ECRIRE UNE AVENTURE D'A.D.& D.

pourquoi ; conception ; création

Olivier Cazeneuve (septembre 99)



Pourquoi écrire une aventure ?

Il y en a tellement dans le commerce. C'est long. C'est difficile. Le temps manque. On peut se tromper.
Oui mais.
Ecrire, dessiner une aventure comporte des avantages considérables. Au moment de la jouer, on la connaît par cœur. On sait exactement ce qu'on a voulu dire et mettre, les descriptions viennent toutes seules, on possède immédiatement la visualisation de tel endroit, la personnalité de tel personnage. La conduite du jeu est plus aisée, plus fluide. On a laissé libre cours à son inventivité, on a ajouté quelque chose à son monde, on a enfin une aventure taillée sur mesure, tel qu'on la conçoit. On sait aussi quel style d'intrigue et de progression ses joueurs préfèrent. On peut mettre telle récompense, on peut créer tel personnage, on peut introduire tel environnement. On est devenu, à part entière, créateur. C'est très gratifiant. Mais c'est aussi être responsable.

D'où ces quelques conseils. Ils sont souvent en forme de questions auxquelles je ne réponds pas: à chaque créateur d'y apporter ses propres réponses, c'est ce qui fera le sel, l'intérêt, l'originalité de son ouvrage.


La conception

Les trois quarts des enjeux résident dans la conception.

D'abord, réfléchissez. Ensuite, réfléchissez. Cherchez, retournez votre histoire dans tous les sens.
En manque de ressources ? Prenez pour base, pour inspiration, pour exemple, un scénario de film, de bouquin, de BD. Et surtout, ne l'adaptez pas, ne le plagiez pas, mais transposez-le. Modifiez-le comme il vous plaira mais modifiez-le, ajoutez votre touche personnelle, changez ce qui vous plaît. C'est d'une inspiration que vous avez besoin, non d'un plagiat ou d'une imitation.
Une aventure se compose de 4 parties nécessaires : une intrigue-récompense, un environnement extérieur, un environnement intérieur, des séquences d'obstacles.
Tant que les 4 parties ne sont pas clairement définies et cohérentes, l'aventure ne sera pas prête à être correctement jouée.

Exemple de réflexion de setting : une forteresse habitée par des méchants.

- Définition de l'intrigue : Pourquoi s'y aventurer (curiosité, but précis, contrainte...) ? Quelle est l'histoire de cette forteresse (qui l'a fondée et pourquoi, envahie, restaurée, utilisée) ? Comment cadre-t-elle avec celle du monde en général et son environnement local en particulier (partie d'un fief, dépendance d'un Etat, retraite isolée, bastion frontière) ? Que sait-on de cette histoire, quelle est sa réputation (inconnue, redoutable, piégeuse, abandonnée)?

- Environnement extérieur : Comment y accède-t-on ? Pourquoi est-ce facile ou difficile ? Quels sont les personnages que les aventuriers vont rencontrer sur le chemin par lesquels ils connaîtront l'histoire, la réputation, la localisation exacte de la forteresse ? En quel état physique apparaît la forteresse au moment de l'aventure et dans quel mesure cet état correspond-il à la réalité ? Vu le niveau de l'aventure, les personnages des joueurs ont-ils les moyens de s'y rendre par des voies magiques et que prévoir dans un tel cas ? De quelles ressources ou bases de repli peuvent-ils disposer en cas d'échec et comment y accéder ?
Bien évidemment, des aventures centrées sur l'extérieur on remplacera l'environnement intérieur par un bois, une maison, le bord d'un lac...

- Environnement intérieur : Quelle est l'étendue de la forteresse et pourquoi ? Comment les différents buts de l'intrigue y sont-ils répartis et défendus et pourquoi ? Quelle architecture globale (taille et diversité des salles, présence de cavernes, ressources en eau, accès et protections défensives) ? Comment justifier la part de merveilleux à y mettre ? Comment équilibrer le porte-monstre-trésor, l'énigme, le parcours obligatoire, la liberté d'aller-venir, les pièges ? Quelles défenses anti-magiques ou surnaturelles et comment les justifier ? Quelle ambiance générale ? Quel rythme entre les sections vides et les sections pleines ?

- Séquences d'Obstacles : comment équilibrer les moyens de défense et l'intrigue ? Comment éviter les situations de blocage ? Comment faire peser une menace sur les aventuriers ? Comment justifier l'interdépendance des montres ou des ennemis, leur présence à tel endroit plutôt que tel autre ? Une proportion équitable récompense-obstacles est-elle respectée ? Quelle logique conduit les joueurs tout au long de leur parcours, comment les obstacles la contredisent-elle ou la renouvellent-t-elle ?

