Le 4 Aries, la Lich-King Yôr franchit l’Undine au sud d’Isablis, menaçant à la fois l’Empire mais aussi Zevjapuhr, le Vizan et même Dere, avec ses unités d’élite de trolls, orcs, ogres et géants, appuyées par deux dragons. La Ve Légion se porta à leur encontre pour leur barrer la route ; elle perdit les trois quarts de son effectif dans la bataille qui suivit et Yôr mit tranquillement le siège devant Isablis qui, face à des dragons et des géants, n’allait pas tenir bien longtemps.
Langwend Shereïn remit à Sulia Romov le commandement des forces impériales en Marn et organisa en toute hâte une armée de secours formée des Ie, IIe et IIIe légions. Mais, en plein hiver, cette armée de 10.000 hommes ne put se réunir et marcher sur Isablis avant le 14 Taurus, alors que la ville était tombée depuis huit jours. Lorsque cette armée arriva sur place, les dragons ainsi que les géants avaient quitté les lieux, étant plus aptes à conquérir une ville qu’à la conserver. Yôr choisit cependant de s’enfermer dans Isablis et Shereïn, y voyant une erreur, décida logiquement de l’assiéger, tombant dans le piège.
Après cinq jours de siège une nouvelle armée Lich-King, principalement humaine et orc, aussi inattendue qu’inconnue, tomba sur les arrières des assiégeants, pris en sandwich entre les assiégés et eux. Elle était le fruit du travail de longue haleine mené par la Lich-King Xal-Sâr afin de récupérer et recycler les armées que Wiestmark et Tangruner lui avait opposées quelques mois plus tôt. 8.000 orcs s’étaient vus ainsi renforcés d’environ 7.000 humains, principalement des cavaliers et des archers, formant une armée redoutable et polyvalente sous le commandement du général-dragon Siussfuld. Pour corser les choses, l’attaque des Lich-kings survint la nuit. Dès qu’il en fut informé, Shereïn comprit immédiatement la situation et fit la seule chose qui lui restait à faire : ordonner le sauve-qui-peut. Cette décision, peu glorieuse pour le prestige de l’armée comme pour le sien, sauva probablement l’Empire. Celui-ci y perdit Isablis et le Sablern mais les trois légions menacées d’anéantissement purent être reconstituées à vingt lieues en arrière après une retraite aux allures de débandade. Sans quoi, avec les réserves engagées en Marn et le reste des légions en Arkandahr ou aux frontières, il ne restait quasiment rien entre la Lich-King Yôr et Ilnaëmb.
Yôr aurait-il poursuivi l’armée de Shereïn, il l’eût sans doute défaite de nouveau et ainsi contraint l’empereur à demander la paix en vaincu. Mais les Lich-Kings, comme grisées par le succès, voulaient tout gagner à la fois : Zevjapuhr, la Confédération, Marn, l’Evriand, le Wejlar et l’Empire. Ghùr s’occupant du front de Zevjapuhr, Yôr étant parti afin de prendre l’Evriand et ne pouvant être partout en même temps, leurs exécutants avancèrent lentement, préférant piller le riche Sablern plutôt que combattre l’ennemi. Zevjapuhr obtint le précieux soutien du Vizan ; Sulia Romov et Karl-Maria continuèrent de résister en Marn ; l’Empire put reconstituer une ligne défensive face au Sablern perdu pendant que la Confédération et l’Evriand se faisaient envahir et que le Wejlar sombrait après la perte de son roi tombé face aux hordes démoniaques de Pruarik. Vers la fin de cette succession de conquêtes, seulement interrompue d’un revirement devant Zevjapuhr, Ghùr avait pris l’offensive en Kohrland puis en Confédération tandis que Yôr achevait d’occuper l’Evriand tout en se préparant à attaquer en Wejlar.
A Ilnaëmb, la coterie Colstone – Oglevern n’en menait pas large ; lorsque Gedeor de Tarrend, Maréchal de l’Empire, dut se résoudre à informer Nirag III de la perte du Sablern et des événements y ayant conduit, la colère de l’empereur fut terrible. La supercherie initiée par Eymerinna de Colstone dut lui être dévoilée. Nirag bannit sur le champ à jamais de sa cour Rhunring d’Agde, Seymour d’Oglevern et leurs maisons.
Ghœfrie Darlong ne se fit par ailleurs pas faute de rappeler à sa Majesté Impériale que s’il elle avait été correctement obéie, rien de tout cela ne serait arrivé : les légions seraient demeurées l’arme au pied le long de l’Undine, telles un mur dissuasif pour ces Lich-Kings auxquelles il valait mieux ne pas chercher noise. Par surcroît, la manoeuvre de Shereïn pour sauver Marn, couverte par Tarrend, s’était retournée contre lui : en mobilisant directement les régiments de réserve, il avait ôté à l’armée impériale la profondeur que ces unités auraient dû lui conférer, fragilisant à l’excès la défense du territoire. De là à considérer que le gouvernement impérial avait préféré la défense du royaume de Marn à celle de l’Empire il n’y a qu’un pas, que Nirag effectua d’autant plus aisément qu’on pouvait penser la même chose au sujet de la défense de l’Arkandahr. Il fallait un bouc émissaire et ce fut le Maréchal Gédéor de Tarrend, condamné pour désobéissance à l’Empereur et exécuté dès le 28 Ariès par décapitation à la hache. L’imbécile Azur-Foulque Médz’hui fut limogé et les maisons de Colstone, Bergmale et Montaygue déclarées indésirables à la Cour.
L’empereur pardonna toutefois à Zareth et Larraka ainsi qu’à tous ceux qui avaient affronté personnellement les démoniaques créatures de Pruarik et occis Wilhein of Darkvile. D’une façon encore plus inattendue, il confirma Langwend Shereïn dans ses fonctions, le nommant même Maréchal de l’Empire à titre temporaire, le temps de la guerre contre les Lich-Kings. Cette décision est intéressante car elle révèle que Nirag III, pourtant décrié pour son éloignement et ses faiblesses, avait compris que Shereïn, même vaincu à Isablis, restait un exécutant de grande valeur et capable d’accomplir au mieux ses tâches. De son côté la princesse Dandria, avec son mari John-Daniel Arveïn, évita la disgrâce en réussissant à persuader son frère qu’elle croyait sincèrement oeuvrer pour le bien de la famille Naëmbolt, ayant été induite en erreur par Emeyrinna de Colstone elle-même dupe de la menace exercée par les Lich-Kings sur Marn. Pour les beaux yeux de sa sœur, Nirag III voulut bien admettre que toute cette mauvaise affaire était encore un coup du “parti varik” et des méchants Colstone.
L’exécution de Tarrend jeta un froid qui acheva d’isoler le monarque. De nombreuses petites ou grandes maisons avaient perdu des leurs : Enndal de Colstone, Xarwan de Chalkenmoon, Bernal d’Old-Arwen, par exemple, étaient tombés les armes à la main. Ailleurs d’illustres personnes dont des souverains : Maldrock et Zellina de Wiestmark, Zeffan de Wejlar, Eberhard de Marn, Norrin de Maelne, avaient pareillement péri en luttant contre les Lich-Kings. Leur ajouter la tête du vieux maréchal parut à beaucoup plutôt stupide et même cruel. Tout au long du règne de Nirag III, Tarrend s’était constamment montré un grand serviteur de l’Empire. Tirant les leçons des victoires obtenues par la Great Evil Coalition, il avait amélioré les cadres de l’armée en prenant en compte non plus seulement le mérite, la vaillance, la compétence militaire, mais aussi la culture, l’intelligence, la capacité à rester proche des hommes. Il avait mis en place une logistique et un train militaires devenus sans conteste les meilleurs au monde. Il s’était aussi montré un excellent chef d’état-major. Zareth, Laraka, Curvenol en furent horrifiés. Colstone, Montaygue, Bergmale, Chalkenmoon ne le pardonnèrent jamais à Nirag. Quant à Shereïn, dont Tarrend avait été le protecteur et le mentor, il n’accepta sa charge qu’à condition qu’elle soit temporaire, préférant sinon partir à la retraite.
Nirag prit ensuite deux décisions courageuses et judicieuses.
Tout d’abord, il appela l’ost impérial. Pendant un mois, tout ce que l’Empire compte d’hommes d’armes afflua entre Henrys et Nederia face au Sablern envahi, permettant aux légions vaincues de se réorganiser. Cela donna aussi à Shereïn les moyens de constituer en toute hâte les XIIIe et XIVe légions avec leurs régiments de réserve, de rappeler de Marn la Xe Légion et de recompléter les trois légions vaincues Sablern en puisant dans les 7e et 8e régiments de réserve. A la fin du temps d’ost, il disposait à nouveau d’une armée présentable contre l’envahisseur Lich-King.
Dans le même temps, l’empereur dépêcha son propre amant, le demi-elfe Elmë Nerenski, nanti des pouvoirs d’ambassadeur extraordinaire, auprès du Haut Royaume de Dere. Craignant de vexer le Haut Roi Carinlad en lui envoyant une personne de si basse extraction, il choisit pour l’accompagner le comte Fernal de Tolebrand-Terrel, l’un des premiers nobles de l’Empire, chef de la branche orientale de la maison de Terrel, bombardé pour l’occasion Hérault personnel de l’Empereur. C’était un vieil homme qui préférait rester dans ses terres à s’occuper de son fief, ni diplomate ni ministre expérimenté, mais membre de l’une des plus puissantes familles de l’Empire. Or les Tolebrand ont toujours eu en face d’eux les orcs d’Obsidienne, territoire dissident au sein de l’Empire, dont les racines remontent aux temps du Fléau de Derenworld : combattant au quotidien ces humanoïdes, les Tolebrand ne pouvaient éprouver la moindre complaisance à leur égard ni être tentés par quelque forme de double jeu. Enfin, ses cousins Terrel ayant en Sablern des domaines sous le joug et les horreurs des armées des Lich-Kings, le comte Fernas n’en serait que plus motivé pour plaider la cause impériale.
Cependant, le véritable négociateur est bien Elmë qui pouvait s’appuyer sur l’admission au sein de la noblesse d’empire du premier rang 1 de la toute nouvelle comtesse de Lainz-Keshamar, elle-même une elfe : difficile de trouver meilleure preuve de la tolérance raciale prévalant désormais envers les Premiers-nés dans un empire Naëmbolt où, après les invasions des monstres d’Hornst et de ses Héritiers, après celles de humanoïdes de la Great Evil Coalition suivis des nains Thûzz, après les démons de la main d’Arioch ou les calamités en tous genres de la All Wizards’ War, il était de longtemps devenu évident que les Sindars ne représentaient plus un ennemi ni une menace.
L’inconvénient avec les elfes vient de ce qu’ils ont une vie longue et la mémoire qui va avec. L’hostilité anti-elfe de générations d’humains de l’Empire avait presque disparu de leur mémoire collective quand elle demeurait un souvenir vivace chez la plupart des elfes et le vécu de nombre d’entre eux. Pour bien des Sindars, les impériaux n’étaient que des Alnoes 2 ayant fait sécession avant de les trahir. Le Haut Roi Carinlad n’estima donc pas opportun de recevoir l’ambassade que lui envoyait l’empereur Naëmbolt mais, en souvenir du grand Nirag Ier dont il avait personnellement honoré les funérailles, il accepta qu’elle soit entendue dans le Deran Taur, en dehors la cité de Dere, par son Héraut Cunaroe et par son Champion Antorië faisant tous deux office de négociateurs.
Les impériaux représentèrent aux Derans que depuis leur invasion du Sablern, les Lich-Kings constituaient un grave danger pour leurs deux peuples pareillement menacés, ajoutant qu’il ne faudrait pas compter sur le Vizan, intéressé uniquement par la sauvegarde de Zevjapuhr et de son propre territoire. Certes Dere s’est retirée des affaires du monde pour se confiner dans sa forêt la plus restreinte. Ce qui lui a épargné les innombrables calamités qui se sont abattues sur le monde depuis cette décision.
