Cet article est repris de celui l’ancien site, lui-même tiré du matériau initial de Derenworld. Il présente une version devenue grandement fausse et obsolète de l’histoire des elfes et du monde. Je la laisse pour mémoire et pour grandes lignes et indications culturelles qu’elle comporte ; une version actualisée et définitive est en cours de rédaction.
I – L’éveil des Ainëquendi
II – La fin des Dragons et l’apparition des Hommes
III – Les nouveaux elfes: Eühls et Sindars
IV – La Grande époque de Dere
V – Déclins et reflux
VI – Les temps actuels
Lorsque les elfes s’éveillent dans les forêts originelles, ils savent que ce sont les Dieux qui les ont amenés jusque sur Derenworld. Les elfes se partagent en deux groupes, les Sylvans et les Hauts Elfes. A eux deux, ils forment les Ainëquendi, les Elfes-Bénis, ceux des Premiers Temps. Les Sylvans, ou Aldaquendi (ceux des Arbres) répugnent et répugneront toujours à quitter l’abri des grands feuillages. Les hauts-elfes, Ariaquendis (ceux du Soleil) qu’on appelle aussi, dans les temps modernes et par extension Ainëquendis, sont davantage curieux, et s’ils commencent également par rester dans les forêts, bien vite ils exploreront plaines et vallées, et s’installeront un peu partout. Ce sont eux qui feront la connaissance des animaux, des autres elfes, et surtout des Dragons, seuls autres habitants intelligents du continent. Avec ces derniers, ils partageront Derenworld pendant des millénaires: aux dragons l’air et le feu, aux elfes la terre et l’eau.
Cette ère dura une période considérable, généralement estimée ‘a minima’ entre cinq et huit fois l’histoire de l’humanité sur Derenworld, au moins vingt mille ans. On sait assez peu de choses sur l’étendue exacte comme sur l’histoire de ce temps que les elfes disent bienheureux. Quoiqu’ils aient inventé l’écriture et le langage, les elfes n’avaient pas de tradition écrite et n’en ressentaient pas le besoin. La quasi totalité des du savoir se transmettait par la parole. Seules quelques traces d’unification du langage, des lettres de visite chez les Dragons et les signatures et symboles portées par certains objets permettent de se faire quelqu’idée de cette époque.
Les elfes vivaient alors de manière totalement individualiste. Il n’existait pas de notion de nation, de pays, ni même de clan. Seules des différenciations entre Aldaquendi et Ariaquendi ou les origines familiales suscitaient un sentiment de vague appartenance, mais surtout de curiosité. Les elfes, surtout hauts, s’étonnaient de tout. Mais si l’attitude prudente des Sylvans était un mélange de timidité, de sybaritisme et sagesse, beaucoup des Hauts-Elfes s’avérèrent suffisamment hardis pour oser satisfaire leur curiosité. Ceux-là, d’abord aidés des Dragons, voyagèrent, explorèrent tout le continent, découvrant et nommant la plupart des lieux, fleuves, montagnes, forêts, lacs. Puis ils revenaient vers les leurs et racontaient ce qu’ils avaient vu, et on en faisait des poèmes, ou des oeuvres d’art. Parfois, très rarement, un voyageur tombait amoureux d’un endroit, et s’y établissait pour quelque temps, ou pour toujours, on verrait bien.
Ailleurs, les rares elfes qui se trouvaient des dispositions pour l’artisanat apprirent beaucoup sous le direction des dragons, notamment des techniques de forge et de joaillerie. Mais la plupart des elfes n’existaient que pour l’art, sous toutes formes, et la beauté. Des notions comme la propriété, la loi (même éthique), le travail rémunéré, l’agriculture, leur étaient aussi étrangère que la mort et la maladie qu’ils ne connaissaient pas.
Il faut bien comprendre, ou tout au moins admettre cela, pour comprendre ensuite ce qui s’est passé dans l’esprit des peuples elfes. Tous leurs ennuis sont postérieurs à cette ère, et étrangers à la race elfe. Toute l’histoire des trois mille dernières années n’a eu pour principal effet que de dégrader cette sorte de paradis qui est enfoui dans le passé, dans le souvenir, mais qui fut réalité.
Ainsi, la formation de royaumes en tant que structures sociales, est singulièrement tardive si on la juge à l’aune des autres races. L’Etat dans la société elfe est encore aujourd’hui une absurdité. Ce n’est que devant la succession de menaces avérées, puis de dégâts presque toujours causés par des événements exogènes aux milieux elfiques, que la société elfe s’est mise à évoluer. Ainsi, le seigneur, le roi fut et reste profondément respecté par tous les autres elfes essentiellement parce qu’il accomplit le sacrifice de sa liberté de vie pour la mettre au service d’une communauté, permettant du même coup à tous les autres elfes de continuer librement leur vie comme bon leur semble. S’occuper d’affaires des autres était considéré soit comme une folie, soit comme un sacerdoce qui n’attirait pas grand monde. Cela explique pourquoi la féodalité, au sens de répartition de terres et de pouvoirs entre les mains d’une oligarchie seigneuriale, n’a jamais existé chez les elfes purs et même encore aujourd’hui demeure une rareté hors des milieux Derans.
Néanmoins, presque toutes les sociétés elfes se dotèrent d’un chef, roi ou élu, par prévoyance, ou pour des question annexes de défense, de justice, ou de représentation auprès des Dragons. D’autre part, le temps passant, certains elfes prirent coutume à se réunir en des lieux déterminés, généralement selon leur histoire familiale. On peut ainsi déterminer trois principaux groupes de hauts-elfes, les Ariandorë (aujourd’hui le Royaume d’Ariandor), les Evlinorë (aujourd’hui le Royaume de Vynarëa), et les Falinorë (ou Falassianders, qui ont tous quitté Derenworld à quelques rares exceptions près en Tangut et Avros). Les Ariandorë étaient les plus artistiques, les plus rêveurs des Ariaquendi. Ils restèrent en majorité dans leur forêt d’Ariandor. Les Evlinorë, les plus nombreux, essaimèrent un peu partout dans le centre du continent. De tous les elfes les plus pieux, et les plus doux.
Les Falinorë, les moins nombreux, eurent un destin plus étonnant. Ils peuplaient les côtes orientales de Derenworld, entre ce qui est aujourd’hui l’Eriendel et le Gaïko. Dès leur éveil, ils manifestèrent un goût pour la mer qui ne devait jamais s’atténuer. Une petite minorité d’entre eux choisit même d’y vivre à jamais. Ce sont les Eàriquendi, les elfes de la mer, que seuls de rares marins peuvent un jour connaître. Plus tard, les Eàriquendi aidèrent le reste des Falinorë à apprendre et maîtriser l’art de la construction des navires, et ils construisirent ensemble des nefs miraculeuses dont le secret est à jamais perdu (dix ou douze, les légendes ne s’accordent pas sur ce point). Les Falinorë furent ainsi les premiers à véritablement établir un artisanat elfe, et accessoirement à provoquer quelques dissensions avec les Sylvan Elves, qui n’aimaient guère que l’on s’en prenne aux bois pour de telles vétilles. Cet artisanat, et le goût de l’exploration, en font certainement les premiers mages (hors les dragons) de Derenworld, bien que presque toute trace de leurs recherches ait aujourd’hui disparu.
C’est le mutation des Dragons qui mit fin à l’ère bénie, environ vers -900 BCC. Pour la première fois les elfes furent confrontés non seulement à des ennemis mais avant cela, à la notion même d’ennemi. La mutation des Dragons était un secret bien gardé, et il était normal qu’elle les surprenne. Mais, ils mirent très, très longtemps à réagir. D’abord, ils ne surent pas. Ensuite, ils ne crurent pas. Puis, ils déprimèrent, s’éparpillèrent, hésitèrent. Enfin, ils s’attaquèrent de façon désordonnée, incohérente, à des adversaires beaucoup plus fort qu’eux. Cela causa la destruction d’Evlin, et coûta la vie du Roi Irwëndil tentant de se défendre au milieu des jets d’acide et de poison d’une horde de dragons noirs.
La destruction d’Evlin est la première des catastrophes que les elfes eurent à pleurer et demeure encore aujourd’hui la plus grave. En Evlin se trouvaient nombre des artefacts aujourd’hui miraculeux que les elfes considéraient comme leurs lieux saints. Selon la légende, c’est en Evlin que les elfes se seraient tout d’abord éveillés.