Trames : une histoire A, une ou plusieurs histoires B, une foule d'histoires C.

- L'histoire A est la trame générale. La princesse enlevée qu'il faut aller récupérer. La tombe secrète à découvrir. La clé des comportements étranges observés chez certains habitants du village. Le fameux artifact oublié depuis des siècles. L'origine des raids subis par le pays. Ce qu'est devenu un vieux Mage. Et caetera.
L'histoire A est à la fois nécessaire et insuffisante. Elle est fondamentale car elle initie l'aventure, suscite chez les personnages-joueurs une envie (dans certains cas une contrainte) censée perdurer tout au long de l'aventure. Et surtout, à cette histoire A, ils se réfèreront souvent, c'est elle qui en se révélant, en s'accomplissant, forme le nœud et la fin de l'aventure.
Elle est pourtant très insuffisante car concrètement ce sont les histoires B et C que les joueurs vont le plus vivre.

- L'histoire B est une histoire annexe, tributaire ou totalement divergente de l'histoire A, que les joueurs vont rencontrer sur leur parcours. Par exemple, dans tel village, la manière de trouver la vieille dame qui se souvient de ce qui s'est passé voici trente ans et qui a amené la chute de la forteresse. Par exemple, à l'intérieur du donjon, l'histoire des derniers réfugiés qui ont scellé le troisième niveau et qui conditionne le moyen d'y accéder de nouveau. Ces histoires constituent souvent la trame de sous-modules, de sections de l'aventure. C'est leur résolution par les joueurs qui est censée leur permettre d'avancer sur la voie de l'histoire A, c'est à dire du but final.

- L'histoire C est de loin la plus fréquente. C'est une micro-histoire : celle de la salle X, du groupe de monstres Y, de l'arrangement du piège Z, du personnage non-joueur T etc.... Elle est très importante parce qu'elle contient concrètement l'obstacle ou la récompense des aventuriers. Au delà de sa simple description, elle doit être logique : cohérente avec l'environnement général de l'aventure et pas incohérente avec l'environnement concret où elle se trouve. C'est la multiplication de ces histoires C, leur diversité, leur efficacité, leur opportunité, qui forme souvent l'essentiel du plaisir des aventures.


Adaptation à l'exemple de la forteresse.

- L'histoire A contient le pourquoi cette forteresse existe et intéresse les personnages : ce qu'ils y cherchent, ont intérêt à y trouver. Par exemple, la légende de la tombe et du trésor de l'Envahisseur.

- Sections donnant lieu à une histoire B : le village qui y mène. L'ancienne tour de guet entre la forteresse et le village. Les défenses extérieures de la forteresse. Le premier niveau. Le deuxième niveau. La zone finale.

- Exemples d'éléments suscitant des histoires C : Pourquoi tel monstre habite-t-il la tour de guet. Comment s'organisent les orcs qui demeurent dans les défenses extérieures ? Qui utilise les salles de torture, les oubliettes, la prison du deuxième niveau ? Pourquoi la bibliothèque du premier niveau est-elle abandonnée ? Pourquoi une chapelle donne-t-elle accès à la zone finale


Au moment de créer.

Tout est affaire d'équilibrage. Entre les diverses possibilités d'accès. Entre le directif (les joueurs : " on ne peut vraiment passer que par là ? ") et le libre arbitre (les joueurs : " bon alors qu'est-ce qu'on fait ? ").
Equilibre dans les proportions. Sans porte-monstres-trésor, il arrive qu'on s'ennuie. Sans énigmes ou réflexion, les joueurs reposent sur les capacités de leurs personnages et en fin de compte sur les dés. Sans role-play, sans interaction, sans descriptions d'ambiance, l'arbitre n'est au mieux qu'un ordinateur humain.
Equilibrage entre la difficulté et le risque d'une part, la récompense et les moyens de survie d'autre part. Ce n'est pas tant affaire de niveau, de complexité, de Hit Dice, que de dessin. Une seule salle peut parfaitement flinguer un groupe. Mais les joueurs sont aussi les premiers à ressentir qu'à vaincre sans péril on triomphe sans gloire.

