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Lorsque
les elfes s'éveillent dans les forêts originelles, ils savent que
ce sont les Dieux qui les ont amenés jusque sur Derenworld. Les elfes se
partagent en deux groupes, les Sylvans et les Hauts Elfes. A eux deux, ils forment
les Ainëquendi, les Elfes-Bénis,
ceux des Premiers Temps. Les Sylvans, ou Aldaquendi
(ceux des Arbres) répugnent et répugneront toujours à quitter
l'abri des grands feuillages. Les hauts-elfes, Ariaquendis
(ceux du Soleil) qu'on appelle aussi, dans les temps modernes et par extension
Ainëquendis, sont davantage curieux, et s'ils commencent également
par rester dans les forêts, bien vite ils exploreront plaines et vallées,
et s'installeront un peu partout. Ce sont eux qui feront la connaissance des animaux,
des autres elfes, et surtout des Dragons, seuls autres habitants intelligents
du continent. Avec ces derniers, ils partageront Derenworld pendant des millénaires:
aux dragons l'air et le feu, aux elfes la terre et l'eau.
Cette ère
dura une période considérable, généralement estimée
'a minima' entre cinq et huit fois l'histoire de l'humanité sur Derenworld,
au moins vingt mille ans. On sait assez peu de choses sur l'étendue exacte
comme sur l'histoire de ce temps que les elfes disent bienheureux. Quoiqu'ils
aient inventé l'écriture et le langage, les elfes n'avaient pas
de tradition écrite et n'en ressentaient pas le besoin. La quasi totalité
des du savoir se transmettait par la parole. Seules quelques traces d'unification
du langage, des lettres de visite chez les Dragons et les signatures et symboles
portées par certains objets permettent de se faire quelqu'idée de
cette époque.
Les elfes vivaient alors de manière totalement
individualiste. Il n'existait pas de notion de nation, de pays, ni même
de clan. Seules des différenciations entre Aldaquendi et Ariaquendi ou
les origines familiales suscitaient un sentiment de vague appartenance, mais surtout
de curiosité. Les elfes, surtout hauts, s'étonnaient de tout. Mais
si l'attitude prudente des Sylvans était un mélange de timidité,
de sybaritisme et sagesse, beaucoup des Hauts-Elfes s'avérèrent
suffisamment hardis pour oser satisfaire leur curiosité. Ceux-là,
d'abord aidés des Dragons, voyagèrent, explorèrent tout le
continent, découvrant et nommant la plupart des lieux, fleuves, montagnes,
forêts, lacs. Puis ils revenaient vers les leurs et racontaient ce qu'ils
avaient vu, et on en faisait des poèmes, ou des oeuvres d'art. Parfois,
très rarement, un voyageur tombait amoureux d'un endroit, et s'y établissait
pour quelque temps, ou pour toujours, on verrait bien.
Ailleurs, les rares
elfes qui se trouvaient des dispositions pour l'artisanat apprirent beaucoup sous
le direction des dragons, notamment des techniques de forge et de joaillerie.
Mais la plupart des elfes n'existaient que pour l'art, sous toutes formes, et
la beauté. Des notions comme la propriété, la loi (même
éthique), le travail rémunéré, l'agriculture, leur
étaient aussi étrangère que la mort et la maladie qu'ils
ne connaissaient pas.
Il faut bien comprendre, ou tout au moins admettre cela,
pour comprendre ensuite ce qui s'est passé dans l'esprit des peuples elfes.
Tous leurs ennuis sont postérieurs à cette ère, et étrangers
à la race elfe. Toute l'histoire des trois mille dernières années
n'a eu pour principal effet que de dégrader cette sorte de paradis qui
est enfoui dans le passé, dans le souvenir, mais qui fut réalité.
Ainsi, la formation de royaumes en tant que structures sociales, est singulièrement
tardive si on la juge à l'aune des autres races. L'Etat dans la société
elfe est encore aujourd'hui une absurdité. Ce n'est que devant la succession
de menaces avérées, puis de dégâts presque toujours
causés par des événements exogènes aux milieux elfiques,
que la société elfe s'est mise à évoluer. Ainsi, le
seigneur, le roi fut et reste profondément respecté par tous les
autres elfes essentiellement parce qu'il accomplit le sacrifice de sa liberté
de vie pour la mettre au service d'une communauté, permettant du même
coup à tous les autres elfes de continuer librement leur vie comme bon
leur semble. S'occuper d'affaires des autres était considéré
soit comme une folie, soit comme un sacerdoce qui n'attirait pas grand monde.
Cela explique pourquoi la féodalité, au sens de répartition
de terres et de pouvoirs entre les mains d'une oligarchie seigneuriale, n'a jamais
existé chez les elfes purs et même encore aujourd'hui demeure une
rareté hors des milieux Derans.
Néanmoins, presque toutes
les sociétés elfes se dotèrent d'un chef, roi ou élu,
par prévoyance, ou pour des question annexes de défense, de justice,
ou de représentation auprès des Dragons. D'autre part, le temps
passant, certains elfes prirent coutume à se réunir en des lieux
déterminés, généralement selon leur histoire familiale.
On peut ainsi déterminer trois principaux groupes de hauts-elfes, les Ariandorë
(aujourd'hui le Royaume d'Ariandor), les
Evlinorë (aujourd'hui le Royaume
de Vynarëa), et les Falinorë
(ou Falassianders, qui ont tous quitté Derenworld à quelques rares
exceptions près en Tangut et Avros). Les Ariandorë étaient
les plus artistiques, les plus rêveurs des Ariaquendi. Ils restèrent
en majorité dans leur forêt d'Ariandor. Les Evlinorë, les plus
nombreux, essaimèrent un peu partout dans le centre du continent. De tous
les elfes les plus pieux, et les plus doux.
Les Falinorë, les moins nombreux,
eurent un destin plus étonnant. Ils peuplaient les côtes orientales
de Derenworld, entre ce qui est aujourd'hui l'Eriendel et le Gaïko. Dès
leur éveil, ils manifestèrent un goût pour la mer qui ne devait
jamais s'atténuer. Une petite minorité d'entre eux choisit même
d'y vivre à jamais. Ce sont les Eàriquendi,
les elfes de la mer, que seuls de rares marins peuvent un jour connaître.
Plus tard, les Eàriquendi aidèrent le reste des Falinorë à
apprendre et maîtriser l'art de la construction des navires, et ils construisirent
ensemble des nefs miraculeuses dont le secret est à jamais perdu (dix ou
douze, les légendes ne s'accordent pas sur ce point). Les Falinorë
furent ainsi les premiers à véritablement établir un artisanat
elfe, et accessoirement à provoquer quelques dissensions avec les Sylvan
Elves, qui n'aimaient guère que l'on s'en prenne aux bois pour de telles
vétilles. Cet artisanat, et le goût de l'exploration, en font certainement
les premiers mages (hors les dragons) de Derenworld, bien que presque toute trace
de leurs recherches ait aujourd'hui disparu.
C'est
le mutation des Dragons qui mit fin à l'ère bénie, environ
vers -900 BCC. Pour la première fois les elfes furent confrontés
non seulement à des ennemis mais avant cela, à la notion même
d'ennemi. La mutation des Dragons était un secret bien gardé, et
il était normal qu'elle les surprenne. Mais, ils mirent très, très
longtemps à réagir. D'abord, ils ne surent pas. Ensuite, ils ne
crurent pas. Puis, ils déprimèrent, s'éparpillèrent,
hésitèrent. Enfin, ils s'attaquèrent de façon désordonnée,
incohérente, à des adversaires beaucoup plus fort qu'eux. Cela causa
la destruction d'Evlin, et coûta
la vie du Roi Irwëndil tentant de se défendre au milieu des jets d'acide
et de poison d'une horde de dragons noirs.
La destruction d'Evlin est la première
des catastrophes que les elfes eurent à pleurer et demeure encore aujourd'hui
la plus grave. En Evlin se trouvaient nombre des artefacts aujourd'hui miraculeux
que les elfes considéraient comme leurs lieux saints. Selon la légende,
c'est en Evlin que les elfes se seraient tout d'abord éveillés.
Les dragons ravagèrent les vallées, brûlèrent les forêts,
réduisirent en cendre et en acide des lacs, des plaines, des prés.