Le hérault Cunaroe remarqua avec ironie que la survenance de ces calamités avait peut-être bien quelque rapport avec la rétractation de Dere des affaires du monde et que cette rétractation avait elle-même peut-être quelque rapport avec la politique des prédécesseurs de l’actuel empereur. Le champion Antorië rappela plus brutalement que cette rétractation ne provenait pas d’une décision unilatérale du Haut Royaume pour sa sécurité mais du résultat d’une guerre voulue par les hommes et perdue par les elfes.
Fernal de Tolebrand précisa : par certains hommes, ajoutant que nul ne songeait à contester que l’Empire Naëmbolt avait eu tort envers les Sindars et leur avait causé du tort, mais que le venin du passé ne saurait contaminer une histoire dont il deviendrait le mauvais conseiller. Personne ne comprit goutte aux propos du comte de Tolebrand et un long silence suivit avant qu’Elmë ne revienne au sujet principal de son ambassade.
― Si le Haut-Royaume a été épargné, c’est parce que personne n’a osé s’en prendre à lui. Celebengrin a montré le chemin. La Deran Thil-Magith est pleine de mages. Les forêts deranes sont pleines d’elfes magiciens. C’est pourquoi personne n’a osé s’y frotter depuis des siècles, avec raison. Mais aujourd’hui les Lich-Kings exécutent un plan concerté pour s’emparer du monde entier et il n’y a pas de raison que Dere fasse exception. Leurs armées sont à vos portes et elles ont déjà enfoncé les nôtres. Et il ne s’agit pas de quelques milliers d’orcs qui iraient s’égarer dans vos forêts jusqu’à ce que vos mages combattants les dispersent. Les Lich-Kings emploient des monstres magiques et des démons, en nombre, en hordes. Vous ne pourrez pas affronter tout cela à la fois et nous non plus.
― Pourquoi ne recourez-vous pas à des aventuriers ou des auxiliaires pour éliminer leurs démoniaques ? répondit Cunaroe. Ce ne serait pas la première fois. Il me semble d’ailleurs que récemment, votre archimage Larraka ou le sorcier Roen, parmi d’autres, ont été ainsi employés.
― La dernière fois ne peut pas être chaque fois. La sécurité de l’état ne doit pas dépendre d’une compagnie d’aventuriers ou d’auxiliaires, aussi fidèle ou puissante soit-elle. Il n’y en a d’ailleurs pas tellement qui en sont capables. Les paladins d’empire sont une exception précisément parce que ce sont des paladins : ils sont désintéressés par nature même. Mais les autres ? D’ailleurs, ce n’est pas seulement une affaire d’argent ou de prestige mais une question de principe. Roen n’a pas vocation à devenir le serviteur ou l’employé permanent de la couronne. Larraka oui, mais il est déjà affecté à la protection de la personne impériale et on ne peut pas l’envoyer systématiquement au front sans mettre sa Majesté en péril. Son école forme des mages chargés de la défense de l’ordre interne de l’empire, pas des militaires, d’ailleurs la Convention de Bakor s’y oppose. Tenez, prenez par exemple la comtesse de Keshamar : c’est une mage elfe, elle a plein de copains aventuriers, elle a vaincu avec eux la Main d’Arioch : mais si on confie à elle et ses compagnons la mission de défendre l’Empire, demain elle aura barre sur le gouvernement tandis que les maisons nobles hurleront au retour du pouvoir des mages.
― Faites comme le Vizan, faites comme tout le monde : louez les services d’Emer, d’Ariacandre, d’Evlin, de la Zelligar’s : vous avez le pognon et, que je sache, ce ne sont pas les grands mages qui manquent pour des gens comme vous !
Tolebrand saisit l’allusion ; il leva la main et intervint d’une voix lente.
― Le vol de la magie c’était pour vous hier. Je comprends, je comprends… Voyez-vous, il y a des elfes dans mon comté. Pas beaucoup, quelques-uns. Ils habitaient la forêt d’Obsidienne, il y a des siècles de ça. Hier pour vous, assurément. Peut-être même certains de ces elfes ont-ils vécu aux temps d’Eremothep. Peut-être aussi en veulent-ils encore aux humains de la merde dans laquelle les orcs les ont mis. Mais aujourd’hui, pour défendre ou récupérer leurs forêts, ils sont prêts à accepter n’importe quel mage humain de bonne volonté qui fera l’affaire, voyez-vous.
Elmë approuva.
― Nous parlons du monde d’aujourd’hui. Vous pouvez penser : laissons les humains se débrouiller avec des ennuis qu’ils ont bien cherché et qu’on leur a prédit voici mille ans. A quoi cela vous avancera-t-il ? A vous venger de quoi, de qui ? Quel mal vous a fait Nirag III ou n’importe quel de ses sujets né ces cent dernières années ? Si nous sommes venus aujourd’hui, c’est pour une main tendue de part et d’autre de la table parce que nous avons des intérêts communs.
Les deux elfes parurent ébranlés et ne dirent rien.
― Et que proposez-vous ? répliqua finalement le hérault de Dere.
― De collaborer à une défense commune. L’Empire s’efforcera de protéger Dere des Lich-Kings exactement comme si c’était son territoire. Deux légions, la IIIe et la XIVe, y seront consacrées. Cinq mille hommes pour vous protéger, outre vos forces.
― Nos armées ne quittent jamais la forêt de Dere, s’exclama Antorië.
― Nous le savons. Ce n’est pas ce que mon maître vous demande.
― Qu’attendez vous alors de nous ? demanda Cunaroe.
― Celebengrin. Votre High Wizard. Avec ses meilleurs équipements et sept ou huit de vos mages combattants à ses côtés. Et s’il vous plaît ne me sortez pas la Convention de Bakor parce que vous avez compris comment vous en servir depuis les tristes événements qui vous ont contraints à le faire. Aujourd’hui, Carinlad est le seul roi au monde à pouvoir aligner dix mages combattants et les perdre, dix autres et les perdre, encore dix autres et ainsi de suite jusqu’à vaincre. Je ne vous en demande pas autant, seulement six ou sept, avec Celebengrin. Lord Zareth ou Lord Curvenol ou Lord Penter et une haute prêtresse les appuieront. Ils mettront en déroute les démoniaques des Lich-Kings s’ils surviennent de ce côté-ci de l’Undine et à chaque fois qu’ils surviennent. Ne me dites pas que vous ne pouvez pas y arriver : ca fait près de cinq millénaires que vous fabriquez des armes magiques, vous avez forcément ce qu’il faut.
Les deux Sindars se regardèrent en silence. Elmë Nerenski comprit qu’il était en train de gagner la partie et enfonça le clou.
― Cette alliance restera secrète et limitée à la guerre contre Lich-Kings tant que celles-ci auront des forces à l’est de l’Undine. Ni Sa Majesté Impériale ni le Minyatar Carinlad ne signeront quoi que ce soit. Officiellement, ils n’en auront jamais entendu parler. Votre parole de hérault de Dere nous suffit et vous avez la nôtre.
― Qu’est-ce qui vous fait croire que le Haut Sorcier Celebengrin acceptera ? lança Antorië en souriant.
Elmë Nerenski lui rendit son sourire.
― Messire Champion de Dere, vous savez mieux que moi que vous n’aurez même pas à le convaincre.
⬦
Dans la foulée de sa conquête de l’Evriand, la Lich-King Yôr poursuivit son action non pas vers le Wejlar, au nord, ainsi qu’on pouvait logiquement le supposer, mais en tournant au contraire vers le sud-est pour se jeter sur l’Empire. A la mi-Cancer, l’armée lich-king passa devant Toende où la VIe légion l’attendait de pied ferme, et l’ignora. Le 25, elle commença de franchir l’Undine entre Corontown et Dürfalls devant la seule IIe légion. Bien qu’averti par Lord Curvenol, commandant de la VIe légion, qui avait pu largement observer l’ennemi défilant devant ses troupes, le Paladin Glade commandant la IIe légion reçut pour instructions d’éviter le combat et ne pas risquer la destruction de ses unités alors qu’une défense de première ligne le long du fleuve, offrant un point d’appui idéal, eut pourtant pu paraître judicieuse. La VIIe légion, placée en réserve à Orandreth, reçut l’ordre de foncer vers l’ouest non pour se joindre à la IIe afin de repousser l’ennemi mais pour se claquemurer dans Corontown, empêcher que la ville soit prise et préserver autant que possible la riche province de Crownland des pillages de l’ennemi. De son côté la IIe légion recut pour instructions de faire la même chose dans la ville et pour la province de Dürfalls ; ce qui laissait grande ouverte à Yôr la route vers le coeur de l’empire et sa capitale Ilnaëmb, gardée par la Ie légion.
Aussitôt, les nobles s’affolèrent. Oglevern, Johstarre, Goldhelm, Keshamar, Orandreth-Colstone, Arwen et Old-Arwen avaient là leurs domaines, leurs meilleures terres ou leurs fiefs entiers, sur lesquels planait désormais la menace directe de l’invasion lich-king. Tous appelèrent aussitôt leurs bans, bien décidés à se battre sur leurs terres, formant des unités “d’irréguliers” mises au service de la Couronne si elle le désirait. En à peine une semaine, les 5.000 hommes de la Ière légion furent renforcés de l’équivalent en irréguliers. Cependant, Shereïn continua d’éviter le combat, laissant Yôr s’avancer en Empire.
Il savait toutefois parfaitement ce qu’il faisait en n’opposant aux armées qui venaient de conquérir tout l’Evriand que les seules Ière et Xème légions. Renseigné lui aussi par Curvenol et par les réfugiés evrianders ayant fui en Empire, il savait que l’armée ennemie était “conventionnelle” en ce que composée presque uniquement d’humains et d’humanoïdes, certes dotés de cavalerie, d’engins de siège, de compagnies d’archers, certes avec un noyau de troupes d’élite et de trolls maintes fois victorieux au point de se croire irrésistible, mais sans créatures surnaturelles. Il en conclua que les Lich-Kings n’avaient pas donné toute leur mesure dans cette attaque et qu’une seconde offensive était sans doute en préparation. Il refusa donc de changer de dispositif et en particulier de dégarnir son flanc sud pour contrer la menace au nord, même dirigée contre la capitale et les meilleurs terres de l’empire. En attendant, les “irréguliers” nobles et miliciens accomplirent exactement ce qu’il en espérait : un travail de ralentissement de la progression ennemie.
La suite lui donna raison. Le 18 Leo, une seconde armée lich-king se mit en route depuis le Sablern, longeant la forêt de Dere, apparemment en direction de Henrys, avec les créatures de Pruarik et plusieurs géants, mais sans les dragons, alors occupés à ravager la Confédération. Cette armée aurait dû être commandée par Wilhein de Darkvile mais celui-ci ayant été occis par Lord Zareth, il avait été remplacé par la gnoll Henaïshehéna, une vétérane de plusieurs batailles, mais qui avait bien du mal à faire accepter son autorité par un collectif où figurait notamment le Grand Shaman orc Bonono et un étrange démonologue ogre-mage du nom de Bosapis, qui ne pouvaient pas se souffrir l’un l’autre. Pour en imposer définitivement à ses collègues, Bosapis entreprit d’invoquer Grathaun, un demi-démon descendant de Gra’zt, afin à la fois de commander la horde démoniaque de Pruarik et de remplacer Henaïshehéna. Grathaun se présenta comme ayant l’assentiment de Yeenoghu et de Ghùr : c’était complètement faux mais Henaïshehéna n’osa pas refuser de lui céder sa place. Pruarik se soumit lui aussi avec une obséquieuse déférence, probablement feinte.
