l’émergence d’une flotille capable protéger le bourg des invasions venues de la mer. Combinée à l’érection de murailles fortifiées, cette protection permet au bourg de se développer substantiellement à compter de l’an 2550.
Ses marchands, qui tirent leur prospérité du commerce fluvial, comprennent rapidemenet l’intérêt de contrôler les abords de l’Azurerain jusqu’au plus loin possible en amont. Le premier effort expansionniste des Tarantins va donc porter sur la sécurisation du fleuve qui est navigable jusqu’aux chutes de Mooren, où commence le plateau des steppes désertiques du Karzuluth. Il s’agit aussi d’étendre l’exploitation de la Dyrfirwall à la forêt du Crying Wood, où abondent les tecks, cèdres et les chênes rouges, voire à la magnifique hêtraie du Wise Pillar (ainsi nommée en raison treant géant qui la gouvernerait).
Cet effort va durer des siècles pendant lesquels le bourg reste néanmoins soumis aux autres puissances régionales et notamment aux raids des Karzuluns qui envahissent régulièrement son hinterland. Le contrôle par les Tarentins se limite alors à l’établissement de comptoirs sur le fleuve : Surintal, Château de Voltar également appelé Twin Rivers, Urillus-Elos, Lakish et sa forteresse de Lakshar aux confins de la forêt du Wise Pillar.
C’est après l’unification du Tangut, en 4045, que Tarantis reçoit enfin, sous l’Empereur Arundel, une importante aide militaire qui lui permet de s’assurer définitivement la possession de la basse Azurerain. De l’établissement de ce contrôle sur la vallée du fleuve va faire naître une puissance humaine politique et économique stable et de premier plan dans une région qui n’en comportait alors aucune.
Arundel a en effet choisi de faire de Tarantis, Starstone et T’lan les trois piliers de la maîtrise impériale sur la péninsule ghinoréenne, c’est à dire quasiment la moitié de son empire. Ces trois villes sont alors des républiques de fait qui sont gouvernées et administrées par des conseils locaux d’anciens, d’hommes libres, de guerriers, artisans, marchands. Ce choix d’Arundel de favoriser des pôles citadins plutôt que nobiliaires évite à la région une structuration féodale qui prévaut souvent ailleurs. Il détermine l’avenir de la cité de Tarantis qui en gardera une durable reconnaissance envers la couronne impériale.
Au XLIIIe siècle le Bailli Fyurtig, nommé par l’empereur Zando II, organise les infrastructures et l’intégration administrative de Tarantis au Tangut. Son oeuvre forme les prémisses de ce qui deviendra l’état tarentin.
Vers 4355 abordent en Tangut des réfugiés kelnoréens qui ont traversé tout le continent en cherchant à fuir le plus loin possible des invasions de Hornst et de ses héritiers. L’empereur Albéric Ier accueille à bras ouverts cette population réputée pour être intellectuellement éclairée et envoie la plupart dans le tarentin où se trouvent des terres et des peuplades à organiser socialement et surtout économiquement. Les kelnoréens vont ainsi s’employer à apporter à ce coin de Tangut des principes de civilisation hérités de leur lointain pays d’origine, relayant la politique des baillis et finissant même par les supplanter. Ils sont notamment à l’origine de la sédentarisation des Paldoriens de l’ouest des Glowworms, ce qui formera la province de Jarmeer. Ils aménagent la navigabilité de l’Azurerain, compilent les coutumes et lois locales modifiées par leurs propres concepts, et introduisent une agriculture intensive et rationalisée. S’éloignant des forêts ou de la vallée du fleuve, ils fondent de grandes propriétés organisées pour la production de bétail et de céréales mais aussi de thé, d’agrumes ou de sucre.
Dans un second temps, ils s’implantent vers l’est, franchissant les collines de Filthenor jusqu’aux confins de la chaîne du Terad Range. Là ils rencontrent les Karzuluns méridionaux, nomades dont le camp central s’appelle Ganzir-Galad. La bataille de Ganzir-Galad est mal connue mais elle débouche sur un triomphe des kelnoréens. Ceux-ci fondent la Communauté de Ganzir-Galad qui revendique toutes les terres entre l’Azurerain et les Terad. Ce grand territoire aux contours incertains formera bientôt la province orientale de Tarantis.