Les dragons ravagèrent les vallées, brûlèrent les forêts, réduisirent en cendre et en acide des lacs, des plaines, des prés. Avant que les elfes se rendent compte, comprennent ce qu’il leur arrivait, plus de la moitié des Evlinorë de cette forêt était exterminés, et le reste s’enfuyait un peu partout. Ailleurs, les dragons s’attaquaient sans difficultés aux elfes des forêts dont les survivants s’enfuyaient éperdument un peu partout, jusque dans les glaces, les déserts, et parfois même sous terre.
Mais, ainsi qu’il est dit dans le Dragonlore, le dernier fils d’Irwëndil avait quelque temps avant été conduit à Echorost, l’Autel des Elfes, et là, les Dieux lui avaient demandé de fonder, dans la proche forêt de Vynarëa à l’ouest d’Evlin, un nouveau lieu d’habitat, une forteresse secrète, sous les arbres, car le besoin s’en ferait bientôt sentir. Et Midril avait obéi et s’était rendu en Vynarëa où de grands Ents l’avaient accueilli et caché. Ainsi reçut-il les fuyards d’Evlin, et les hébergea-t-il dans Ghaldolen. Là, il comprit alors qu’il devait conduire ce peuple dans quelque chose de nouveau et d’inconnu: la guerre.
Alors Midril revint après de grands péril en Evlin jusqu’à Echorost et là, il sut que les Anciens Dieux devaient s’en aller. Il apprit ce qu’il était advenu des Dragons. Et leur dernier conseil fut de demander l’aide des derniers Dragons de Paix, qui sauraient comment défendre tous les elfes unis. Ainsi fit Midril, et le Premier Conseil de Elfes se réunit en Ariandor, avec le Roi-Dragon Varnaïgroth qu’on appelle depuis Bahamut, et qui vint enseigner aux elfes les secrets des armes, de la métallurgie et de la magie.
Alors les elfes purent combattre et enfin vaincre. Et, sur tout le continent, tous les Ainëquendi entrèrent en guerre et de partout ils chassèrent les Dragons. Ce furent les premiers mages, les premiers forgerons, les premiers guerriers, les premiers cavaliers… Pour la première fois, les elfes apprirent à domestiquer des pégases, des licornes, et, avec les quelques Dragons de Paix, ils traquèrent jusque dans les airs leurs ennemis. Ce fut la grande guerre de tous les elfes contre les dragons, Amdarg Nuruloki, et, après nombre de morts, la victoire. Mais, avant de chasser la dernière Reine des Urulok, celle-ci s’enfuit outre-monde, non sans lancer une terrible malédiction sur Midril, qui succomba. Et, à la mort de Midril, ainsi qu’il l’avait apprit mais ne l’avait dit aucun autre Elfe, le départ des Anciens Dieux prit effet, et les Elfes devinrent mortels, et les mortels vinrent sur Derenworld.
Depuis lors, les elfes de Derenworld haïssent viscéralement les dragons maléfiques. Pour qu’ils n’oublient jamais, ils écrivirent pour la première fois un livre, le Dragonlore. Mais peu d’exemplaires existèrent longtemps, et c’est dommage car l’histoire du Dragonlore est bien antérieure aux malheurs qui survinrent aux elfes d’Outre-monde en Krynn auxquels connaissance de ce livre n’aurait pas été inutile.
A la grande stupeur, ou plutôt ignorance des elfes, les événements se mirent alors à s’enchaîner à une allure qu’ils estimaient tellement effrénée qu’ils préférèrent tout d’abord ignorer ce qui se passait.
Ainsi les nains s’éveillèrent-ils dans leurs cavernes tous seuls. Puis les humains sous les étoiles, et les gnomes, les hobbits et mille et une créatures nouvelles, chaque jour apportait la sienne, de par tout Derenworld des elfes revenaient en rapportant avoir découvert encore une espèce inconnue, comme les chevaux, les griffons, les chiens, les rats, les lions, les autruches, les mulots… En fait, les elfes commençaient à comprendre qu’ils ne vivraient plus jamais seuls.
Dans le même temps, les Ariacandre, la première école vouée à l’étude de ces arts étranges. Dans le même temps, les Falassianders peaufinaient leurs navires avec des techniques plus affinées encore par la récente guerre. Les Vynarëans continuaient à tisser, mais désormais aussi à travailler le métal, la pierre, le bois, les joyaux, et à apprivoiser les animaux. Pour éviter que se renouvellent les catastrophes semblables à Amdarg Nuruloki, les Vynarëans envoyèrent dans tout le continent des émissaires chargés de répandre les nouvelles technologies qu’ils développaient. Car telle était encore leur naïveté que jamais ils n’auraient songé qu’on puisse s’en servir pour une autre forme de guerre. Les Aldaquendi, méfiants, apprirent ces techniques et à l’occasion surent s’en servir. Mais, face aux nouvelles races, leur prudence naturelle les incita encore davantage à se renfermer dans leurs forêts. En revanche, nombre d’Ariaquendis, Vynarëans surtout, voulurent aider les nouveaux venus à adopter des modes de vie à leurs yeux plus heureux.
Avec les nains, les premiers contacts échouèrent. Les Nains étaient intimidés par l’excellence et l’antériorité des Elfes qui, de leur côté, ne pouvaient s’empêcher quelque condescendance envers des créatures qu’il jugeaient disgracieuses et terre-à-terre. D’autre part, les nains n’avaient aucune envie d’arpenter un monde qu’ils devinaient déjà bien assez encombré d’elfes hautains, et préféraient nettement se consacrer aux profondeurs de la terre, et à l’étude avant de démontrer le temps venu un savoir faire devenu incomparable en guise de revanche. Ce qu’ils commencèrent à réussir en produisant assez vite des objets utilitaires, puis décoratifs, dont la qualité stupéfia aussitôt les elfes. Ces derniers demeuraient toutefois absolument imperméables à la notion de clan, de marché, de capital, de produit, de cité, et plus que tout d’enterrement, qui leur semblait caractériser ces décidément incompréhensibles nains. Aussi arriva-t-on assez rapidement à un accord tacite et amiable de coexistence avec, pour les nains, les sous-sols et les montagnes, et le reste pour les elfes. Cet accord devait constituer la principale matière de l’Ohar’s Scroll.
En revanche, cela se passa d’abord mieux avec les humains, qui ne demandaient qu’à apprendre. Le seul ennui venait de ce que les humains, pire que des lapins, se reproduisaient à une vitesse incroyable, mais disparaissaient presque aussi vite. Le temps qu’on commence à leur expliquer, et ils étaient déjà morts. En outre, ils semblaient pleins de bonne volonté, très sympathiques, mais décidément peu intelligents, habitant en bandes informes, et assez étrangement rétifs, voire belliqueux entre eux. Et il y en avait partout, de toutes sortes, de toutes tailles. Un casse-tête. Finalement, les elfes choisirent, un peu au hasard, quelques tribus humaines et commencèrent par civiliser celles-là en attendant le tour des autres. Ils ne savaient pas encore qu’il n’y avait plus le même temps qu’avant.
Puis, les humains et les nains s’aperçurent qu’ils avaient quelques notions en commun. Entretemps, les elfes avaient découvert les hobbits, qu’aussitôt ils apprécièrent, et placèrent sous leur amitié et protection. Tout cela aboutit au fameux Ohar’s Scroll de -865, du nom du hobbit qui imagina d’écrire une sorte de traité établissant les mode de vie de chaque race. A l’époque, les humains considérés presqu’universellement comme des barbares incultes à civiliser, étaient placés sous la protection des elfes et nains.
Ce fut peu après que survint Eülh Gorgoroth, littéralement « l’horreur des Drows« . Il est très difficile de savoir exactement ce qui s’est passé, car les elfes sont toujours demeurés extrêmement discrets sur ce qu’ils considèrent comme la honte de leur race. Est-ce la découverte d’une magie incontrôlée ? Est-ce une xénophobie psychopathologique (et surtout anti-naine) née des événements de ces dernières années ? Est-ce un schisme religieux au sein des elfes ? Une influence extérieure de Diable, Démon, Dragon ou toute autre venue suborner une partie d’entre eux ? Toujours est-il que des elfes de toutes races quittèrent eux aussi la surface pour aller s’enterrer d’abord dans des cavernes naturelles, puis de plus en plus profondément dans le sol, dans la nuit de la terre, en maudissant et reniant à jamais les moeurs, idéaux et dieux des Ainëquendi. Et, parmi eux, plusieurs emportaient les techniques, la magie récemment découvertes, que les Drows allaient développer et mettre, avec l’intelligence qui caractérise les elfes, au service de la haine et de la malfaisance.