Avant que les elfes se rendent compte, comprennent ce qu'il leur arrivait, plus
de la moitié des Evlinorë de cette forêt était exterminés,
et le reste s'enfuyait un peu partout. Ailleurs, les dragons s'attaquaient sans
difficultés aux elfes des forêts dont les survivants s'enfuyaient
éperdument un peu partout, jusque dans les glaces, les déserts,
et parfois même sous terre.
Mais, ainsi qu'il est dit dans le Dragonlore,
le dernier fils d'Irwëndil avait quelque temps avant été conduit
à Echorost, l'Autel des Elfes, et
là, les Dieux lui avaient demandé de fonder, dans la proche forêt
de Vynarëa à l'ouest d'Evlin, un nouveau lieu d'habitat, une forteresse
secrète, sous les arbres, car le besoin s'en ferait bientôt sentir.
Et Midril avait obéi et s'était rendu en Vynarëa où
de grands Ents l'avaient accueilli et caché. Ainsi reçut-il les
fuyards d'Evlin, et les hébergea-t-il dans Ghaldolen.
Là, il comprit alors qu'il devait conduire ce peuple dans quelque chose
de nouveau et d'inconnu: la guerre.
Alors Midril revint après de grands
péril en Evlin jusqu'à Echorost et là, il sut que les Anciens
Dieux devaient s'en aller. Il apprit ce qu'il était advenu des Dragons.
Et leur dernier conseil fut de demander l'aide des derniers Dragons de Paix, qui
sauraient comment défendre tous les elfes unis. Ainsi fit Midril, et le
Premier Conseil de Elfes se réunit en Ariandor,
avec le Roi-Dragon Varnaïgroth qu'on
appelle depuis Bahamut, et qui vint enseigner aux elfes les secrets des armes,
de la métallurgie et de la magie.
Alors les elfes purent combattre
et enfin vaincre. Et, sur tout le continent, tous les Ainëquendi entrèrent
en guerre et de partout ils chassèrent les Dragons. Ce furent les premiers
mages, les premiers forgerons, les premiers guerriers, les premiers cavaliers...
Pour la première fois, les elfes apprirent à domestiquer des pégases,
des licornes, et, avec les quelques Dragons de Paix, ils traquèrent jusque
dans les airs leurs ennemis. Ce fut la grande guerre de tous les elfes contre
les dragons, Amdarg Nuruloki, et, après
nombre de morts, la victoire. Mais, avant de chasser la dernière Reine
des Urulok, celle-ci s'enfuit outre-monde, non sans lancer une terrible malédiction
sur Midril, qui succomba. Et, à la mort de Midril, ainsi qu'il l'avait
apprit mais ne l'avait dit aucun autre Elfe, le départ des Anciens Dieux
prit effet, et les Elfes devinrent mortels, et les mortels vinrent sur Derenworld.
Depuis lors, les elfes de Derenworld haïssent viscéralement les
dragons maléfiques. Pour qu'ils n'oublient jamais, ils écrivirent
pour la première fois un livre, le Dragonlore. Mais peu d'exemplaires existèrent
longtemps, et c'est dommage car l'histoire du Dragonlore est bien antérieure
aux malheurs qui survinrent aux elfes d'Outre-monde en Krynn auxquels connaissance
de ce livre n'aurait pas été inutile.
A la grande stupeur,
ou plutôt ignorance des elfes, les événements se mirent alors
à s'enchaîner à une allure qu'ils estimaient tellement effrénée
qu'ils préférèrent tout d'abord ignorer ce qui se passait.
Ainsi les nains s'éveillèrent-ils dans leurs cavernes tous seuls.
Puis les humains sous les étoiles, et les gnomes, les hobbits et mille
et une créatures nouvelles, chaque jour apportait la sienne, de par tout
Derenworld des elfes revenaient en rapportant avoir découvert encore une
espèce inconnue, comme les chevaux, les griffons, les chiens, les rats,
les lions, les autruches, les mulots... En fait, les elfes commençaient
à comprendre qu'ils ne vivraient plus jamais seuls.
Dans le même
temps, les Arianorë se découvraient
des dons certains pour la magie, et créèrent Ariacandre,
la première école vouée à l'étude de ces arts
étranges. Dans le même temps, les Falassianders
peaufinaient leurs navires avec des techniques plus affinées encore par
la récente guerre. Les Vynarëans
continuaient à tisser, mais désormais aussi à travailler
le métal, la pierre, le bois, les joyaux, et à apprivoiser les animaux.
Pour éviter que se renouvellent les catastrophes semblables à Amdarg
Nuruloki, les Vynarëans envoyèrent dans tout le continent des émissaires
chargés de répandre les nouvelles technologies qu'ils développaient.
Car telle était encore leur naïveté que jamais ils n'auraient
songé qu'on puisse s'en servir pour une autre forme de guerre. Les Aldaquendi,
méfiants, apprirent ces techniques et à l'occasion surent s'en servir.
Mais, face aux nouvelles races, leur prudence naturelle les incita encore davantage
à se renfermer dans leurs forêts. En revanche, nombre d'Ariaquendis,
Vynarëans surtout, voulurent aider les nouveaux venus à adopter des
modes de vie à leurs yeux plus heureux.
Avec les nains, les premiers
contacts échouèrent. Les Nains étaient intimidés par
l'excellence et l'antériorité des Elfes qui, de leur côté,
ne pouvaient s'empêcher quelque condescendance envers des créatures
qu'il jugeaient disgracieuses et terre-à-terre. D'autre part, les nains
n'avaient aucune envie d'arpenter un monde qu'ils devinaient déjà
bien assez encombré d'elfes hautains, et préféraient nettement
se consacrer aux profondeurs de la terre, et à l'étude avant de
démontrer le temps venu un savoir faire devenu incomparable en guise de
revanche. Ce qu'ils commencèrent à réussir en produisant
assez vite des objets utilitaires, puis décoratifs, dont la qualité
stupéfia aussitôt les elfes. Ces derniers demeuraient toutefois absolument
imperméables à la notion de clan, de marché, de capital,
de produit, de cité, et plus que tout d'enterrement, qui leur semblait
caractériser ces décidément incompréhensibles nains.
Aussi arriva-t-on assez rapidement à un accord tacite et amiable de coexistence
avec, pour les nains, les sous-sols et les montagnes, et le reste pour les elfes.
Cet accord devait constituer la principale matière de l'Ohar's
Scroll.
En revanche, cela se passa d'abord mieux avec les humains,
qui ne demandaient qu'à apprendre. Le seul ennui venait de ce que les humains,
pire que des lapins, se reproduisaient à une vitesse incroyable, mais disparaissaient
presque aussi vite. Le temps qu'on commence à leur expliquer, et ils étaient
déjà morts. En outre, ils semblaient pleins de bonne volonté,
très sympathiques, mais décidément peu intelligents, habitant
en bandes informes, et assez étrangement rétifs, voire belliqueux
entre eux. Et il y en avait partout, de toutes sortes, de toutes tailles. Un casse-tête.
Finalement, les elfes choisirent, un peu au hasard, quelques tribus humaines et
commencèrent par civiliser celles-là en attendant le tour des autres.
Ils ne savaient pas encore qu'il n'y avait plus le même temps qu'avant.
Puis, les humains et les nains s'aperçurent qu'ils avaient quelques notions
en commun. Entretemps, les elfes avaient découvert les hobbits, qu'aussitôt
ils apprécièrent, et placèrent sous leur amitié et
protection. Tout cela aboutit au fameux Ohar's Scroll de -865, du nom du hobbit
qui imagina d'écrire une sorte de traité établissant les
mode de vie de chaque race. A l'époque, les humains considérés
presqu'universellement comme des barbares incultes à civiliser, étaient
placés sous la protection des elfes et nains.
Ce
fut peu après que survint Eülh
Gorgoroth, littéralement "l'horreur des Drows".
Il est très difficile de savoir exactement ce qui s'est passé, car
les elfes sont toujours demeurés extrêmement discrets sur ce qu'ils
considèrent comme la honte de leur race. Est-ce la découverte d'une
magie incontrôlée ? Est-ce une xénophobie psychopathologique
(et surtout anti-naine) née des événements de ces dernières
années ? Est-ce un schisme religieux au sein des elfes ? Une
influence extérieure de Diable, Démon, Dragon ou toute autre venue
suborner une partie d'entre eux ? Toujours est-il que des elfes de toutes races
quittèrent eux aussi la surface pour aller s'enterrer d'abord dans des
cavernes naturelles, puis de plus en plus profondément dans le sol, dans
la nuit de la terre, en maudissant et reniant à jamais les moeurs, idéaux
et dieux des Ainëquendi. Et, parmi eux, plusieurs emportaient les techniques,
la magie récemment découvertes, que les Drows allaient développer
et mettre, avec l'intelligence qui caractérise les elfes, au service de
la haine et de la malfaisance.
