Tarantis – 3 : la maison Pashavun

31 mai 2021 par Kazz → Atlas

HISTOIRE DE TARANTIS (suite)

De façon générale, on pourra utilement se reporter aux pages suivantes : 
Le Tangut : présentation générale , Territoires du Tangut et Cartes
Histoire du Tangut – 1 : l’antiquité et le pré-empire , Histoire du Tangut – 2 : de la naissance à l’apogée de l’empire ,  Histoire du Tangut – 3 : la chute de l’empire , Histoire du Tangut – 4 : La restauration de Wohrm et la Croisade de Stephen
Tarantis – 1 : Présentation, origines, période impériale , Tarantis – 2 : les premières dynasties royales , Tarantis – 4 : règnes récents et actuel

Etendue (en rouge) de l’actuel territoire de Tarantine au sein du Tangut (clic pour visualiser la carte complète)
Etendue détaillée de l’actuel territoire de Tarantine (clic pour agrandir)

La maison Pashavun

Pashvuntalam, le beau-frère du roi Hadrick, est parmi les premiers à avoir tenté de le secourir. Junivoy, sœur cadette du roi, qui l’appelait sa petite chérie, a épousé cet étrange type ; beaucoup tiennent cette union pour une mésalliance mais qui aurait pu penser que les deux fils de Radgar disparaîtraient en à peine deux ans ?
Hadrick laisse une reine, Swiatella, et deux filles en bas âge. Le Grievious n’a pas eu d’enfants. Ces conditions suffiront-elles à ce que ce noiraud devienne le nouveau roi au seul motif qu’il a réussi à séduire la sœur du dernier ? La reine Swiatella s’y refuse absolument. Hors de question qu’elle cède le pas à un parvenu étranger parce qu’il aurait trouvé le chemin du lit de sa belle-sœur. A quoi Junivoy n’hésite pas à répondre que le défunt monarque trompait son épouse avec tout ce que Tarantis compte de femelles.
La nuit même de la mort de Hadrick, alors qu’on commence d’embaumer son cadavre, la reine son épouse et la princesse sa sœur s’échangent répliques puis invectives avant d’en venir aux mains, la première pour proclamer sa régence, la seconde pour imposer son mari. Les gardes hésitent, ne savent que faire, n’osent pas prendre parti. Alors que Sviatella a le dessus et entreprend d’étrangler sa belle-sœur, des invités se décident à séparer les combattantes et c’est alors que la reine s’effondre tandis que s’élargit une tache de sang dans son dos. Dans la confusion, personne ne sait qui a porté le coup de dague. On se recule, horrifié. Junivoy profite de la stupéfaction pour se ruer sur la reine blessée afin de l’achever. Elle est rattrapée et maintenue par des serviteurs et gardes enfin décidés à intervenir. Sviatella demande en murmurant qu’on exécute Junivoy, Junivoy exige qu’on la libère et une bataille générale éclate. Certains s’enfuient, d’autres s’empoignent, on croise le fer entre les musiciens affolés, les serviteurs qui décampent, les esclaves en panique. Des cris de rage ou de douleur éclatent de partout, on requiert la garde, on appelle au secours, on crie à la trahison et le désordre et la confusion s’emparent du palais entier. Le bruit parvient jusque dans la chambre royale devenue mortuaire où les embaumeurs s’affairent encadrés par des prêtres de Dyonisos, d’Osiris et de Hel. Pashvuntalam veille le cadavre de son ami et défunt monarque en compagnie du chambellan du Palais, du Haut Sage Royal et des ministres du territoire, du commerce et des affaires étrangères lorsque le capitaine de la garde entre tout de go pour les informer de la situation. Impavide, Pashvuntalam déclare : « Messieurs, il faut mettre un terme à tout ceci ou nous aurons une guerre civile. J’étais le chef des conseillers de Sa Majesté, nous représentons ici la moitié du ministère royal. Me reconnaissez-vous pour roi ? Et vous, Bienheureux Grand Prêtre de Dyonisos, acceptez-vous la succession ? ».

Ce fut la chance de Tarantis que Hadrick ait su choisir des hommes de sang-froid, compétents et pragmatiques pour l’aider à gouverner. Pashvuntalam était l’un deux, fort apprécié par son royal beau-frère qui l’avait choisi pour premier conseiller. Tous comprirent que le royaume avait tout à perdre d’une vendetta familiale. Accompagnés du Bienheureux Grand Prêtre de Dyonisos, ils sortirent ensemble, serrés les uns contre les autres, en exigeant qu’on s’incline devant le roi Pashvuntalam de Tarantis, avec pour seule arme le gong sonnant le glas du défunt Hadrick dont le Haut Sage Mortissos s’était emparé des mains d’une prêtresse de Hel passablement scandalisée et sur lequel il tapait régulièrement pour annoncer la procession royale. Celle-ci fit l’effet d’une douche froide sur tous ceux qui la virent. L’excitation tomba d’un coup. On mit bas les armes. Les invités, bourgeois, nobles ou dignitaires s’inclinèrent. Serviteurs et esclaves se prosternèrent. On évacua la reine blessée. Junivoy rejoignit le bras de son mari. Et la succession put se dérouler sans encombre en consacrant l’avènement d’une dynastie à laquelle le nouveau roi donna son nom.

Par la suite et pendant des années des échoppes tarantines proposèrent secrètement à la vente le Sangrei, fameux vin de la piscine où avait défuncté l’infortuné Hadrick, qui n’avait pas été perdu pour tout le monde ; sa cote atteignait, dix ans plus tard, 250 pièces d’or l’amphore. 

Pashvuntalam the Swift

Pashvuntalam est appelé the Swift car il était en effet à la fois prompt et habile. Il lui arriva d’ailleurs de jongler avec des dagues au milieu de sa cour pour la distraire. On le disait prompt à toute chose et que ses ennemis feraient bien de commencer par s’en souvenir.

La façon dont il se débarrassa de Swiatella en est l’illustration. Il parut à tous évident qu’il fallait expulser la reine douairière de la capitale où sa haine l’entraînerait inévitablement à fomenter des complots contre le nouveau couple royal. Pashvuntalam acquiesca et condamna Swiatella au bannissement tout en lui proposant de financer un exil à Valon, Tula ou Avros à son choix. Mais Swiatella n’eut pas le temps d’accepter : malgré l’excellence des soins qui lui étaient prodigués, ses plaies s’infectèrent et elle mourut en trois jours. Il ne fut pas difficile d’apprendre qu’un individu s’étant fait passer pour un clerc médecin avait imbibé de poison les emplâtres censés soigner la reine. En revanche l’identité du meurtrier et de son commanditaire ne put jamais être établie de manière officielle. Trois ans plus tard, la Haute Juge Todora déclara qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre une enquête de police décidément infructueuse. Il s’agissait de la même Todora qui avait confirmé la régularité l’accession de Pashvuntalam sur déclaration des prêtresses de Hel, religion qui était d’ailleurs la sienne.

Pashvuntalam régna en étroite relation avec sa épouse Junivoy. Il traita son royaume d’une main douce et légère, se reposant sur son Conseil et sur celui de l’Association des Marchands. Son surnom vient aussi de la promptitude avec laquelle il disparaissait du jour au lendemain de son palais pour se mêler incognito à la foule aussi bien dans la ville que dans le port, mais aussi dans les terres, les villages, tel un simple voyageur aux allures de commis, de colporteur ou de pèlerin. Il en revenait nanti du fruit de ses observations, tel un agent de son propre gouvernement. Cela lui permit à plusieurs reprises de prendre ses propres ministres en faute en démontrant que leur politique ne produisait pas les effets attendus ou dénonçant leurs carences à bien l’exécuter. Les ministres récidivistes étaient traduits en Haute Cour et châtiés avec le roi pour témoin.

Il resta toujours extrêmement discret, voire secret, sur ses innombrables voyages. Personne ne savait où il se rendait à la seule exception de la reine Junivoy, à qui il remettait ses pouvoirs en son absence. Sous son règne, le gouvernement du pays reposa ainsi sur la dualité du roi et de la reine complémentaires l’un à l’autre. L’histoire de Tarantis offre plusieurs exemples, souvent réussis, d’une telle répartition entre un roi par exemple diplomate ou militaire ou marin, et sa reine – ou parfois un favori – davantage tournés en compensation vers le quotidien, le terrestre, l’administration et le financier. 