Grathaun, qui n’était pas originaire de Derenworld, décida d’impressionner ces minables mortels du plan matériel en se faisant passer pour son aïeul Graz’zt. Il choisir pour l’assister une commandante marilith particulièrement expérimentée dans les guerres d’outre-monde, outre son fidèle serviteur, un gros Glabrezu, qu’il intronisa commandant en second. Ce sont ces forces qui, démons en tête, rencontrèrent le 23 Leo au matin, près du village de Dwirendol, la malheureuse Ve légion prenant pour la deuxième fois, après Isablis, le choc frontal des pires troupes lich-king. Afin que les choses tournent rapidement au carnage, Grathaun-Graz’zt ne se priva pas de lâcher quelques sortilèges destructeurs qui firent grand effet : en moins d’une demi-heure de combat, la Ve légion était non seulement disloquée mais pratiquement exterminée. Juché sur une colline Grathaun, sous l’apparence d’un Graz’zt haut de quatre mètres, triomphait et paradait, entouré de quelques Babau et Vrocks hilares contemplant les derniers soldats impériaux en train de fuir un champ de bataille jonché de monceaux de cadavres, se moquant des gnolls et orcs restés très loin en arrière et qui n’avaient pas suivi son mouvement. Déplorant ce manque de coordination, il se promit d’y mettre bon ordre en infligeant quelques corrections bien senties à ces froussards qui lui servaient de piétaille.
Après exactement une demi-heure de combat, Grathaun-Graz’zt découvrit face à lui, flottant dans l’air à sa hauteur, l’image d’un homme de petite taille, chauve, au visage rond, poupin, presque juvénile, vêtu d’une ample robe brune à capuche serrée à la taille par une corde dorée, tenant un grand bâton brillant d’un vif éclat argenté, qui lui débitait des paroles d’une voix calme et monocorde. Cette sorte de gros pré-ado humain entreprit de lui expliquer un truc à peine compréhensible et carrément ridicule comme quoi il aurait violé une convention de quelque chose, ce qu’il ne fallait pas, sans doute parce que c’était mal. Bon : c’était une image évidemment, rien à foutre ; mais il y a vraiment un connard chez ces nabots naëmbolts qui croit que lui, Grathaun, va être intimidé par ce genre de prestidigitation qui laisserait de marbre le plus demeuré des kobolds ?
Ce fut la dernière pensée de Grathaun. N’étant pas un démon né aux Abysses, il n’avait pas d’avatar et possédait son essence dans le Plan Matériel. Une seconde plus tard, il était anéanti par une combinaison de huit sortilèges lancés par huit sorciers différents dont trois archimages, parmi lesquels le Grand Maître Qwim de Bakor en personne. Moins d’une minute plus tard, la Marilith, le Glabrezu et quelques démons qui se trouvaient à leurs côtés étaient renvoyés aux Abysses. Une minute plus tard, les douze mages de la Roue de Bakor disparaissaient pour s’en retourner en leur académie. Au même instant, Ziophule Rhorgo-Bonono, Grand Shaman des orcs Bonono, transperçait de son Epieu Gruumshique le dos de Bosapis en lui murmurant simplement : “connard”.
Les démons se regardèrent, déboussolés par la disparition de leur chef qui rompait leur unité, les renvoyant à leur conditions individuelles. Ce fut ce moment que les elfes Sindars, qui les pistaient depuis plusieurs jours, choisirent pour survenir à l’endroit même où gisait le cadavre de Grathaun. Dès qu’il avait vu le pseudo prince démon lancer des sorts en pleine bataille, le Haut Sorcier Celebengrin avait compris que la Roue de Bakor interviendrait. Quitte à laisser massacrer la Ve Légion , il résolut d’attendre que les bakorians fassent une partie du travail à sa place en éliminant Grathaun et ses principaux lieutenants. Après quoi, il appliqua le plan prévu.
A Dere, l’Enchanteur Caranwë lança une magie de Voeu réduisant les défenses anti-magiques de tous les démons du champ de bataille pour une dizaine de minutes. Après quoi, les elfes apparurent et le combat commença.
S’avançant comme un coin dans la horde démoniaque, le Savant Mithdil, prêtre de tous les dieux elfes, et le révéré Cananderi servant Seker prononçaient bannissements et renvois, protégés par l’épée de Lord Zareth. Autour d’eux, le fin Terenur, Haut Mage de la Deran Thil Magith, accompagné de trois de ses meilleurs sorciers, dézinguaient à coups de baguettes et bâtons magiques tout ce qu’ils trouvaient de restant à portée. Au milieu des démons, virevoltait Celebengrin, passant de l’un à l’autre, apparaissant, disparaissant, reparaissant avec une rapidité surnaturelle. Sanglé tel un danseur dans une tunique de mithril où brillait une émeraude luminescente, un bandeau de métal étincelant autour de sa chevelure nouée, le grand elfe bondissait et rebondissait sur de fines bottes noires qui semblaient par instants ne pas toucher terre. Pris par une sorte de frénésie destructrice, il hurlait plutôt que lançait ses sortilèges au combat, les émaillant d’insultes et de cris de rage ou de victoire, exécutant la gestuelle des sorts comme un art martial. Tournoyant, pivotant, sautant par dessus, s’enfonçant dans le sol, ressurgissant en vol, il enchaînait mouvements et sortilèges avec une vitesse qui le rendait incompréhensible pour tout autre que lui-même. Si quelque démon réussissait à prévoir où il se trouverait afin de l’y attaquer, juste au moment de l’atteindre s’interposait une paroi de force, un tourbillon aérien, un mur de glace ; l’instant suivant, Celebengrin avait disparu de nouveau, le plus souvent pour se retrouver juste derrière son assaillant. Cinq minutes de ce combat suffirent pour disperser les démons survivants qui se téléportèrent le plus loin possible, bien résolus à ne pas y revenir de sitôt.
Pruarik observait la défaite pendant que Henaïshehéna fulminait : Bakor puis les Derans dans la même journée, personne ne peut supporter ça. “Ils en ont après moi, murmura Pruarik à Ziophule Rhorgo-Bonono. Ils ont déjà fait le même coup et il ont eu Wilhein. Maintenant que ce gros con de Grathaun a eu ce qu’il cherchait il ne faut pas que je reste ici, sinon ce massacre va se répéter et vous y passerez aussi. Je m’en vais. Dites à la hyène que j’essaierai de récupérer ce que je peux de mes petites choses”. Ainsi l’armée lich-king de Sablern perdit-elle la plupart de ces démons que Pruarik préférait appeler ses “petites choses”.
L’impact de la présence de Grathaun, aussi brève qu’elle ait été, eut un long effet. Pendant plusieurs semaines sinon mois, tout le monde en Empire comme ailleurs fut persuadé que Graz’zt commandait en personne l’armée lich-king du Sablern. Grâce à Larraka et aux derans, la Couronne et Shereïn savaient la vérité, mais il se gardèrent bien de la révéler publiquement car l’idée de Graz’zt prenant le relais d’Arioch pour envahir Derenworld unissait le monde entier autour de la cause impériale. Shereïn put ainsi sans crainte dégarnir toutes les frontières de l’Empire, sauf celles du nord, pour ses forces afin de combattre les Lich-Kings à l’ouest. Ainsi la IVe et la XIIIe légions purent faire mouvement afin de renforcer la Ière qui couvrait Ilnaëmb.
Désormais à nouveau commandée par Henaïshehéna et allégée de ses démons et de quelques unités qui avaient mal pris la mort de leur chef Bosapis, l’armée de lich-king du Sablern reprit son avancée en profitant de l’élimination de la Ve Légion qui lui ouvrait la route d’Henrys. Henaïshehéna choisit néanmoins d’éviter la ville, puissamment fortifiée, et continua d’avancer dans l’espace qui lui était offert pour se porter au nord vers Orandreth afin de lier sa progression à celle de Yôr. Le 12 Virgo 5198 elle arriva ainsi devant le Castel du Luth, en pays d’Arwen, où l’attendaient les IIIe et XIVe légions momentanément déchargées de la protection de Dere et placées sous le commandement de Johann de Montaygue, rappelé d’Arkandahr à la demande de Shereïn malgré l’hostilité de l’empereur.
Thiltalion, le commandant sindar l’armée derane censée rester à défendre le Haut Royaume, avait cependant outrepassé ses ordres. Il expliquera plus tard à son roi qu’un commandant doit toujours essayer de compter sur lui-même et non sur ce que les autres peuvent faire pour lui. Ainsi, au lieu de demeurer sur la défensive, Thiltalion avait suivi à distance les III et XIVe légions dans leur mouvement vers le nord jusqu’à leur retranchement autour du Luth. Il attendit l’assaut de l’armée lich-king pour surgir de sa forêt et tomber sur le côté de l’ennemi au début de l’après-midi. Ce fut la première fois dans l’histoire qu’Empire et Dere combattirent côte à côte dans une bataille rangée dont Thiltalion et Montaygue sortirent vainqueurs. Montaygue y expérimenta pour la première fois son idée d’un tir de barrage d’archers concentré sur les géants, tactique qui s’avéra très efficace, pendant que l’attaque de flanc portée par les elfes désorganisait complètement l’ennemi qui dut battre en retraite en laissant le tiers de ses effectifs sur le champ de bataille. La victoire du Luth arrêta définitivement l’offensive lich-king venue du sud, ce qui libéra la Xe légion, que Shereïn gardait en réserve.
Au nord-ouest, l’enfermement volontaire des VI, IIèmes et VIIèmes légions dans Toende, Dürfalls et Corontown obligeait Yôr à choisir entre prendre ces villes les unes après les autres, sachant que Dürfalls n’était jamais tombée et réputée imprenable, ou progresser en laissant suffisamment de troupes derrière lui pour se garantir de toute contre-offensive par l’une ou l’autre de ces légions qui, en cas de réussite, aurait coupé ses lignes de ravitaillement et de retraite, le menaçant d’encerclement. Il avait choisi la seconde option. Aussi est-ce une armée lich-king réduite de moitié qui progressait lentement dans le Heart impérial en direction d’Ilnaëmb. Mais même ainsi, ce ne sont pas moins 20.000 humains et humanoïdes avançaient sur les 12.000 hommes de Shereïn constitués par les Ière et IVème légions renforcées de nombreux contingents d’irréguliers.
Toutefois, entre la branche nord de l’offensive lich-king, menée par Yôr, et la branche sud, commandée par Henaïshehéna, il avait disposé la Xe légion afin de pallier toute éventuelle nécessité sur l’un des ces deux fronts.
Chacune des légions impériales a ses particularismes : la Ière est la légion d’Ilnaëmb, gardienne de la capitale et implicitement de la personne du monarque, auréolée de sa résistance à la Great Evil Coalition et aux Thûzz ; la IIe, légion du Paladin Glade et de l’imprenable Dürfalls, veille à l’entrée de la Vallée d’Arlve où elle est la seule qui puisse s’y aventurer ; la IIIe est la légion de Coron le Conquérant, qui correspond au Heart et au Crownland, les plus antiques terres d’un Empire qu’elle a en quelque sorte initié ; chacune a ainsi son histoire et ses traditions, telle la IVe des forestiers de Nordgaard et de Naù qui portèrent Nirag Ier au trône, la IXe des Naïgakis et de l’infanterie de marine, la XIe des barbares et cavaliers qui veillent contre la Great Anarchy, et ainsi de suite. Mais il y a quelque chose de très spécial à la Xe Légion, comme si Tyr, Thor, Athéna, Bes, Horus et Arès l’avaient tous bénie. Elle fait toujours le bon mouvement ; ses attaques emportent leur objectifs, sa défense est infranchissable et elle a toujours de la chance. Aucune ne s’entraîne aussi durement qu’elle, en particulier dans les collines arides du Brokelan. Elle tient garnison à Broke, l’une des trois citadelles imprenables – en tout cas jamais prises – de l’Empire, les autres étant Nordgaard et Dürfalls. Ses commandants, y compris subalternes, y étudient et apprennent d’archives soigneusement conservées depuis des siècles. Elle se mesure aux nains thûzz, aux Ritters de Farxel, aux géants des montagnes. Elle a hérité de la pensée naïgakie du combat maîtrisé, du sang-froid, de la domination de soi et de sa peur par le courage et le stoïcisme. Les maisons de Dwarvenstone et de Chalkenmoon se font un honneur multiséculaire d’y servir et de la servir. Elle est aimée et même célébrée par la population des marches et frontières méridionales qu’elle défend et où avoir un fils ou un mari dans “la dixième” confère respect et estime. Il ne s’agit pas d’une unité d’élite car aucune légion, y compris la dixième, n’accepterait quelque préséance d’une autre ou d’elle-même sous quelque forme que ce soit, outre qu’une hiérarchisation entre légions serait profondément contraire à l’esprit de leur institution. Il lui est d’ailleurs arrivé d’être vaincue, notamment par les thûzz. Mais la confiance de la Xe en elle-même comme envers elle, en sa valeur, en sa réussite, en sa chance aussi, a quelque chose d’invincible.
