Un paysan (récit sur le vif)

17 décembre 2018 par Kazz → Société

Considérons Halfric, fils de Rothrik Besundkann, jeune paysan qui demeure sur une terre raisonnablement fertile, avec un point d’eau à proximité, en l’occurrence un puits sur sa terre, mais ça aurait aussi bien pu être le commun du hameau ou une source ou une rivière.

Halfric n’est pas une rareté. Il existe bien sûr nombre de grandes propriétés agricoles exploitant des esclaves ou demi-esclaves ou serfs dont la force de travail est entièrement accaparée par un maître. Mais les Halfric, paysans ou ouvriers, libres propriétaires ou tenants ou travailleurs d’une terre, sont légion.

Crescenzi calendar

Halfric exploite un domaine de trente-six arpents1, surface moyenne et convenable, comprenant prés et petit bois.
S’il travaille comme un fou, tous les jours, sans connaître le moindre pépin, avec de belles pluies et de beaux ensoleillements donnant de belles récoltes, il produira à lui seul de quoi nourrir sept bouches outre la sienne. Dans les toutes meilleures terres, ce chiffre pourrait atteindre dix.
S’il travaille beaucoup en subissant quelques pépins ou des récoltes moins belles, il produira de quoi nourrir cinq bouches dont la sienne.
Et si ça va vraiment très mal, faut espérer qu’il y aura de quoi nourrir une ou deux bouches et pas plus.

Cependant, il n’a pas envie de travailler seul : il lui a donc fallu une femme. Une femme qui l’aide au travail, qui lui fait gagner du temps et de l’effort, et surtout qui donne et élève des enfants. Avec une femme, il lui sera plus facile d’atteindre de bons rendements. Et avec au moins un fils en âge de travailler, alors les vieux jours sont assurés et on peut même commencer à espérer de la richesse.

Mais avant de mettre de l’or dans ses rêves, Halfric devra élever et entretenir ses enfants. Ils seront des bouches à nourrir. Et il aura aussi ses propres parents à nourrir. Pendant des années, produire de quoi nourrir quatre ou cinq bouches ne sera pas du luxe ; ce sera même vital.
Alors Halfric pense toujours et tous les jours à l’avenir ; c’est-à-dire à stocker. A prévoir les coups durs et à y être prêt par avance. A cela, l’argent ne sert guère, d’autant qu’il n’en a pas.

Le travail d’Halfric représente une pièce d’or la quinzaine. Ce n’est pas ce qu’il gagne, ni la valeur de ce qu’il produit, ni le prix qu’on en retirerait s’il vendait le tout au marché : un demi-guldor2 c’est la paye hebdomadaire d’un ouvrier qui ferait le même travail à sa place. C’est-à-dire un ouvrier qui lui donnerait toute sa production en échange de cette somme avec eau, logis, chauffage inclus et on s’arrangera sur la soupe et le pain en retenant une silve3 le mois sur la paie, voire même rien du tout si l’ouvrier travaille dur.

Ce serait bien, pour Halfric, d’avoir un ouvrier avec lui. Mais il n’a pas assez de piécettes pour cela. Il n’a guère d’argent. Parce que pas le temps ni le souci d’aller au marché où tout le monde vend déjà la même chose que lui. Et puis, il ne sait pas bien compter, peser, négocier. Ce n’est pas comme ça que les choses fonctionnent. S’il a besoin du forgeron, il lui filera un poulet, ou trois fromages, ou un demi-jambon, ou une semaine de pain. Même chose avec le meunier. La potière : deux douzaines d’œufs et une de pommes, par exemple. Quant au vin, on le fera soi-même, ou à nouveau on échangera, parce que celui qui fait du vin n’a pas forcément le temps pour du grain ou de l’élevage. Quand le colporteur arrive, une fois la semaine, ou quand se tient le marché, une fois la quinzaine, avec toutes ces choses qu’il n’y a pas au hameau : tissus, miroirs, épices, colifichets, papier, verrerie, sel, il n’a pas de quoi acheter, parce que ce qu’il y a au marché n’est nulle part, quand ce qu’il pourrait vendre est déjà partout.

Mais ce n’est pas un vrai problème parce qu’au fond Halfric a déjà tout ce qu’il lui faut. Il dit que le sel, le tissu, ou le fil de laine, ça se trouve ; dans les collines ils font du fil et de la laine, on y va avec nos blés, nos haricots, nos potirons, on échange. Et aussi, une belle peau de boeuf ou de cheval, une ou deux fois l’an après qu’on ait dépecé l’animal mort, on la fait tanner à la ville et le tanneur nous en redonne la moitié et garde l’autre ; avec ça on a du cuir solide, qui va tenir des siècles, pour faire un tablier, des souliers, des ceinturons.