Pendant un certain temps, tout alla bien. Les premières initiatives des Drows se manifestent environ cinq siècles après l’Ohar’s Scroll. Raids isolés visant la capture d’esclaves ou de biens, malentendus provoqués entre les elfes et les nains, entre les humains, incitations à la guerre, aux conflits de toutes sortes. Assez rapidement, les elfes s’en rendirent compte, surtout les Sylvans qui vivaient en petit groupes isolés, donc plus vulnérables aux attaques et manoeuvres des Drows. Ils tentèrent alors, avec des bonheurs variables, de former des alliances ponctuelles, essentiellement avec les humains. Mais jamais il ne leur serait venu à l’idée de s’unir à d’autres elfes, ou même de tenir avec eux un conseil. D’autre part, les nains, continuant leur expansion sous terre, se heurtèrent aux Drows qui en massacrèrent un grand nombre de la tribu Convahâd, avant que quiconque le sache. Les survivants et d’autres nains scandalisés demandèrent des explications aux elfes qui n’en avaient aucune et s’en fichèrent complètement jusqu’au jour où ils comprirent. Sur le coup une guerre raciale généralisée fut cependant évitée de justesse et les nains commencèrent dès cette époque à se méfier vraiment de ces irresponsables rêveurs sous les étoiles.
Ce fut alors que Nendharain des Falassianders proposa de demander de l’aide. Et, chose extraordinaire, il partit, avec l’aide des Dieux, et revint avec tous ses vaisseaux, et il accomplit ainsi trente voyages, pour ramener de nouveaux elfes sur Derenworld. Des elfes un peu différents des Ainëquendi. Des elfes qui se nommaient les Sindars, et qu’on appela bientôt les Elfes-Gris. Des elfes qui, sous la conduite de Lingwë, Maglor et Maegon, avaient l’expérience de l’artisanat, des armes, de l’architecture, de la magie et de la guerre. Des elfes qui connaissaient les humains, et les nains. Des elfes qui, chassés de chez eux par une colère divine, erraient sur des terres inhospitalières, et que Nendharain le Navigateur sut trouver, convaincre, et ramener. Des elfes qui devaient, dès leur arrivée, s’installer dans celle qui était alors la plus grande forêt de Derenworld, au coeur de laquelle ils fondèrent la première ville d’un continent auquel ils donnèrent son nom: Dere.
Puis, non contents d’édifier des bâtiments, une cité, ils construisent des forteresses. Des tours de garde. Fondent un royaume, un Etat, avec des fonctions, une cour, une bibliothèque, un temple. Organisent une armée. Encouragent l’artisanat, l’étude. Créent une monnaie. Codifient le langage. Mettent en place une mesure fixe du temps et de l’espace. Introduisent le calcul. Inventent de nouveaux instruments, techniques, pensées. Emploient des animaux domestiques. Produisent des objets sublimes, des oeuvres d’art admirables, des outils parfaits.
Stupeur des Ainëquendi. Dans un premier temps, certains, tenteront d’imiter les nouveaux venus, notamment les Arianorë qui s’érigent en Royaume, transforment Ariacandre en ville où ils continuent à approfondir leurs études, et leurs rêves. Les Vynarëans réagiront différemment, avec une certaine méfiance, en créant des confréries, des sociétés généralement tournées vers la mémoire d’Evlin, et en mettant en chantier le Palais d’Armindial. Quant aux Falassianders, catastrophés par ce qu’ils avaient fait là, ils entrèrent pratiquement en dépression collective. Beaucoup d’entre eux émigrèrent, certains outre-mer, la plupart se dirigeant le plus loin possible des Sindars, donc le long des côtes.
Paradoxalement, ce furent les nains qui se montrèrent les plus satisfaits des nouveaux venus. D’abord parce que les Sindars remplirent leur contrat en menant avec succès une guerre sans merci contre les Drows, les chassant de la surface du continent, les traquant avec l’aide des nains jusque dans leurs cavernes, débarrassant pour longtemps Derenworld de leur nuisances. Ensuite parce que les nouveaux elfes leur semblaient présenter des moeurs qu’ils estimaient bien davantage compatibles avec les leurs. Bref, ils commercèrent, d’abord avec précaution, puis avec enthousiasme, tandis qu’ils méprisaient les Ainëquendi, qu’ils estimaient incapables de comprendre la valeur des choses, et en outre à l’origine des Drows.
Assez rapidement, la maîtrise des nouveaux elfes les amena à revendiquer une primauté au sein de Derenworld. Avec une certaine fierté, leur roi Maglor se proclama Haut Roi de Dere. Du coup, Maegon créa une principauté vassale, Gwainorë, plus démocratique par opposition à Tarnorë, la ville et les terres du Roi Maglor. Mais leur troisième chef, le vieux Lingwë, trouva que cela faisait beaucoup de bruit pour des nouveaux arrivants et il préféra se mêler avec les siens et des Sylvans dans la forêt de Dere, formant une fraction des Sindar davantage tournée vers des idéaux que vers la matérialité, qu’on appela les Caleidhels, les Elfes Verts. Et depuis lors, les Sindars se divisent en Derans et Caleidhels.
L’une des plus innovantes caractéristiques des Sindars venait de l’écriture. C’était un peuple qui écrit, archive, conserve ses souvenirs, les embellit, rédige des actes, traités, jugements, pour qui la chose libellée ou marquée vaut autant sinon plus que la parole. Cela suffisait à rendre les Sindars très différents des Ainëquendi. Petit à petit, les Sindars se mirent à éduquer les humains, à commercer avec eux, notamment ceux de l’ouest, les Andunedain, déjà préparés par les Vynarëans et parmi lesquels résidaient beaucoup de Sylvans. Et, à nouveau par esprit d’imitation, les Arianorë en firent autant avec les hommes du nord-est, les Foromedain. Mais la « civilisation » elfe se heurtait à deux limites toutes nouvelles. D’une part, les nains avaient aux aussi compris que l’énergie des humains, une fois éduquée, pouvait donner lieu à de considérables développements sociaux et commerciaux. C’est ainsi que les Olges à l’ouest, les Naugs au centre, et les Thûzz et Dzîrmeshs à l’est concoururent à prendre aux elfes une part de « clientèle » humaine parfois d’ailleurs prédisposée à mieux s’entendre avec eux, tels notammment les Variks. Mais surtout, les premières civilisations proprement humaines, rétives à toute influence elfe, se constituaient. Ainsi les Zahirs, au sud, les Naïgakis, à l’ouest, les Bergvisks, au nord-est, les Altanians, au sud-est, les Stroels, dans les grandes plaines centrales, à des titres divers, formaient déjà des cultures parfois totalement imperméables aux influences elfiques. Certaines cultures humaines avaient eu vent de l’Ohar’s Scroll et prenaient très mal le fait d’appartenir à une race que ce texte, quelque peu maladroitement, faisait inférieure. En 575, les Elfes de Vynarëa proposèrent donc que l’on amende l’Ohar’s Scroll pour laisser place aux humains qu’il était chaque jour plus absurde de considérer comme mis sous protection. A leur grand étonnement, les Derans manifestèrent d’abord quelque réticence. Cependant, les hobbits, eux, parvenaient à s’entendre avec tout le monde et à ne gêner personne, conformément à leurs conceptions de l’existence. Les nains, bien établis en sept tribus structurées, soutenaient fermement le principe de l’émancipation des humains déjà avéré dans les faits. Alors, en fin de compte, les Derans se rallièrent à la position générale et un pacte de coexistence pacifique de tous sur Derenworld connu sous le nom de Pacte d’Amitié, remplaça le vieux Scroll. En échange, les Sindars obtinrent des autres elfes la création d’un Haut Conseil des Elfes qui se réunirait périodiquement pour examiner les affaires du monde. Les autres elfes n’y attachaient pas beaucoup d’importance et acceptèrent. Le premier Conseil des Elfes réunit ainsi des représentants de Gwainorë, Tarnorë, Ariandorë, Vynarëa, et Falassiand. Les Sylvans (qui n’avaient rien demandé et s’en fichaient éperdument – quand ils étaient au courant) et les Caleidhels étaient représentés par Lingwë. Incidemment, ce Conseil eut pour résultat d’affermir la mainmise de Dere sur les elfes du continent. Seul Nendharain des Falinorë s’opposa à eux, mais devant le désintérêt des autres elfes pour ces arguties, il s’en retourna chez lui assez inquiet.
Les siècles donnèrent apparemment tort au Roi de Falassiand car tout cela perdura près de cinq cents ans de tranquillité et de paix, les Siècles d’Amitié. Les humains croissaient et prospéraient. Les nains aussi. Les hobbits également. Les elfes avaient encore suffisamment d’espace pour marcher où ils voulaient, pour rêver comme ils le voulaient. Les forêts s’étendaient encore assez pour accueillir tous les Ainëquendi et Sindars du monde.