Sous l’impulsion des kelnoréens, Tarantis prend la forme d’un Etat — plus exactement d’une cité-état — fondée en 4401, officiellement sur proposition du bailli Artakinos, en réalité inspirée par une douzaine de familles, la plupart kelnoréennes. Cet Etat est constitué de deux provinces : au nord Jarmeer, au sud et à l’est Ganzir-Galad, et d’un territoire domanial directement sous sa juridiction qui comprend la ville, la baie de Dahute, la forêt de Dyrfirwall et le fleuve Azurerain avec sa vallée et ses comptoirs. Le régime consiste en une république oligarchique dirigée par un Grand’Conseil de nobles issus de ces familles qui seront ensuite rejoints par toute personne capable se tailler une place.
La conception kelnoréenne du pouvoir politique prévoit toutefois une double tempérance à la toute-puissance du Grand’Conseil.
D’une part les nobles, personnes qui ont un titre, détiennent une propriété foncière et exercent un devoir de maintient de l’ordre et de protection d’un territoire, possèdent un droit de veto temporaire de deux ans sur toute mesure politique de l’autorité centrale.
D’autre part, le peuple peut spontanément se réunir en agoras : assemblées locales réunissant tous les hommes et femmes libres et pubères d’un territoire, village, fief. Cette agora peut exercer le même droit de veto que les nobles ou le renouveler.
Enfin, au plan national, l’agora de Tarantis relayée par au moins la moitié des fiefs ou villages peut nommer un consul chargé de prendre, amender ou invalider une loi à la place du Grand’Conseil.
L’esprit et parfois la lettre de ces institutions traverseront les siècles pour demeurer encore aujourd’hui fondamentales à la constitution tarantine.
Horrifiés par ce qui arrive au Kelnore sous les Seconds Héritiers au XLVIIe siècle, la ville s’oppose obstinément à la magicienne Iggwilv qui caressait l’idée d’en faire sa capitale. Celle-ci a l’intelligence de ne pas donner l’assaut et de passer au large, préférant employer Tarantis comme base neutre où elle se rend fréquemment incognito. Elle perd toutefois toute influence lors de la submersion du Kelnore par sa consoeur Iauwë.
Malgré cela, en 4626, l’empereur Albéric III détruit la moitié de la ville sous le prétexte de traquer les éventuels serviteurs ou adorateurs abyssaux qu’y aurait laissé la sorcière. Le fait est que la démonologiste s’est acoquinée avec nombre de cultes démoniaques dans l’ensemble de la péninsule ghinoréenne et même alentour (Orcus, Zuggtmoy, Graz’zt, Tharizdun…) mais guère à Tarantis même, qui au surplus n’y est pour rien.
Ce traumatisme est amèrement ressenti par les tarantins d’autant qu’il est suivi d’une loi martiale pesant sur la ville pendant près de dix ans. Par la suite, les choix fiscaux d’Albéric III favorisent les grands propriétaires terriens mais désavantagent considérablement les marins ; du coup, ceux-ci prennent au sens propre comme au figuré le large. En quoi ceux de Tarantis ne sont pas les seuls et de nombreuses fraternités, compagnies et autres sociétés de pirates apparaissent alors sur les côtes et dans les îles du pays.
Au cours de la All Wizards War, la cité commissionne, chèrement, des mages pour sa défense ; elle affronte quasiment seule le sorcier Math dit « le demidieu ». Elle réussit pareillement à faire face à l’inattendue expédition du sorcier prétendument immortel Zertun Garygorne qui avait décidé de s’en prendre à Tarantis par, semble-t-il, jeu, ou peut-être pour profiter à titre personnel d’un effondrement escompté du régime impérial. Le ville y gagne la réputation d’avoir résisté à deux demi-dieux et d’être ainsi imprenable.
Malgré ces vicissitudes, Tarantis demeure jusqu’aux alentours de l’an 4700 une des pierres angulaires de l’empire de Tangut sur la Mer des Cinq Vents. Elle reste loyale à la couronne en souvenir d’Arundel plutôt que d’Albéric III et joue son rôle de grande place navale, militaire et commerciale. Elle a développé ses relations maritimes avec d’autres ports d’importance tels Valon, Rallu, Csio, T’lan, Viris et Starstone sa rivale de toujours.