Surtout, Halfric a la chance d’être propriétaire. Freeman, comme on dit. Libre tenancier de sa terre à lui. Il le doit à ses parents et il leur doit aussi en échange la bouche et le toit jusqu’à leur mort.
Avant, il dormait dans la grange attenante, au dessus des bêtes ; les vieux gardaient leur maison. Pour pouvoir prendre femme, il a dû leur construire leur propre demeure : une extension en équerre du premier bâtiment, avec du beau mur en pierre s’élevant au moins à la taille. Les proches y ont aidé : le mari de la sœur a fait la charpente, le futur beau-père la toiture, les voisins ont monté les murs, et les autres du hameau sont allés chercher des carreaux pour les vitres en cadeau de noces. Le bois, l’ardoise, la pierre, Halfric est allé les prendre et payer sur le domaine du seigneur Chevalier.

En échange, une fois encore, non en or. Il a payé les matériaux contre soixante jours de travail, en trois fois, cette année et la prochaine et celle d’après. Libre, Halfric ne doit que les tailles coutumières de bois et d’huis au Chevalier. La taille de bois, c’est pour le droit de coupe dans les forêts du seigneur. La taille d’huis, c’est pour le droit de refuge au castel en cas de malheur. Castel qu’il faut donc entretenir, d’où la taille. Vingt jours l’an, pas énorme, dont dix au château, à réparer les murs, les portes ou les ardoises, et dix dans les champs mais ceux-là au choix du seigneur. Qui les prend toujours aux temps des semailles, moissons ou vendanges, chaque fois. Dame ! Certes ça gêne Halfric au moment précis où ses champs le requièrent mais pour le seigneur aussi c’est pas au cœur de l’hiver qu’on peut travailler la terre.

Bruegel : chasseurs dans la neige (détail)

Comme tout paysan, Halfric doit savoir faire un peu de tout. Traire, semer, racler, moissonner, saigner, écorcher, façonner un manche, monter un mur, entretenir un feu, aligner des pierres, cheviller des étais, tailler une planche ; il y a des dizaines de verbes et de choses qui vont avec ce qu’il doit déjà savoir ou sinon bien vite apprendre des aînés s’il ne veut pas devenir l’abruti du canton, car il a déjà 22 ans.
S’il manie bien sa cervelle, il pourra aussi imaginer une astuce à l’instar de Judla Timx, un gars plus vieux d’à peine cinq ans, qui a des ruches après avoir marié une fille d’un village du méridion dont la famille sait y faire. Le miel, tout le monde en veut.

La femme d’Halfric s’appelle Yelinna. Elle vient des collines. Son père est le sieur Sager Sulsyoz, un grand gaillard métayer du seigneur, tenant ça de son propre père, le vieil Holger, descendu des hauteurs pour tenter de ne pas rater l’opportunité d’une vie. Il y a cinquante ans le seigneur avait mis en métairie le plus clair de son domaine à cultiver. Près de quatre cent arpents. Les terres de chasse et forêts domaniales devaient lui suffire ou peut-être manquait-il de bras ou d’or.

Ça a fait des histoires car le domaine est en collines, vallonné et plein de pentes, avec des expositions très diverses. Avoir un joli pré en fond de val exposé sud n’est pas la même chose qu’une pente rocailleuse face au nord. Mais le seigneur est un homme régulier. Il a reçu la promesse solennelle de tous les métayers qui voulaient en être et a divisé son domaine en pièces selon la qualité de la terre, l’eau, et l’exposition ; ça a fait trente pièces. Ensuite il a découpé chaque pièce en autant de parcelles que de métayages, chacune séparée par un pied d’herbe folle, attribuées par tirage au sort. Ainsi chaque métayer a la même part de bon terrain, de moins bon, et de dur. Ainsi aussi chaque métayer qui fait moins bien que l’autre aura-t-il du mal à l’expliquer par la qualité de la terre ou de son exposition. Depuis, le domaine, vu de loin, a l’allure d’un patchwork valloné autour du castel.