Pendant un certain temps, tout alla bien.
Les premières initiatives des Drows se manifestent environ cinq siècles
après l'Ohar's Scroll. Raids isolés visant la capture d'esclaves
ou de biens, malentendus provoqués entre les elfes et les nains, entre
les humains, incitations à la guerre, aux conflits de toutes sortes. Assez
rapidement, les elfes s'en rendirent compte, surtout les Sylvans qui vivaient
en petit groupes isolés, donc plus vulnérables aux attaques et manoeuvres
des Drows. Ils tentèrent alors, avec des bonheurs variables, de former
des alliances ponctuelles, essentiellement avec les humains. Mais jamais il ne
leur serait venu à l'idée de s'unir à d'autres elfes, ou
même de tenir avec eux un conseil. D'autre part, les nains, continuant leur
expansion sous terre, se heurtèrent aux Drows qui en massacrèrent
un grand nombre de la tribu Convahâd, avant que quiconque le sache. Les
survivants et d'autres nains scandalisés demandèrent des explications
aux elfes qui n'en avaient aucune et s'en fichèrent complètement
jusqu'au jour où ils comprirent. Sur le coup une guerre raciale généralisée
fut cependant évitée de justesse et les nains commencèrent
dès cette époque à se méfier vraiment de ces irresponsables
rêveurs sous les étoiles.
Ce fut alors que Nendharain
des Falassianders proposa de demander de l'aide. Et, chose extraordinaire, il
partit, avec l'aide des Dieux, et revint avec tous ses vaisseaux, et il accomplit
ainsi trente voyages, pour ramener de nouveaux elfes sur Derenworld. Des elfes
un peu différents des Ainëquendi. Des elfes qui se nommaient les Sindars,
et qu'on appela bientôt les Elfes-Gris. Des elfes qui, sous la conduite
de Lingwë, Maglor et Maegon, avaient
l'expérience de l'artisanat, des armes, de l'architecture, de la magie
et de la guerre. Des elfes qui connaissaient les humains, et les nains. Des elfes
qui, chassés de chez eux par une colère divine, erraient sur des
terres inhospitalières, et que Nendharain le Navigateur sut trouver, convaincre,
et ramener. Des elfes qui devaient, dès leur arrivée, s'installer
dans celle qui était alors la plus grande forêt de Derenworld, au
coeur de laquelle ils fondèrent la première ville d'un continent
auquel ils donnèrent son nom: Dere.
Puis, non contents d'édifier
des bâtiments, une cité, ils construisent des forteresses. Des tours
de garde. Fondent un royaume, un Etat, avec des fonctions, une cour, une bibliothèque,
un temple. Organisent une armée. Encouragent l'artisanat, l'étude.
Créent une monnaie. Codifient le langage. Mettent en place une mesure fixe
du temps et de l'espace. Introduisent le calcul. Inventent de nouveaux instruments,
techniques, pensées. Emploient des animaux domestiques. Produisent des
objets sublimes, des oeuvres d'art admirables, des outils parfaits.
Stupeur
des Ainëquendi. Dans un premier temps, certains, tenteront d'imiter les nouveaux
venus, notamment les Arianorë qui s'érigent en Royaume, transforment
Ariacandre en ville où ils continuent à approfondir leurs études,
et leurs rêves. Les Vynarëans réagiront différemment,
avec une certaine méfiance, en créant des confréries, des
sociétés généralement tournées vers la mémoire
d'Evlin, et en mettant en chantier le Palais d'Armindial. Quant aux Falassianders,
catastrophés par ce qu'ils avaient fait là, ils entrèrent
pratiquement en dépression collective. Beaucoup d'entre eux émigrèrent,
certains outre-mer, la plupart se dirigeant le plus loin possible des Sindars,
donc le long des côtes.
Paradoxalement, ce furent les nains qui
se montrèrent les plus satisfaits des nouveaux venus. D'abord parce que
les Sindars remplirent leur contrat en menant avec succès une guerre sans
merci contre les Drows, les chassant de la surface du continent, les traquant
avec l'aide des nains jusque dans leurs cavernes, débarrassant pour longtemps
Derenworld de leur nuisances. Ensuite parce que les nouveaux elfes leur semblaient
présenter des moeurs qu'ils estimaient bien davantage compatibles avec
les leurs. Bref, ils commercèrent, d'abord avec précaution, puis
avec enthousiasme, tandis qu'ils méprisaient les Ainëquendi, qu'ils
estimaient incapables de comprendre la valeur des choses, et en outre à
l'origine des Drows.
Assez rapidement, la maîtrise des nouveaux elfes
les amena à revendiquer une primauté au sein de Derenworld. Avec
une certaine fierté, leur roi Maglor se proclama Haut Roi de Dere. Du coup,
Maegon créa une principauté vassale, Gwainorë,
plus démocratique par opposition à Tarnorë,
la ville et les terres du Roi Maglor. Mais leur troisième chef, le vieux
Lingwë, trouva que cela faisait beaucoup de bruit pour des nouveaux arrivants
et il préféra se mêler avec les siens et des Sylvans dans
la forêt de Dere, formant une fraction des Sindar davantage tournée
vers des idéaux que vers la matérialité, qu'on appela les
Caleidhels, les Elfes Verts. Et depuis
lors, les Sindars se divisent en Derans et Caleidhels.
L'une des plus innovantes
caractéristiques des Sindars venait de l'écriture. C'était
un peuple qui écrit, archive, conserve ses souvenirs, les embellit, rédige
des actes, traités, jugements, pour qui la chose libellée ou marquée
vaut autant sinon plus que la parole. Cela suffisait à rendre les Sindars
très différents des Ainëquendi. Petit à petit, les Sindars
se mirent à éduquer les humains, à commercer avec eux, notamment
ceux de l'ouest, les Andunedain, déjà
préparés par les Vynarëans et parmi lesquels résidaient
beaucoup de Sylvans. Et, à nouveau par esprit d'imitation, les Arianorë
en firent autant avec les hommes du nord-est, les Foromedain.
Mais la "civilisation" elfe se heurtait à deux limites toutes
nouvelles. D'une part, les nains avaient aux aussi compris que l'énergie
des humains, une fois éduquée, pouvait donner lieu à de considérables
développements sociaux et commerciaux. C'est ainsi que les Olges à
l'ouest, les Naugs au centre, et les Thûzz
et Dzîrmeshs à l'est concoururent à prendre aux elfes une
part de "clientèle" humaine parfois d'ailleurs prédisposée
à mieux s'entendre avec eux, tels notammment les Variks. Mais surtout,
les premières civilisations proprement humaines, rétives à
toute influence elfe, se constituaient. Ainsi les Zahirs, au sud, les Naïgakis,
à l'ouest, les Bergvisks, au nord-est, les Altanians, au sud-est, les Stroels,
dans les grandes plaines centrales, à des titres divers, formaient déjà
des cultures parfois totalement imperméables aux influences elfiques. Certaines
cultures humaines avaient eu vent de l'Ohar's Scroll et prenaient très
mal le fait d'appartenir à une race que ce texte, quelque peu maladroitement,
faisait inférieure. En 575, les Elfes de Vynarëa proposèrent
donc que l'on amende l'Ohar's Scroll pour laisser place aux humains qu'il était
chaque jour plus absurde de considérer comme mis sous protection. A leur
grand étonnement, les Derans manifestèrent d'abord quelque réticence.
Cependant, les hobbits, eux, parvenaient à s'entendre avec tout le monde
et à ne gêner personne, conformément à leurs conceptions
de l'existence. Les nains, bien établis en sept tribus structurées,
soutenaient fermement le principe de l'émancipation des humains déjà
avéré dans les faits. Alors, en fin de compte, les Derans se rallièrent
à la position générale et un pacte de coexistence pacifique
de tous sur Derenworld connu sous le nom de Pacte d'Amitié, remplaça
le vieux Scroll. En échange, les Sindars obtinrent des autres elfes la
création d'un Haut Conseil des Elfes qui se réunirait périodiquement
pour examiner les affaires du monde. Les autres elfes n'y attachaient pas beaucoup
d'importance et acceptèrent. Le premier Conseil des Elfes réunit
ainsi des représentants de Gwainorë, Tarnorë, Ariandorë,
Vynarëa, et Falassiand. Les Sylvans (qui n'avaient rien demandé et
s'en fichaient éperdument - quand ils étaient au courant) et les
Caleidhels étaient représentés par Lingwë. Incidemment,
ce Conseil eut pour résultat d'affermir la mainmise de Dere sur les elfes
du continent. Seul Nendharain des Falinorë s'opposa à eux, mais devant
le désintérêt des autres elfes pour ces arguties, il s'en
retourna chez lui assez inquiet.