C’est principalement cette rivalité qui va conduire Tarantis, qui a toujours été d’une exemplaire fidélité à la couronne, à s’aligner sur le parti de l’impératrice Bérénice en reconnaissant l’autorité centrale de Viris lors de la crise de 4698. Cette crise est à l’origine des guerres civiles qui mèneront à la fin de l’empire. Cette décision, dont la portée ne fut sans doute pas mesurée dans toute son ampleur à l’époque, bouleverse le destin de la Cité-Etat.
Il eût en effet suffit que Tarantis refusât de rejoindre l’alliance de l’impératrice pour que celle-ci ne puisse nourrir aucun espoir sérieux de l’emporter. Ce qui a permis l’aventure de Bérénice de Tangut est la chance que lui ont donné les tarantins en décidant de se ranger à son côté. Mais aussi, sans le savoir ni le vouloir, Tarantis s’ouvrait ainsi en grand les portes de son propre destin.
En 4700 les forces tarentines alliées à l’impératrice se mettent en marche sous le commandement du général Hyvor Kostonar. Elles vont balayer le Kishar et le Dahraun avant de pénétrer en Valoner et en Ghinorea où elles se retrouvent seules face à toute l’armée de Valon qui est commandée par l’excellent Gaston Pelunas. Les tarantins ne peuvent avancer plus loin et prennent leurs quartiers dans les Overdoom Mountain. Ayant plus qu’amplement tenu leur rôle en mobilisant la quasi-totalité des forces valoners, l’armée tarantine attend que viennent depuis l’autre côté de l’Uther Pentwegern Sea ses alliés impériaux qui prendront l’ennemi à revers.
Les tarantins attendront longtemps. Entre-temps, leurs longues lignes de communication sont menacées par les alliés de Valon : Ghinoréens, Dahrauniens, elfes de Kishar, nains Kosthianz. Et plus loin au sud ou encore à l’est arrive la République d’Avros, qui répond aux appels au secours de Starstone et mobilise l’Ostianne. De facto, si les choses continuent ainsi, ce seront Avros et Valon qui tireront les marrons du feu où rôtira un dindon appelé Tarantis.
Il apparut alors au tribun2 demi-elfe Beluor, chargé de la diplomatie tarantine, que la coalition d’intérêts pour abattre l’Empire de Tangut, bouc émissaire de pas mal d’ambitions particulières, était trop forte et allait l’emporter. Sous son influence, les grand’conseillers décidèrent qu’il était désormais temps de choisir le bon côté : le leur.
Ils ne sont pas les seuls : en fait, chaque composant du Tangut va reprendre ses billes et ses intérêts dont on s’apercevra bientôt qu’ils sont souvent conflictuels. Seul l’empire pouvait masquer et apaiser l’acuité des dissensions entre ses territoires. Dès 4701 il est devenu évident aux yeux de Beluor que l’empire agonise et que les rivales mortelles de Tarantis s’appellent Starstone et Valon.
Cependant, Beluor a aussi retiré des palabres du Grand’Conseil la conviction qu’une assemblée mélangeant des nobliaux satisfaits de leurs esclaves et de leurs domaines à des négociants pépères principalement soucieux de leurs compagnies d’armateurs ou de commerce n’est pas apte à faire efficacement face à ces temps troublés. La conscience qu’a ce grand homme des réalités et internes et externes à son pays sera la base des succès tarantins obtenus au cours de l’effondrement de l’empire de Tangut et de facto grâce à lui.
On ignore par quels moyens, sans doute peu recommandables, Beluor réussit à faire introniser son vieil ami Jaros Ziriakos en qualité de consul avec les pouvoirs temporaires d’un tyran. Ziriakos, un excellent capitaine naval, devient en quelque sorte le bras armé de la politique de Beluor. Il réunit et au besoin saisit tous les navires tarentins. Cette flotte considérable est envoyée en Dahraun où elle attend les premiers signes de l’hiver, avec ses pluies et brumes, pour discrètement embarquer l’armée de Kostonar qui décroche de sa ligne de front face à Valon, laissant à peine trois compagnies pour faire illusion. La flotte repart immédiatement, traverse du nord au sud toute la mer des Cinq Vents et débarque l’armée qu’elle transporte devant une Starstone médusée qui tombe dès le premier assaut. La ville est brûlée, sa contrée pillée et les avrossians perdent leur principale base. Les tarentins repartent aussitôt avec un énorme butin dont une bonne part de la flotte starstonienne.