C’est cette légion que la victoire du Luth a libérée pour devenir une masse de manoeuvre que Shereïn jette aussitôt sur le flanc de l’armée de Yôr comme Thiltalion a quelques jours plus tôt attaqué le flanc de l’armée de Henaïshehéna. Dans le même temps, les IIe et VIIe légions sortent de Dürfalls et Corontown pour tenter de se rejoindre le long de l’Undine et d’encercler l’ennemi. Sous terre, les Naugs contrôlent la situation de concert avec les Olges, empêchant tout renfort ou échappatoire. Yôr, qui a appris la défaite et la retraite d’Henaïshehéna, n’ose pas prendre le risque d’un va-tout en tentant une percée vers Ilnaëmb quitte à se couper de ses arrières, ce qui pourrait conduire au complet anéantissement de son armée : il entreprend donc de se replier au contraire vers l’ouest à toute allure. Dans une suite de combats confus pendant une semaine, du 22 au 29 Virgo, les légions lancées à la poursuite des lich-kings et les unités de cavalerie d’irréguliers infligent des pertes considérables à l’armée de Yôr qui parvient de justesse à forcer le passage du fleuve près de Corontown pour se retirer en Evriand.
Le 30 Virgo, Shereïn peut considérer qu’il a gagné la campagne : l’armée ennemie de Sablern a perdu son fer de lance démoniaque et dû retraiter jusqu’à son point de départ en ayant subi des pertes importantes ; celle de Yôr est elle aussi retournée à son point de départ en Evriand, après avoir perdu près de la moitié de ses effectifs. L’année 5198 voit une nette victoire derano-impériale dans le conflit avec les lich-kings, d’autant que le Vizan a de son côté sauvé Zevjapuhr.
De l’avis de beaucoup, à commencer par Shereïn et Montaygue, il faudrait poursuivre l’ennemi, qui n’a jamais été aussi vulnérable, avant qu’il ne récupère de ses défaites : reprendre le Sablern puis prolonger l’offensive en Tangruner, délivrer l’Evriand et déboucher ensuite en Confédération ou par Marn en Wiestmark… Le Trollwarkhan du Kaclandùsh, dégoûté par Montaygue et Colstone autant que par l’inefficience des Lich-Kings contre l’Empire, a mis les pouces et s’est quasiment retiré d’Arkandahr. Des méganarkiens poussent certes en Wejlar mais cela n’inquiète guère l’Empire bien protégé par les ordres de Prias et de Kaïevitch. Toutes les ressources militaires sont donc disponibles pour une offensive vaste et massive puisque le monde entier soutient moralement l’Empire. Le moment est idéal, il ne faut surtout pas le rater.
Mais l’empereur voit surtout le long sillage sanglant laissé par les envahisseurs : l’hécatombe de la Ve légion, les morts des villages et des campagnes, les enfants orphelins, les femmes violentées, les maisons et les récoltes brûlées, tout ce qu’il faut panser, réparer, reconstruire. Comme le Trollwarkhan, mais pour des raisons bien différentes, il estime qu’il est temps que ses soldats mettent l’arme au pied.
Langwend Shereïn démissionne aussitôt, reprenant des fonctions de simple formateur au sein des réserves de la IVe légion. Peu importe à Nirag. La Cour est un désert et personne ne veut prendre le gouvernement ? Peu importe à Nirag, qui laisse l’administration et le Parlement désigner ses ministres : de facto, les bourgeois vont gouverner. L’empire revient aux temps d’Othon Walbarez ou de Tucker Pianzo.
Les nobles ne sont alors pas seuls à devenir quasiment fous de rage. Peuple autant qu’aristocrates ne pardonnent pas à l’empereur de ne pas avoir puni les Lich-Kings. Partout se répand l’impression de s’être battu pour rien. Les grands féodaux s’offusquent qu’on laisse crever confédérés et evrianders, qu’on abandonne Tangrune ou Wiestmark à leur sort, que la perte du Sablern soit actée sans état d’âme, que les elfes de l’ouest soient massacrés ou que le Wejlar soit anéanti. L’Empire a beau avoir récupéré Toende et s’y maintenir, continuer de soutenir victorieusement Marn, maîtriser ses sous-sols, et avoir vaincu ceux que personne n’avait vaincus, rien n’y fait : Nirag III ne peut qu’avoir tort et cette fois, la rupture est complète. Lorsque Erwindal de Colstone affirme qu’il étranglerait l’empereur de ses propres mains s’il le pouvait, il traduit assez précisément la pensée de nombre de ses pairs.
L’année suivante, en 5199, éclatent des rébellions qui s’étendent un peu partout mais se concentrent principalement dans le Heart : les terres les plus fidèles et proches de la Couronne. Oglevern, Johstarre, Old Arwen, Keshamar, Orandreth-Colstone et même Naù, le propre cousin de l’empereur, et même Terrel prennent les armes contre un Nirag III auquel il reprochent sa coupable inaction contre les Lich-Kings. Ce règne a perdu Zevjapuhr, Tangrune, le Wiestmark et maintenant le Sablern : pour tous, c’en est trop. Cependant Nirag III est désormais bien différent de l’hésitant et pusillanime souverain qu’il fut par le passé : il réagit immédiatement et charge le général Sulia Romov de la répression en lui confiant trois légions, les Ie, IIIe et XIIe.
On dit de Romov qu’il a la carrure d’un demi-orc, l’intelligence d’un elfe, et le courage d’un nain. De taille moyenne, fortement musclé, avec un cou de taureau, il donne un peu l’impression d’un gladiateur professionnel aux gestes lents et précis. Il sait qu’il n’est pas beau. Ses cheveux plats, d’un châtain mêlé de filaments grisâtres, surmontent un visage prognathe aux petits yeux renfoncés sous d’épais sourcils, aux pommettes à peine dessinées, aux lèvres décolorées, lui donnant une apparence particulièrement peu séduisante. Son apparence inspire plutôt la crainte ou la méfiance, sauf à ses hommes qui l’adulent. Il a été découvert et formé par Langwend Shereïn qui lui a enseigné que bien s’occuper de ses troupes constituait le premier moyen de toute stratégie. C’est surtout un roc mental, qui ne se départit jamais d’un calme impressionnant. Aucun commandant ne rassure davantage par sa présence et son sang-froid. Sa maîtrise tactique, nourrie d’une longue expérience personnelle du combat, est exceptionnelle. C’est aussi un parfait exécutant, tenace, dévoué, et dénué d’états d’âme.
De leur côté, les rebelles agissent isolément, sans coordination suffisante, ne parvenant pas à se réunir avant de se retrouver l’un après l’autre face à une légion trois à dix fois plus nombreuse que leurs propres forces. En outre certains grands nobles, tels Goldhelm ou Arwen, réprouvent ou refusent de participer à la rébellion. Depuis le Wejlar où il règne désormais, Rhunring d’Agde, qui connaît bien Oglevern, avertit ses amis que le vieux financier n’est pas et n’a jamais été un chef de guerre. Cette affaire est mal préparée, mal fagotée, et même pas dirigée. Ces gens sous-estimez l’empereur et tout ça se terminera mal, écrit-il à Mishal d’Arwen pour le dissuader d’entrer en rébellion.
Le nouveau roi de Wejlar a entièrement raison. A l’ouest, les troubles sont rapidement matés par les actions vigoureuses de Romov qui ne laissent aucun répit et aucune chance aux rebelles de l’ouest. Le nouveau maréchal, qui bénéficie généralement d’une supériorité d’au moins deux contre un, inflige une suite de défaites cuisantes à Oglevern, Johstarre, Old-Arwen, Keshamar et Naù : tous mettent rapidement bas les armes. Leur dernier espoir était Erwindal de Colstone, appelé par ses pairs et féaux à soulever l’orient : or le prince refuse. Il ne veut pas d’une une révolte de grande ampleur alors que les Lich-Kings sont encore en Empire. A la supplique que lui présente son ami Chalkenmoon, Erwindal répond qu’il ne fera pas le boulot des Lich-Kings à leur place. Il laisse ainsi sur le trône cet empereur Nirag qu’il exècre. Ce dernier ne va pas l’en remercier.
Il reste en effet à trancher la question du châtiment des révoltés. Selon Rhunring d’Agde, Nirag III ne s’est jamais pardonné de ne pas avoir condamné à mort Oglevern et Colstone en 5186, étant persuadé que l’un des deux avait commandité l’assassinat de son amoureux Durenham. Ne parvenant pas à savoir lequel d’entre eux était coupable, il avait hésité avant de renoncer à les punir tous deux, préférant le risque d’un coupable impuni à la certitude de la mort d’un innocent. En 5199, il ne voulait pas commettre deux fois la même erreur.
Depuis l’invasion du Sablern, Nirag a repris coutume de paraître en sa Cour qui le découvre amaigri, les yeux cernés, presque fiévreux tout en étant resté d’allure étonnamment jeune, sans un cheveu gris, presque sans aucune ride. C’est surtout son attitude qui est méconnaissable : il paraît le plus souvent renfrogné, craintif, comme tassé sur lui-même, et soudain l’instant suivant il explose, vitupère, accable tout le monde : le “parti varik” qui a tenté d’empêcher les Lich-Kings d’abattre un allié de l’empire, les méchants Colstone qui lui ont apporté l’alliance d’Arkandahr et le retour du Toender, et bien sûr tous ces traîtres ayant défié son autorité parce qu’ils n’admettaient pas la perte d’une des plus belles provinces de l’Empire.
La révolte matée, il veut les têtes d’Oglevern, Johstarre, Old-Arwen, Keshamar, et Orandreth-Colstone, déclarés hors la loi et rebelles. Il exige l’occupation de leurs fiefs et leur réunion au domaine impérial. Et il donne à Romov l’ordre d’arrêter les condamnés. Tour à tour Larraka, le vieil Oakfen, les amis de Dandria Mishal d’Arwen et Dor-Lion de Goldhelm, les hautes figures que sont Edward Satansdoom d’Agle et Edmund de Dwarvenstone viennent plaider la cause des rebelles et demander la clémence impériale. En vain. Mais l’intervention personnelle de Dandria va s’avérer décisive.
La princesse est moins furieuse des erreurs de Nirag que de sa tendance à se faire détester. Elle se entre sans invitation dans sa chambre pour l’engueuler, le traitant moins comme un monarque que comme son petit frère. Pour la seule fois de sa vie, elle hausse le ton contre lui. Elle commence par lui rappeler qu’elle est son héritière, car il n’a pas d’enfants, non qu’il ne puisse en avoir mais par choix. Puis elle menace, s’il ne pardonne pas aux rebelles, de renoncer pour elle comme sa propre descendance à ses droits sur la Couronne. Elle précise que cela revient à faire du Comte Bruce de Naù le premier héritier de la Couronne, ce même cousin Bruce qui a fait partie des rebelles. Certes Nirag ne s’en prend pas à lui parce qu’il est son parent mais de son côté, Naù n’est pas du genre à admettre ni à supporter que ses pairs comme Terrel ou Old-Arwen soient condamnés à sa place. D’autant qu’Erwindal de Colstone ne supportera sans doute pas non plus une l’exécution de son cousin d’Orandreth-Colstone. Si la sœur de l’empereur met sa menace à exécution, ce sera la guerre civile. Et en prime, la rupture avec sa propre famille.
Nirag ne voit pas d’autre choix que céder. Méfiante, Dandria fait immédiatement rédiger le pardon impérial par le Questeur Clavus Arzinski qu’elle fait signer par l’empereur avec elle et Elmë Nerenski pour témoins le 10 Aquarius 5199 dans le bureau du cabinet impérial.