Mais il vint un temps où les humains, à force de se reproduire, vinrent à peser dix mille fois le nombre des hobbits, un temps où ils occupaient, défrichaient, mettaient en culture ou arpentaient avec leurs troupeaux ou montures de plus en plus de terres. Il vint un temps où les nains imposèrent leur monnaie, où l’on ne se procurait plus quoi que ce soit que contre de l’argent, de l’or, ou une chose de valeur matérielle. Il vint un temps où les Dieux humains prirent le continent en considération, des dieux très différents, très disparates. Il vint un temps où un vieux dragon bien caché parvint à ouvrir une porte vers ailleurs, par où allaient s’engouffrer des centaines de créatures qu’on appellerait les monstres. Et comme toujours aux yeux des elfes, ce temps-là vint trop vite, beaucoup trop vite pour les rêveurs Ainëquendi, un peu moins vite pour les fiers Sindars.
D’abord, les humains Naïgakis créèrent un Etat, le Gaïko, avec un roi, le Gaikhan, le tout dans un esprit un peu anti-elfe puisque méfiant envers la magie et les proches Falassianders qui leur semblaient des créatures marines plus que terrestres. Puis les tribus Zahirs s’unirent elles aussi pour eux former un Etat, le Califat, prétendument inspiré par une volonté divine, enfin, celle de dieux humains. A peu près dans le même temps, le Vieux Dragon Caché, Gordenlokr, se méfiant des elfes et de leur croisade victorieuse contre ses congénères, lança ses gobelins en plein milieu du continent, contre les humains, et surtout, contre les nains Naugrims. Et ce faisant, il répandit d’autres créatures monstrueuses, des trolls, des géants, des kobolds, sur la surface de la terre.
Les nains réagirent plus vite et plus efficacement envers les gobelins que les elfes ne l’avaient fait envers les Drows. Les Derans furent les premiers des elfes à porter secours aux Naugs. Mais, au moment où elle allait se joindre à l’armée des nains, l’armées des Derans tomba dans une embuscade tendue par Gordenlokr lui-même, assisté de trolls et d’une multitude d’orcs qu’il venait de lancer sur Derenworld. La surprise, entretenue par des procédés magiques, joua à plein. Le souffle enflammé de Gordulok, fils aîné du Dragon Caché, détruisit le centre de l’armée elfe, tandis que les trolls réussissaient à isoler et à décimer la garde du Haut-Roi. Finalement, alors que les orcs pliaient devant les Sindars accourant et chargeant à la rescousse de leur Roi, Gordulok parvint à infliger à Maglor assez de blessures pour que les secours ne recueillent que le dernier souffle du premier roi de Dere. Puis le Dragon s’envola et disparut. La douleur des elfes fut encore attisée lorsqu’ils découvrirent que la petite-fille aînée de Maglor, Melroen, avait péri à ses côtés. Ils firent un massacre des orcs et trolls que le vieux Dragon avait courageusement abandonnés à leur sort. Mais cela ne changea guère à leur peine. Et surtout, l’armée elfe, toute à sa tristesse, rebroussa chemin pour aller enterrer son monarque, laissant seuls les Naugrim devant une armée gobeline renforcée d’autres trolls et orcs, et qui comptait sur leur aide. Les Naugs connurent un désastre. Et les relations entre nains et elfes ne s’en trouvèrent pas améliorées.
Orothin, le fils de Maglor, devint Haut-Roi de Dere. Les autres elfes tardèrent à se mettre en route pour la guerre et surtout, ils restèrent longtemps désordonnés, incapables de coordonner leurs actions, voire de constituer des unités militaires cohérentes. Seuls, les Derans formaient une armée efficace. Mais, réellement traumatisés, ils se bornèrent dans un premier temps à assurer la défense des Sindars. Cela laissa tout le loisir aux trolls, orcs, géants, ogres, gnolls etc… de tailler en pièce les petites tribus d’humains, d’Aldaquendi, et même de s’attaquer en force aux grandes tribus naines. Mais des solidarités de voisinage commençaient à se manifester. Aldaquendi de l’ouest les Dantheidels, organisaient une défense commune avec les humains. Les nains de Norhâzad avec les Arianorë. Les Thûzz avec les Falassianders. Les Olges avec les Variks. Les Naugs avec les Naïgakis. Les Vynarëans avec les Convads. Et même les Derans avec les humains à leurs frontières. Mais, lorsqu’enfin une Grande Alliance s’unit sous l’impulsion de Dal-Midril de Vynarëa et d’Imrin de Convahad, comprenant nains, hobbits, humains et elfes, il était un peu tard. De véritables petits royaumes d’humanoïdes pullulaient un peu partout. Il fallut une dizaines d’années de guerres désordonnées durant lesquelles orcs, géants et leurs semblables subirent revers sur revers pour en venir à bout. Les monstres finirent par être reclus dans les coins les plus inhospitaliers du continent, où personne n’avait envie de les chercher. Et ce fut Celebengrin, le premier grand sorcier de Dere, qui, accompagné de Belgon, le petit-fils de Maglor, débusqua et annihila Gordulok dans son repaire des Barrières. Mais déjà beaucoup d’elfes pressentaient que ces fléaux ou tout au moins leur menace ne cesseraient plus jamais.
C’est ce pressentiment qui poussa certains Ainëquendi à refluer de ce monde où ils vivaient insouciants et, imitant les Aldaquendi, à rentrer dans leurs forêts pour n’en plus jamais sortir. Ce faisant, les Vynarëans et les Arianorë abandonnaient de facto aux Derans la conduite des affaires elfes sur un plan global. Certes, Vynarë et l’Evriand, Ariandor et Arkandahr, Danth et Wejlar, Falassiand et Avros noueront ponctuellement ou durablement des relations privilégiées. Mais il s’agit de rapports entre voisins, d’amitiés locales, de cas spécifiques. Vers 2500, les seuls elfes agissant réellement, la seule puissance elfe mondiale, la seule puissance mondiale tout court, c’était Dere. Avec cette fissure commençait la dégénérescence, l’agonie du « modèle » Ainëquendi, de leur société d’immortels libre et rêveuse, sans travail, sans monnaie, sans contraintes. Pour quelque mille ans, Dere allait régir le monde. Et dominer le cours de l’histoire des elfes.
Des décisions à prendre d’urgence attendaient les elfes. Certes Belgon avait rapporté la tête du Vieux Dragon jusque sur la tombe de son grand-père, accomplissant la vengeance Noldorin de la famille royale de Dere. Certes l’armée Derane était apparue invincible, et les monstres fuyaient au seul son de ses trompes de guerre. Certes ils avaient libéré plus que tous autres des terres et des gens, sans rien demander en contrepartie, rendant simplement prés et forêts aux hommes, elfes et hobbits. Leur prestige était immense. Un continent entier admirait leur talent, leur savoir, leur prestance. Mais…
Mais les elfes Derans souvent confondaient un orgueil légitime et une maladroite arrogance. Ils se savaient beaux, se tenaient pour supérieurs, se pensaient immortels. Au contraire des Ainëquendi, leur condescendance n’était pas tempérée par une fantaisie, une douceur de vie souriante et communicative. A cet égard, ils commirent une faute majeure en imposant aux autres Quendi leur monarque Orothin comme Haut Roi des Elfes, lors du Conseil de 2540. Les Ainëquendi ne s’opposèrent pas, mais n’apprécièrent pas.
Néanmoins, les nains avaient la mémoire longue. Ils n’oubliaient pas la reculade consécutive à la mort de Maglor, et la période d’inaction qui l’avait suivie, qu’ils interprétaient avec un peu de paranoïa comme une trahison, voire une complicité. Ils en voulaient pour preuve que cela avait abouti à l’affaiblissement des Naugs, les plus grand royaume des nains et le plus sérieux rival des elfes. Les humains, eux, avaient pris conscience des limites de la protection que pouvait leur assurer les elfes. Sans mésestimer la reconnaissance qu’ils leur devaient, bien des hommes considéraient à juste titre que le temps était maintenant venu pour eux d’assumer leur destin. Certains, à moins juste titre, envisageaient déjà de le faire sans les Quendi, voire contre eux s’il le fallait.
Mais les humanoïdes, orcs, ogres, gobelins et consorts, avaient été battus, décimés, refoulés, non détruits. Ils avaient trouvé des refuges, vallées isolées, déserts inhospitaliers, toundras arides, plaines glacées , où ils léchaient leurs plaies la tête pleine de haine et de vengeance.