Pashvuntalam en 4978 (au moment de son mariage ; le portrait est avantageux pour le sujet).

Il fallut bien du temps après sa mort pour percer les secrets du mystérieux Pashvuntalam et apprendre qu’il était en réalité le fils d’un humble pêcheur de la côte jarmeerienne, d’ascendance vizaner, qui était monté tenter sa chance à Tarantis où il était devenu membre des Neveux d’Yekat, autrement dit : un voleur. Grâce à ce travail assez particulier il avait réussi à amasser une petite fortune lui permettant de passer pour un lettré, ce qui correspondait en réalité à sa vocation profonde. Jouant un rôle d’homme d’armes assez cultivé pour devenir intendant, il était ainsi entré au service des Nergal où Hadrick l’avait découvert lors de l’exil de la famille royale sous le règne d’Hedarick the Grievious. Séduit par son envie d’apprendre, le futur roi l’avait emmené quelque semaines étudier avec lui au collège du Prince, comblant ainsi le plus cher désir de son protégé. Puis, par ce trait singulier qui conduit à prendre en particulière affection ceux à qui l’on bénéficie particulièrement, Hadrick en avait fait son ami et confident dont il ne se séparait plus. Le calme et la douceur de Pashvuntalam compensaient la volubilité et l’hédonisme de son prince. Ce que remarqua Junivoy, dotée d’un goût et d’un tempérament assez proches de ceux de son frère, et qui tomba amoureuse de son protégé au point de l’épouser avec la bénédiction de Hadrick devenu roi. Aucun ne se doutaient qu’ils faisaient ainsi entrer dans la famille royale un ancien voleur de bas étage.

Or ce fut tant mieux pour Tarantis : les historiens sont unanimes pour considérer que le couple Pashvuntalam et Junivoy gouverna excellemment leur royaume, de façon pacifique et soucieuse du bien-être général. 
Pashvuntalam renforça les traités d’alliance entre l’Empereur de Viris et le royaume de Tarantis ainsi que d’assistance navale avec le Vizan. Il séjourna à cet effet à de nombreuses reprises à Tresa et à Gwaliore, où il menait personnellement de longues négociations.
Ensuite, au lieu d’affronter les Karzuluns, Pashvuntalam s’aventura dans leurs déserts, visita des cités et des oasis où aucun roi tarantins ne s’était jamais rendu, et obtint des nomades une longue ère paix contre un assortiment de tributs et d’échanges commerciaux. Il se rendit aussi en Kishar, en Dahraun, à Starstone et T’lan, apaisant les anciennes tensions, dispensant cadeaux et privilèges, assurant chacun du pacifisme de sa politique, impressionnant tous ses interlocuteurs par sa sérénité et son érudition. Il arrivait que le roi, par facétie, se mêle aux étudiants du lycée, expliquant volontiers que le chemin de l’apprentissage ne se termine jamais.
Il parcourait aussi la province de Jarmeer qui l’avait vu naître, en compagnie de son épouse et de ses enfants, s’enquérant des détails agricoles, se faisant expliquer les traditions locales, rendant personnellement la justice. Il professait de n’exclure aucun culte à condition qu’aucun ne s’en prenne à lui ou ses proches ou son royaume. On sut plus tard qu’il était en réalité Trithéiste et n’accordait ainsi guère de valeur aux clergés établis en son royaume.

Jusqu’à la fin de sa vie Pashvuntalam continua à effectuer des expéditions incognito en Tarantine comme à l’étranger tout en conservant des liens avec les Neveux d’Yekat qui lui permettaient d’identifier ses ennemis bien plus efficacement, selon lui, que la police des Cobras.
Le fait est que la quasi-totalité des opposants ou rivaux du roi disparurent les uns après les autres par de malencontreux hasards : une chute inopinée, un accident bête, une apoplexie subite, un malheureux naufrage, une maladie foudroyante… On fut ainsi d’autant plus unanime à louer l’excellence du règne qu’il n’y avait plus personne pour dire le contraire. 

Pashvuntalam fut le premier roi à comprendre que Tarantis pouvait pacifiquement régner sur une une immensité terrestre et maritime sans commune mesure avec la taille de la cité et même celle de son royaume. Il réalisa que l’exercice d’une influence exclusive sur la péninsule ghinoréenne, soit la moitié orientale du Tangut, engendrerait une démultiplication exponentielle de la puissance diplomatique tarantine. Or pour y parvenir, il lui suffisait seulement de s’assurer qu’aucune puissance locale ne supplanterait la sienne ; en d’autres termes, que ni Viris, Starstone, Valon, T’lan, Tulla, Csio ou Rallu ne se mêleraient des affaires de l’est du Tangut.
Pashvuntalam théorisa que la domination tarantine ne procédait pas conquête ou colonisation ni par une suzeraineté ni même par quelque assujettissement à un tribut ou à des lois ; elle opérerait bien plus simplement et efficacement en rendant impossible à toute puissance locale la prise d’une décision qui irait à l’encontre de ses intérêts. A cet effet, il suffirait que cette puissance locale ne soit pas plus forte que Tarantis et ne puisse compter sur un renfort rapide qui le serait. L’intérêt de cette puissance locale lui commanderait alors naturellement de converger avec Tarantis pour peu que cette convergence ne soit ni trop désagréable ni trop coûteuse.

La politique de Pashvuntalam consista donc à conforter la répartition du Tangut entre zones d’influence viristane et tarentine d’une part, à cimenter cette répartition par le sceau vizaner, et à ensuite présenter gentiment, petit à petit, le résultat à Valon, Csio, Rallu et surtout Starstone, afin de dissuader les unes et les autres de se mêler de ce qui ne les regardait désormais pas. Le glissement d’une prédominance maritime et économique tarentine vers une suprématie politique et diplomatique sur le Tangut oriental fut le discret chef d’oeuvre de Pashvuntalam. Il contient l’essentiel de l’ambition et du moyen de la Tarantine de devenir une puissance majeure dans le monde, que ses meilleurs successeurs s’appliqueront à réaliser.
Le moins qu’on puisse dire est que ce fut loin d’être toujours le cas.  

Ozmar the Audacious

Rien n’est plus difficile à un prince que de succéder à un grand roi. Ozmar n’est que le petit-fils de Pashvuntalam, qui aura régné quarante et un ans. C’est son père Pashomar et non lui qui avait été choisi par le défunt monarque et qui avait été formé à sa vision du royaume et à la transition de la couronne. Or si Ozmar a intégré la vision de son prédécesseur, il n’a rien compris de ses méthodes. La vieille Junivoy, noyée de tristesse, n’a pas ni la force d’éduquer le jeune roi ni celle de lui substituer un héritier qu’elle jugerait meilleur ; elle mourra d’âge et de chagrin deux ans plus tard.

Ozmar a décidé qui sera un roi de son temps. En 5023, année de son accession au trône, on a changé et de siècle et de millénaire. Les gentillesses du vieux Pashvuntalam sont d’un autre âge. Le nouveau monarque estime qu’il lui faut laisser une trace de son passage dans la lignée des rois tarentins, à quoi le meilleur moyen consiste à se couvrir du gloire en assurant par le militaire la prolongation de la politique pashavune. C’est pourquoi il fut surnommé l’Audacieux, non sans indulgence : de l’avis général, le Téméraire eût mieux convenu. 

En effet, le bellicisme d’Ozmar se heurte à deux défauts majeurs.
D’une part il s’appuie sur une nation qui n’est plus accoutumée ni préparée à la guerre depuis près de cinq décennies et qui n’en ressent nul besoin. Les centres de pouvoirs tarentins : l’association des Marchands, les Cobras, le Gouvernement, les Neveux d’Yekat, l’Amirauté Portuaire, la justice, les congrégations de cultes coexistent harmonieusement, chacun à sa place et dans son rôle. Personne ne voit l’utilité de s’en aller guerroyer aux frontières ou outre-mer pour se fabriquer des ennemis dont aucun ne demande à l’être.
D’autre part, Ozmar n’est pas et n’a pas le tempérament d’un dictateur. Il n’ose pas et ne veut pas s’imposer aux autres pouvoirs tarentins. Il n’a donc ni les moyens psychologiques ni les moyens matériels de ses ambitions. Ainsi, alors que ses ministres et l’association des marchands lui refusent les subsides dont il aurait besoin pour ses projets belliqueux, il n’envisage ni de remplacer les premiers ni de mettre au pas les seconds. Il ne change pas les taxes, il ne restreint pas les libertés, il ne touche même pas au trésor de l’État. 
Sa seule action d’éclat consiste à remplacer les ministres qui le mettent en garde par ceux de son choix avec pour critère principal sinon unique leur âge. Il veut s’entourer de copains audacieux comme lui, prêts à renverser les tables et même à secouer le monde.     