Dès qu’il a apposé sa signature Nirag se lève et, alors qu’il appartiendrait aux autres de prendre congé, sort sans un mot après avoir adressé à sa soeur un regard qui la décompose sur place. Elle se lève à son tour lentement, marche vers le vestibule sans pouvoir retenir les larmes qui coulent sur ses joues au vu de tous. Elle sait qu’elle a perdu son frère.
⬦
Désormais l’empereur est seul. La plupart considère que sa paranoïa atteint un stade qui le rend inapte au pouvoir. Il n’a confiance qu’en Darlong et à la rigueur Nerenski, mais plus en Dandria, Larraka, Zareth. Cependant il ne peut gouverner en autocrate car les institutions impériales l’interdisent. Or il refuse de nommer des ministres à l’exception de Cyrus Oaken, désigné Diplomate Impérial parce qu’il a la confiance de Nirag en tant que frère du duc Bartalum qui a fidèlement servi l’empereur jusqu’à ce que maladie et vieillesse l’emportent. Le blocage institutionnel est donc total. D’un côté l’empereur refuse, de l’autre le Parlement, les guildes et les nobles refusent. Un étrange modus vivendi s’installe entre l’empereur et le reste de l’Etat qui tous deux ne font rien mais tous deux s’entendant pour ne pas en faire état dans le pays afin d’y préserver la paix et la confiance.
De facto, le pouvoir gouvernemental est exercé par trois seigneurs faisant office de pseudo-ministres : Aernol Chalkenmoon, John-Daniel Arveïn, l’époux de Dandria, et Adorn de Colstone, frère d’Erwindal qui s’est définitivement retiré dans son castel, car tous trois ont l’écoute d’une administration centrale symbolisée par la figure du Questeur Arzinski, dont l’influence est devenue considérable au point d’être considéré par beaucoup comme le véritable maître du pays. Ce pouvoir est cependant tempéré par l’inévitable Seymour d’Oglevern, que le grand âge a contraint à surveiller de loin, quoique fort attentivement, les finances de l’Empire. Mais ce pouvoir est principalement obéré par le refus systématique de Nirag de signer quelque édit ou loi que ce soit. Le même budget est reconduit d’année en année, toutes les nominations se font à titre provisoire, seule la politique étrangère est conduite.
Dandria Naëmbolt, peinée, ne veut plus participer aux affaires. Néanmoins, l’apparition providentielle de la Comtesse de Keshamar, qui se lie d’amitié avec elle, lui permet de proposer une politique de rapprochement avec Dere que Nirag III, lui-même pro-elfe, s’abstient d’interdire. La longue ambassade de Melkria de Keshamar dans le Haut-Royaume met un terme officiel à des siècles d’inimitié entre les deux pays. Pour la première fois dans l’histoire, Dere peut compter sur l’Empire Naëmbolt et réciproquement. Dere admet la perte de terres qui forment de longtemps une bonne partie de l’Empire, l’Empire admet que les elfes aient les mêmes rangs et droits que les humains, hobbits, nains et gnomes sur l’ensemble de son territoire.
Beaucoup d’acteurs quittent le devant d’une scène qu’ils ont longtemps animée. Rhunring d’Agde est parti en Wejlar pour y devenir roi afin de relever le Vieux Royaume envahi par les Lich-Kings. Les facultés d’Erwindal de Colstone, âgé et reclus, déclinent auprès d’Emeyrinna restée pour s’occuper de lui. Le vieux Bartalum d’Oakfen est mort, Penter ou Curvenol prennent leur retraite, la santé de Leylianna de Chanteveille décline, Dandria grossit et élève ses enfants.
La génération des amis de l’impératrice attend de prendre la place des partants. Elle juge sévèrement le règne de Nirag III, considéré comme déplorable au mieux, catastrophique au pire. Ce sont Mishal d’Arwen, Dor-Lion de Golhelm, John-Daniel Arveïn, Bruce de Naù, le Questeur Arzinski, et un petit nouveau, le Baron Shermiatov. D’anciennes figures sont encore là, évidemment l’inmourant Larraka, évidemment l’increvable Zareth, moins évidemment le résilient Seymour d’Oglevern. Mais ce sont d’abord les proches de Dandria et en premier le duc Mishal d’Arwen qui conduisent la révolution de Taurus 5206.
Vingt ans après que Nirag III ait repris un pouvoir qui lui avait alors été confisqué, pour l’abandonner quelques mois plus tard, il devient la cible d’une révolution inverse. Cette fois, c’est lui qui a le rôle de Geydrenna ou d’Erwindal, face à Arwen et Arveïn qui mènent la révolte dans le Palais. Et cette fois, l’empereur est seul. Son impopularité est depuis des années à son comble, auprès de tous. Ni le peuple ni les guides ni les municipalités ni l’armée ni l’administration ni un Larraka, Zareth, Arzinski, Goldhelm, Oakfen ou Eaglehunt ne viendront le défendre. C’est même Larraka qui lui demande son abdication, seule mesure pouvant lui éviter une humiliante déposition. Nirag, qui a soixante et un ans en paraît trente, n’oppose aucune résistance. Larraka rapporte qu’il apparut au contraire soulagé, comme s’il attendait d’être délivré d’une couronne qui l’écrasait depuis longtemps. Son unique exigence consiste à abdiquer en faveur de sa sœur Dandria. Elle est satisfaite.
Un certain mystère entoure les circonstances ayant conduit à cette abdication 3. Il est établi qu’elle n’a pas été improvisée puisque Bruce de Naù en était informé et l’avait par avance avalisée dans une lettre à Mishal d’Arwen datée de la veille. Personne ne sait exactement ni où elle a été signée ni en présence de qui à l’exception de Larraka, qui a témoigné de la signature de l’empereur et de la validité de la transmission des Attributs impériaux : la couronne, le sceptre et le globe, à sa soeur. Cependant l’ampleur de la conjuration menée par Arwen et Arveïn pour aboutir à cette abdication demeure largement inconnue.
Immédiatement après qu’il ait quitté le trône, Nirag III disparut et avec lui Darlong et Nerenski. Les oracles indiquèrent que l’ex-empereur vivait toujours et n’était ni en danger ni privé de liberté, mais aucune réponse supplémentaire à son sujet ne put être obtenue, même indirectement.
Dandria devint ainsi la seconde impératrice régnante de l’histoire de l’Empire Naëmbolt. Cependant, le pouvoir fut en réalité exercé par le couple impérial et en particulier par le Prince-Consort John-Daniel Arveïn qui entreprit immédiatement de restaurer un gouvernement digne de ce nom.
Mishal d’Arwen refusa tout poste et se retira chez lui, estimant avoir accompli sa mission. Il est aussi probable que le duc d’Arwen se soit senti quelque peu tourmenté : il avait été des rares ministres dans lesquels Nirag III avait placé sa confiance, ayant même servi vingt ans plus tôt de pilier à sa tentative de reprise en main de l’exécutif, et se trouvait peu glorieux d’avoir oeuvré à déposer son suzerain.
Pour s’assurer du parti de Colstone, Arveïn appela aux fonctions de Chancelier le comte Bruce d’Old-Arwen, fils du ministre démis et banni par le précédent empereur et qui avait été un proche d’Erwindal. En outre Adorn de Colstone redevint, bien entendu, Grand Amiral. On fit aussi place au baron Karyllis d’Oakfen, fils du vieil archiduc Cyrus, pour la Justice, au Prince Dor-Lion de Goldhelm, fidèle entre les fidèles de la nouvelle impératrice, pour l’Héraulté, et au comte Coronald d’Agle, ardent promoteur de la reconquête du Sablern, pour la Diplomatie. Johann de Montaygue fut judicieusement nommé Grand Maréchal de l’Empire.
Désireux de compléter ces nouvelles têtes par de plus neuves encore, Arveïn fit entrer au Conseil Impérial avec rang de conseillers le Questeur Arzinski et un certain Baron Gwey Shermiatov, spécialisé dans les opérations spéciales.
L’Archimage Larraka et le Lord Paladin Zareth conservèrent leurs fonctions, indépendantes de la nomination du cabinet du conseil. Le Comte Aernol de Chalkenmoon devint représentant de la Couronne au Parlement mais défuncta peu de temps après. En revanche, toujours bon œil sinon bon pied, le désormais très replet duc Seymour IV d’Oglevern fit un retour remarqué à Ilnaëmb, à la Cour et aux affaires en retrouvant ses fonctions de Trésorier d’Empire.
L’avènement de Dandria sur le trône fit l’effet d’un choc dans tout l’Empire. L’impératrice fut immédiatement adoptée et aimée car ses trois enfants assuraient la descendance de la lignée Naëmbolt. La souveraine gouverna avec un cabinet mêlant jeunes et anciens, compétent et dynamique. Son règne reçut d’emblée l’appui unanime de toutes les strates de la société. Le temps paraissait donc venu de passer à l’action contre les Lich-Kings.
⬦
Dès son accession au Grand Maréchalat, Montaygue nomme son cher Edmund de Bergmale pour soutenir l’Arkandahr et parer à une éventuelle contre-offensive d’alliés meganarkiens des Lich-Kings : il disposera à cet effet des VIII, IX, XI et XIIIe légions.
Pour le reste, le Grand Maréchal ne fait pas le détail : il prend toutes les autres légions et leurs réserves, appelle l’ost à se préparer, établit des plans pour lancer l’ensemble contre le Sablern sous le commandement de Langwend Sherein, Sulia Romov et Thiltalion. Puis il attend.
Il attend d’une part que le temps soit propice. L’enjeu est trop important pour se permettre d’affronter un ennemi bien mieux adapté à l’hiver que ses troupes. En outre, la vaste offensive qu’il a prévu emploi énormément d’hommes qu’il faudra donc nourrir et soigner, ce qui nécessite des capacités de ravitaillement optimales. Enfin, l’ost est réuni bien plus rapidement aux belles saisons qu’aux mauvaises.
Il attend aussi que les troupes soient prêtes à affronter l’ennemi lich-king. Car un tel affrontement signifie se coltiner des monstres, des géants, des morts-vivants, et peut-être même des démons, dont la seule apparition peut conduire à la débandade. Il lui faut donc prendre le temps d’entraîner, informer, encadrer ses hommes.
Il attend enfin et surtout que les Lich-Kings se concentrent contre le Lowenland, à l’autre bout de leur territoire. Le Grand-Duché représente la dernière puissance à l’ouest de l’Undine qui soit en mesure de leur résister. Si elles l’anéantissent, elles régneront sans partage sur le tiers occidental du continent. Mais le Lowenland n’a jamais été envahi et est très mal connu, étant interdit aux étrangers. On sait le pays fait de forêts et de montagnes, terrains propices à la défense plutôt qu’à l’attaque. Il faudra donc que les Lich-Kings mettent le paquet et c’est sur quoi compte Montaygue.
Il lance son offensive au milieu du printemps 5207, le 29 Taurus. La déferlante commandée par l’expérimenté Langwend Shereïn comprend sept légions plus l’ost, y compris les nains de l’Empire, ainsi qu’une force d’elfes de Dere : près de 60.000 hommes plus 3.000 Hauts-Elfes et autant de nains Naugs. En prévision de combats qui s’avéreront coûteux les impériaux et leurs alliés attaquent à près de trois contre un, sur des terres qui sont les leurs.
A la différence de leurs autres conquêtes, ni l’appareil ni l’administration lich-king n’ont réussi à s’implanter en Sablern où prévalent très fortement les religions raïques, qui résistent avec opiniâtreté. Le pays est donc occupé plutôt que conquis, principalement par des humanoïdes, notamment orcs et goblinoïdes. Ils ne s’entendent pas très bien entre eux et n’ont aucun relais ni support de la population humaine locale, comme ce fut souvent le cas dans les terres civilisées envahies lors de la Great Evil Coalition.
D’autre part, ni la Lich-King Ghùr, qui a autorité sur le territoire, ni son armée n’ont coutume de se trouver sur la défensive ou en infériorité numérique ; ainsi, face à l’imprévu, elles ne savent pas retraiter en ordre et avec cohérence.