Les siècles donnèrent
apparemment tort au Roi de Falassiand car tout cela perdura près de cinq
cents ans de tranquillité et de paix, les Siècles d'Amitié.
Les humains croissaient et prospéraient. Les nains aussi. Les hobbits également.
Les elfes avaient encore suffisamment d'espace pour marcher où ils voulaient,
pour rêver comme ils le voulaient. Les forêts s'étendaient
encore assez pour accueillir tous les Ainëquendi et Sindars du monde.
Mais il vint un temps où les humains, à force de se reproduire,
vinrent à peser dix mille fois le nombre des hobbits, un temps où
ils occupaient, défrichaient, mettaient en culture ou arpentaient avec
leurs troupeaux ou montures de plus en plus de terres. Il vint un temps où
les nains imposèrent leur monnaie, où l'on ne se procurait plus
quoi que ce soit que contre de l'argent, de l'or, ou une chose de valeur matérielle.
Il vint un temps où les Dieux humains prirent le continent en considération,
des dieux très différents, très disparates. Il vint un temps
où un vieux dragon bien caché parvint à ouvrir une porte
vers ailleurs, par où allaient s'engouffrer des centaines de créatures
qu'on appellerait les monstres. Et comme toujours aux yeux des elfes, ce temps-là
vint trop vite, beaucoup trop vite pour les rêveurs Ainëquendi, un
peu moins vite pour les fiers Sindars.
D'abord, les humains Naïgakis
créèrent un Etat, le Gaïko, avec un roi, le Gaikhan, le tout
dans un esprit un peu anti-elfe puisque méfiant envers la magie et les
proches Falassianders qui leur semblaient des créatures marines plus que
terrestres. Puis les tribus Zahirs s'unirent elles aussi pour eux former un Etat,
le Califat, prétendument inspiré par une volonté divine,
enfin, celle de dieux humains. A peu près dans le même temps, le
Vieux Dragon Caché, Gordenlokr, se méfiant des elfes et de leur
croisade victorieuse contre ses congénères, lança ses gobelins
en plein milieu du continent, contre les humains, et surtout, contre les nains
Naugrims. Et ce faisant, il répandit d'autres créatures monstrueuses,
des trolls, des géants, des kobolds, sur la surface de la terre.
Les nains réagirent plus vite et plus efficacement envers les gobelins
que les elfes ne l'avaient fait envers les Drows. Les Derans furent les premiers
des elfes à porter secours aux Naugs. Mais, au moment où elle allait
se joindre à l'armée des nains, l'armées des Derans tomba
dans une embuscade tendue par Gordenlokr lui-même, assisté de trolls
et d'une multitude d'orcs qu'il venait de lancer sur Derenworld. La surprise,
entretenue par des procédés magiques, joua à plein. Le souffle
enflammé de Gordulok, fils aîné du Dragon Caché, détruisit
le centre de l'armée elfe, tandis que les trolls réussissaient à
isoler et à décimer la garde du Haut-Roi. Finalement, alors que
les orcs pliaient devant les Sindars accourant et chargeant à la rescousse
de leur Roi, Gordulok parvint à infliger à Maglor
assez de blessures pour que les secours ne recueillent que le dernier souffle
du premier roi de Dere. Puis le Dragon s'envola et disparut. La douleur des elfes
fut encore attisée lorsqu'ils découvrirent que la petite-fille aînée
de Maglor, Melroen, avait péri à ses côtés. Ils firent
un massacre des orcs et trolls que le vieux Dragon avait courageusement abandonnés
à leur sort. Mais cela ne changea guère à leur peine. Et
surtout, l'armée elfe, toute à sa tristesse, rebroussa chemin pour
aller enterrer son monarque, laissant seuls les Naugrim devant une armée
gobeline renforcée d'autres trolls et orcs, et qui comptait sur leur aide.
Les Naugs connurent un désastre. Et les relations entre nains et elfes
ne s'en trouvèrent pas améliorées.
Orothin, le fils
de Maglor, devint Haut-Roi de Dere. Les autres elfes tardèrent à
se mettre en route pour la guerre et surtout, ils restèrent longtemps désordonnés,
incapables de coordonner leurs actions, voire de constituer des unités
militaires cohérentes. Seuls, les Derans formaient une armée efficace.
Mais, réellement traumatisés, ils se bornèrent dans un premier
temps à assurer la défense des Sindars. Cela laissa tout le loisir
aux trolls, orcs, géants, ogres, gnolls etc... de tailler en pièce
les petites tribus d'humains, d'Aldaquendi, et même de s'attaquer en force
aux grandes tribus naines. Mais des solidarités de voisinage commençaient
à se manifester. Aldaquendi de l'ouest les Dantheidels, organisaient une
défense commune avec les humains. Les nains de Norhâzad avec les
Arianorë. Les Thûzz avec les Falassianders. Les Olges avec les Variks.
Les Naugs avec les Naïgakis. Les Vynarëans avec les Convads. Et même
les Derans avec les humains à leurs frontières. Mais, lorsqu'enfin
une Grande Alliance s'unit sous l'impulsion de Dal-Midril
de Vynarëa et d'Imrin de Convahad, comprenant nains, hobbits, humains et
elfes, il était un peu tard. De véritables petits royaumes d'humanoïdes
pullulaient un peu partout. Il fallut une dizaines d'années de guerres
désordonnées durant lesquelles orcs, géants et leurs semblables
subirent revers sur revers pour en venir à bout. Les monstres finirent
par être reclus dans les coins les plus inhospitaliers du continent, où
personne n'avait envie de les chercher. Et ce fut Celebengrin, le premier grand
sorcier de Dere, qui, accompagné de Belgon, le petit-fils de Maglor, débusqua
et annihila Gordulok dans son repaire des Barrières. Mais déjà
beaucoup d'elfes pressentaient que ces fléaux ou tout au moins leur menace
ne cesseraient plus jamais.
C'est ce pressentiment qui poussa certains
Ainëquendi à refluer de ce monde où ils vivaient insouciants
et, imitant les Aldaquendi, à rentrer dans leurs forêts pour n'en
plus jamais sortir. Ce faisant, les Vynarëans et les Arianorë abandonnaient
de facto aux Derans la conduite des affaires elfes sur un plan global. Certes,
Vynarë et l'Evriand, Ariandor et Arkandahr, Danth et Wejlar, Falassiand et
Avros noueront ponctuellement ou durablement des relations privilégiées.
Mais il s'agit de rapports entre voisins, d'amitiés locales, de cas spécifiques.
Vers 2500, les seuls elfes agissant réellement, la seule puissance elfe
mondiale, la seule puissance mondiale tout court, c'était Dere. Avec cette
fissure commençait la dégénérescence, l'agonie du
"modèle" Ainëquendi, de leur société d'immortels
libre et rêveuse, sans travail, sans monnaie, sans contraintes. Pour quelque
mille ans, Dere allait régir le monde. Et dominer le cours de l'histoire
des elfes.
Des
décisions à prendre d'urgence attendaient les elfes. Certes Belgon
avait rapporté la tête du Vieux Dragon jusque sur la tombe de son
grand-père, accomplissant la vengeance Noldorin de la famille royale de
Dere. Certes l'armée Derane était apparue invincible, et les monstres
fuyaient au seul son de ses trompes de guerre. Certes ils avaient libéré
plus que tous autres des terres et des gens, sans rien demander en contrepartie,
rendant simplement prés et forêts aux hommes, elfes et hobbits. Leur
prestige était immense. Un continent entier admirait leur talent, leur
savoir, leur prestance. Mais...