Et les Dieux de toutes ces créatures étaient désormais là. Alors, les Derans eux-mêmes, dans leur fierté un peu folle, convoquèrent ces Dieux non-elfes devant Dere et tinrent avec eux Conseil, d’égal à égal. Lors de cette extraordinaire assemblée, Orothin accepta le principe des royaumes humains et promit de ne jamais s’opposer à eux pourvu que, pendant au moins dix siècles, aucun non-allié de Dere n’agisse en adversaire et que les humains renoncent à la forêt et aux terres des Sindars. Les Dieux promirent. Les archives de Dere fixent la date de cette promesse au 22 Balance 2551.
Alors émergèrent les premiers grands pays des hommes. A l’est le Gaïko. Au sud, le Vizan. A l’ouest, le Wejlar. D’autres petits Etats ou fiefs se formèrent également à cette période mais aucun ne survécut ou n’atteignit l’importance de ceux-là. Le Gaïko n’intéressait pas les Derans, il était trop loin de leurs terres. Le Vizan se constitua avec des moeurs auxquelles ils ne comprirent rien et qu’ils jugeaient déplaisantes, mais, puisqu’ils avaient promis de ne pas intervenir… Restait le Wejlar. D’autant plus intéressant que des Dieux et non des moindres, soutenaient l’édification de ce royaume. D’abord Ukko, Straasha, Diancecht, Oghma, puis Râ, Tyr, Heimdall, puis Osiris, Hermès, Poséido, Geb, favorisèrent, voire s’associèrent au pays d’Olan. Déjà les Dantheidels, et même les Vynarëans concouraient discrètement au développement du Wejlar. Les Derans, nous l’impulsion de Lingwë, décidèrent eux aussi d’aider le Jeune Royaume, ainsi qu’ils l’appelaient alors sans pouvoir deviner qu’un jour il deviendrait pour les humains le Vieux Royaume. Et ainsi commença une alliance entre Dere et le Wejlar qui devait durer très longtemps. Cette alliance vit le temps de la splendeur de Dere, lorsqu’elle s’étendait sur des terres immenses et régnait en capitale du Monde, cité splendide, orgueilleuse, magnifique.
Ce fut aussi le temps du Grand Royaume de Wejlar, un quart du continent sous la même pacifique et débonnaire couronne, où la liberté était la règle, où les elfes allaient en délégation assister au sacre royal, politesse que rendaient les humains en venant étudier à Dere, en allant écouter, admirer et apprendre le talent et le savoir des elfes-gris.
Incidemment, cette alliance mit les Derans en rapport avec les nains Krynn, avec lesquels ils s’entendirent fort bien. Ils entretinrent ensemble un commerce profitable à tous, et notamment au Wejlar. Ce fut ainsi que naquirent les premières Maisons Marchandes des Elfes.
Comme l’avaient promis les Dieux, mille ans s’écoulèrent, au cours desquels le Wejlar atteignit son expansion maximale, couvrant à lui seul près du tiers des terres de Derenworld. Mille ans de « Lex Derania », à peine troublés par la Prédiction d’Onomorë, annonçant de grands malheurs et par la première guerre entre humains, qui vit une facile victoire du Wejlar contre le Vizan. Un millénaire de paix.
Le 29 Balance 3551, soit exactement mille ans et quatre jours après la Promesse des Dieux, Eremothep, un jeune agent au service du Calife de Vizan, déguisé en elfe, parvenait à ressortir de la Cité de Dere, avec assez de livres pour percer les secrets essentiels des Arts Magiques. Il faut savoir que jusqu’alors, la Magie était restée une exclusivité elfe. Les nains ne savaient comment l’utiliser. Les humains étaient jugés encore trop immatures. D’un commun accord, le Conseil des Elfes avait dès 1176 jugé imprudent de divulguer des secrets qu’ils estimaient, sans doute à juste titre, potentiellement trop dangereux pour être mis entre n’importe quelles mains.
La vexation et la colère des Derans est alors immense. Cependant, malgré leurs demandes, le Calife de Vizan refuse de leur livrer le coupable. Pendant que se fondent les premières écoles de magie en Vizan, les Derans hésitent entre une attaque qui romprait définitivement avec la Promesse des Dieux, ou bien un attentisme qui pourrait passer pour un consentement. La colère est mauvaise conseillère: faisant d’un cas une généralité, une majorité de Derans décide qu’hormis les Andunedain de Wejlar, on ne peut plus avoir confiance qu’en les hobbits et les elfes.Ausssi, devant le danger que représentent les Ecoles de Magie, les elfes se préparent-ils à attaquer le Vizan qui prend les devants: simultanément, le Vizan et Dere déclarent se soustraire à la promesse des Dieux et abolir les dispositions de l’Ohar’s Scroll. Mais il est trop tard, bien trop tard pour les Derans: ils n’ont pas la même mesure du temps que les humains; ils ne savent pas ce qu’une ou deux générations d’humains peuvent accomplir. Les Derans prennent tranquillement trente-sept ans pour se mettre en action. Entre-temps, Hornst apparaît.
Pour relater ce qui s’est alors passé, mieux vaut laisser place à un extrait de l’Abrégé de la Chronique Derane qui résume assez fidèlement les grandes étapes des méfaits du Soulslayer.
3675: Naissance des Citadelles Evils
Des puissances alliées d’Hornst profitent des territoires et citadelles naines vidés par les elfes pour s’y établir et créer l’embryon de ce qui deviendra la Great Anarchy sous le nom de Territoires Perdus ou Evil Citadels notamment dans les Central Barriers et dans l’ex-Royaume de Convad. Il s’agit essentiellement des lieutenants d’Hornst qui se taillent chacun leur fiefs, notamment dans le nord. On sait que Hornst laissa faire car il était à cette époque en train de se préparer à devenir Lich. Il est probable que Hornst ait pensé que les orcs et les démons ne suffiraient qu’à un pouvoir temporel… On remarque également cette année-là que pour la première fois, un Etat humain, le Gaïko, parvient à tenir tête et même à défaire des hordes de créatures magiques.
3676: La Course contre Hornst
Les elfes de Dere se retournent désormais contre le Royaume d’Hornst qui, mal structuré (des orcs et des esclaves ne font pas une armée digne de ce nom) et privé de son chef toujours en train de se transformer en Lich, n’offre que peu de résistance. Cependant, les Derans cherchent Hornst pour parvenir à le trouver avant qu’il devienne Lich. Ce sera en vain, mais le Royaume d’Hornst est détruit. En revanche, les Derans négligent les Northern Citadels, trop lointaines. Ils investissent Kunzeria mais ne trouvent pas Hornst qui y est trop bien caché.
3679: Premières Migrations Falassianders
Depuis le début des conflits avec les nains et des exactions d’Hornst, les Falassianders ne cessent d’accueillir des réfugiés de toutes races, mais principalement humains, qu’ils embarques sur leurs navires et emmènent dans les terres lointaines et épargnées de Tangut. Epouvantés et écoeurés par ce qui se passe sur le Continent, ces marins, guidés par le Roi Nendharain partent avec tous leurs navires pour une destination inconnue encore à ce jour. Seule une minorité de Falassianders demeure sur Derenworld.
3697: Hornst devient Lich à Kunzeria.
Il crée avec lui les premières banshees et commence à rassembler une armée de mort-vivants.
3700: Hornst « Soulslayer «
Hornst parcoure les Northern Citadels pour former et enseigner ses Héritiers. C’est aussi à cette époque qu’il gagne le surnom de « Soulslayer » car il se met à dévorer les âmes pour devenir un demi-dieu selon un procédé connu de lui seul.
3704: Destruction de Hornst.
Caranwë de Dere, qui a obtenu confirmation de ce que Hornst est devenu une Lich « active », parvient à créer un moyen de localiser celui-ci. Une expédition dirigée par Belgon, Celebengrin et Thrandmeril l’attend à Kunzeria, passe six mois à explorer la forteresse et réussit à détruire Hornst lors de son retour d’un de ses voyages. Belgon détruit la forme physique de Hornst. Celebengrin dissout la source de la Lich. Thrandmeril ne survit pas à ses blessures.
3725: Schisme Elfique
Alors que les Ainëquendi découvrent l’ampleur de l’Extermination Magique, Dere est récusée par les autres Royaumes Elfes qui ne reconnaissent plus Belgon Hornstslayer comme Roi des Elfes, mais celui-ci décide de conserver celui de Haut Roi.