Ghùr va également hésiter à envoyer ses troupes démoniaques, sachant Celebengrin et Larraka prêts à intervenir. D’autre part, elle répugne à dégarnir la frontière du Lowenland, craignant une action conjointe de ce dernier avec l’Empire 4. En outre, la liche manque d’information sur l’ampleur forces ennemies, qu’elle estime à une vingtaine de milliers d’hommes alors qu’il s’agit en réalité de trois fois plus. Ainsi, au lieu de concentrer une armée pour contre-attaquer en temps opportun, elle enverra des renforts par paquets insuffisants à éviter qu’ils se fassent broyer par l’offensive impériale.
Pareille accumulation de faiblesses et d’erreurs ne lui laisse aucune chance car en face, la conduite des opérations par Shereïn est parfaite. Il a bénéficié de six mois pour former et endurcir ses hommes afin de les préparer à affronter des humanoïdes géants et des monstres. Surtout, Montaygue et lui ont développé l’emploi des regroupements d’archers spécialisés dans le tir de barrage à longue portée contre les ennemis de grande taille, tels ogres et géants. Ces groupes, qui peuvent aligner plus de 2000 archers protégés par un régiment de piquiers, ont un effet dévastateur : il n’est pas rare que des géants soient touchés par plus de cent flèches.
Le moral de ses troupes lich-kings s’effondre si rapidement que le Sablern est reconquis en quinze jours, avec des pertes bien inférieures aux prévisions. La reconquête d’Isablis, le 20 Gemini 5207, facilitée par une révolte menée par les clergés d’Isis, Seker et Râ, est obtenue par une audacieuse opération de commando via le fleuve menée par Romov avec l’infanterie de la IIIe légion. A la fin du mois il n’y a plus d’ennemi à l’est du l’Undine.
Au même moment Lich-King Yôr, qui gouverne le nord des Lich-Kingdoms, soit l’Evriand et une partie de la Confédération, décide de profiter de l’engagement impérial en Sablern pour s’attaquer de nouveau à Marn, plutôt que de tenter une nouvelle invasion d’un Empire dont les forces apparaissent considérables. Mais Montaygue a prévu cette contre-offensive en conservant des réserves et en retirant, dès la prise d’Isablis, des effectifs des armées de Shereïn pour les transférer vers le nord à Corontown et Toende, où il prend personnellement le commandement. Yôr apprend la concentration des armées impériales et choisit alors de les écraser avant qu’elles soient au complet. Il porte ainsi l’essentiel de ses forces sur Toende, clef de la région en ce qu’elle ouvre à la fois la porte vers Marn mais aussi vers l’Empire.
Yôr va presque réussir. Il compte que Montaygue n’aura pas eu le temps de se renforcer suffisamment pour lui résister ce qui, au début, est le cas. Mais cours des deux premières batailles de Toende, l’armée impériale commandée par Montaygue tient courageusement face aux Lich-Kings dont elle brisent l’élan. La troisième de ces batailles voit la victoire des armées de l’Empire 5. Cette victoire, venant après celle de Bucklry, celles du règne de Nirag Ier, et encore celles de Montaygue, Shereïn et Colstone en 5197 achève de confirmer le résultat de longues réflexions et réformes que l’Empire a consacrées à son armée : celle-ci est bien la meilleure du monde. Vizan, monstres, humanoïdes : elle peut tout affronter, vaincre n’importe quel ennemi. Supérieurement commandée, parfaitement entraînée, souple et polyvalente, capable de se concentrer comme d’opérer en petits groupes, elle est devenue le plus bel outil militaire de Derenworld.
Grâce à elle, la guerre est gagnée. Toende a résisté, Isablis a été reconquise, Yôr et Ghùr ont été battues. Pour la première fois, les Lich-Kings sortent vaincues d’un conflit. Le vent a tourné. Le Wejlar, sous l’impusion de Rhunring, profite de la faiblesse lich-king pour reprendre des terres aux méganarkiens. Marn et le Lowenland vont pouvoir tenir bon. Les Lich-Kings attendront avant de devenir empereurs de Derenworld.
John-Daniel Arveïn pense que le temps de la paix est venu. Un armistice est secrètement conclu entre la Lich-King Xal-Sâr et l’Empire : les premières renoncent au Sablern, à Marn, et au Toender, le second s’engage à ne pas exploiter ses récentes victoires. Comme personne du côté impérial ne veut s’abaisser à signer quoi que ce soit avec les morts-vivants, Shermiatov est nommé à cet effet ambassadeur temporaire pour conclure l’accord.
Cette renonciation à poursuivre l’offensive dans la foulée des victoires obtenues par Montaygue et Shereïn suscite bien des désapprobations. Elle est par exemple à l’origine de la décision de la Comtesse Melkria de Keshamar de reprendre sa destinée d’aventurière vers la voie qui la conduira quitter son fief pour défaire les Lich-Kings et devenir Reine d’Evriand. Montaygue revient à Ilnaëmb pour engueuler Arveïn, supplier Dandria, convaincre Larraka (qui l’est déjà), en vain. Pour l’inflexible Arveïn, le prestige de l’Empire Naëmbolt a été rétabli, il a récupéré ses terres, on garde Toende ce qui garantit la sécurité de Marn : mieux vaut s’arrêter et capitaliser sur ce triomphe. Mishal d’Arwen ne se gêne pas pour déclarer à qui veut l’entendre de la Cour qu’il est honteux d’avoir obtenu l’abdication de Nirag III si c’est pour faire la même politique que lui. Il est soutenu par Bruce de Naù qui évoque de son côté la faiblesse inhérente aux gouvernements de femmes. Shereïn démissionne à nouveau. Tout cela ne changera pas d’un iota la position de la couronne.
D’autant que les Colstone, à nouveau, ne disent rien : l’amiral Adorn affirme que cela ne le concerne pas et Erwindal a sombré dans une sénilité de laquelle il ne sortira plus dans les quatre années qui lui restent à vivre. Toutefois, à sa mort, Emeyrinna devenue veuve dira aux seigneurs d’orient venus rendre hommage au défunt : « Souvenez vous. Souvenez vous qu’avec le prince Erwindal Ministre d’Etat, il n’aurait pas fallu attendre qu’une femme elfe accomplisse ce que tant de fiers mâles humains n’ont pas osé faire. Souvenez vous que notre couronne s’entend à combattre les conséquences mais non les causes. Lich-Kings hier, Great Anarchy avant-hier : l’empire se satisfait de couper les feuilles de la mauvaise plante dont elle n’arrache point la racine. Un jour nous y succomberons. Un jour il n’y aura point de sauveur, de Coron le Courageux, de Corelia la Sage, de Nirag le Grand. Ce jour-là vous chercherez mon époux et vous ne trouverez que son tombeau. »
L’heure d’Arveïn a sonné. Et avec lui celle d’Oglevern, dont il s’inspire fidèlement et qui va pouvoir se consacrer d’autant plus à l’Empire que son fief, en bordure des lich-kingoms, n’est désormais plus menacé grâce à l’armistice conclu par Shermiatov. Sous l’impulsion de John-Daniel Arveïn, l’Empire va connaître une période d’expansion et de fortune économiques qui constituent autant la fin que les moyens de la politique impériale. Oglevern mourra en 5220, emporté par une apoplexie. Mais il aura vu triompher sa doctrine prônant l’harmonieuse collaboration entre les principaux organes du pays : parlement, corporations et municipalités, administration centrale, couronne, armée et marine, nobles. Plutôt dans cet ordre.
Le fait est que ça fonctionne, qu’on s’enrichit, et que les caisses de l’État se remplissent. Ce qui permet de financer discrètement mais avec grande largesse Marn ou le Wejlar pour résister aux Lich-Kings. Au Baron de Swanmere, ambassadeur de Rhunring Ier, qui remarquait que son roi aurait pu reprendre à son compte la saillie d’Erwindal de Colstone : « votre or, notre sang », John-Daniel Arveïn répondit : « préféreriez-vous l’inverse ? hélas, si nous avons les hommes, vous n’avez pas l’or. »
La fiscalité et la masse monétaire sont l’objet de toutes les attentions du gouvernement qui veille, souvent avec minutie, aux comptes de l’Etat, aux prix des matières premières, aux taux d’escompte, souvent en relation avec des acteurs privés. De grands efforts ont aussi été fournis sur les infrastructures, notamment les réseaux routier et fluvial, afin de faciliter autant que possible la circulation des marchandises de ville à ville. Les maisons de commerce et de finance, les clergés, les guildes internationales, les mages et les monks, les universités et les sages, les artistes et les lettrés sont à l’honneur ; on dit que l’impératrice les apprécie beaucoup. Dandria s’est aussi personnellement occupée du Grand Lazaret d’Ilnaëmb, devenu une institution considérable, comme elle a encouragé les créations ou améliorations des Lazarets de Newerton et Anequere, en lien avec les cultes de Diancecht, Nephtys et Issek. Elle s’est attachée à la restauration d’Isablis et du Sablern, s’occupe des universités, envisage de nouveaux bâtiments dans Ilnaëmb, étude des projets d’embellissements pour Orfajaz ou Corontown. Elle est cependant restée une femme avant que d’être une princesse et plus encore une impératrice, comme en témoigne son portrait préféré d’elle-même, très simple, exécuté en l’an 5000, où elle tient a demi cachée dans ses mains une boule d’or dont on ne sait si c’est un accessoire de jeu ou le revers de l’orbe impérial.
Avec les années, les temps de la Great Evil Coalition, de l’invasion thûzz, et même du calamiteux règne de Nirag III semblent décidément bien loin. En 5219, l’Empire vit et vit bien, abrité par la réputation de la meilleure armée du monde dont le seul énoncé des victoires suffit à dissuader un (très) éventuel ennemi. D’ailleurs, qui pourrait bien en vouloir à un Etat où tout va si bien et qui ne fait de mal à personne ?
La constitution d’une vaste alliance de l’ouest entre l’Evriand qui a non seulement ressuscité sous l’ex-Comtesse de Keshamar mais aussi absorbé la moitié de la Confédération, le Wejlar redevenu une puissance grâce au règne avisé de l’ancien ami de l’ancien empereur, et un Lowenland qui a résisté pratiquement seul face aux Lich-Kings ne l’inquiète donc pas : au fond, ce sont des amis. La pérennisation sur sa frontière ouest d’un reliquat des Lich-Kings qui s’appelle Mulgorge ne l’inquiète pas : ils ont trop d’intérêts commerciaux à l’est de l’Undine. La marginalisation consécutive de son vieil allié de Marn ne l’inquiète pas : qui a besoin d’un allié de l’autre côté du fleuve ? La déliquescence de l’ex-Tangruner devenu Isenheim face au Sablern de l’autre côté du fleuve Undine ne l’inquiète pas : ils causent bien plus de soucis aux Lowenland et Zevjapuhr qu’à l’Empire. L’effritement de l’Arkandahr après la mort d’Astremo XI ne l’inquiète pas : ce n’est qu’inévitable. Le désordre et la vulnérabilité du fidèle et antique allié du Farxel ne l’inquiète pas : le Farxel est fondamentalement riche et les Thûzz sont là pour l’aider. La constante bien que discrète accentuation de la puissance avrossiane, la résurgence de l’immense Vizan, l’émergence d’une certaine prospérité du sud de la Great Anarchy ne l’inquiètent pas : s’ils n’étaient pas ainsi, on en profiterait pour reprocher au Naëmbolt sa toute-puissance. Et puis, vrai, pourquoi s’attarder sur quelques vagues nuages à l’horizon quand il fait si beau sur l’Empire au centre du monde ?