Dans un premier temps il entame à compter de 5025 une suite de conflits maritimes en employant la seule marine de guerre royale contre Ossary, puis Sea Rune, puis Modron, puis Warwik. Comme les navires privés, corsaires ou pirates, refusent de se joindre à un enchaînement de guéguerres dont ils ne comprennent ni le but ni la nécessité, l’affaire se termine par le désastre de Thrinakia où la flotte de Warwik appuyée par une partie de celle de Valon intercepte et coule la Grand-Fyurtig avec le roi à bord, qui en réchappe de justesse.
Le monarque humilié devient la honte de son peuple et passe longtemps hors de son royaume à la recherche d’une rédemption. Il la trouve en Orisha où il se lie d’amitié avec un mystérieux dragon qui lui aurait permis de connaître le Grand Ver Ancelgorn, fléau du centre du Tangut, et aussi le mystérieux Wulfrikan, dernier roi draconique de Csio, étrangement disparu. Toujours est-il qu’il revient à Tarantis en 5030 nanti de la conviction qu’il lui faut s’appuyer sur les dragons pour rétablir son prestige. Il prône un « orishalisme » relocalisé : le Tangut Oriental fut la terre où les dieux vinrent eux-mêmes avant l’histoire et où ils jouaient avec les dragons auxquels ils confièrent le monde après leur départ. Il convient donc de réunifier cette partie du sous-continent avec l’appui des dragons que l’on va réinstaurer dans leur suprématie.
Il s’agit en fait d’une adaptation au contexte tarantin de la thèse qui sous-tendait l’ancien royaume de Caelia, dont les fondements théologiques sont alors abandonnés depuis quatre siècles. A cet effet, Ozmar invente le Synode Général de Tarantis, réunissant les dignitaires des cultes ayant un lieu consacré dans son royaume en une assemblée chargé de débattre de questions religieuses. En 5032 il convoque le premier (et dernier) Synode auquel il propose donc ce qu’on y appellera pompeusement la gnose draconique du roi Ozmar. 

Les chefs religieux n’y adhèrent pas une seconde mais sont désireux de ne pas froisser le monarque ; ils réfléchissent quelques semaines avant d’aboutir à une solution en déclarant que les succès du monarque démontreront la validité de sa gnose plutôt que l’inverse. Bref, ils sont d’avis que le roi commence par réussir ses projets avant de le reconnaître pour en être le prophète. Ozmar ne se le fait pas dire deux fois. Il réunit son armée et part ravager l’Ostianne et le T’lanner avec l’idée de poursuivre ensuite jusqu’à Tula et d’unifier par la force la péninsule ghinoréenne. Soit l’exact inverse des préceptes d’action de Pashvuntalam.

C’est toutefois une armée a minima : un Vasthrong d’environ deux mille hommes d’armes dont la moitié de mercenaires payés sur les caisses de l’État et du roi. L’association des marchands et les ministres de son propre gouvernement ont convaincu le roi de ne pas mobiliser les garnisons rurales ou citadines qui ne pourraient offrir qu’un appui dérisoire en comparaison de celui qui est attendu des dragons et draconiques, alors que ces garnisons sont fort utiles au maintient de l’ordre et de la sécurité dans le royaume, sans compter les risques d’éventuelles représailles ou traîtrises que la guerre peut entraîner. Le 25 Cancer 5032 Tarantis regarde avec soulagement partir son roi vers de nouvelles aventures, après quoi la vie normale reprend son cours. 

Le premier objectif d’Ozmar est T’lan, où il a donné rendez-vous à ses amis dragons afin de l’aider à prendre la ville. Pour cela il lui faut franchir les déserts des Glowyrms, ce qu’il pourra accomplir grâce à l’aide de tribus karzuluns qui lui sont encore alliées grâce à la politique de Pashvuntalam.
Prendre T’lan lui permettrait de bénéficier d’un important port sur la Dorostan Sea, donc d’y amener sa marine de guerre pour contrecarrer une éventuelle réaction d’Avros. T’lan deviendrait alors à la fois base et tremplin vers une invasion du reste de l’Ostianne en se dirigeant vers Elvenkeep, qu’il compte rebaptiser Dragonkeep et offrir aux dragons. Ses plans grandioses prévoient ensuite d’arriver par la trouée de Wardholm en Ghinorea pour se diriger sur Tulla. 

En attendant, le Vasthrong royal doit remonter l’Azurerain avant de pénétrer dans les déserts des Glow Worms où il est guidé par les Karzuluns vers le nord jusqu’aux collines des Rmoahals Highlands. A la sortie du désert, Ozmar a perdu plus du quart de ses troupes par la soif, la maladie, le manque de nourriture, la chaleur du jour, le froid de la nuit, outre la lancinante question que presque chaque soldat se pose : « qu’est-ce que je fous là ? ». Et il faut encore accomplir la traversée des Rmoahals Reaches, terres sauvages et souvent infertiles, où abondent les monstres, notamment des centaures et goblinoïdes aussi peu avenants les uns que les autres.
Un mois s’est écoulé depuis son départ de Tarantis quand Ozmar atteint enfin le fleuve Wildvine, qu’il compte descendre jusqu’en T’lanner. Il a alors perdu 40 % de son armée par le seul effet de l’attrition. La descente de la Wildvine tourne à la catastrophe. Le fleuve n’est pas navigable, surtout avec un train militaire qui comprend des engins destinés au siège de T’lan. En entrant de la forêt du Semelion l’armée tarantine est prise pour cible par des ogres, des araignées, des guêpes géantes et même des will-o-wisps. Les esclaves qui tiraient le train sont décimés et les soldats refusent de s’y atteler. Un début de mutinerie éclate durant lequel, au cours d’une nuit, le train militaire tout entier est jeté dans le fleuve.
Ozmar n’a plus les moyens du siège de T’lan. Il ne peut pas demander à sa marine d’entreprendre le blocus d’une ville si loin de ses bases et en pleine zone d’influence avrossiane. Et il ne peut pas s’en remettre aux seuls dragons afin d’emporter la cité sans passer ipso facto du rang d’allié à celui de supplétif. Le roi se résoud à comprendre qu’il fait face à un désastre. Il licencie l’armée et l’abandonne, avec quelques serviteurs et gardes, pour repartir dans le désert des Glow Worms, sans doute pour y chercher la mort. 

Or ce n’est pas la mort qu’il trouve mais le vieux dragon bleu Ess’Halodzar, fort intrigué de découvrir ce piètre débris d’une armée qu’il a vue passer au loin quelques semaines plus tôt et qui est venu voir s’il n’y aurait pas quelque chose à en retirer. Le dragon demande au roi de lui raconter son histoire autant par curiosité qu’afin de mieux décider quelle rançon il exigera. Mais lorsque Ozmar termine la piteuse narration de de son règne, le dragon ne peut s’empêcher d’éclater de rire. « Je ne peux rien tirer d’un tel monarque…Ton peuple me paierait plutôt pour le débarrasser de toi ! » finit-il par lâcher entre deux gloussements.
« Eh bien au moins aurai-je une mort glorieuse » répond Ozmar en dégainant son épée pour se ruer sur lui. Mais son épée ne frappe que le vide : le dragon n’est qu’une image.
« Là là, hu hu hu, tout doux votre, ha ha, majesté, hu hu ha ha » hoquète le dragon. « Moi aussi je me suis fait avoir : je croyais que tu valais quelque chose, petit roi d’hommes. Même pas un demi-sequin, nada, rien. Et les autres, là, les Orishaliens, les vélléitaires du grand retour draconique, même à ça tu as marché ? Mais qu’est-ce qu’il t’a appris, ton père ? » fait-il en redevenant sérieux. « Je l’ai connu, sais-tu ? Pashvuntalam n’avait pas froid aux yeux. Il savait que je connais la région, ton royaume, depuis un paquet de siècles. Alors il est venu me voir pour me demander de calmer quelques karzuluns un peu turbulents. Du genre à s’énerver un peu comme toi à l’instant. Mais tu peux peut-être valoir quelque chose si tu m’écoutes au lieu de taper dans le vide comme un ivrogne ».
Par désespoir ou par épuisement ou par lueur d’intelligence, le roi écouta le vieux dragon bleu. 
 « Je vais t’accompagner. Je vais te ramener à Tarantis. Tu entreras dans ta ville sur le dis d’un grand dragon bleu. Crois-moi, personne n’osera moufter. Ensuite, tu me verseras, annuellement, un tribut de mille besants d’or, pendant dix ans. Nous serons quitte ensuite. Si tu es d’accord, je t’expliquerai comment tu vas gouverner et crois-moi, plus personne ne rira d’Ozmar .»