Le Nationalisme Deran est alors ébranlé. Il n’en évolue que de façon pire, le racisme dwarphobe se doublant d’un sentiment de supériorité envers les humains et même les autres elfes. Du coup, c’en devient trop pour une partie importante des Sindars eux-mêmes. En 3730, la plupart des Caleidhels, une partie des Gwainorëans et quelques Tarnorëans suivirent le vieux Lingwë qui décida de faire sécession et d’aller fonder un nouveau pays où le nationalisme Deran serait battu en brèche. Furieux, Maegon de Gwainorë provoqua Lingwë en duel mais le Haut-Roi Belgon interdit son déroulement et, pour dénouer la crise, décide de laisser les elfes libres de choisir. Lingwë rassemble son nouveau peuple et marche vers l’ouest, traversant le Wejlar à la recherche de terres libres. Et nombreux sont ceux qui le suivent, ou qui viennent le rejoindre dans ce qu’on appelle l’Exode, et qui aboutira finalement dans la vallée de Löwe.
Pas calmé pour autant, Maegon se brouille avec Belgon et déclare la guerre au Thûzzland pour une sombre affaire de financement. Evidemment, les Derans sont obligés de suivre… Cette guerre idiote demeure indécise, mais Maegon y trouve la mort au cours du siège de Brezâd, la grande forteresse des Thûzz. Finalement, Merin de Thûzzland et Belgon de Dere signent l’armistice mettant fin à un conflit qui n’aura servi qu’à envenimer encore davantage les relations entre elfes et nains, outre quelques morts de plus.
Dans le même temps, le Wejlar est choisi en 3743 comme première cible par les Héritiers d’Hornst. Le pays résiste tant bien que mal. Or, ce sont les Vynarëans, les Paërdhels, les Dantheidels, les Exilés, les nains Krynn et Olges, qui viennent aider les humains en grande difficulté. La guerre contre les Héritiers, tous de Grands Mages, coûtera cher en vies (les Dantheidels quitteront leurs forêts et se sacrifieront pour sauver les villes de Medwjle, perdant plus de 50% de leur population), et durera près de vingt ans. Les Derans, eux, sont alors à se quereller entre eux, à se battre contre les Thûzz ou les Naugs, à se frictionner avec le Vizan…
Une réaction générale chez les elfes non-Derans survient enfin. L’attitude des Derans est déjà depuis longtemps jugée sévèrement. Un peu partout, on la qualifie d’outrageante et égoïste. Par lassitude ou indignation, les Royaumes Elfes rompent officiellement avec Dere en 3767. A l’instar de Lingwë, beaucoup de chefs elfes décident alors de prendre le contre-pied de la politique Derane. Les Arianorë ouvrent Ariacandre aux humains, inaugurant ainsi le partage officiel par les elfes de la magie avec les humains – déjà entré dans les faits depuis des dizaines d’années et de la pire façon qui soit puisqu’au bénéfice de Mages maléfiques. Les Vynarëans édictent Lendorëa, fief et ville de leur royaume, désormais constitutive d’une patrie ouverte aux humains; quiconque s’y rendrait, quelle que soit sa race, y bénéficierait de toute leur protection. Dans le même temps, le Roi Dal-Midril scelle un pacte avec Convahâd. A l’ouest, les Dantheidels et les Paëreidhels font alliance avec le Wejlar, avec les Krynn, avec Holderin. Les Paëreidhels et les Lowenlanders signent également un traité d’amitié avec les Olges.
Ceux des Falassianders restés sur le continent tentent d’abord des démarches similaires vers les Naïgakis et les Thûzz. Mais ces derniers se méfient alors grandement des elfes, de tous les elfes. Finalement, vers 3775, les derniers Falassianders de la côte orientale (aujourd’hui l’Eriendel) décident d’émigrer en Tangut. A l’instar des exilés Caleidhels de Dere qui avaient fondé le Lowenland, ils espèrent y rejoindre leurs frères de là-bas. Mais il n’y aura pas de « Lowenland de l’est »: un fois arrivés en Tangut, les Falassianders n’y découvrent que des Aldaquendi particulièrement peu concernés par leurs cousins et par les hommes. Ils se heurtent aussi à une influence Vizaner ou Naïgaki ou naine empreinte d’une hostilité qui rend impossible l’espoir d’une société mixte. Alors, les Falassianders continuèrent de marcher jusqu’à ce qu’ils se découvrent le refuge d’une vaste péninsule où plusieurs émigrés d’endroits très divers avaient comme eux abouti. Arrivés là, c’est à dire en terre d’Avros, très démoralisés, ils se convainquent que Nendharain avait raison et décident eux aussi de quitter Derenworld. Mais, auparavant, en remerciement de l’accueil des humains de cet endroit, leurs « co-réfugiés », ils les aideront à créer un pays. Puisque ni ces elfes, ni ces hommes n’ont plus de roi en ces terres inconnues, ce pays sera une République qu’ils achèvent de constituer en 3808, et qui deviendra en 3839 la République Maritime d’Avros.
Cependant, l’évolution de la République, marqué par la guerre Unificatrice de 3839 avec le Duché et les Comtés de Granchester, la Modification des Constitutions en 3953 qui marque l’avènement d’une doctrine sociale fondée sur le commerce, et surtout les dissensions nées du Second Grand Conseil des Elfes de 3830 amènent les derniers Falassianders à considérer que ce Continent n’est vraiment pas fait pour eux. Dès 3837, ils se préparent à quitter pour toujours Derenworld.
Dans la première moitié du XLe siècle, malgré les efforts des autres elfes, le sentiment anti-Deran persiste, voire s’étend sur tout le Continent. La plupart des non-elfes apprennent assez vite à différencier les Sindars des autres elfes. Mais c’est surtout le début d’une politisation de la tendance à la séparation des races dont plusieurs esprits ou monarques plus ou moins bien intentionnés feront leur mauvais miel, une succession de guerres et de conflits, dans les siècles à venir.
C’est en 3948 que les Nains, gens à la mémoire longue, ayant suffisamment pansé leurs plaies, proclament l’Alliance Naine, sous l’impulsion de Torin III Naug-Thaerïn, Roi des Naugs. Cette alliance initiée entre les Maisons naines Naugs, Olges, Thûzz et Norhâzads va servir de véritable détonateur à des conflits alors encore larvés et dont seul le prétexte revêt une apparence raciale. D’une façon générale, ces conflits, sur un plan international, mettront aux prises Dere et le Wejlar d’une part, les Nains , le Vizan et nombre de fiefs indépendants humains de l’autre. C’est en effet l’occasion, pour nombre de territoires des hommes, d’affirmer une indépendance nouvelle, parfois sur le dos des elfes. Et c’est l’occasion pour les elfes, exception faite des Derans, de découvrir que ce monde n’est plus vraiment le leur, et de se réfugier, pour la plupart, dans les forêts et les contrées reculées où les avaient précédés les Aldaquendi.
L’alliance Naine vaincra, et les nouveaux Etats des hommes dans son sillage. Mais, au-delà du compte des batailles, souvent équilibré d’ailleurs, ce sont d’autres aspects plus fondamentaux qui vont modifier en profondeur les sociétés de Derenworld.
S’ouvre à cette époque l’ère dite « Arn Quendulin« , l’affaiblissement des elfes, leur reflux, leur déclin. Et, dans ce reflux des Elfes, les races humaines et naines, et même, d’une façon plus générale, les non-elfes se découvrent en effet de nombreux points communs. Même vie limitée, contraignant à « faire vite », à accomplir quelque chose en ce temps qui est imparti avant la mort; même goût pour des échanges commerciaux, c’est-à-dire faisant intervenir des unités de compte spécifiques (la monnaie) créées à cet effet. Même « rage » de domestiquer l’environnement, qu’il soit minéral, végétal ou animal. Et surtout, même talents, persévérances et endurances, notamment en matière d’agriculture ou de fabrication d’objets en nombre. Autant de domaines très peu prisés des elfes et incompris d’eux. L’équipement des foyers, l’enrichissement économique constitueront des phénomènes inintelligibles tant pour les elfes que pour leurs grands alliés. D’autre part, les guerres poussent les sociétés humaines naissantes à se structurer, à se regrouper, à se constituer en villes, en nations, en systèmes aptes à la défense et aussi au commerce. Les clergés humains fournissent des mythologies à même de substituer les légendes et rêves elfes. Les nains et les hobbits collaborent avec les hommes pour le travail de la terre et des métaux. Assez vite, le génie humain s’émancipe: les villes et les fiefs se multiplient, conquièrent et civilisent les peuplades barbares qui parfois les imitent d’elles-mêmes. La civilisation humaine naît et s’étend. Bientôt, les sociétés des hommes s’avance, indépendantes, jusque sur des terres sauvages ou reprises aux elfes. Ainsi, malgré l’obtention de bien des victoires sur les champs de bataille, le nombre, le dynamisme, l’économie constituent autant de facteurs entièrement nouveaux qui jouent pleinement contre les elfes et leurs alliés.En outre, les amis des elfes peinent à comprendre et accepter des conflits tels ceux contre les nains qu’il considèrent toujours comme alliés et a fortiori les guerres contre d’autres hommes. A l’inverse, la vengeance, l’émancipation, l’aspiration à de nouvelles sociétés entretiennent et stimulent les nains et leur partisans. C’est aussi ce qui expliquera le succès des comptoirs et de l’idée Républicaine que popularisera Avros au cours des siècles suivants, et aussi celui d’Etats futurs comme le Farxel, l’Empire ou Marn, dans lesquels les humains fonderont et gouverneront tant les bases que les structures des la société.