______________________________________
1 — Vassaux ou féaux directs de l’Empereur. ↑
2 — Peuplade dont sont issus les premiers Naëmbolts et sur les territoires de laquelle fut fondé l’Empire ; cette page lui est consacrée. ↑
3 — L’étonnement suscité par cette abdication (les blocages à la tête de l’Etat impérial n’ayant pratiquement guère filtré hors de l’Ailendil et pratiquement pas hors d’Ilnaëmb) a été à l’époque relaté dans le n°1 de l’Almanach Ochmaïch, repris ici sur le site. ↑
4 — Cette coordination n’a en réalité jamais existé, mais le Baron Shermiatov monta une opération d’intox à l’encontre de Ghùr lui faisant croire que les elfes de Dere avaient conclu une alliance avec les elfes Caleidhels de Lowenland, qui sont comme eux des Sindars. Cette rumeur fut répandue par les Derans en Sablern et par des agents impériaux à Zevjapuhr. Le baron Darndwall de Chalkenmoon, l’un des rares nobles à avoir embrassé la carrière de magicien, joua aussi un rôle important en se transformant en elfe porteur d’un faux message diplomatique avant de se faire capturer sur la frontière lowenlander puis de s’évader. ↑
5 — Les deux dernières des batailles de Toende ont été évoquées dans l’Almanach Ogmaïch n°5 dans un article qui est reproduit ici sur le site. ↑
Le Prince-Consort John-Daniel Arveïn règne de fait sur l’Empire, avec l’appui fidèle et constant du baron Shermiatov. Le couple impérial apparaît quelque peu distendu. Avec l’âge, un certain embonpoint a gagné l’impératrice Dandria qui est au fond d’elle-même restée la joyeuse, voire la fêtarde, de ses jeunes années, ce qu’elle retrouve qu’au contact des gens d’Ilnaëmb où elle est extrêmement populaire.
Emeyrinna de Chanteveille vit à Colstone. Devenue presque aveugle, elle est entourée de l’affection de ses enfants survivants et en particulier son fils Erwindal VI, Prince de Colstone. Son beau-frère, Adorn de Colstone, le vainqueur de Iolbec, est toujours Grand Amiral de l’Empire.
Le Questeur Clavus Arzinski, atteint par l’âge, a pris sa retraite. Il a été remplacé par le Questeur Maynard Alfonso qu’il a choisi personnellement et préféré à tous les candidats qu’on a tenté de lui proposer ou imposer.
Le Commandant Langwend Shereïn est Vice-Castellan de Nordgaard, où il conserve ses fonctions de professeur militaire. Il a refusé et l’anoblissement et la chevalerie et même le titre de Général. Il refuse également des sollicitations venues du monde entier. Il conseille l’Ordre des Chevaliers de Prias et participe parfois à leurs combats.
Le chevalier Sulia Romov est toujours Maréchal d’Empire sous l’autorité du Grand Maréchal Johan de Montaygue. Il demeure également proche de son mentor le Commandant Shereïn.
Le duc Seymour V d’Oglevern s’occupe de son fief ; on le dit moins doué que son célèbre père.
Le duc Mishal d’Arwen reste également dans ses terres et ne paraît plus guère à Ilnaëmb. Il voyage beaucoup dans l’est de l’Empire où il est considéré avec déférence par nombre de jeunes nobles.
Le prince Dor-Lion de Goldhelm est toujours le ministre préféré de l’Impératrice. Devenu lui aussi âgé, il songe à passer la main à son fils Ar-Lion.
Lord Zareth, octogénaire, demeure Maître Honoraire des Paladins d’Empire. L’archimage Larraka et lui ont des conversations quasi-quotidiennes. Ses fonctions de Grand Maître sont exercées par le Paladin Lord Bouldroc.
La comtesse Leylianna de Chanteveille-Malkney longtemps malade, a été récemment guérie ; elle est restée proche amie de l’impératrice Dandria qu’elle visite régulièrement à la Cour. Elle passe le reste de son temps près de son mari le comte Owen, qui est fort gros et ne quitte que rarement son château du Walder.
Après la mort d’Astremo XI survenue en 5212, son héritier, l’éventuel Jubal VI, alors âgé de 10 ans, n’est pas monté sur le trône.
L’état et le lieu où se trouve Nirag Naëmbolt sont inconnus sauf, suppose-t-on, de l’Impératrice Dandria et de l’archimage Larraka, qui n’en parlent jamais.
Le crépuscule tombe à l’ombre des murailles de l’Ailendil. Dans l’entrée du Palais Impérial, la lumière oblique du jour cède à la pénombre. Le jeune homme en profite pour se glisser au-dehors en passant loin des gardes occupés à allumer les flambeaux et qui ne lui prêtent pas attention. Il franchit les vantaux de bronze gravés de scènes inspirées des conquêtes de Coron le Conquérant. Comme de coutume, les portes sont ouvertes : on ne les ferme qu’en cas de maladie ou d’événement grave.
Devant lui s’étend la place en demi-cercle au centre de laquelle lui fait face la statue, en bronze elle aussi, d’Irwin IV, fondateur d’Ilnaëmb, juché sur son socle de marbre rouge. Couronné, il tient l’orbe dans sa main droite tandis que la gauche pointe vers le sol pour signifier que c’est ici, au centre de l’Ailendil, coeur de cette cité qu’il a voulue, que se tient le pouvoir et que doit se trouver le monarque. Derrière la statue d’Irwin commence la rue des Paladins qui sépare les deux façades du fond de la place, toutes deux concaves et aveugles : personne n’a droit de vue sur l’entrée du Palais. Celle de gauche est occupée par une simple et large fontaine de marbre rouge, dite la Cavalière car elle était destinée à étancher la soif des chevaux de Sa Majesté. Celle de droite, peinte en ocre rouge bordé d’une frise dorée, est tout du long pourvue d’un vaste banc en pierre claire, appelé le Banc des Patients, comme on appelle ceux qui y attendent de recevoir l’invitation de quelque puissant habitant du Palais. C’est là que se tient son invité, prudemment encapuchonné dans une ample robe de marcheur de Geb. Le jeune homme va s’asseoir à côté de lui en disant :
― Bonsoir, Monsieur l’Ambassadeur.
― Bonsoir, votre Altesse Impériale. Pardonnez-moi de ne pas m’incliner dans ces circonstances. D’autre part, je ne suis plus ambassadeur, vous le savez certainement.
― On conserve ce titre devenu honorifique après la fin des fonctions. Dans ce cas on n’ajoute pas à titre honorifique après Monsieur l’Ambassadeur, parce que c’est à la fois long et désobligeant. Donc Monsieur l’Ambassadeur tout court.
― Mettons. C’est sans importance. Pourquoi m’avez vous demandé de vous voir, votre Altesse ?
― Je vous remercie de ne pas avoir refusé et d’être venu jusqu’ici dans cet accoutrement. Je ne suis pas censé sortir aisément du Palais, moins encore m’en éloigner. Ni d’ailleurs correspondre avec vous. Mais je suis curieux, voyez-vous et…
Le prince reste un moment silencieux, ayant visiblement du mal à trouver ses mots.
― La curiosité de votre Altesse est de celles dont on ne peut s’offusquer, répond gentiment l’ambassadeur.
Le prince lui sourit. L’ambassadeur sourit aussi, intérieurement. Ce jeune homme a l’air si terriblement jeune, et il est beau.
― Voyez-vous, reprend le prince, je serai un jour appelé à régner. Un jour je sortirai de ce Palais et ce sera à moi que la statue d’Irwin IV s’adressera, comme à tous ceux qui m’ont précédé. Je serai le premier empereur à succéder à mon oncle. Ma mère, mon père un peu aussi, m’ont parlé de lui et…
― Vous connaissez l’origine du nom de cette place où nous sommes ? interrompt l’ancien ambassadeur.
― Parce que c’est là que la garde est relevée toutes les quatre heures, qu’on y entend tous les quarts d’heure sonner la clepsydre du Palais, et qu’Irwin le fondateur était le quatrième de son nom donc le quart, oui. Si je ne savais pas cela…
― Et c’est aussi l’entrée normale du palais, où passe normalement l’empereur. Eh bien, voyez vous, votre oncle Nirag, ici, avait peur. Enfant il avait peur de cette statue sévère avec le doigt pointé vers le bas à laquelle on lui disait de ressembler. Il n’osait même pas la regarder. Plus tard, c’est ici, en sortant du Palais accompagné de sa maman et de son oncle et des grands seigneurs, que commençait sa peur de n’être pas à leur hauteur et que ça se verrait. Et c’est vrai qu’il n’était pas à la hauteur, plus petit qu’eux et simple faire valoir des puissants. Alors il s’est persuadé que la place du Quart signifiait pour lui, lui seulement, qu’il ne serait jamais qu’un quart d’empereur. Comme une sorte de moquerie que lui aurait jeté au visage le seul nom de cette place chaque fois qu’il y passait. Pas même une moitié dont l’autre serait l’impératrice qu’il épouserait car l’impératrice était déjà là : c’était sa maman et on n’épouse pas sa maman. Le quart d’un empereur, une demie demi-portion, voilà ce qu’il pensait de lui-même. Ca doit vous paraître idiot je suppose, mais c’est ce que je vous souhaite d’éviter. Même après la mort de sa mère Nirag jamais voulu passer sur cette place et personne ne s’est demandé pourquoi.
― Certes mais on ne s’interroge pas sur ce genre de choses à propos d’un empereur.
― Même quand on est sa maman ? Je crois savoir que la vôtre a le projet d’un nouveau palais, plus agréable et moderne, dans la ville. Celui-ci n’est pas bien plaisant. Certes solide mais austère et froid. C’est un lieu de travail qui peut faire aussi office de lieu d’agrément : la Cour, les grandes audiences, les banquets, quelques bals et autres cérémonies. Ce n’est pas sympa d’habiter l’Ailendil mais vous trouvez qu’il a l’air sympa, Irwin IV ? Bien sûr, ce n’est pas ce qui compte pour faire un grand monarque.
― Et Nirag III n’en fut pas un.
― C’est ce que tout le monde pense en effet. Vos parents aussi ?
― Evidemment. Comme Oglevern, Larraka, que j’ai vu avant vous. Comme tout le monde, vous venez de le dire. C’est pourquoi je voulais vous voir. Vous seul savez comment il a pu commettre toutes ses erreurs. C’est cela que je voudrais apprendre de vous.
― Pour ne pas les reproduire quand vous régnerez ?
― Oui.
L’ambassadeur soupire en faisant non de la tête.
― Vous ne voulez pas me le dire ? s’inquiète le prince.
― Ce n’est pas ça, votre Altesse. Seulement, soit je vous dis ce que vous avez envie d’entendre et vous n’apprendrez rien que vous ne sachiez, enfin, « sachiez »…. bref, rien de plus que vous ne sachiez déjà. Soit je vous parle franchement, parce que j’ai en effet fort bien connu votre oncle, mais alors je risque de vous déplaire.
― Monsieur, je vous ai mandé précisément parce que je ne me contente pas de ce que je sais. Je vous demande votre franchise. Et même, je vous en prie.
L’ambassadeur soupira de nouveau, pinça les lèvres et finalement se lança d’une voix basse, un peu railleuse.