Mais les elfes Derans souvent confondaient
un orgueil légitime et une maladroite arrogance. Ils se savaient beaux,
se tenaient pour supérieurs, se pensaient immortels. Au contraire des Ainëquendi,
leur condescendance n'était pas tempérée par une fantaisie,
une douceur de vie souriante et communicative. A cet égard, ils commirent
une faute majeure en imposant aux autres Quendi leur monarque Orothin comme Haut
Roi des Elfes, lors du Conseil de 2540. Les Ainëquendi ne s'opposèrent
pas, mais n'apprécièrent pas.
Néanmoins, les nains avaient
la mémoire longue. Ils n'oubliaient pas la reculade consécutive
à la mort de Maglor, et la période d'inaction qui l'avait suivie,
qu'ils interprétaient avec un peu de paranoïa comme une trahison,
voire une complicité. Ils en voulaient pour preuve que cela avait abouti
à l'affaiblissement des Naugs, les plus grand royaume des nains et le plus
sérieux rival des elfes. Les humains, eux, avaient pris conscience des
limites de la protection que pouvait leur assurer les elfes. Sans mésestimer
la reconnaissance qu'ils leur devaient, bien des hommes considéraient à
juste titre que le temps était maintenant venu pour eux d'assumer leur
destin. Certains, à moins juste titre, envisageaient déjà
de le faire sans les Quendi, voire contre eux s'il le fallait.
Mais les humanoïdes,
orcs, ogres, gobelins et consorts, avaient été battus, décimés,
refoulés, non détruits. Ils avaient trouvé des refuges, vallées
isolées, déserts inhospitaliers, toundras arides, plaines glacées
, où ils léchaient leurs plaies la tête pleine de haine et
de vengeance.
Et les Dieux de toutes ces créatures étaient désormais
là. Alors, les Derans eux-mêmes, dans leur fierté un peu folle,
convoquèrent ces Dieux non-elfes devant Dere et tinrent avec eux Conseil,
d'égal à égal. Lors de cette extraordinaire assemblée,
Orothin accepta le principe des royaumes humains et promit de ne jamais s'opposer
à eux pourvu que, pendant au moins dix siècles, aucun non-allié
de Dere n'agisse en adversaire et que les humains renoncent à la forêt
et aux terres des Sindars. Les Dieux promirent. Les archives de Dere fixent la
date de cette promesse au 22 Balance 2551.
Alors émergèrent
les premiers grands pays des hommes. A l'est le Gaïko. Au sud, le Vizan.
A l'ouest, le Wejlar. D'autres petits Etats ou fiefs se formèrent également
à cette période mais aucun ne survécut ou n'atteignit l'importance
de ceux-là. Le Gaïko n'intéressait pas les Derans, il était
trop loin de leurs terres. Le Vizan se constitua avec des moeurs auxquelles ils
ne comprirent rien et qu'ils jugeaient déplaisantes, mais, puisqu'ils avaient
promis de ne pas intervenir... Restait le Wejlar. D'autant plus intéressant
que des Dieux et non des moindres, soutenaient l'édification de ce royaume.
D'abord Ukko, Straasha, Diancecht, Oghma, puis Râ, Tyr, Heimdall, puis Osiris,
Hermès, Poséido, Geb, favorisèrent, voire s'associèrent
au pays d'Olan. Déjà les Dantheidels, et même les Vynarëans
concouraient discrètement au développement du Wejlar. Les Derans,
nous l'impulsion de Lingwë, décidèrent eux aussi d'aider le
Jeune Royaume, ainsi qu'ils l'appelaient alors sans pouvoir deviner qu'un jour
il deviendrait pour les humains le Vieux Royaume. Et ainsi commença une
alliance entre Dere et le Wejlar qui devait durer très longtemps. Cette
alliance vit le temps de la splendeur de Dere, lorsqu'elle s'étendait sur
des terres immenses et régnait en capitale du Monde, cité splendide,
orgueilleuse, magnifique.
Ce fut aussi le temps du Grand Royaume de Wejlar,
un quart du continent sous la même pacifique et débonnaire couronne,
où la liberté était la règle, où les elfes
allaient en délégation assister au sacre royal, politesse que rendaient
les humains en venant étudier à Dere, en allant écouter,
admirer et apprendre le talent et le savoir des elfes-gris.
Incidemment, cette
alliance mit les Derans en rapport avec les nains Krynn, avec lesquels ils s'entendirent
fort bien. Ils entretinrent ensemble un commerce profitable à tous, et
notamment au Wejlar. Ce fut ainsi que naquirent les premières Maisons Marchandes
des Elfes.
Comme l'avaient promis les Dieux, mille ans s'écoulèrent,
au cours desquels le Wejlar atteignit son expansion maximale, couvrant à
lui seul près du tiers des terres de Derenworld. Mille ans de "Lex
Derania", à peine troublés par la Prédiction d'Onomorë,
annonçant de grands malheurs et par la première guerre entre humains,
qui vit une facile victoire du Wejlar contre le Vizan. Un millénaire de
paix.
Le 29
Balance 3551, soit exactement mille ans et quatre jours après la Promesse
des Dieux, Eremothep, un jeune agent au
service du Calife de Vizan, déguisé en elfe, parvenait à
ressortir de la Cité de Dere, avec assez de livres pour percer les secrets
essentiels des Arts Magiques. Il faut savoir que jusqu'alors, la Magie était
restée une exclusivité elfe. Les nains ne savaient comment l'utiliser.
Les humains étaient jugés encore trop immatures. D'un commun accord,
le Conseil des Elfes avait dès 1176 jugé imprudent de divulguer
des secrets qu'ils estimaient, sans doute à juste titre, potentiellement
trop dangereux pour être mis entre n'importe quelles mains.
La
vexation et la colère des Derans est alors immense. Cependant, malgré
leurs demandes, le Calife de Vizan refuse de leur livrer le coupable. Pendant
que se fondent les premières écoles de magie en Vizan, les Derans
hésitent entre une attaque qui romprait définitivement avec la Promesse
des Dieux, ou bien un attentisme qui pourrait passer pour un consentement. La
colère est mauvaise conseillère: faisant d'un cas une généralité,
une majorité de Derans décide qu'hormis les Andunedain
de Wejlar, on ne peut plus avoir confiance qu'en les hobbits et les elfes.Ausssi,
devant le danger que représentent les Ecoles
de Magie, les elfes se préparent-ils à attaquer le Vizan qui
prend les devants: simultanément, le Vizan et Dere déclarent se
soustraire à la promesse des Dieux et abolir les dispositions de l'Ohar's
Scroll. Mais il est trop tard, bien trop tard pour les Derans: ils n'ont pas
la même mesure du temps que les humains; ils ne savent pas ce qu'une ou
deux générations d'humains peuvent accomplir. Les Derans prennent
tranquillement trente-sept ans pour se mettre en action. Entre-temps, Hornst
apparaît.
Pour relater ce qui s'est alors passé, mieux vaut laisser
place à un extrait de l'Abrégé de la Chronique Derane qui
résume assez fidèlement les grandes étapes des méfaits
du Soulslayer.
Le Nationalisme Deran est alors ébranlé. Il n'en évolue que
de façon pire, le racisme dwarphobe se doublant d'un sentiment de supériorité
envers les humains et même les autres elfes. Du coup, c'en devient trop
pour une partie importante des Sindars eux-mêmes. En 3730, la plupart des
Caleidhels, une partie des Gwainorëans et quelques Tarnorëans suivirent
le vieux Lingwë qui décida de faire sécession et d'aller fonder
un nouveau pays où le nationalisme Deran serait battu en brèche.
Furieux, Maegon de Gwainorë provoqua Lingwë en duel mais le Haut-Roi
Belgon interdit son déroulement et, pour dénouer la crise, décide
de laisser les elfes libres de choisir. Lingwë rassemble son nouveau peuple
et marche vers l'ouest, traversant le Wejlar à la recherche de terres libres.
Et nombreux sont ceux qui le suivent, ou qui viennent le rejoindre dans ce qu'on
appelle l'Exode, et qui aboutira finalement dans la vallée de Löwe.
Pas calmé pour autant, Maegon se brouille avec Belgon et déclare
la guerre au Thûzzland pour une sombre affaire de financement. Evidemment,
les Derans sont obligés de suivre... Cette guerre idiote demeure indécise,
mais Maegon y trouve la mort au cours du siège de Brezâd, la grande
forteresse des Thûzz. Finalement, Merin de Thûzzland et Belgon de
Dere signent l'armistice mettant fin à un conflit qui n'aura servi qu'à
envenimer encore davantage les relations entre elfes et nains, outre quelques
morts de plus.