Pendant près de sept siècles, ce reflux va se poursuivre. Des guerres incessantes agiteront Derenworld, à l’exception du fameux (puisque surprenant) Siècle de Paix, oeil du cyclone entre 4270 et 4375. Des Etats nouveaux émergeront, disparaîtront, s’asticoteront, s’entre-dévoreront, s’entre-déchireront. Beaucoup d’Evils tireront profit de ces situations. Mais aussi les religions humaines, qui s’imposent avec parfois un cortège de bienfaisances, telle l’institution du Paladinat, l’ouverture d’hôpitaux impulsés par le culte de Diancecht, la création d’écoles par des prêtres de diverses tendances. D’autre part, la promotion des Guildes commerciales ou artisanales, le développement d’un art spécifiquement humain, la propagation de techniques agricoles en association avec les hobbits, le développement du commerce au long cours sur terre ou mer sont les marques positives de la société des hommes.
Toutes les guerres, loin de là, ne concerneront pas les Elfes. Mais leur conséquence ira toujours, immanquablement, dans le sens d’un déclin de leur influence, de leurs populations, les conduisant vers une retraite tant géographique (forêts, vallées reculées, voire outre-mer) que politique (non-belligérance, dissolution de fiefs, non-intervention dans la société et la politique…). Ils entraîneront dans ce déclin le Grand Wejlar, seul pays qui les suive jusqu’au bout et que le temps réduira à une peau de chagrin. L’unique exception sera l’Evriand qui paiera par d’incessants conflits son « pro-elfisme » mais qui saura habilement jouer de ses relations et capacités commerciales pour s’inclure avantageusement dans la nouvelle société des hommes. Cependant, en 4663, après la All Wizards War au cours de laquelle tous les hommes ont à leurs dépens mesuré l’étendue des destructions que peut causer l’usage de la Magie, la plupart des Etats adhèrent à la proposition des Vynarëans et Arianorë de prohiber l’usage de la Sorcellerie dans les conflits militaires. Dere se montre d’abord réticente: la Magie est un de ses primordiaux atouts militaires et elle voit dans cette catastrophe l’amère conséquence qu’elle avait prédit au moment du vol de magie d’Eremothep. Elle se joint finalement à la Conférence du Pentagramme qui aboutira à la Convention de Bakor et y délègue même son Arch-Mage, le célèbre Celebengrin. Il s’agit d’une des dernières contributions majeures des Elfes à la diplomatie continentale.
C’est ce dernier conflit qui voit la fin irrémédiable des derniers habitats elfiques tenus en dehors des forêts. En effet, si les Aldaquendi restent comme à leur habitude à l’abri des grands sous-bois, ils y sont désormais rejoints par tous les elfes fuyant une guerre qu’ils comprennent encore moins qu’ils ne la désirent. Dans certains (rares) cas, ils se réfugient en des contrées inhospitalières ou au-delà de vallées peu fréquentées, voire outre-mer. Il n’est que dans les Etats où les elfes sont alliés d’humains (essentiellement le Wejlar et le Lowenland) que l’habitat elfe des grandes plaines ou collines basses et fertiles perdurera. Mais il ne faut pas oublier que depuis longtemps déjà, la multiplication de terres cultivées et valorisées par les techniques agricoles des hobbits et des hommes, la croissance et le nombre des peuplements humains avaient amené les elfes à ressentir que leur monde avait subi une mutation définitive.
Concrètement, pour ce qui est des Royaumes Ainëquendi, on assiste donc soit à leur inclusion dans les Etats des hommes (Wejlar, Tangut, Farxel, Républiques Maritimes et Confédération), soit à leur dissolution par ces Etats avec migrations à la clé (Empire, Vizan, Marn), soit à leur survivance par proclamation de neutralité, non-belligérance, non-intervention etc… (Ariandor en 4186, Vynarëa en 4604, Lowenland en 4048). Quant aux Falassianders, ils ont presque tous quitté Derenworld dès 3860 et leur dernier départ date de 3967. Ainsi, non seulement les Ainëquendi en tant qu’individus ou tribus se réfugient dans des forêts dont ils ne sortent plus mais, les uns après les autres, leurs grands royaumes, généralement réduits à des terres reculées ou exclusivement boisées, cessent de jouer un rôle politique ou diplomatique majeur. En fait, à l’aube du XLIXème siècle, les Ainëquendi demeurent une figure sociale, historique, culturelle, philosophique de Derenworld mais non plus une puissance. Ils constituent les références des Mages, des Artistes, des Auteurs, des Philosophes. Et, du coup, graduellement, dans l’esprit des autres races, les elfes deviennent rares, deviennent une légende, se parent de merveilleux. Un lent retour de bascule s’opère, mais il connaît une exception.
Dere est, bien entendu, cette exception. Ni les Derans, ni leur Etat n’acceptent ni ne suivent les attitudes des autres elfes. Les Derans se battront jusqu’au dernier, jusqu’à ce que leur nombre réduit ne leur permette plus de défendre que leur seule forêt. Ils emploieront tout: la Magie, l’intrigue, la guerre, la diplomatie, l’attaque surprise, la défense à outrance, l’alliance avec qui voudra bien. Pour eux vaut la vengeance plus que le pardon, l’esprit plus que la vie, et peut-être la fierté plus que l’honneur. Marn, les Nains, le Vizan, l’Empire, seront à tour de rôle les adversaires principaux de ces guerres qui émaillent chaque siècle et d’où Dere émerge chaque fois plus affaiblie. A chaque traité de paix, le Haut Roi des Elfes pèse de moins en moins lourd devant le Suprême Sultan de Vizan, l’Empereur Naëmbolt des Humains, le Prince de Marn, quand ce n’est pas l’Ambassadeur Exécutif d’Avros, le Diplomate Permanent de la Confédération ou le Ministre Plénipotentiaire de Thûzzland.
Mais Dere ne désarme pas. Même si elle a dû laisser à l’Empire les trois-quarts du Gwainorë, même si Tarnorë, les terres centrales du Haut-Roi, sont grignotées par le Vizan, Dere ne peut admettre la fin du mode de vie elfique, l’occupation des terres par les humains, la primauté des valeurs des Nains, l’épandage de la Magie à eux volée, la suffisance des clergés, la prééminence des marchands. Elle combat sans voir que, raciste avant les hommes, elle devient la victime du racisme des hommes, sans comprendre que tous les elfes, les uns après les autres, se désolidarisent d’elle. Le Haut-Roi Belgon et les siens restent seuls et fiers de l’être. Mais Dere boira le calice jusqu’à la lie.
Pourtant, en 4867, Arn Quendulin est considérée comme achevée. Les elfes se sont d’eux-mêmes reclus. Seule Dere proclame que n’est pas venu le temps des hommes, que le temps s’écoule encore et s’écoulera toujours à la mesure des elfes…
Les humains en ont assez de Dere, et de ses guerres, et de son arrogance. Plus qu’assez. Aussi est-ce dans l’indifférence générale que le Vizan, une fois de plus entre en conflit avec Dere. Ce que personne ne sait encore, c’est que ce conflit ne sera pas comme les autres. Cette fois, le Vizan a des alliés puissants et secrets. Darg Nirnaoth (« La Guerre des Larmes ») constituera la plus grande horreur que les elfes de Derenworld aient connu depuis Amdarg Nuruloki, et la perte d’Echorost. Les alliés puissants et secrets du Vizan sont ceux qui, avec d’autres, ont ensuite concouru à la formation d’un pacte qui va assombrir toute la surface du Monde et qui sera connu sous le nom de la Great Evil Coalition. Au centre de la G.E.C, les séides et inspirateurs du Vizan, les ennemis acharnés de Dere, les Drows.