Puis, rajoutant l’audace à l’audace, Ziriakos redébarque l’armée de Kostonar en Dharaun exactement là où il l’avait embarquée. Pendant ce temps, avrossians et valoners en sont encore à apprendre la chute de Starstone. Le contingent tarentin reprend comme si de rien n’était sa place dans les Overdoom , face à l’armée de Valon qui n’a pas bougé et lui lui fait toujours face. Ainsi Tarantis continue de servir son alliance avec l’impératrice en espérant qu’elle veuille bien finir par déboucher un jour elle aussi en Valoner.
Ziriakos a appliqué un raisonnement de raider à une campagne militaire classique, employant la vitesse de déplacement maritime au lieu de la lente progression d’armées terrestres dans une configuration géographique et météorologique qui s’y prêtait parfaitement. Cette combinaison novatrice entre efficiences navale et terrestre est à la base de la culture militaire tarentine ; depuis, les tarantins y excellent comme personne, à l’exception de la République d’Avros.
Cependant la mort de l’impératrice Bérénice fait comprendre à Beluor et Ziriakos qu’il est temps d’arrêter les frais sur terre. En signe d’apaisement, Ziriakos démissionne, laissant Beluor et le conseil de Tarantis conclure un armistice avec Valon qui ne sert en réalité qu’à rediriger Tarantis vers une nouvelle vocation de grande puissance navale. Deux ans plus tard, Ziriakos est de nouveau intronisé Grand Amiral de Tarantis.
Toutefois, aussi importante soit-elle, la flotte tarantine ne peut durablement agir seule dans la mer des Cinq Vents. Elle a seulement atteint une taille suffisante pour décourager toute offensive ennemie, qu’elle soit étatique ou pirate. Or si Avros a subi un revers logistique, sa marine de guerre demeure intacte et surpuissante et la République Maritime compte bien l’employer à venger la chute de Starstone.
Conscient de e danger, Ziriakos dépense une grande part du butin ramené de Starstone pour convaincre de nombreux pirates, indépendants et même des royaumes îliens comme Croy ou Blest de rallier sa cause ou d’opérer comme ses corsaires ; dans le même temps, Beluor intensifie au maximum la construction navale à Tarantis. Mais même en tenant compte du renfort de pirates, d’alliés et de nouveaux navires, il n’existe qu’une seule marine de taille à protéger Tarantis : celle de Vizan. Ziriakos l’a compris de longue date et Beluor a multiplié les ambassades non point auprès du trône de Jade mais, habilement, auprès de ses subordonnés : amiraux, marchands, capitaines maritimes, qui promeuvent activement l’opportunité d’une amitié avec Tarantis à laquelle ils sont directement intéressés grâce aux prébendes que les tarantins leurs versent et promettent.
Grâce à ces manoeuvres, une grosse escadre vizaner entreprend de patrouiller au large de Blest pour des manoeuvres coordonnées avec la flotte de Tarantis ce qui suffit à paralyser l’action des avrossians en faisant peser sur leur flotte la menace d’être prise à revers sur ses lignes de ravitaillement dès lors qu’elle s’aventurerait en mer des Cinq Vents. Mais c’est surtout la subite intervention du roi Einrik de Farxel en 4704 qui, en désorganisant toute la diplomatie avrossiane, offre aux tarantins une victoire aussi chanceuse que stratégique. En effet, afin d’éviter de passer pour le supplétif du monarque farxlan, la République Maritime décide de cantonner sa flotte à l’océan du Ronairon, avec Starstone pour limite de rayon d’action. Ce qui laisse à Tarantis les mains libres dans la mer ces Cinq Vents : or elle ne demandait rien d’autre.
Quelques mois plus tard, la mort du dernier empereur Aragloen de Tangut, faussement attribuée au roi de Farxel, donne à Ziriakos et Beluor l’occasion de renouer une alliance avec Csio et Viris. L’accord de coalition confère aux tarantins la haute main sur l’ensemble des forces navales. Beluor reçoit enfin les moyens d’atteindre l’ensemble de ses objectifs ; car si Starstone est hors de combat et ses alliés avrossians devenus spontanément impuissants, il reste encore Valon, dernier vestige d’une puissance centralisatrice du Tangut. Si celle-ci est éliminée, alors tout l’est du Tangut, l’entière immense péninsule ghinoréenne, ne sera plus que l’affaire des seules Avros et Tarantis.