Dans le même temps, le Wejlar est choisi en 3743
comme première cible par les Héritiers d'Hornst. Le pays résiste
tant bien que mal. Or, ce sont les Vynarëans, les Paërdhels, les Dantheidels,
les Exilés, les nains Krynn et Olges, qui viennent aider les humains en
grande difficulté. La guerre contre les Héritiers, tous de Grands
Mages, coûtera cher en vies (les Dantheidels quitteront leurs forêts
et se sacrifieront pour sauver les villes de Medwjle, perdant plus de 50% de leur
population), et durera près de vingt ans. Les Derans, eux, sont alors à
se quereller entre eux, à se battre contre les Thûzz ou les Naugs,
à se frictionner avec le Vizan...
Une réaction générale
chez les elfes non-Derans survient enfin. L'attitude des Derans est déjà
depuis longtemps jugée sévèrement. Un peu partout, on la
qualifie d'outrageante et égoïste. Par lassitude ou indignation, les
Royaumes Elfes rompent officiellement avec Dere en 3767. A l'instar de Lingwë,
beaucoup de chefs elfes décident alors de prendre le contre-pied de la
politique Derane. Les Arianorë
ouvrent Ariacandre aux humains, inaugurant
ainsi le partage officiel par les elfes de la magie avec les humains - déjà
entré dans les faits depuis des dizaines d'années et de la pire
façon qui soit puisqu'au bénéfice de Mages maléfiques.
Les Vynarëans édictent Lendorëa, fief et ville de leur royaume,
désormais constitutive d'une patrie ouverte aux humains; quiconque s'y
rendrait, quelle que soit sa race, y bénéficierait de toute leur
protection. Dans le même temps, le Roi Dal-Midril scelle un pacte avec Convahâd.
A l'ouest, les Dantheidels et les Paëreidhels font alliance avec le Wejlar,
avec les Krynn, avec Holderin. Les Paëreidhels
et les Lowenlanders signent également un
traité d'amitié avec les Olges.
Ceux des Falassianders restés
sur le continent tentent d'abord des démarches similaires vers les Naïgakis
et les Thûzz. Mais ces derniers se méfient alors grandement des elfes,
de tous les elfes. Finalement, vers 3775, les derniers Falassianders de la côte
orientale (aujourd'hui l'Eriendel) décident d'émigrer en Tangut.
A l'instar des exilés Caleidhels de Dere qui avaient fondé le Lowenland,
ils espèrent y rejoindre leurs frères de là-bas. Mais il
n'y aura pas de "Lowenland de l'est": un fois arrivés en Tangut,
les Falassianders n'y découvrent que des Aldaquendi particulièrement
peu concernés par leurs cousins et par les hommes. Ils se heurtent aussi
à une influence Vizaner ou Naïgaki ou naine empreinte d'une hostilité
qui rend impossible l'espoir d'une société mixte. Alors, les Falassianders
continuèrent de marcher jusqu'à ce qu'ils se découvrent le
refuge d'une vaste péninsule où plusieurs émigrés
d'endroits très divers avaient comme eux abouti. Arrivés là,
c'est à dire en terre d'Avros, très démoralisés, ils
se convainquent que Nendharain avait raison et décident eux aussi de quitter
Derenworld. Mais, auparavant, en remerciement de l'accueil des humains de cet
endroit, leurs "co-réfugiés", ils les aideront à
créer un pays. Puisque ni ces elfes, ni ces hommes n'ont plus de roi en
ces terres inconnues, ce pays sera une République qu'ils achèvent
de constituer en 3808, et qui deviendra en 3839 la République Maritime
d'Avros.
Cependant, l'évolution de la République, marqué
par la guerre Unificatrice de 3839 avec le Duché et les Comtés de
Granchester, la Modification des Constitutions en 3953 qui marque l'avènement
d'une doctrine sociale fondée sur le commerce, et surtout les dissensions
nées du Second Grand Conseil des Elfes de 3830 amènent les derniers
Falassianders à considérer que ce Continent n'est vraiment pas fait
pour eux. Dès 3837, ils se préparent à quitter pour toujours
Derenworld.
Dans
la première moitié du XLe siècle, malgré les efforts
des autres elfes, le sentiment anti-Deran persiste, voire s'étend sur tout
le Continent. La plupart des non-elfes apprennent assez vite à différencier
les Sindars des autres elfes. Mais c'est surtout le début d'une politisation
de la tendance à la séparation des races dont plusieurs esprits
ou monarques plus ou moins bien intentionnés feront leur mauvais miel,
une succession de guerres et de conflits, dans les siècles à venir.
C'est en 3948 que les Nains, gens à la mémoire longue, ayant suffisamment
pansé leurs plaies, proclament l'Alliance Naine, sous l'impulsion de Torin
III Naug-Thaerïn, Roi des Naugs. Cette alliance initiée entre les
Maisons naines Naugs, Olges, Thûzz et Norhâzads va servir de véritable
détonateur à des conflits alors encore larvés et dont seul
le prétexte revêt une apparence raciale. D'une façon générale,
ces conflits, sur un plan international, mettront aux prises Dere et le Wejlar
d'une part, les Nains , le Vizan et nombre de fiefs indépendants humains
de l'autre. C'est en effet l'occasion, pour nombre de territoires des hommes,
d'affirmer une indépendance nouvelle, parfois sur le dos des elfes. Et
c'est l'occasion pour les elfes, exception faite des Derans, de découvrir
que ce monde n'est plus vraiment le leur, et de se réfugier, pour la plupart,
dans les forêts et les contrées reculées où les avaient
précédés les Aldaquendi.
L'alliance Naine vaincra,
et les nouveaux Etats des hommes dans son sillage. Mais, au-delà du compte
des batailles, souvent équilibré d'ailleurs, ce sont d'autres aspects
plus fondamentaux qui vont modifier en profondeur les sociétés de
Derenworld.
S'ouvre à cette époque l'ère dite "Arn
Quendulin", l'affaiblissement des elfes, leur reflux, leur déclin.
Et, dans ce reflux des Elfes, les races humaines et naines, et même, d'une
façon plus générale, les non-elfes se découvrent en
effet de nombreux points communs. Même vie limitée, contraignant
à "faire vite", à accomplir quelque chose en ce temps
qui est imparti avant la mort; même goût pour des échanges
commerciaux, c'est-à-dire faisant intervenir des unités de compte
spécifiques (la monnaie) créées à cet effet. Même
"rage" de domestiquer l'environnement, qu'il soit minéral, végétal
ou animal. Et surtout, même talents, persévérances et endurances,
notamment en matière d'agriculture ou de fabrication d'objets en nombre.
Autant de domaines très peu prisés des elfes et incompris d'eux.
L'équipement des foyers, l'enrichissement économique constitueront
des phénomènes inintelligibles tant pour les elfes que pour leurs
grands alliés. D'autre part, les guerres poussent les sociétés
humaines naissantes à se structurer, à se regrouper, à se
constituer en villes, en nations, en systèmes aptes à la défense
et aussi au commerce. Les clergés humains fournissent des mythologies à
même de substituer les légendes et rêves elfes. Les nains et
les hobbits collaborent avec les hommes pour le travail de la terre et des métaux.
Assez vite, le génie humain s'émancipe: les villes et les fiefs
se multiplient, conquièrent et civilisent les peuplades barbares qui parfois
les imitent d'elles-mêmes. La civilisation humaine naît et s'étend.
Bientôt, les sociétés des hommes s'avance, indépendantes,
jusque sur des terres sauvages ou reprises aux elfes. Ainsi, malgré l'obtention
de bien des victoires sur les champs de bataille, le nombre, le dynamisme, l'économie
constituent autant de facteurs entièrement nouveaux qui jouent pleinement
contre les elfes et leurs alliés.En outre, les amis des elfes peinent à
comprendre et accepter des conflits tels ceux contre les nains qu'il considèrent
toujours comme alliés et a fortiori les guerres contre d'autres hommes.
A l'inverse, la vengeance, l'émancipation, l'aspiration à de nouvelles
sociétés entretiennent et stimulent les nains et leur partisans.
C'est aussi ce qui expliquera le succès des comptoirs et de l'idée
Républicaine que popularisera Avros au cours des siècles suivants,
et aussi celui d'Etats futurs comme le Farxel, l'Empire ou Marn,
dans lesquels les humains fonderont et gouverneront tant les bases que les structures
des la société.