N’ayant pas d’autre espérance, Ozmar accepta. Aussitôt Ess’Halodzar invoqua le Grand Comte Infernal Glasyalabolas et Ozmar jura devant lui de respecter sa parole ainsi donnée. Alors Ess’Halodzar lui expliqua.

« Que le grand et puissant et sage Glasyalabolas nous soit témoin ! Bien. Tu vas t’appuyer sur l’ordre. Tu as déjà l’outil : les Cobras, ta police d’État. Tu en sélectionnes un noyau, une trentaine tout au plus. Tu t’assures qu’ils sont loyaux et pour cela il te faut un culte à tes côtés, un qui ait de la poigne. Tu as déjà ça dans tes murs : Set ou Votishal, plutôt le premier parce que tes Cobras sont souvent des yuan-tis et que ça fait plaisir à Set de les séduire, il a l’impression de les ramener au bercail. Les prêtres vérifient que tes Cobras loyaux sont bien acquis à ta cause, éventuellement à la leur mais ça on s’en fiche. Tu prends les six plus intelligents et tu en nommes deux Grands Accusateurs d’État ou quoi que ce soit du même genre et deux qui sont Hauts Juges d’État ou quoi que ce soit du même genre et tu conserves les deux derniers pour les remplacer en cas d’emmerdes. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas toi, le bon roi Ozmar, qui condamne et exécute, mais les serviteurs de ton Etat, les garants de l’ordre nécessaire à la sécurité de tous, les rouages intérieurs et inférieurs du royaume. Ensuite tu envoies la vingtaine restante espionner tout le monde, partout, tout le temps. Les tavernes, les auberges, les quais, les artisans, les commerçants, les gens dans la rue, ton administration, ton armée, et même et surtout tes juges et tes ministres. Le premier qui dit quelque chose de mal, même si c’est une blague ou une peccadille : couic ! Au gnouf ! Au procès ! Haute trahison, lèse-majesté, conspiration contre la sécurité royale, trafic, prévarication, corruption, tu as a tout ce qu’il faut dans vos entassements de lois humaines. Avec ton Cobra certifié par Set qui témoigne la main sur le coeur. Tu peux recourir à la question mais tu verras, ça ne sera le plus souvent pas nécessaire, ou sinon juste en appoint. La peine sera bien sûr la mort. Simple, sans chichis, sans écartèlement et autres fanfreluches. Le gibet où le pendu est laissé sur place marque bien plus longtemps les esprits que le souvenir de performances en atrocités. Tous les jours la vue et l’odeur du cadavre qui se putréfie en place publique, ça ne n’oublie pas. Surtout tu n’exagères pas. Tu n’es ni un salaud ni un sauvage, tu ne fais pas ça pour le plaisir mais pour le bien général. Tu n’accables pas le fils au nom du père, tu ne prends pas les familles des condamnés en otage : tu les mets au contraire sous ta protection bienveillante et tu les fais ensuite espionner. Ca te permettra de faire arrêter la vilaine épouse ou le vilain fils qui a osé dire du mal du généreux pardonneur royal car, crois-moi, il y en aura de la veuve et de l’orphelin qui vont déblatérer contre toi malgré ta mansuétude. L’outrage à ta clémence rendra d’autant plus juste ta sévérité.
N’oublie surtout pas les puissants, les riches, les célèbres, quelques capitaines de ceci, propriétaires de cela, pas tous bien sûr, tu auras besoin des prosternations des autres. Très vite les gens vont avoir peur. Chez vous humains comme chez bien d’autres, tu obtiens tout ce que tu veux par la frousse. Ton peuple va t’apprécier parce qu’il aura peur de ne pas t’apprécier. Il préférera penser que les méchants sont les policiers, les accusateurs, les juges et les bourreaux. 
Tu sacrifieras à Glasyalabolas les âmes de dix condamnés à mort, chaque année, pendant dix ans. Tu lui sacrifieras aussi l’un de tes enfants. En échange, Glasyalabolas te fournira la sagesse dont tu manques tellement. Je t’aurais bien aidé moi-même mais les gens de Set ne nous aiment en général pas, nous autres dragons. Une chamaillerie qui remonte à l’affaire d’Apophis ça ne s’en va pas comme ça.
Toi tu gouverneras sagement et surtout modérément. Choisis une ou deux passions qui feront l’éclat de ta cour pour pas trop cher : la peinture, le vin, la cuisine, la musique, le cirque ; ça t’occupera et te donnera l’air éclairé. Tu gracieras quelques condamnés, ça te fera passer pour magnanime. Tu n’augmenteras pas les impôts, au contraire : les marchands te seront reconnaissants et la frousse aidant ils te mangeront dans la main. Les étrangers feront du commerce sans être inquiétés. Les prix resteront bas et le petit peuple, les ouvriers, les pêcheurs, employés, marins à la journée seront contents. Prends un grand argentier sage et loyal et fais lui déterminer exactement ce dont tu as besoin pour la maison royale et l’État. Ne dépense pas plus et surtout pas de luxe, d’apparat, de grand tralala : les gens finissent toujours par penser que c’est leurs impôts qui paient ta prodigalité. Taxe les échanges commerciaux aux deux vingtièmes : le premier pour l’État et ta maison, le second pour la réserve, tes Cobras et ceux que tu veux t’attacher. Taxe le peuple en corvée ou argent d’un vingtième, il te sera reconnaissant quand il apprendra qu’à Csio ou Tula c’est le double. En cas de problème, famine, invasion, détaxe le peuple et dépense de l’argent, tu le récupéreras plus tard. Pas de guerre, pas d’armée ; les militaires ne servent le roi que sur un champ de bataille et encore pas toujours, tu en sais quelque chose. A la place tu renforceras ta police, ta garde de maison et tu loueras des mercenaires que tu peux licencier du jour au lendemain. Ta protection personnelle c’est deux yuantis mages et deux red monks, tous de Set, un prêtre de Set et une vingtaine de guerriers de Set, Arès, Horus ou Votishal. 
Après deux à trois ans de ce régime, tu auras la ville à ta main. Tu pourras alors passer aux provinces, c’est-à-dire à la campagne. Là, tu seras personnellement en première ligne. Tu vas voyager, te montrer, tous les ans ; tu t’invites où tu veux, c’est ton royaume, mais tu changes à chaque fois. Tu auras renforcé tes Cobras enquêteurs d’une vingtaine de petits nouveaux encadrés d’anciens expérimentés : ils formeront ton groupe d’enquêteurs locaux. Parmi eux, deux Accusateurs. Tu prépares soigneusement ton voyage. Six mois avant tu envoies une quinzaine de Cobras dans la région choisie et ton itinéraire pour tout espionner et débusquer : rebelles, mécontents, gens dangereux. Tu reçois leurs rapports un mois avant le voyage et tu choisis avec les Accusateurs entre trois et six cibles à pendre parmi lesquelles, toujours, une figure imposante : le riche marchand, le gros paysan, le druide redouté, le ranger-chasseur super-balèze, voire le chef ou seigneur lui-même si c’est vraiment utile ; en tout cas un type dont la chute montrera qui est le vrai patron. Pendant ce temps tu réunis à Tarantis un Throng de mercenaires ou soldats, que des professionnels, moitié cavaliers moitié infanterie, quatre à cinq cents hommes, de quoi pacifier n’importe quoi n’importe où dans ton royaume. Ton voyage dure six semaines : une aller une retour et quatre sur place avec le Throng et les Cobras. Sur la route comme à destination tu te fais tout expliquer : récoltes, pâturages, routes, bateaux, troupeaux, bâtiments civils, fortifications, vilains monstres, gentils hobbits, nombre de naissances, cuisine locale, peu importe, tu prends l’air intéressé et tu t’en fous pendant trois semaines car tu n’es là que pour la quatrième, celle des procès que les Accusateurs t’auront préparé. Le reste c’est la poudre aux yeux qui évitera l’impression que tu n’es venu que pour faire tomber des têtes. Sur place c’est toi qui juge et prononce la sentence. Tu en sauves un, tu condamnes un autre à de la prison, et le reste est pendu, avec parmi eux toujours le gros. Le cas échéant la présence du Throng calmera les esprits. Après ton départ, tu laisses sur place pendant quelques mois trois-quatre Cobras vérifier que tout se passe bien. L’année suivante tu recommences ailleurs. Parfois tu invites ton Sultan provincial, les autres années tu le laisses avoir la trouille de tomber en disgrâce, voire que tu t’en prennes à lui.  
Les seuls que tu laisseras tranquilles c’est ta grande marine : celle de guerre et des gros navires. D’abord parce qu’ils sont les poumons de ton royaume. Ensuite parce qu’ils peuvent foutre le camp et mettre peuple et marchands sur la paille, sans compter qu’ils iront ailleurs ruiner ton image auprès de qui voudra les entendre. Donc tu fiches la paix aux armateurs et négociants maritimes : ta terreur et ton argent se feront en amont de ceux-là.
Voilà. Si tu as des questions, tu les poseras au Comte Glasyalabolas, tu as dix ans pour discuter avec lui. »