C’est pourquoi Beluor et Ziriakos conçoivent la vaste alliance regroupant leurs marines et celles de pirates et de corsaires en coordination avec les hordes humanoïdes du Ghinorea et l’armée d’Ermanarik de Csio, qui va porter le coup de grâce à la Valon impériale, envahie par gnolls et pirates le 5 Balance 4704. Après quoi, le tandem tarantin regarde tranquillement l’empire s’effondrer sur lui-même. Le Tangut devient un champ de ruines dont seules émergent intactes et puissantes les cités et territoires de Csio, Viris et Tarantis.
Ainsi commença le règne naval de Tarantis sur le Tangut. Les habiles corsaires de Warwik, les drakkars d’Ossary et Searune, l’imposante flotte blestoise, les efforts de rétablissement de Startone soutenus par Avros, les tentatives navales de Csio et de Modroner, les réunions de marins des îles, les alliances de pirates : rien n’y fait, rien ne supplante durablement Tarantis dans les mers intérieures et extérieures des Cinq Vents. Elle seule peut réunir plus de trois cents navires prêts au combat en un claquement de doigts et le double en à peine quinze jours. Son pavillon noir et rouge est le maître des eux du Tangut central.
De leur alliance de fait avec les vizaners, les tarentins apprennent la technique du calfatage par huile de tang, un arbre relativement rare qui ne pousse qu’en climat chaud et généralement dans la jungle. Ses noix, une fois pressées, fournissent une huile qui, après raffinage, devient en séchant un enduit étanche qui ressemble à un vernis et s’avère particulièrement lisse et résistant. Cette technique, initialement découverte à Gwaliore, pratiquée à grande échelle en Vizan et Zevjapuhr est importée par Tarantis qui va commissionner des expéditions dans les diverses jungles méridionales du sous-continent tangutien afin d’importer les précieuses noix de tang. Les alchimistes de Malikarr amélioreront la recette vizaner en y mêlant des réactifs qui permettent d’obtenir davantage d’enduit avec moins de matière première.
Grâce à cette technique, la construction navale tarantine jouira d’une enviable réputation : les navires construits à Tarantis présentent des qualités de solidité supérieures à tous leurs homologues tangutiens. Leur construction en teck et parfois en ironwood revêtus de tang leur donne une teinte et même un éclat reconnaissable au premier coup d’oeil.
D’autre part, la marine marchande tarentine va astucieusement se doter d’une foultitude de grandes jonques à dérive amovible, qui présentent l’avantage d’une exceptionnelle fiabilité, d’une grande maniabilité et d’un très faible tirant d’eau ; ces navires sont ainsi très appropriés à remonter les fleuves, ce qui rend particulièrement aisé d’accéder à Briarwood par l’estuaire de la Roglaroon et va permettre à Tarantis de capter une part importante du commerce csiossan. Deux impressionnantes jonques de combat à quatre mâts, la Kelnoria et la Grand-Fyurtig, formeront longtemps les navires-amiraux de sa flotte.
Mais aussi, à partir de cette époque et ainsi que l’ont voulu Beluor et Ziriakos, aucune puissance terrestre ne peut inquiéter Tarantis dans la péninsule ghinoréenne, Certes à peu près tout ce qu’elle compte de voisins : Kishar, Valon, Starstone, l’Ostianne sous influence avrossiane, la jalouse ou désteste. Mais en réalité seuls les nomades, humanoïdes ou monstres des Glowyrms, du Karzuluth, des montagnes du Terad ou encore de la jungle d’Ebène (au sud de Revelshire) sont des menaces, parfois sérieuses mais pratiquement toujours sporadiques. Le fait est que, rapporté au reste de Derenworld, tout se passe comme si Tarantis représentait le principal pouvoir sur des terres d’une superficie équivalente au Vizan.
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En 4711, Beluor et Ziriakos règnent sur le Grand’Conseil de Tarantis. Ils ont eu l’intelligence de ne pas heurter de front la puissance avrossianne , de se montrer conciliants, de proposer à Starstone un traité d’amitié incluant le cantonnement de la navy tarantine à la Mer des Cinq Vents et de tenir parole ; tant et si bien que finalement, les Starstonians commencent même à tenir Tarantis pour une puissance pouvant équilibrer les puissantes influences d’Avros, Csio ou Viris dans l’ex-empire.