Pendant près de sept siècles,
ce reflux va se poursuivre. Des guerres incessantes agiteront Derenworld, à
l'exception du fameux (puisque surprenant) Siècle de Paix, oeil du cyclone
entre 4270 et 4375. Des Etats nouveaux émergeront, disparaîtront,
s'asticoteront, s'entre-dévoreront, s'entre-déchireront. Beaucoup
d'Evils tireront profit de ces situations. Mais aussi les religions humaines,
qui s'imposent avec parfois un cortège de bienfaisances, telle l'institution
du Paladinat, l'ouverture d'hôpitaux impulsés par le culte de Diancecht,
la création d'écoles par des prêtres de diverses tendances.
D'autre part, la promotion des Guildes commerciales ou artisanales, le développement
d'un art spécifiquement humain, la propagation de techniques agricoles
en association avec les hobbits, le développement du commerce au long cours
sur terre ou mer sont les marques positives de la société des hommes.
Toutes les guerres, loin de là, ne concerneront pas les Elfes. Mais leur
conséquence ira toujours, immanquablement, dans le sens d'un déclin
de leur influence, de leurs populations, les conduisant vers une retraite tant
géographique (forêts, vallées reculées, voire outre-mer)
que politique (non-belligérance, dissolution de fiefs, non-intervention
dans la société et la politique...). Ils entraîneront dans
ce déclin le Grand Wejlar, seul pays qui les suive jusqu'au bout et que
le temps réduira à une peau de chagrin. L'unique exception sera
l'Evriand qui paiera par d'incessants conflits son "pro-elfisme" mais
qui saura habilement jouer de ses relations et capacités commerciales pour
s'inclure avantageusement dans la nouvelle société des hommes. Cependant,
en 4663, après la All Wizards War au cours de laquelle tous les hommes
ont à leurs dépens mesuré l'étendue des destructions
que peut causer l'usage de la Magie, la plupart des Etats adhèrent à
la proposition des Vynarëans et Arianorë de prohiber l'usage de la Sorcellerie
dans les conflits militaires. Dere se montre d'abord réticente: la Magie
est un de ses primordiaux atouts militaires et elle voit dans cette catastrophe
l'amère conséquence qu'elle avait prédit au moment du vol
de magie d'Eremothep. Elle se joint finalement
à la Conférence du Pentagramme qui aboutira à la Convention
de Bakor et y délègue même son Arch-Mage, le célèbre
Celebengrin. Il s'agit d'une des
dernières contributions majeures des Elfes à la diplomatie continentale.
C'est ce dernier conflit qui voit la fin irrémédiable des derniers
habitats elfiques tenus en dehors des forêts. En effet, si les Aldaquendi
restent comme à leur habitude à l'abri des grands sous-bois, ils
y sont désormais rejoints par tous les elfes fuyant une guerre qu'ils comprennent
encore moins qu'ils ne la désirent. Dans certains (rares) cas, ils se réfugient
en des contrées inhospitalières ou au-delà de vallées
peu fréquentées, voire outre-mer. Il n'est que dans les Etats où
les elfes sont alliés d'humains (essentiellement le Wejlar et le Lowenland)
que l'habitat elfe des grandes plaines ou collines basses et fertiles perdurera.
Mais il ne faut pas oublier que depuis longtemps déjà, la multiplication
de terres cultivées et valorisées par les techniques agricoles des
hobbits et des hommes, la croissance et le nombre des peuplements humains avaient
amené les elfes à ressentir que leur monde avait subi une mutation
définitive.
Concrètement, pour ce qui est des Royaumes
Ainëquendi, on assiste donc soit
à leur inclusion dans les Etats des hommes (Wejlar, Tangut, Farxel, Républiques
Maritimes et Confédération), soit à leur dissolution par
ces Etats avec migrations à la clé (Empire, Vizan, Marn), soit à
leur survivance par proclamation de neutralité, non-belligérance,
non-intervention etc... (Ariandor en 4186, Vynarëa en 4604, Lowenland en
4048). Quant aux Falassianders, ils ont presque tous quitté Derenworld
dès 3860 et leur dernier départ date de 3967. Ainsi, non seulement
les Ainëquendi en tant qu'individus ou tribus se réfugient dans des
forêts dont ils ne sortent plus mais, les uns après les autres, leurs
grands royaumes, généralement réduits à des terres
reculées ou exclusivement boisées, cessent de jouer un rôle
politique ou diplomatique majeur. En fait, à l'aube du XLIXème siècle,
les Ainëquendi demeurent une figure sociale, historique, culturelle, philosophique
de Derenworld mais non plus une puissance. Ils constituent les références
des Mages, des Artistes, des Auteurs, des Philosophes. Et, du coup, graduellement,
dans l'esprit des autres races, les elfes deviennent rares, deviennent une légende,
se parent de merveilleux. Un lent retour de bascule s'opère, mais il connaît
une exception.
Dere est, bien entendu, cette exception. Ni les Derans,
ni leur Etat n'acceptent ni ne suivent les attitudes des autres elfes. Les Derans
se battront jusqu'au dernier, jusqu'à ce que leur nombre réduit
ne leur permette plus de défendre que leur seule forêt. Ils emploieront
tout: la Magie, l'intrigue, la guerre, la diplomatie, l'attaque surprise, la défense
à outrance, l'alliance avec qui voudra bien. Pour eux vaut la vengeance
plus que le pardon, l'esprit plus que la vie, et peut-être la fierté
plus que l'honneur. Marn, les Nains, le Vizan, l'Empire, seront à tour
de rôle les adversaires principaux de ces guerres qui émaillent chaque
siècle et d'où Dere émerge chaque fois plus affaiblie. A
chaque traité de paix, le Haut Roi des Elfes pèse de moins en moins
lourd devant le Suprême Sultan de Vizan, l'Empereur Naëmbolt des Humains,
le Prince de Marn, quand ce n'est pas l'Ambassadeur Exécutif d'Avros, le
Diplomate Permanent de la Confédération ou le Ministre Plénipotentiaire
de Thûzzland.
Mais Dere ne désarme pas. Même si elle a
dû laisser à l'Empire les trois-quarts du Gwainorë, même
si Tarnorë, les terres centrales du Haut-Roi, sont grignotées par
le Vizan, Dere ne peut admettre la fin du mode de vie elfique, l'occupation des
terres par les humains, la primauté des valeurs des Nains, l'épandage
de la Magie à eux volée, la suffisance des clergés, la prééminence
des marchands. Elle combat sans voir que, raciste avant les hommes, elle devient
la victime du racisme des hommes, sans comprendre que tous les elfes, les uns
après les autres, se désolidarisent d'elle. Le Haut-Roi Belgon et
les siens restent seuls et fiers de l'être. Mais Dere boira le calice jusqu'à
la lie.
Pourtant, en 4867, Arn
Quendulin est considérée comme achevée. Les elfes se
sont d'eux-mêmes reclus. Seule Dere proclame que n'est pas venu le temps
des hommes, que le temps s'écoule encore et s'écoulera toujours
à la mesure des elfes...
Les humains en ont assez de Dere, et de ses
guerres, et de son arrogance. Plus qu'assez. Aussi est-ce dans l'indifférence
générale que le Vizan, une fois de plus entre en conflit avec Dere.
Ce que personne ne sait encore, c'est que ce conflit ne sera pas comme les autres.
Cette fois, le Vizan a des alliés puissants et secrets. Darg
Nirnaoth ("La Guerre des Larmes") constituera la plus grande horreur
que les elfes de Derenworld aient connu depuis Amdarg
Nuruloki, et la perte d'Echorost. Les
alliés puissants et secrets du Vizan sont ceux qui, avec d'autres, ont
ensuite concouru à la formation d'un pacte qui va assombrir toute la surface
du Monde et qui sera connu sous le nom de la Great Evil Coalition. Au centre de
la G.E.C, les séides et inspirateurs du Vizan, les ennemis acharnés
de Dere, les Drows.