― L’empereur Nirag III… Nirag l’incompétent, le méchant, le sadique, la pédale manipulée… ça arrangeait quand même pas mal de monde, savez-vous. Tout le monde, pour ainsi dire, et ça n’a pas changé. Comment vous expliquer, votre Altesse ?… Par exemple, il avait la guerre en horreur. Il tenait ça de son père. Vous avez remarqué qu’on parle toujours de pertes en hommes comme si, à la guerre, les femmes et les gosses ne clamsaient pas. Comme si l’expression « occupation du Sablern » ne traduisait qu’un bout de couronne qu’on vous a piqué et qu’on va récupérer et recoller. Comme si cette expression ce signifiait pas femmes éventrées, hommes en esclavage, gamins servis à dîner à des ogres, vieillards exterminés pour s’amuser, et des années de travail à tout reconstruire pour peut-être un jour ne plus avoir peur. Le dernier empereur vraiment guerrier fut Nirag Ier. Son petit-fils préférait la paix, les chansons et les jolis culs. Quel couillon, n’est-ce pas. Il en a fait, des conneries, n’est-ce pas, on vous l’a expliqué. Permettez moi d’en rappeler quelques-unes. Des démons arrivent sur le monde ? Laissons les aventuriers s’en occuper, c’est leur boulot et au pire ça fait dix hommes de perdus quand un régiment anéanti c’est huit cent familles qui pleurent. Avros s’aventure à Iolbec ? A la bonne heure. S’ils réussissent, ils défendront à notre place l’est de l’Arkandahr contre les barbares, les trolls et les monstres et en plus ils nous débarrasseront à leurs frais des pirates berviks. Qu’au contraire ils échouent et ce sera la preuve éclatante que rien ne peut se faire sans l’Empire dans le quart nord-est du continent, mers incluses. Les Lich-Kings arrivent sans s’en prendre à nous : Nirag ordonne de blinder notre défense le long de l’Undine afin de les dissuader d’entrer en Empire, ce qui a marché car elles n’ont pas osé nous attaquer, nous donnant du temps pour réunir une coalition ou diviser la leur. Moyennant quoi, Eymerinna, Dandria et plein de gens aussi sûrs et satisfaits qu’elles de bien agir trahissent l’empereur pour permettre à Shereïn de s’aventurer en Marn avec les réserves de l’armée et deux légions. Tarrend, Agde, Montaygue, Larraka, Zareth, en qui il avait pleine confiance l’ont tous dupé et en plein connaissance de cause. Au final, que s’est-il passé ? L’Empire a effectivement sauvé Marn pour mieux perdre le Sablern. Et à qui l’a-t-on reproché sinon d’abord à l’empereur ? Face à ça, il sanctionne mais aussi pardonne et surtout il répare les conneries même si c’est raté pour s’allier le Vizan désormais persuadé que l’empire joue en solo et aussi raté pour jouer sur les divisions des meganarkiens parce qu’en remettant l’Arkandahr en selle on les menace directement alors que la moitié d’entre eux ne peut pas encadrer les lich-kings. Il reste à jouer le coup avec Dere, quasiment la première fois dans l’histoire de l’Empire, afin de s’allier au moins les elfes et Celebengrin ; mais l’alliance avec Carinlad c’est Dandria, le vainqueur du Luth c’est Montaygue et le sauveur d’Ilnaëmb c’est Shereïn. C’est à peu près toujours la même chose. Quand on sauve les fesses de Karl-Maria de Marn, c’est grâce à Dandria. Quand on ne sauve pas celles de Maldrock de Wiestmark c’est la faute à Nirag. Pas étonnant que tout ça ait fini par le rendre malade.
― On dirait à vous entendre qu’il était le seul à avoir raison. Montaygue et Colstone en Arkandahr ont quand même réussi quelque chose.
― Ah la prestigieuse accession d’Astremo XI au trône de ses ancêtres ! Quitte, donc, à défausser la carte Avros, pourtant gagnante à tous les coups. Mais surtout, valait-il vraiment la peine d’envoyer un gamin de vingt ans à la mort sous prétexte de ressusciter pour quelques années le royaume d’Arkandahr ? Parce que je vous rappelle qu’il est occis, le jeune Astremo, et il avait alors à peine dix dans de plus que vous. Son royaume, dans l’idée qu’on veut s’en faire, est indéfendable. C’est un oreiller voulu par l’Empire pour s’endormir au nord-est en emmerdant la Great Anarchy. Le vrai Arkandahr tient en ses montagnes et quelques terres au sud. Le fleuve, de Hillbreak à Keln’s Gate peut faire office de ligne de défense. Au delà, la vérité, c’est les gnolls et les trolls qui l’ont.
― Nirag III a perdu aussi le Wiestmark, l’Isenheim et surtout Zevjapuhr la même année.
― Vous l’entendez sérieusement ? Il n’était qu’un gamin couronné ! Il s’était donné la peine de naître pour incarner la raison de vivre de sa maman et l’avenir du plus beau pays du monde. Pourquoi s’employer davantage et surtout à quoi bon ? Tout le monde ne lui voulait que du bien, au précieux héritier qu’on n’espérait plus. On ne lui demandait que d’être le gentil petit Naëmbolt à sa place d’aimé de tous et il a fait ce qu’on lui demandait. C’était son oncle puis sa mère qui régnaient. La vôtre le sait fort bien, elle était là, elle a dû vous renseigner. Vous n’avez pas l’intention de renverser votre maman Dandria pour gouverner à sa place je suppose ? Eh bien Nirag non plus. Mais ne croyez pas qu’il ne savait ni ne comprenait rien. Nirag aimait les chanteurs et conteurs mais les vraies histoires l’intéressaient aussi et même surtout. Je le sais : je lui en ai fourni grand nombre. J’ai longtemps étudié l’histoire et la géographie, à Evriand, à Enlight, chez les Bardes et ailleurs. Vous avez étudié ces matières ou vous le ferez. Vous savez que ni Wiestmark, ni Isenheim comme on dit aujourd’hui, ni Zevjapuhr n’ont jamais été d’Empire. Oglevern, qui était ministre, n’a pas trop mal négocié notre sortie de ces pays à mon avis. Et à l’époque, il n’a pas trouvé scandaleuse la politique qu’il conduisait. Mais trente ans plus tard il inscrit, comme tout le monde, la perte de ces contrées au passif de Nirag III.
― Pour vous il ne fallait pas sauver Marn des Lich-Kings ? Pas sauver le Wiestmark…
― Mais enfin d’où prenez-vous que le Naëmbolt doit faire la police du monde ? En plus, pour se l’entendre reprocher par la suite. Le Tangruner qui nous dit : on veut bien de vous pour nous sauver les fesses mais ensuite du balai, c’est pas l’Empire ici ! Quant au Wiestmark il avait pour le défendre Lord Maldrock, ce gros guerrier sombre qui l’avait pris par surprise en séduisant l’éplorée cousine de l’empereur. Nirag c’est l’empereur qui n’a pas sauvé le mec ayant employé sa bite pour lui piquer de deux royaumes de sa couronne, quel vilain rancunier tout de même !
― Est-il vrai qu’il avait l’air de trente ans quand il en avait cinquante ?
― Oui. Voilà une bêtise qu’on peut critiquer. Sauf que ça n’a fait de mal à personne, non ? J’imagine qu’une saloperie s’est tramée quelque part pour qu’il attrape ça, peut-être au fond de l’Ailendil ou de Caër Spazza, seul Ghoefrie peut le savoir.
― Ne pas aimer les femmes mettait aussi en danger la descendance.
― Vous croyez qu’on fait exprès d’aimer ou de ne pas aimer ? Lui ferez-vous aussi grief de ne point goûter la chasse à courre, de ne pas aimer l’été, de détester le fromage bleu ? Et puis la descendance était en réalité assurée : vous en savez quelque chose puisque vous êtes là.
― Ce n’est pas mon propos. Ce que je veux dire est qu’il ne faisait pas son travail de monarque et cette opinion est d’ailleurs largement répandue.
― Savez vous que pas une seule des doléances et enquêtes de la grande audience qu’il a tenu au peuple en 5186 n’a été négligée ? Toutes, sans exception, ont abouti. Il s’en est assuré personnellement. Je l’ai vu le faire. Quatre ans plus tard, il recevait encore les dernières enquêtes.
― Encore un mauvais procès qu’on lui fait, alors ?
― Quel procès ? Cela est passé, votre Altesse. Vous m’avez demandé ma franchise, je savais qu’elle vous heurterait. Je ne suis pas en train de défendre Nirag mais de vous éclairer sur ce qui est réellement advenu. Nirag y a laissé sa raison. Il est devenu malade. Dans les dernières années de son règne il n’était plus lui-même, guère qu’une ombre.
― Le délivrer de la couronne était donc une bonne chose pour lui comme pour l’Empire.
― Sans doute. L’histoire juge un souverain à ses résultats bien plus qu’à ses intentions. Elle a condamné Nirag. Il n’a pas été un grand empereur. Elle a raison. Vrai, il a commis le crime de faiblesse : rien n’est moins pardonnable au monarque. Mais pour faire un roi il faut d’abord faire un homme. Or cet homme et le garçon qui l’a précédé a aussi été une victime. De ses parents et de sa parentèle, des grands féodaux, d’un État pour lequel il n’était pas tellement bien taillé, de lui-même aussi. Né adoré, il ne savait ni séduire ni causer. Il disait que la plupart des conversations visent moins à éveiller l’intérêt qu’à éviter l’ennui. En revanche, il était doué pour susciter l’aversion ! Il s’est fait tellement d’ennemis… La haine de certains, à la fin, était impressionnante. Colstone bien sûr, Johstarre, Chalkenmoon. Mais Oglevern, Naù ou Montaygue ne l’appréciaient pas tellement plus, le méprisaient même peut-être davantage. Reste qu’il a payé, vous savez. Le petit prince à qui personne ne parle, le monarque écrasé par sa maman, le faire-valoir des ministres, l’empereur pédé qu’il faut honteusement cacher, l’assassinat de Durenham, la peur du vieillissement, les dépècements successifs du Wiestmark, Tangruner, Zevjapuhr, Sablern, les trahisons de tous : Dal Dostoro à Zevjapuhr, Karloskar à Marn, Stonebräu en Wiestmark, et chez lui les filles Chanteveille, les Oglevern et les Colstone, et même son bon cousin Bruce de Naù, pour finir par une déposition par sa seule amie de toujours : sa propre sœur.
― Elle croyait bien faire, vous savez.
― Je le sais, prince. Il n’est rien contre quoi que je puisse vous mettre davantage en garde. Tout au long de son histoire votre empire a su faire face à Hornst ou Keraptis ou Merin le thûzz parce qu’en fin de compte il savait clairement qui était son ennemi. Mais nulle légion ne sert contre la gentille dame qui veut bien faire.
― Je ne suis pas sûr de bien comprendre, Monsieur l’ambassadeur.
― Je crois au contraire que votre Altesse me comprend très bien. A eux deux, Colstone et Oglevern ont bien eu dix fois l’occasion de renverser Nirag : ils ne l’ont pas fait. Nirag savait qu’ils n’oseraient pas et c’est pourquoi il l’a emporté contre eux, quitte à y laisser sa raison. Celle qui y est arrivée, c’est votre maman. Je ne dis pas qu’elle l’escomptait, ni même qu’elle y prit plaisir. Elle n’a rien d’une Emeyrinna de Colstone. Mais enfin, elle est bien la femme la plus puissante du monde aujourd’hui, n’est-il pas vrai ? Je vous le disais tout à l’heure : l’histoire juge un souverain à ses résultats. Elle a décidé contre Nirag III le perdant par les mêmes raisons qu’elle décidera sans doute pour Dandria la gagnante. Souvenez-vous en, futur empereur : vous ne sauriez mieux servir votre règne et vous-même.
Ici s’achève le récit de l’histoire de l’Empire Naëmbolt, arrêtée en l’an 5219. Conçue à partir de 1980, quelques fragments en parurent dans l’Almanach Ogmaïch à partir de 1985 ; elle fit ensuite l’objet d’une continuité dont la première partie fut mise en ligne en 2000 et la dernière ce jour de 2019, exactement quarante ans après la création de Derenworld.
Je voudrais terminer en exprimant ma gratitude à tous ceux qui y ont aventuré leurs personnages et ainsi contribué à rendre ce pays plus vivant que je ne l’aurais imaginé : Olivier B. ‘Melkria’, François P. ‘Arkennan’, Patrick Z. ‘Elren’, Olivier L. ‘Mascor’, Dominique L. ‘Elmyr’, Thierry B. ‘Cush’, Béatrice G. ‘Serwan’, Thierry N. ‘Tùf’, Bertrand P. ‘Shtah’, Didier S. ‘Schwantz’, Vincent C. ‘Xeran’, Laurent K. ‘Tao-Shi’, Julien, Fabrice, Thierry M. dont je ne me remémore plus le nom des personnages qui passèrent par l’Empire, et pardon à tous ceux que ma mémoire trahit. Merci aussi à la vigilance et l’affectueuse persévérance de David, sans qui tout ceci n’aurait sans doute pas compté tant de mots.
Une histoire de l’Empire Naëmbolt : parties 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6
7-I | 7-II