Ces derniers ont préparé depuis longtemps leur affaire. Inondant de monstres la surface de Deren-Taur, ils désorganisent de l’intérieur l’armée et les défenses de Dere. Le 20 Balance, les Vizaners parviennent sans difficultés majeures jusque devant la Cité de Dere. Celle-ci n’est défendue que par une poignée de survivants. Signe d’orgueil, jamais les Derans n’ont voulu que leur Ville s’affuble de remparts. Après des combats désespérés où meurt le Haut-Roi Belgon, le 23 Balance, au crépuscule, le Thron-Khan Brahimun Ialar, à la tête d’un régiment de la Crimson Guard, parvient devant le parvis de la Deran Library, le dernier bastion de la défense des elfes au milieu d’une ville en flammes. Là, peut-être sous l’effet d’une panique, violant son serment d’Arch-Mage du Pentagramme, Celebengrin lance ses sorts sur les troupes ennemies. C’est Dagnir Celebengrin, la Malédiction de Celebengrin, le reniement, qui ne sert qu’à retarder de quelques minutes l’échéance inéluctable mais surtout, la violation évidente, par une des plus hauts dignitaires Sindars, d’un serment majeur. Moralement, pour tous les Derans, c’est une catastrophe éthique qui s’ajoute à une catastrophe militaire. En représailles, les Vizaners massacreront la plupart de la population de la Cité. Le Sac de Dere durera trois jours, trois jours d’expiation disent les légendes des hommes, trois jours d’abomination disent les légendes des elfes. Plus de la moitié de la ville est totalement détruite, les quatre-cinquièmes de sa population ont fui ou péri.
Après le pillage, Carinlad, le nouveau Haut-Roi, part en exil dans les montagnes d’où il appelle les Sindars à cesser le combat et à reconstruire leur ville et leur forêt. Cependant, partout sur Derenworld se lève une vague d’indignation et d’horreur face à laquelle les Vizaners, prudents pour l’instant, choisissent de battre en retraite. Leur objectif est de toute façon accompli: Dere est assassinée, Celebengrin est déshonoré, les elfes sont définitivement humiliés. Ils ne barreront pas la route à la Great Evil Coalition, les Sindars Derans n’entraîneront pas une grande Union des Elfes, des Nains et des hommes.
Et de fait, tout au long de la G.E.C., les elfes n’interviendront que rarement, sporadiquement, avec les armées des hommes. Ni le Lowenland, ni Ariandor, ni, évidemment, Dere, meurtrie et défaite, ne s’opposeront le moins du monde aux hordes de monstres qui déferlent sur Derenworld et qui, assez intelligemment, évitent leurs territoires. Même les Dantheidels ou les Paëreidhels refuseront d’intervenir hors quelques troupes mises à disposition du Wejlar ou de l’Evriand, pour la forme. Ce qui laissera à des Etats humains et nains, ou à des individus, certes la gloire, mais aussi le prix et l’amertume de la gloire.
« Je n’aurais jamais imaginé trouver aux hommes la même vilenie que celle des Drows au lendemain d’Eühl Gorgoroth » avait dit Dal-Midril, le Roi de Vynarëa, en apprenant la mort du Haut-Roi Belgon. Après la Darg Nirnaoth, après la G.E.C., les elfes n’existent plus vraiment qu’en tant que race très minoritaire sur Derenworld. Tant le Sac de Dere que la Malédiction de Celebengrin pèsent chaque minute sur leurs épaules. Les elfes ne peuvent plus vraiment comprendre, ni admettre, ce qu’est devenu Derenworld. Il leur faudra attendre le VIème millénaire pour oser à nouveau réapparaître et se mêler aux sociétés des hommes.
Mais les Premiers-Nés ont définitivement renoncé à jouer un premier rôle dans le monde des politiques. C’est presque dans l’indifférence que Dere passe sous protectorat (!) Vizaner en 4968, et que l’Empire obtient la levée de ce protectorat en 5009. Et curieusement, la nostalgie devient, vers 5100, l’apanage des hommes et des hobbits plus que celui des elfes. Depuis lors, les elfes sont souvent regardés comme des amis, de vieux parents, des alliés perdus. Une très grande tolérance raciale s’est instituée à leur profit. Mais pour eux, surtout pour les Sindars, Nirnaoth, c’est à peine hier, c’est presque tout à l’heure. Que les humains aient pu et laissé commettre le Sac de Dere, aient pu s’enferrer dans des conflits aussi abominables que la All Wizards War, aient pu engendrer des monstres comme les Lich-Kings, Hornst, ou le Dark Lord, et n’aient pas assez appris pour faire dans leur coeur amende honorable et dans leur esprit une révolution salutaire, voilà qui les sépare définitivement, qui les rend définitivement indigne. A moins que ce soit le Monde qui serait devenu indigne. Alors, plutôt que de trancher, plutôt que de s’y frotter, plutôt que d’y penser, les elfes restent chez eux.
Cependant, la très grande souplesse des sociétés humaines, le peu de racisme de beaucoup d’entre elles ont contribué dans maints endroits à la survivance, voire à la renaissance d’une réelle amitié entre elfes et non-elfes, manifestée par l’accroissement considérable des demi-elfes. Le rôle des hobbits, traditionnels « go-betweens », a mis beaucoup d’huile dans les rouages. A également joué l’affaiblissement des Nains et de leur hostilité qui s’est en partie re-dirigée contre l’Empire au cours du LIIème siècle. Demeure également le poids historique d’influences Wejlane (Zevjapuhr, ex-Confédération, Evriand, Ouest de l’Empire), Arianorë (Arkandahr, Eriendel) ou Falassiander (Avros, parties du Tangut), qui ont résisté aux conflits et aux drames. Comme si, d’une certaine manière, les individus s’étaient mis à réparer les méfaits des Etats, suivant en cela un mode de pensée typiquement… elfique.
Jusqu’à une époque récente, l’effacement des elfes fut tel que toutes les calamités, toutes les guerres, mais aussi tous les progrès et découvertes se firent sans eux. Certes, en 5167, Dere recouvre un territoire équivalent à sa forêt (à peu près 60% du Tarnorë historique)par suite d’une guerre menée contre l’Empire. Mais Dere n’a pas pris part à cette guerre: c’est une tractation entre le Vizan et l’Empire qui aboutit à cette résurgence, fruit d’un compromis entre deux puissances qui choisissent d’instaurer un tampon entre leurs frontières.
En fait, il fallut attendre quasiment la période actuelle pour trouver trace d’un renouveau de l’influence elfique. Ce renouveau est essentiellement le fait des Sindars au sens large, Derans et Lowenlanders se trouvant pour la première fois depuis longtemps à peu près sur la même position. En cela se trouve accentuée la véritable fracture qui s’opère depuis un certain temps entre Sindars et Ainëquendi, aussi bien d’un point de vue inter-elfique que d’un point de vue général. Car si les Ainëquendi, où que ce soit, ont très majoritairement pour seul but de cultiver leur jardin, forêts, libertés, force est de constater que les Sindars n’ont jamais réellement abdiqué toute volonté de peser sur le cours des événements politiques du continent.
Or, si cette attitude qui leur est reprochée par la plupart des pays Ainëquendi, elle leur attire paradoxalement la sympathie de ceux des Ainëquendi eux-mêmes qui ont été victimes des Lich-Kings. Ainsi, une autre césure est en train de s’opérer entre les elfes de l’Ouest, menacés par le voisinage des Lich-Kings, et ceux de l’Est, qui y échappent.
Car ce sont les Lich-Kings qui ont servi de déclencheur à ce renouveau qui ne se manifeste que dans l’ouest du continent. Ainsi a-ton rcemment vu le Lowenland sortir de son isolement diplomatique pour tenter, sans succès, d’enrayer la marche triomphales des armées Lich-Kings. Ainsi vit-on Dere se relever de ses cendres et s’allier, pour la première fois de son histoire, à l’Empire Naëmbolt dans le but de repousser, avec quelque réussite, ces mêmes Lich-Kings. Il semble aussi que les nombreux elfes de Wejlar et de Confédération poussent leur pays à rentrer en relation avec Dere ou le Lowenland.Et s’il est vrai qu’aujourd’hui le Lowenland semble menacé jusque dans son existence même par ces ennemis, Dere, après trois siècles passés à panser les plaies de Nirnaoth, a décidé de retrouver non pas son étendue passée mais, peut-être plus simplement et utilement, le meilleur de son influence. Après tout, sans Dere ne serait plus Derenworld.