Quand il a fallu choisir les neuf chanceux le vieil Holger, qui était alors jeune et avait toujours été finaud, a promis aux autres qu’il ferait en ardoise la toiture de leur maison, si le seigneur voulait bien fournir le matériau. Aucun d’entre eux ne savait faire d’autre toiture que de chaume : les tuiles coûtaient cher et l’ardoise c’est bien lourd à transporter et fragile à tailler. Mais le seigneur, qui n’exploitait guère sa carrière d’ardoise, a dit qu’il voulait bien. Alors tout le monde a voulu avoir Holger pour voisin et forcément le seigneur l’a choisi pour l’un de ses nouveaux métayers. Ensuite Holger est allé voir le bailli de la carrière et aussi un vieux qu’il connaissait dans les montagnes pour apprendre bien vite comment on taillait l’ardoise. Et comme il était malin, il a appris.

Sa petite-fille aussi est finaude. De sa mère, elle sait faire le fromage. Et désormais, Halfric aussi ; elle lui expliqué comment confectionner un produit extraordinaire qui sous sa croûte, en cave, se garde au frais tout une année et même plus, il n’en sera que meilleur. Elle sait comment décocter un jus d’artichaut sauvage qui servira à coaguler le lait tiédi doucement dans une cuve en étain. Après quoi on le verse dans un moule en bois puis on l’enveloppe d’un linge avant d’appliquer une grosse pierre plate et lourde, un jour chaque côté, quatre jours au total. Ensuite il n’y a plus qu’à affiner les meules sur des étagères bien propres, salant un peu sur chaque côté chaque semaine pendant deux mois pour faire la croûte, « l’enmorger » dit-elle. Avec les deux vaches qu’ils possèdent il y aurait de quoi pour deux meules par jour. Or la meule complète se négocie au moins la demie-guldor sur le premier marché venu. Et ça peut tenir loin, s’exporter même.

Le fromager

Halfric peut rêver. Il a cette chance. De l’autre côté à l’ouest du val, Jindaaur Nalacieug, lui, ne peut pas rêver. Trente ans et cinq gosses et fermier. Il tient en ferme le domaine d’un bourgeois de la ville lointaine qui veut sa livraison, mensuelle, trimestrielle, annuelle. Œufs, fromages frais, fruits et légumes frais, sacs de farine ou de haricots et le demi-mouton du trimestre et un jambon et une échine et dix pieds en saucisses deux fois l’an avec les sachets de lavande, les lentilles, les fruits secs et les fleurs en sus. Le fermage c’est le plus dur : si tu n’as rien, tu payes quand même. Les loups ont bouffé le troupeau, la grêle a haché le verger ? Rien à battre : je veux mon gigot et mes poires sinon c’est dehors, toi et ta famille avec la marque au registre des faillis : tu pourras te brosser pour retrouver un domaine.

Métayer, même au tiers, c’est mieux ; un tiers de tout pour le bailleur mais on peut facilement resquiller alors les bailleurs évitent, d’autant qu’il leur faut un régisseur pour venir voir, compter, inspecter, tous les mois ou quinzaines ou semaines pour les pires pointilleux. Surtout, le métayage met les gens dans la même charrette, bailleur et travailleur : à la mauvaise récolte on se serre tous la ceinture, à la bonne récolte c’est bombance pour tous, pareils. Les joies et les peines ensemble c’est quand même mieux. Mais les bourgeois de la ville n’aiment pas. Au contraire du monastère d’Aranval, où les prêtres d’Osiris et Thoth et Nephtys font du métayage à temps limité avec les jeunes, surtout des cadets qui n’ont pas de bien à attendre ou espérer, pour qu’ils aient de quoi se lancer.

Alors Jindaaur trime, lui et sa femme et son fils de huit ans. Vrai que les bonnes années il engrange sans que le bourgeois puisse prétendre à rien de plus. Grâce à quoi il a pu bien nourrir ses moutards les derniers ans. Mais avec deux mauvaises rentrées de suite sur les blés et l’orge, il tire désormais la langue et consent des dettes. Au meunier Tordello, au forgeron Takarim, aux Ordloth à qui il a emprunté des semences, à Bilbert Renlaf pour des saillies de brebis, parce que c’est le mouton qui le sauve : il a dix bêtes dans les pâtures communes où il ne prend d’ailleurs jamais son tour de veille. Heureux qu’en ce moment les Brivars, les Talvestre, les Kewstreem aient des jeunes gars en âge de monter aux herbages. Mais lorsque les petits Nalacieug seront en âge, il faudra qu’à leur tour ils y aillent et de bon gré seulement, sinon il y aura des regards de travers pour commencer.