Ess’Halodzar découvrant Ozmar
(vue d’artiste – Palais Glendower, coll. royale, Tarantis)

L’entrée aérienne du roi Ozmar sur le dos d’un dragon bleu fit sensation à Tarantis ; le prestige qui en résulta dura juste assez de temps pour permettre au roi de lâcher ses Cobras sur la ville avant qu’elle se demande avec trop d’insistance ce qu’était devenue son armée. L’année 5033 est terrible : on compte plus de mille exécutions, un dixième de la population adulte de la ville. A tous les coins de rue se dressent des gibets où pendouillent des suppliciés : même aux temps du Grievious on n’avait pas connu ça. Mais la terreur fonctionne : dès 5034 ce nombre est descendu à 50. 
La doctrine d’Ess’Halodzar va devenir bible du règne d’Ozmar et de ses successeurs. Ce n’est pas une figure de style : Glasyalabolas a retranscrit par écrit mot pour mot les paroles d’Ess’Halodzar au cours son entretien avec Ozmar afin que ce dernier comme ses successeurs aient de quoi s’inspirer et ne pas dévier. Ozmar va ainsi suivre à la lettre les instructions de son mentor draconique. L’ordre règnera à Tarantis. On ne rigole plus et en particulier du roi. Le culte de Set et la police y veillent. Les cours de justice deviennent rouage essentiel du pouvoir et de la ville où les rares juges récalcitrants disparaissent mystérieusement. Le contraste est fort entre la cité d’une part, le port et Al’Tarantis d’autre part qu’épargne par la vigilance des Cobras. Assisté par Glasyalabolas qui répond à toutes ses interrogations, le roi Ozmar applique sa loi de fer mais aussi, à force de crainte et de sanctions, inculque une forme de discipline dans l’esprit tarantin dont ce n’était pas le point fort. C’est l’époque où les Red Monks désignent Tarantis pour ville idéale. Au final émerge même une certaine popularité du roi qui est respecté et salué dans la rue pas seulement par crainte. Cette popularité est obtenue certes par propagande et par élimination des opposants, mais aussi par des résultats économiques satisfaisants et par une forme d’accoutumance. Bien des tarantins admettent que la violence du règne est justifiée par les menaces permanentes de traîtres et de corrompus ennemis de l’Etat, du roi, et de leur prospérité, qui ont conduit aux errements initiaux du règne avant de justifier les mesures drastiques dont ils sont victimes.     

Quand Oswaeld Ier montre sur le trône, c’est une Tarantis réglée au millimètre, où l’on marche droit, qu’il recueille de son père, avec la doctrine du dragon bleu.

Oswaeld Ier the Bear

Oswaeld est surnommé the Bear tant en raison de son caractère taciturne que de son physique épais. Il est relativement âgé au moment de son avènement en 5050. Parfaitement endoctriné par son père, il a à coeur d’assurer la stabilité du régime dans les terres du royaume et se focalise en particulier sur les deux provinces qui sont l’objet de toutes ses attentions.
Il porte toutefois une première entaille dans la doctrine de son père lorsqu’en 5061, il confère aux Gouverneurs (ou Sultans) de Jarmeer et de Ganzir-Galad, la charge de le représenter dans leurs provinces et d’exercer son contrôle politique à sa place en son absence sur le modèle des baillis de l’ex-empire de Tangut. Oswaeld considère trop dangereux de voyager annuellement dans son royaume et estime que l’impact des tournées de son père devient contre-productif, l’arrivée du roi étant partout synonyme de malheur et non de réjouissance.
Sa marotte consiste dans les toitures : il veut que son peuple soit bien abrité des intempéries et des tempêtes. Il ordonne ainsi la création des Tuileries de Surintal sous la forme d’une manufacture royale où il oblige l’association des marchands tarantins à investir afin de procurer à bas prix des couvertures de bâtiments dans tout son royaume ; la tuilerie devient opérationnelle en 5056 et rencontre un succès immédiat.

Malgré son apparence bourrue, the Bear est un malin. Il a compris qu’il dépend du culte de Set alors que lui-même révère Frigga, mais aussi des Cobras et de l’Association des Marchands et des grands armateurs et des capitaines mercenaires. Il sait qu’il ne peut pas se permettre une armée régulière qui, outre son coût, pourrait un jour se retourner contre lui par une de ces conspirations dont l’histoire politique de Tarantis offre nombre d’exemples et ainsi qu’en a averti Ess’Halodzar. Alors il songe aux Neveux d’Yekat, si malmenés depuis le règne d’Hedarick III, pour espionner les espions et passe un pacte verbal avec cette force de l’ombre bien contente de trouver chez le roi une oreille complaisante et plus encore d’être chargée de surveiller cette même police qui la surveille. Cet équilibrage des pouvoirs est la clef de voûte de la construction politique issue de la doctrine d’Ess’Halodzar et il perdure encore aujourd’hui. 

Oswaeld Ier considère aussi que la loi doit être accessible à tous puisqu’il gouverne avec et par elle. Il ordonne donc la compilation des Coutumes de Tarantis et l’accessibilité de ses livres à un corps de lettrés qui deviendront les avocats et juristes du royaume. Cette décision est à l’origine de l’apparition d’un appareil judiciaire qui va devenir un véritable contre-pouvoir lorsque Oswaeld Ier lui reconnaît le droit de veto sur les édits royaux contraire aux précédents légaux ou coutumiers et le droit d’en appeler à l’agora avec l’accord du clergé. Cette étonnante décision, qui lie en pratique le sort de la monarchie au pouvoir de juges, a pour objectif de crédibiliser une justice conçue comme rouage essentiel de la doctrine terrorisante d’Ess’Halodzar. Cependant, plusieurs historiens tarantins estiment qu’Oswaeld se méfiait aussi du risque d’un usage excessif ou malavisé de cette doctrine par ses successeurs ou par un clergé et qu’il a entendu combattre un tel risque par cette élévation du judiciaire au rang de contre-pouvoir, lequel prévaut encore aujourd’hui à Tarantis.