Planifiez selon la durée ; la durée est fonction de votre histoire A, de ses épisodes. Il est important de savoir si cette histoire est apte par elle-même à tenir sur plusieurs sessions, si elle doit se révéler petit à petit et comment. La durée globale d'une campagne n'a pas à entrer en ligne de compte au moment de créer une aventure. Normalement, elle doit se dégager logiquement, d'elle-même.
Cependant il faut savoir renouveler, redémarrer l'intérêt. Il faut savoir qu'à un certain moment, si ça dure depuis longtemps, moins les personnages que les joueurs en auront un petit peu marre. Il faut donc toujours être préparé à rajouter du piquant, du surprenant, de l'inconnu à certaines étapes, surtout dans le cadre d'une campagne de longue haleine.

Inventoriez les monstres, les pièges, les obstacles. Choisissez un mélange : diversité, mais cohérence. Par exemple (pour les monstres) : monstres de groupe, monstres solitaires ; monstres usant de la magie, monstres non magiques monstres errants, monstres fixes.
Faites très attention aux morts-vivants à partir de la wight : la perte (le drain) de niveaux est toujours très douloureusement ressentie par les joueurs. Il en va de même pour tous les " destructeurs qui drainent la magie ou quelque capacité à titre définitif (clay golem, ghost, disenchanter...).

Demandez-vous toujours qu'est ce que vous feriez, en tant que bon aventurier, pour vous en sortir ? Demandez-vous toujours si vous laissez une porte de sortie au groupe et sinon pourquoi ? Demandez-vous toujours devant une énigme, un obstacle, si le groupe des joueurs, placé dans le contexte, aura vraiment les moyens de s'en sortir.

Tentez de réduire autant que faire se peut la part de l'aléatoire, de la chance, dans la progression de l'intrigue et des joueurs. Demandez-vous ce qu'il se passe si les joueurs vont à droite plutôt qu'à gauche où c'était prévu. Demandez-vous si tel piège est utile, opportun, logique. Réduisez toujours les risques de devoir improviser.



La création et après

C'est maintenant le moment des papier et crayon.
Vous avez vos réservoirs de monstres, de pièges, de lieux, de personnages ? Vous avez caractérisé des pièces, des objets, des trésors ? Eh bien allez-y. A vos crayons. Faites vos cartes, remplissez les cases, décrivez les pièces, étoffez la clé. Ajoutez de ci de là des ingrédients imprévus. Extrapolez telle pièce à partir d'un détail, réduisez telle histoire finalement pas si importante, faites votre sauce, laissez libre cours à votre imagination.
Je vous conseille soit de noter les caractéristiques des monstres, soit de noter leur repères (page x du Manuel) pour des références plus rapides. Prévoyez pour chaque monstre complexe sa stratégie logique, son comportement, ses sorts éventuels.

N'oubliez pas les correspondances visuelles et sonores. Tel monstre doit faire du bruit et ce bruit doit être entendu jusqu'à tel endroit. Si les joueurs ne l'entendent pas en arrivant, ils demanderont pourquoi à l'arbitre qui aura l'air malin...

N'oubliez pas la tendance des joueurs au détournement : combien de cheminées prévues juste pour faire joli se sont trouvées escaladées, explorées dans leurs derniers recoins par des personnages sûrs que s'y cache quelque chose alors que ni la carte ni la clé du module ne précisent quoi que ce soit à leur sujet...

Voilà, c'est fait ?
Revoyez honnêtement votre copie. Que faut-il aux joueurs pour franchir les obstacles ? A partir de quel niveau cela devient-il une promenade de santé ? Etes-vous vraiment persuadé qu'un groupe du 4e niveau peut affronter 17 trolls d'un coup ? Ne vaudrait-il pas mieux remplacer ces 16 kobolds par 10 bugbears ? Est-ce vraiment la peine de mettre un triple fonf à tous les coffres de cette salle (car il y a fort à parier que les joueurs, ensuite, chercheront systématiquement un triple fond à tous ce qu'ils rencontreront...).
Quelles sont les grosses ficelles (s'ils vont par là douze pièges mortels s'ouvrent l'un après l'autre...) dont vous avez dû faire usage pour contraindre les joueurs dans la bonne direction ? Quels indices les joueurs sont-ils sûrs de trouver sur leur chemin s'ils jouent raisonnablement bien ?
Vérifiez, en bonne conscience, qu'un groupe fatigué, amoindri, est capable de vaincre les derniers obstacles (sous l'angle joueurs et personnages) et d'une façon générale de parvenir victorieusement au but final.
Si besoin est, changez des éléments, retouchez. Il vaut mieux le faire avant que sur l'instant.

Ensuite, priez pour qu'ils ne crèvent pas bêtement à la salle 3.


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