S’il n’y arrive pas, Jindaaur pourra recourir au pire. En dessous, ou chez les sauvages ou les monstres, on a toujours besoin de jeunes corps, les acheteurs ne manquent pas. Il suffit de se faire connaître vendeur, parfois l’affaire prend moins d’un mois. Pas qu’on aime vendre le petit ou la petite, sûr qu’on les a pas fait pour, mais si c’est la seule solution pour sauver les autres bouches… parce que des fois, y a pas mystère : ça sauve. S’il n’arrangeait qu’un seul côté, l’esclavage aurait disparu de longtemps. Le prix d’une petiote assez jolie peut valoir un an de ferme. Personne n’est à l’abri de ça et quand à la deuxième mauvaise année de suite le colporteur s’accompagne d’un adjoint miorc, on sait bien ce que ça veut dire.

Au fronton des maisons le giboyeur d’esclave c’est la terreur des enfants et le déshonneur des familles ; on n’en parle pas, jamais à quiconque. Mais dans le fond, même quand on avouerait, qui osera condamner la mère qui cède au nom de ses autres petits ? Alors « Si t’es vilain on te vend au giboyeur » trouillarde les mômes avec raison : l’hypothèse n’est jamais exclue.

Derrière sa grande sœur, Halfric a connu deux cadets. Le dernier n’a pas survécu à son premier hiver. L’autre, Nastoric, savait qu’il n’aurait pas la terre, l’avait mauvaise, n’a pas voulu rester. Il a été ouvrier chez des métayers du seigneur puis est allé au bourg se vendre, comme un pauvre qui n’a que ses bras, au lieu de s’en servir pour prendre tenure ou ferme ou métairie ou même des terres vierges, il y en a encore foison : Halfric et le père l’auraient aidé, tous les jours que Râ nous éclaire. Cinq ans qu’on ne l’a plus vu, parti avec une caravane pour on ne sait pas où, malédiction d’une bouche nourrie pour rien.
Alors Eïon, un fils cadet des Brivars, ceux de la grande propriété derrière la meunerie, est venu donner un coup de main et surtout lorgner sur Beth, la grande sœur, qu’il a bien fini par épouser. Le père s’est entendu avec le vieux Gorosham Brivars pour tailler un lopin au nouveau couple mais le truc d’Eïon c’est d’abord le bois : bûcheron certes, mais encore un joli coup de patte d’ébéniste et de charpentier. Beth soupire qu’ailleurs qu’au hameau son époux aurait pu faire de l’argent avec son talent.

« L’argent ? » grince Lameiliade Arcaulmir, le vieux mielfe qui a vu bien des choses et qu’Halfric aime retrouver autour d’une chopine chez Margon, dont la maison tient lieu d’estaminet car elle est vaste et il s’y connaît en brasserie.
« L’argent ça te protégera pas. S’il y a famine, mon gars, chaque gens du bourg aura dix fois ton pèze pour acheter ce qui resterait à vendre pour manger. L’argent ça ne te protège pas de la maladie, de la mort, de la guerre, au contraire même. A la guerre, ce qu’on cherche, c’est le bourgeois à piller, quitte à l’éventrer avec ses gosses, donc moins t’es riche mieux tu te portes. Pas que le pèze soit une mauvaise chose, au contraire, mais si t’en as alors sers-t’en. Fais-toi la vie meilleure. Achète de la terre pour tes enfants, embellit ta maison, prends un cheval ou une vache de plus, offre une robe à ta femme. La vieille Burturin, elle dort sur dix besants4 que ses ancêtres se transmettent de génération en génération ; du coup son fils, le Natanio Burturin, attend qu’elle crève pour faire juste la même chose qu’elle. Ca doit faire trois siècles, ce manège, chez eux. Et ils sont pas les seuls ni les pires. Y a comme ça des gens chez qui chouraver revient à rendre service, à soulager même ; dommage qu’ils ne le comprennent pas. »

Lameiliade Arcaulmir est un sage. Il se targue d’avoir connu Ann Vlyn, féal compagnon de feu l’ancien duc dont le seigneur est vassal. Il a aussi fricoté avec des gens qu’il vaut mieux ne pas connaître. Il n’a pas son pareil à l’arc à vingt lieues à la ronde et jouit de l’estime du seigneur. Bref, il fascine.
Sur l’argent il n’a pas tort mais pas raison non plus. Il dit ça pour consoler les autres qui n’en ont ou perçoivent guère. Ils n’ont pas la chance d’avoir un terroir proche d’une issue de l’endessous.