Tout au long de son règne Oswaeld Ier voyagera beaucoup, au moins deux fois l’an, accompagné de sa garde et des Cobras, sans compter de nombreuses escapades personnelles dans les forêts, où il aime camper tel un forestier ou un bûcheron. C’est aussi le lieu de ses amours car, comme son père, Oswaeld apprécie d’avoir des maîtresses esclaves qu’il libère après les avoir culbutées. Cependant, à la différence cette fois de son prédécesseur, il prendra soin des enfants de celles qu’il aura ainsi engrossées et assurera la situation de ses bâtards au point d’en légitimer plusieurs. 

 

Oswaeld II the Tenacious

C’est un tel fils ainsi légitimé qui lui succède sous le nom d’Oswaeld II. Ce dernier a une passion : la montagne, et une haine : la magie. Ce qui augure mal de l’avenir car la sécurité du roi dans sa capitale repose notamment sur le culte de Set et ainsi que sur le service de mages yuantis. Oswaeld le Tenace deviendra pour cette raison l’un des plus étranges monarques de Tarantis en ce qu’il ne va pratiquement jamais demeurer dans sa capitale, où la doctrine d’Ess’Halodzar est suffisamment rodée pour pouvoir fonctionner sans sa présence. En fait, il est uniquement connu dans Tarantis par son édit de 5071 qui interdit les créatures hautes de plus de trois mètres (10’) dans la ville.

C’est un marcheur, un promeneur, un randonneur. Il va passer sa vie à visiter à pied et en touriste l’intégralité de la péninsule ghinoréenne. Son surnom lui vient d’une excursion d’hiver dans les Viceroy Mountains où, seule de toute sa suite, il survit à une avalanche, retrouvant par lui-même une route qu’il continuera avec trois doigts en moins. Arrivé en T’lanner et Ostianne il y découvre l’abyssale réputation des tarentins. En effet, après qu’Ozmar ait licencié son armée, celle-ci s’est éparpillée en formant des bandes qui se sont livrées au brigandage, racket et pillage dans toute la région, tout en continuant de se prétendre auxiliaires du roi de Tarantis. De Fallowfield à Elvenkeep on ne compte plus les enlèvements, les viols, les récoltes détruites, les troupeaux décimés, prétendument au nom d’Ozmar et de ses successeurs. Pour les Tlanners et Ostians, les tarentins sont ainsi devenus synonymes de ravageurs sans foi ni loi qui mettent en coupe réglée leurs campagnes et leurs forêts.
Oswaeld II décide alors de réunir un Throng avec lequel il part en 5074 mener la chasse aux bandes de pillards installées depuis 30 ans par la faute de son grand-père. C’est une tâche ardue, dans un pays qui ne lui est pas favorable, et qui coûte cher. Mais ce n’est pas pour rien qu’Oswaeld II est surnommé le Tenace. Pour payer les coûts, il ferme carrément la maison royale : tout l’argent qui devait lui revenir est englouti dans son expédition. Ensuite il s’accroche : il traque les pistes, collectionne les rumeurs, envoie ses Cobras espionner ce pays qu’ils ne connaissent pas mais qu’ils finiront par apprendre. Et ainsi il débusque l’un après l’autre les repaires de bandits et inverse, petit à petit, mois après mois, succès après succès, la réputation de Tarantis dans l’Ostianne et le T’lanner.

Mais ce qui fera le plus pour Oswaeld II est sa mort car c’est au combat qu’il périt, les armes à la main, contre un assemblage de brigands ogres, orcs et humains qui ont décidé de lui tendre une embuscade. La chair du Tenace servit de nourriture à un ogre mais sa mémoire sert de nourriture à son pays car elle vit encore dans les chansons et contes des bardes bien au-delà de cette Ostianne – T’lanner qu’il a servi sans en être roi.

Oswaeld II fut le premier roi de Tarantis à avoir été plus apprécié hors de son royaume qu’en dedans. Mystérieux, ascète, sans épouse ni enfant connu, il apparaît avoir été taillé pour la légende plutôt que la politique. Bien que servant Geb et Bes, son action s’apparente davantage à celle d’un paladin qu’à celle d’un monarque tarantin. Son aversion pour la magie le rapproche des peuples dits barbares, auxquels il vouait intérêt et respect. Mais qu’il l’ait voulu non son règne illustre les limites de la doctrine d’Ess’Halodzar qui n’est tournée que vers l’intérieur d’un royaume dont elle régit le gouvernement. En restaurant l’image de marque de Tarantis dans la péninsule ghinoréenne, Oswald II réintroduit, volontairement ou non, les ambitions de Pashvuntalam dans l’exercice du pouvoir royal.      

Hedarick IV the Goldenhair

La mort d’Oswaeld II sans enfant et sans héritier désigné devrait inaugurer une de ces crises dynastiques dont Tarantis a coutume. Pourtant, cette fois, cela ne se passera pas ainsi car un petit-fils du Bear va faire l’unanimité et en plus il est beau et en plus il s’appelle Hedarick.

Hedarick IV à son avènement.
(Palais Glendower, coll. royale, Tarantis)

Hedarick IV est porté au trône par l’association des marchands tarantins. Ces derniers ne vont pas lésiner sur la méthode : des flots d’argent achètent les suspicieux Cobras, les dignitaires des Neveux d’Yekat, le silence des prêtres de Set, et les quelques grandes gueules susceptibles de casser l’ambiance. Tout ce qui compte dans le monde tarantin reconnaît ainsi sans peine pour roi le fils d’un bâtard légitimé d’Oswaeld Ier et l’agora dûment convoquée d’un peuple dûment informé de l’excellence de ce jeune et bel impétrant ratifie ce choix sans barguigner. 

En apparence un charmeur, Hedarick IV est en réalité une personnalité complexe. C’est d’abord un pharmacien éduqué au collège du Palais dans le but de servir en mer avant bifurquer en devenant chef de la corporation des embaumeurs, ce qui lui a permis de tisser des liens dans l’association des marchands dont il est une figure notable.
Dès qu’il a appris la mort d’Oswaeld II il a rapidement changé son nom en Hedarick et entrepris de faire campagne pour son élection à coups d’imprudentes promesses fiscales qui auraient pu lui valoir valu une arrestation par les Cobras si ces derniers avaient eu un roi à servir.
A son avènement, il se déclare persuadé d’avoir pour grand destin de parachever l’oeuvre de ses prédécesseurs : c’est sans doute vrai, mais pas dans le sens où l’entendent ces marchands qui l’ont porté au trône. Toutefois, ce disciple d’Osiris sait qu’il ne peut renverser les bases du régime qui l’a instauré roi ; il lui faudra donc faire preuve de ruse.
Son règne commence par un coup d’éclat : la rupture avec un clergé de Set qui est maître à la cour royale depuis trois règnes. Désormais, la garde personnelle et les Cobras du roi seront sélectionnés par le clergé choisi par le nouveau monarque, à condition qu’il soit d’obédience loyale. C’est un coup remarquable car il réussit à mécontenter tout le monde : évidemment le clergé de Set mais aussi tous ceux dont les préceptes entrent en contradiction avec cet édit et encore les clergés loyalistes ainsi mis en compétition les uns avec les autres. Le désordre gagne les Cobras qui se scindent en trois groupes : les Blue Cobras, qui restent fidèles à l’État mais guère au roi, les Grey Cobras qui acceptent de servir le nouveau monarque, et les Green Cobras qui se rebellent contre lui. Un tel désordre est précisément ce que les trois précédents règnes ont abhorré conformément à la doctrine d’Ess’Halodzar.
Pendant que les neveux d’Yekat se sentent pousser des ailes, trafiquent, volent et rackettent en quasi impunité, les marchands commencent à se demander quel incapable ils ont mis sur le trône. Seuls les clergés d’Arioch et des démoniaques se montrent enchantés des résultats de la politique du très libéral Hedarick IV. 

Après quelques mois, la situation du monarque apparaît à tous catastrophique. Certains imaginent de le déposer par une Agora en théorisant que le roi ne dispose pas de la souveraineté qui appartient au peuple par l’Agora. D’autres de le contraindre à abdiquer par un coup d’État. D’autres encore de l’éliminer simplement et rapidement. 