Toutefois, tout en tenant parole, Tarantis va protéger et couvrir un système de piraterie qui contribuera substantiellement à sa fortune. Les pirates trouveront en effet tous les débouchés et marchés qu’ils souhaitent à Tarantis où ils peuvent tranquillement opérer le blanchiment de leurs prises. Seuls les Sea Kings de l’île de Blest résistent dans un premier temps à ce système avant de conclure finalement un arrangement avec les pirates en imitant plus ou moins Tarantis, à laquelle ils font assez habilement porter le chapeau en cas de récriminations des victimes commerçants ou armateurs.
Pour Tarantis, c’est un peu le jackpot. Elle peut bien laisser Blest s’imaginer sa rivale quand son commerce représente plus cinq fois celui de Rallu et le double de celui de Starstone. A partir de 4720, non seulement la Mer des Cinq Vents mais tous les océans au large du Tangut sont rançonnés ; les pirates poussent jusqu’à T’lan ou même Athnaïs. Les puissances avoisinantes mettront un demi-siècle à comprendre ce qui se passe et un autre demi-siècle à remonter la filière jusqu’à établir le rôle de Tarantis dans ce système. Entretemps, la prospérité de Tarantis a grandi et s’est établie de façon définitive. La ville y a gagné une apparence et l’Etat une solidité qui ne changeront plus.
En 4744 pourtant, les Starstonians, lassés de voir leur commerce drainé par les exactions des pirates, appellent au secours leur « maison-mère » Avros qui envoie une flotte nettoyer les environs. Peine perdue : dès les marins d’Avros repartis, le piratage reprend de plus belle. En 4752, c’est le Vizan qui s’y colle, suivi en 4760 du Farxel, puis en 4766 d’une nouvelle expédition avrossianne. A chaque fois, Tarantis fait le dos rond, laisse quelques pirates se faire surprendre, maquille temporairement la plupart des autres et le processus reprend bientôt comme à l’ordinaire. Csio, Thunderhold ou Starstone peuvent bien râler, les marins de Warwik, Modron, Ossary ou Valon peuvent bien crever de jalousie, la prospère république de la Cité-Etat de Tarantis, solidement appuyée sur le recyclage du banditisme marin et des alliances d’intérêt bien compris avec Viris et Rallu, est bien la reine des mers du Tangut. Et c’est précisément ce qui l’empêche de voir ce qui la menace.
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1 —Les Karzuluns sont un peuple ou plutôt des peuplades humaines nomades, de physique souvent brun et mince, qui résistent aujourd’hui à la sédentarisation. De nombreux karzuluns se sont toutefois sédentarisés par le passé en Tlanner ou Tarentine où ils se sont mêlés à la population. Les Karzuluns sont typiquement de grands mystiques. Ils tiennent que le Tangut oriental fut le lieu où les dieux résidaient en Ellgebir et que la véritable fidélité envers ceux-ci implique de vivre et demeurer libres comme les dieux le sont eux-mêmes. Il a été prouvé qu’ils ont été visités par plusieurs dieux ou héros divins mais aussi des princes démons et nombre d’escrocs ou d’aventuriers se faisant passer pour des divinités. Ils sont connus pour avoir bâti des cités saintes, la plupart secrètes, notamment dans le désert. Ils forment l’une des principales souches humaines de la péninsule ghinoréenne avec les ghinoréens et les maztiis. Ils peuplent notamment le Karzuluth, les Glowyrms, les collines des Tupimare et la chaîne du Terad Range. Leurs connaissances de la nature, de la géographie, des plantes et des animaux locaux sont généralement très avancées, ce qui en fait l’un des plus cultivés des peuples dits barbares. Ils considèrent les terres sédentarisées, en Tlanner ou Tarentine, comme des buts de pillage. Réciproquement, ils considérés comme une importante ressource par les marchands esclavagistes. ↑
2 —le tribunat est composé de ceux qui ont accès à la tribune du Grand’Conseil : en pratique, l’exécutif de celui-ci. Composé de 5 membres chacun chargé d’un domaine de compétence : commerce et trésor, amirauté, police et armée, justice et lois, diplomatie. Le tribunat nommait annuellement deux consuls ayant pouvoir d’exécuter des missions précises dans des domaines limités. Le tribunat était renouvelé tous les trois ans par le Grand’Conseil. ↑