L’endessous manque toujours de deux choses, au moins : de la nourriture fraîche et du bois. Ce pourquoi les débouchés des nains et autres de sousterre ont toujours été propices à de grosses exploitations dans leurs environs. Il y en a une dans la famille du meunier Tordello, grâce à quoi ils ont pu racheter pour un de leurs fils à mettre en ménage la meunerie aux Cardlof brisés par la perte de tous leurs gosses, il y bien cent ans. Les trois gamins avaient mangé des fraises du voisin, des fraises à la brenne vu que le voisin chiait de temps en temps dessus pour améliorer la terre, peut-être un peu ardemment s’il avait déjà eu vent de précédents larcins. Les gamins Cardlof n’ont pas survécu à leur ingestion de merde, avec de vilaines souffrances : le ventre gonflé et de l’eau brunâtre s’écoulant par tous les trous pendant près de deux semaines. Le grand-père d’Halfric affirmait bien se souvenir de cette tristesse pour l’objurguer avec ses frère et sœur de laver leurs cueillettes de fruits sauvages à l’eau pure du bassin de la maison ou au moins à l’abreuvoir avant de manger.

Stocker, encore et encore : pour Halfric comme ses voisins, il n’est pas de priorité supérieure. Stocker le grain, le haricot, la châtaigne, les farines, les fruits et légumes séchés, les confitures, l’eau-de-vie, le fromage, le lard, le saucisson, le jambon, l’huile, le vin, le miel, le bétail, la basse-cour, et se méfier des souris et des prédateurs domestiques ou sauvages, des voleurs, des rapaces. Se demander s’il faudrait pas planter de la potate, comme ils la font dans le sud, ça tient à merveille en grange mais on ne sait pas si ça donnerait bien par ici. Rentrer du bois et du fourrage pour que l’hiver on aie ce qu’il faut. Constater que cette année ont bien donné : la fève, la rhubarbe, le potiron, la framboise, la pomme, la carotte, la courge, l’ail, le thym, le saindoux, le poireau, le chou, les noix, et surtout l’oignon, il y en avait de quoi remplir des baquets. A cela faire de la place. Il y a des bourgs ou des castels qui ont des glacières, il paraît que ça conserve très bien, mais il faut de gros moyens avant de s’offrir pareils ouvrages.

Mais après-demain il y aura bal pour la fin des vendanges au bourg, avec des musiciens et des danseurs dyonisiaques. Il ira avec Yelinna et les Brivars qui ont proposé leur charette y rire et boire en lorgnant Lameiliade qui cherchera à trousser quelque ribaude. Sans s’amuser un peu, que vaudrait de vivre ?


Halfric vit dans le Frontessin, fief secondaire du duché de Maelne dont les terres son disputées entre le royaume de Marn et le duché de Havener et où a essaimé le parler farxelois devenu une marque d’identité à la fois contre Marn et contre le Havener. Il pourrait aussi bien vivre ailleurs : de par le monde il y a des millions d’Halfric, plus ou moins semblables au fils de Rothrik Besundkann, qui partagent les mêmes espérances et soucis que lui ou ses proches ou ses voisins.
Ce récit, repris des notes manuscrites du sieur Lilto, enquêteur pour le bailli de Maelner, date d’il y a deux ans, c’est-à-dire d’avant la famine.

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1 — 1 arpent = 1/3 ha.

2 — Guldor : nom couramment donné en Varikland (et s’étant répandu au-delà, par exemple en Farxel, ex-Confédération, Empire) à la pièce d’or telle qu’étalonnée par la Cinquième Conférence de l’I.T.G. ; viendrait, selon les uns, de « la gueule du roi » frappée sur les pièces, selon les autres du vieux mot varik de « guld » qui signifie « or ». Parfois écrit « gùldor » ou appelé « gùld » ou « gùlden » (l’accent servant à spécifier le « u » dur) c’est l’équivalent monétaire du ducat d’Evriand, du denier de Marn, du talent de Vizan, du standard ou shildor Wejlan etc…

3 — Silve : nom couramment donné à la pièce d’argent étalonnée par la Cinquième Conférence de l’I.T.G. Vient de l’arbre frappé sur un côté de la pièce de référence émise à Evriand. Souvent appelée denier en Empire et Farxel. La silve se divise en dix sequins (de cuivre) eux-mêmes divisés en cinq sols (pièces percées, également en cuivre ).

4 – Lourde pièce valant vingt ducats (ou guldors), généralement employée pour le négoce plutôt que pour les échanges. Le besant « blanc », en argent, signifie vingt pièces d’argent, soit deux pièces d’or ; l’expression « besant blanc » est parfois employée pour désigner deux pièces d’or, notamment en Farxel et Varikland.

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