Mais Hedarick IV n’est pas resté inactif. S’appuyant sur les clergés d’Arès, de Thor, d’Horus, de Loki plutôt que sur le sien, il a vidé les caisses de l’État pour recruter discrètement tout ce que la ville compte d’hommes d’armes. Le 1er Balance 5080 il promulgue un édit qui restera dans les annales en décrétant que tous les esclaves dans la ville de Tarantis sont libres et peuvent se réfugier au palais royal ou en tout lieu du domaine royal à moins que leurs maîtres ne fournissent un titre démontrant leur propriété, lequel titre ne peut être qu’un écrit. En d’autres termes, les tatouages, marquages au fer, témoignages ou la simple détention de fait ne sont plus recevables à prouver la propriété d’un esclave. Le même jour, les mercenaires du roi entrent dans la ville et en occupent les portes, les remparts et le palais.

L’argument royal s’appuie sur le fait que le principe est la liberté et la sujétion l’exception ; donc la sujétion doit être prouvée. Or dans les deux tiers des cas, un propriétaire d’esclaves n’a aucun titre écrit. Beaucoup ne recourent pas au marquage : l’esclave est connu pour en être un, le fait et au besoin le témoignage suffisent. Les esclaves volontaires et temporaires, par exemple en échange d’une dette, ou ceux achetés dans une vente consignée par un écrit suffisamment précis pour les identifier, représentent moins du quart de leur population. Dans tous les autres cas, notamment les esclaves de naissance, qui représentent les quatre cinquièmes des esclaves ruraux, il n’existe aucun écrit. 

La nouvelle se répand à toute allure et bientôt tous les esclaves de Tarantis puis du royaume exigent leur libération, quitte à attaquer des gardiens bien incapables de résister à leur nombre. D’autant que les Cobras, appliquant la loi, obligent les propriétaires à libérer toute personne dont ils n’ont pas le titre de propriété.
Dans les jours suivants, une foule colossale emplit le palais du roi et la vaste Palace Way qui y conduit. Les chiourmes des navires se jettent à l’eau, les serviteurs abandonnent leurs tâches, les ouvriers s’enfuient sans que la police puisse venir en aide à leurs maîtres qui n’ont évidemment aucun titre écrit à produire. Chaque jour amène son lot d’esclaves en fuite dont le nombre va atteindre les huit mille dans la seule ville de Tarantis où ils s’entassent et campent dans les rues. Or cette masse est bien décidée à défendre la personne du roi coûte que coûte aux côtés des trois Vasthrongs de mercenaires royaux, soit environ cinq mille hommes, qui contrôlent la ville. 

Tout est arrêté : commerce, agriculture, transports, services à la personne, artisanat. Le roi fait servir aux réfugiés d’énormes quantités de nourriture au nom de son devoir de protection et d’hospitalité des nécessiteux, transformant le palais en une gigantesque cuisine et faisant saisir toutes les cargaisons de nourriture.
Les propriétaires sont obligés de transiger. Car dans les faits, les esclaves sont bel et bien partis de chez leurs maîtres. Ils sont, a priori, libres, sauf preuve du contraire. Le plus souvent les maîtres ont tenté de s’y opposer par la force, ce qui a conduit à de très nombreuses violences ; mais celles-ci ont généralement tourné à l’avantage des esclaves, plus nombreux, d’autant que leurs maîtres ne pouvaient plus en appeler aux forces de l’ordre.
Impossible de faire annuler l’édit en Justice. En effet, l’édit ne contredit pas un précédent législatif mais seulement une jurisprudence. D’autre part, même à supposer un jugement d’annulation, le roi le refuserait certainement. Les juges seraient alors obligés d’en appeler à l’Agora et à supposer qu’ils y parviennent, les esclaves libérés voteraient évidemment pour le roi.
Les maîtres pourraient également contrecarrer l’effet de l’édit royal par des procès puisque la coutume admet la preuve de la propriété d’esclaves par témoins ou par marquage. Mais il y faudrait autant de procédures que d’esclaves à récupérer : plus de huit mille. Et il connaître le nom de chaque personne, son âge, sa description physique ; et avant toute chose, il faudrait le retrouver dans ce chaos surpeuplé qu’est devenue la cité de Tarantis. Quant à ceux qui ont quitté champs et pâtures pour disparaître dans les bois ou les montagnes, il n’y a personne pour les retrouver.

Du coup, depuis plusieurs semaines les champs, vergers, les forêts ne sont plus travaillés. La garde des troupeaux n’est plus assurée. Les ateliers sont arrêtés. Les navires immobilisés. Le port ne charge ni ne décharge plus de marchandises. Bientôt les récoltes, les vendanges seront perdues, les cargaisons vont pourrir, les traites et gages devront être honorés sans de quoi les payer. A très brève échéance, c’est l’économie toute entière de Tarantis qui menace de s’effondrer. 

Alors le roi fait un geste. Il accepte de vendre les esclaves libres si ceux-ci l’acceptent. Chaque propriétaire devra payer chaque esclave qui ne le sera que pour un temps au bout duquel il sera libre de plein droit et pourra toucher le pécule de sa vente. Ce pécule sera entre-temps conservé par le roi. Mais désormais il existera un statut de l’esclave.
Son propriétaire ne pourra pas exercer de droit de vie ou de mort ni le battre ou molester gravement sans justification et l’esclave pourra en appeler à la justice royale. Le maître lui devra également le gîte et le pain et la vêture et les devra encore aux enfants des esclaves en échange de quoi il aura le droit de les acheter à l’âge de dix ans ou plus. Mais avant qu’il atteigne cet âge, les parents esclaves pourront confier leur enfant à un homme libre ou seigneur ou prêtre qui l’accepte et le propriétaire n’aura alors plus de droits sur lui.
Passé l’âge de cinquante ans, l’esclave devra consentir à le rester, sinon son propriétaire devra l’affranchir. L’esclave aura enfin le droit, un jour par semaine, de se rendre à son temple à l’aube et d’y rester jusqu’avant la nuit sous la responsabilité de ce temple ; ce droit s’exercera également le jour de la fête annuelle du culte de ce temple. Pour les esclaves travaillant dans le transport, ce droit d’aller au temple sera reporté au surlendemain de l’arrivée du trajet et l’esclave pourra alors l’exercer plusieurs jours consécutivement s’il y a lieu.

Le statut révolutionnaire est proclamé par une agora convoquée par le roi et qui s’avère triomphale pour lui, écartant définitivement le risque d’une éventuelle censure judiciaire. L’énorme majorité des esclaves, qui ne savaient rien faire d’autre que les tâches que leur ordonnaient leurs propriétaires, acceptent volontiers leur nouveau sort. Droit à une retraite en liberté, droit d’avoir des enfants, droit d’accès au culte et à une journée de repos, droit d’être nourri et hébergé, protection contre les mauvais traitements : la plupart ne demandait pas davantage. Mais les mauvais maîtres, eux, furent pénalisés car leurs anciens esclaves refusèrent le plus souvent de retourner en leur servitude. 

L’effondrement économique redouté ne se produisit pas car le roi accepta que le pécule de la vente de l’esclave soit payable par échéances. Cela permit également de juguler l’effet inflationniste de la mesure, qui fut rapidement absorbé. Les clergés furent enchantés du rôle que leur conférait le nouveau statut. Et pour beaucoup de petits producteurs ou propriétaires, il devint relativement coûteux de posséder des esclaves dont on est responsable plutôt que des employés qu’il suffit de rémunérer selon leur valeur combinée à la loi de l’offre et de la demande. Enfin, la Caisse des Esclaves, monopole du Trésor Royal, restaura immédiatement le crédit monétaire de la Couronne, ce qui permit à Hedarick d’entamer de grands travaux d’assainissement et d’embellissement de Tarantis : réfection des égouts, adduction généralisée de l’eau, plantation d’arbres et de jardins publics, service de voirie nettoyant et réparant les rues, mesures de secours alimentaire aux indigents par les clergés. Le roi lança ensuite des navettes terrestres ou maritimes entre Tarantis, Al’Tarantis et les cinq îlots, une Poste Royale comprenant messageries et diligences couvrant tout le royaume. Il entreprit une réfection des murailles et équipa toutes les tours de ballistes pivotantes. Il commanda la construction d’une nouvelle flotte maritime de jonques de guerre et de drakkars en ironwood dont les grandes jonques militaires « King Hedarick », « Azurea », «Dahutine» et le drakkar géant « King Radgar ». Enfin, au sud-est de la ville, sur la côte et face à la baie de Dahute, il finança l’édification de l’Amphithéâtre Goldenhair, qui sert à la fois pour des représentations mais aussi de lieu d’enseignement public, où des professeurs de toutes sortes et provenances enseignent gratuitement des éléments de calcul, de lecture et écriture, d’histoire et d’art. 