Ces derniers ont
préparé depuis longtemps leur affaire. Inondant de monstres la surface
de Deren-Taur, ils désorganisent de l'intérieur l'armée et
les défenses de Dere. Le 20 Balance, les Vizaners parviennent sans difficultés
majeures jusque devant la Cité de Dere. Celle-ci n'est défendue
que par une poignée de survivants. Signe d'orgueil, jamais les Derans n'ont
voulu que leur Ville s'affuble de remparts. Après des combats désespérés
où meurt le Haut-Roi Belgon, le 23 Balance, au crépuscule, le Thron-Khan
Brahimun Ialar, à la tête d'un régiment de la Crimson Guard,
parvient devant le parvis de la Deran Library, le dernier bastion de la défense
des elfes au milieu d'une ville en flammes. Là, peut-être sous l'effet
d'une panique, violant son serment d'Arch-Mage du Pentagramme, Celebengrin lance
ses sorts sur les troupes ennemies. C'est Dagnir Celebengrin, la Malédiction
de Celebengrin, le reniement, qui ne sert qu'à retarder de quelques minutes
l'échéance inéluctable mais surtout, la violation évidente,
par une des plus hauts dignitaires Sindars, d'un serment majeur. Moralement, pour
tous les Derans, c'est une catastrophe éthique qui s'ajoute à une
catastrophe militaire. En représailles, les Vizaners massacreront la plupart
de la population de la Cité. Le Sac de Dere durera trois jours, trois jours
d'expiation disent les légendes des hommes, trois jours d'abomination disent
les légendes des elfes. Plus de la moitié de la ville est totalement
détruite, les quatre-cinquièmes de sa population ont fui ou péri.
Après le pillage, Carinlad, le nouveau Haut-Roi, part en exil dans les
montagnes d'où il appelle les Sindars à cesser le combat et à
reconstruire leur ville et leur forêt. Cependant, partout sur Derenworld
se lève une vague d'indignation et d'horreur face à laquelle les
Vizaners, prudents pour l'instant, choisissent de battre en retraite. Leur objectif
est de toute façon accompli: Dere est assassinée, Celebengrin est
déshonoré, les elfes sont définitivement humiliés.
Ils ne barreront pas la route à la Great Evil Coalition, les Sindars Derans
n'entraîneront pas une grande Union des Elfes, des Nains et des hommes.
Et de fait, tout au long de la G.E.C., les elfes n'interviendront que rarement,
sporadiquement, avec les armées des hommes. Ni le Lowenland, ni Ariandor,
ni, évidemment, Dere, meurtrie et défaite, ne s'opposeront le moins
du monde aux hordes de monstres qui déferlent sur Derenworld et qui, assez
intelligemment, évitent leurs territoires. Même les Dantheidels ou
les Paëreidhels refuseront d'intervenir hors quelques troupes mises à
disposition du Wejlar ou de l'Evriand, pour la forme. Ce qui laissera à
des Etats humains et nains, ou à des individus, certes la gloire, mais
aussi le prix et l'amertume de la gloire.
"Je n'aurais jamais imaginé
trouver aux hommes la même vilenie que celle des Drows au lendemain d'Eühl
Gorgoroth" avait dit Dal-Midril, le Roi de Vynarëa, en apprenant
la mort du Haut-Roi Belgon. Après la Darg
Nirnaoth, après la G.E.C., les elfes n'existent plus vraiment qu'en
tant que race très minoritaire sur Derenworld. Tant le Sac de Dere que
la Malédiction de Celebengrin pèsent chaque minute sur leurs épaules.
Les elfes ne peuvent plus vraiment comprendre, ni admettre, ce qu'est devenu Derenworld.
Il leur faudra attendre le VIème millénaire pour oser à nouveau
réapparaître et se mêler aux sociétés des hommes.
Mais les Premiers-Nés ont définitivement renoncé à
jouer un premier rôle dans le monde des politiques. C'est presque dans l'indifférence
que Dere passe sous protectorat (!) Vizaner en 4968, et que l'Empire obtient la
levée de ce protectorat en 5009. Et curieusement, la nostalgie devient,
vers 5100, l'apanage des hommes et des hobbits plus que celui des elfes. Depuis
lors, les elfes sont souvent regardés comme des amis, de vieux parents,
des alliés perdus. Une très grande tolérance raciale s'est
instituée à leur profit. Mais pour eux, surtout pour les Sindars,
Nirnaoth, c'est à peine hier, c'est presque tout à l'heure. Que
les humains aient pu et laissé commettre le Sac de Dere, aient pu s'enferrer
dans des conflits aussi abominables que la All Wizards War, aient pu engendrer
des monstres comme les Lich-Kings, Hornst, ou le Dark Lord, et n'aient pas assez
appris pour faire dans leur coeur amende honorable et dans leur esprit une révolution
salutaire, voilà qui les sépare définitivement, qui les rend
définitivement indigne. A moins que ce soit le Monde qui serait devenu
indigne. Alors, plutôt que de trancher, plutôt que de s'y frotter,
plutôt que d'y penser, les elfes restent chez eux.
Cependant, la très
grande souplesse des sociétés humaines, le peu de racisme de beaucoup
d'entre elles ont contribué dans maints endroits à la survivance,
voire à la renaissance d'une réelle amitié entre elfes et
non-elfes, manifestée par l'accroissement considérable des demi-elfes.
Le rôle des hobbits, traditionnels "go-betweens", a mis beaucoup
d'huile dans les rouages. A également joué l'affaiblissement des
Nains et de leur hostilité qui s'est en partie re-dirigée contre
l'Empire au cours du LIIème siècle. Demeure également le
poids historique d'influences Wejlane (Zevjapuhr, ex-Confédération,
Evriand, Ouest de l'Empire), Arianorë (Arkandahr, Eriendel) ou Falassiander
(Avros, parties du Tangut), qui ont résisté aux conflits et aux
drames. Comme si, d'une certaine manière, les individus s'étaient
mis à réparer les méfaits des Etats, suivant en cela un mode
de pensée typiquement... elfique.
Jusqu'à
une époque récente, l'effacement des elfes fut tel que toutes les
calamités, toutes les guerres, mais aussi tous les progrès et découvertes
se firent sans eux. Certes, en 5167, Dere recouvre un territoire équivalent
à sa forêt (à peu près 60% du Tarnorë historique)par
suite d'une guerre menée contre l'Empire. Mais Dere n'a pas pris part à
cette guerre: c'est une tractation entre le Vizan et l'Empire qui aboutit à
cette résurgence, fruit d'un compromis entre deux puissances qui choisissent
d'instaurer un tampon entre leurs frontières.
En fait, il fallut attendre
quasiment la période actuelle pour trouver trace d'un renouveau de l'influence
elfique. Ce renouveau est essentiellement le fait des Sindars au sens large, Derans
et Lowenlanders se trouvant pour la première fois depuis longtemps à
peu près sur la même position. En cela se trouve accentuée
la véritable fracture qui s'opère depuis un certain temps entre
Sindars et Ainëquendi, aussi bien d'un point de vue inter-elfique que d'un
point de vue général. Car si les Ainëquendi, où que
ce soit, ont très majoritairement pour seul but de cultiver leur jardin,
forêts, libertés, force est de constater que les Sindars n'ont jamais
réellement abdiqué toute volonté de peser sur le cours des
événements politiques du continent.
Or, si cette attitude qui
leur est reprochée par la plupart des pays Ainëquendi, elle leur attire
paradoxalement la sympathie de ceux des Ainëquendi eux-mêmes qui ont
été victimes des Lich-Kings.
Ainsi, une autre césure est en train de s'opérer entre les elfes
de l'Ouest, menacés par le voisinage des Lich-Kings, et ceux de l'Est,
qui y échappent.
Car ce sont les Lich-Kings qui ont servi de déclencheur
à ce renouveau qui ne se manifeste que dans l'ouest du continent. Ainsi
a-ton rcemment vu le Lowenland sortir de son isolement diplomatique pour tenter,
sans succès, d'enrayer la marche triomphales des armées Lich-Kings.
Ainsi vit-on Dere se relever de ses cendres et s'allier, pour la première
fois de son histoire, à l'Empire Naëmbolt dans le but de repousser,
avec quelque réussite, ces mêmes Lich-Kings. Il semble aussi que
les nombreux elfes de Wejlar et de Confédération poussent leur pays
à rentrer en relation avec Dere ou le Lowenland.Et s'il est vrai qu'aujourd'hui
le Lowenland semble menacé jusque dans son existence même par ces
ennemis, Dere, après trois siècles passés à panser
les plaies de Nirnaoth, a décidé de retrouver non pas son étendue
passée mais, peut-être plus simplement et utilement, le meilleur
de son influence. Après tout, sans Dere ne serait plus Derenworld.
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