Le roi y gagne le respect et l’affection de tout son peuple. Les marchands y compris, qui se sont fait rouler dans la farine par un roi dont le premier souci a consisté à s’émanciper de leur tutelle en s’assurant l’appui des esclaves et du peuple. Les mesures fiscales annoncées par le candidat Hedarick ne verront jamais le jour. Mais Hedarick IV est respecté et aimé comme probablement aucun monarque tarantin ne l’a jamais été. La beauté de celui que sa chevelure a fait surnommer Goldenhair fait qu’il est l’objet d’un phénomène d’adulation de son vivant comme après sa mort. Mais l’or des cheveux n’est pas celui des caisses. 

Comme la politique d’Hedarick IV coûte beaucoup d’argent, le train de vie du monarque atteint des niveaux de dénuement inimaginables auparavant. La maison royale cesse pratiquement d’exister, réduite aux seules fonctions étatiques. Des sections du palais de Glendower menacent ruine. Hedarick gage à peu près tout ce qui a de la valeur dans le patrimoine royal. Tout repose sur une acrobatie comptable permanente entre le crédit alloué par des banques étrangères et les revenus de l’Etat. 
D’autre part, Hedarick sait qu’il ne peut régner sur un pays accoutumé à la doctrine d’Ess’Halodzar sans continuer à la suivre un minimum, sans quoi l’un des complots suscités par son étrange politique réussira à l’abattre. Il laisse donc la police politique des Blue Cobras continuer ses enquêtes et expédier en justice une trentaine de conspirateurs par an. Mais en sous-main, ses propres Grey Cobras, validés par les clergés d’Osiris ou de Tyr, surveillent les Blue Cobras et empêchent les exactions. Il laisse aussi l’association des marchands, les neveux d’Yekat, et même certains potentats ou administrateurs fricoter ensemble, détourner ici un peu d’argent public, faciliter là quelques contrebandes, corrompre quelques Blue Cobras peu scrupuleux, tant que toutes ces petits fripouilleries demeurent sous contrôle. 

Pour Hedarick IV comme pour plusieurs de ses prédécesseurs, la vraie puissance de Tarantis ne peut procéder que de la mer. Les immenses terres qui l’entourent : la péninsule ghinoréenne, ne représentent pas une véritable menace puisqu’elles ne comportent aucun pays de puissance comparable à la sienne. Bien sûr, des invasions de nomades ou de monstres sont toujours à redouter mais les risques qu’elles entraînent ne présentent rien d’insurmontable pour un Etat qui les affronte victorieusement depuis des siècles. Cependant, en sens inverse, cette immensité rend impraticable tout projet de conquête territoriale dont Tarantis n’a au demeurant ni la vocation, ni les moyens, ni les hommes : une seule cité-état de vingt mille âmes ne saurait durablement conquérir et administrer un territoire grand comme la moitié de l’Europe, qui plus est aux trois-quarts sauvage. Tout cela, Pashvuntalam l’a vu en ayant évidemment raison.

Toutefois, s’il est bien de dissuader autrui, il est encore mieux de s’en garantir. Or le seul moyen qu’a Tarantis de peser militairement et diplomatiquement sur le reste du Tangut, c’est sa marine. Hedarick va donc penser Tarantis comme une thalassocratie et l’orienter en ce sens, s’inspirant autant de Grandstadt que de Pashvuntalam.
Les dernières années de son règne sont entièrement tournées vers cet objectif. Afin de protéger de l’extérieur comme de l’intérieur l’ensemble constitué par l’immense port entre les deux emplacements de Tarantis et Al’Tarantis avec ses cinq îlots, il en transfère la capitainerie dans un castel édifié sur la digue de Granstadt qu’il dote de ballistes et de feux grégeois. Et pour garantir cet ensemble de toute mainmise politique, il le confie à l’association des marchands en une tardive mais ô combien fructueuse compensation de leur soutien initial. Hedarick sait combien les gens de mer apprécient l’indépendance et qu’un port soumis aux foucades d’un autocrate, fusse-t-il le plus riche ou puissant de la région, les fera fuir. D’autant qu’il a lu Ess’ Halodzar : il sait que les marins ont et auront toujours le choix, que Rallu, Csio, Starstone, Valon, Ossary, Warwik ou Modron, pour ne citer que celles-là, seront toujours là pour profiter de l’aubaine d’une Tarantis mal gouvernée.  

Surtout, poussant jusqu’au bout le raisonnement entamé par Grandstadt et Pashvuntalam, Hedarick IV considère que Tarantis doit n’avoir qu’une seule vraie rivale : cette Avros, qu’elle jalouse, imite et redoute.  Par suite Tarantis doit devenir une Avros du sud. Ses meilleurs enfants se tourneront donc vers l’océan, les voyages, les sciences, les langues, le commerce, l’assurance. A cette fin il dote le Sage Royal, qui siège traditionnellement parmi les ministres afin qu’on le consulte sur les sujets les plus variés, d’un corps de scientifiques : chimistes, mathématiciens, ingénieurs, et non plus seulement de lettrés, car construction navale et navigation maritime reposent sur des données exactes plutôt qu’empiriques ou historiques. Et il prévoir que ce corps sera formé dans les meilleurs établissements de Tarantis mais aussi de Valon, Avros, Gwaliore ou Zevjapuhr grâce à des bourses royales. 

Au final, Hedarick IV consacre le rééquilibrage entre le gouvernement selon la doctrine d’Ess’Halodzar et la vision étatique des grands règnes ayant précédé celui d’Ozmar. La chance de Tarantis vient de ce que le Goldenhair disposera de trente-six années pour apposer une marque indélébile à son royaume. Ses apports imprègnent à jamais la société tarantine. Avec lui, Tarantis est devenue une thalassocratie. 

 

Gishdrick the Unlucky

Son fils aîné Gishdrick lui succède en 5116. Des années d’études au lycée royal lui ont permis de percevoir le seul risque ou la seule insuffisance de la politique de son père : une certaine négligence des terres. Il entend donc relayer l’action de Hedarick IV en commençant par l’Azurerain jusqu’au lac of the Crown Beast. Gishdrick veut ainsi montrer que la politique royale irrigue les terres comme le font les fleuves et la pluie. Aussi part-il avec toute sa famille à la fois pour montrer par cette présence l’importance qu’il accorde aux terres et pour envisager les améliorations qu’on pourrait apporter au parcours du fleuve. Ensuite, par des voyages annuels où il remonterait chaque fois une rivière différente, il visiterait l’ensemble du royaume en l’associant ainsi à la thalassocratie pensée par son père.   

Une vaste barge a été aménagée en péniche royale décorée et chamarrée pour l’occasion. Le trajet passera par le port, puis Al’Tarantis pour entamer une remontée qu’on imagine triomphale de l’Azurerain sur les rives de laquelle une population enthousiaste se sera massée pour applaudir le passage du roi bien-aimé. Le 18 Leo 5116, par un beau matin d’été, le cortège royal traverse donc le port sous les acclamations et vogue jusqu’à Al’Tarantis où Gishdrick et sa famille passent la nuit dans leur splendide vaisseau.

Le lendemain matin, tous ont disparu. Tous les membres de la famille royale de Tarantis : le roi, la reine et leurs quatre enfants se sont évaporés au nez et à la barbe de la garde royale, des serviteurs, des badauds, des prêtres de Poséido et de Straasha. On n’en retrouvera jamais aucun.
On sait qu’il y eut une secousse sismique cette nuit-là suivie d’un tsunami sur les côtes de Starstone et de Blest mais aucun rapport n’a été établi avec l’étrange disparition du roi et de sa famille. Cette éradication reste l’un des plus grands mystères de l’histoire tarentine. Elle demeure inexpliquée et sujette à toutes les conjectures et controverses. Les divinations aussitôt entreprises confirmeront le décès de Gishdrick, son épouse et leur descendance, le caractère pour eux involontaire ces funestes événements, rien d’autre. Personne ne sait ce qui s’est passé. 

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